Le silence du vin

Le silence du vin


Lorsqu'en finale, on abandonne le vin et qu'on l'avale, il reste quelque chose qui raconte une autre histoire, une histoire qui dure, qui s'étale dans le temps... Frédéric Dard l'a comparée au silence qui suit Mozart, qui est encore du Mozart. L'Yquem, après la dégustation, ménage ce moment qui est encore de l'Yquem. J'aime cette jolie expression pour décrire un vin qui a une très longue finale : on dit qu'il fait la "queue de paon" quand on le déguste.

On peut en nommer les parfums et les arômes, chercher à définir sa complexité sans parvenir jamais à en pénétrer l'essence, à en perce le mystère...

On distingue, dans la dégustation, parmi beaucoup d'autres choses, le nez, puis l'attaque et, ensuite, la complexité, le velours. Enfin, il y a la finale, qui est plus ou moins courte, plus ou moins opulente, plus ou moins agréable, qui laisse une plus ou moins grande trace.

Yquem est une essence, au sens d'extrait... qui ensuite devient du vin. L'histoire qu'Yquem raconte est tout à fait originale. Elle commence par le nez... pour les vins un peu anciens... Il laisse flotter des effluves extraordinaires, dès l'ouverture de la bouteille. L'attaque, en général, est toujours très soyeuse, souvent somptueuse. Elle est suivie d'une sensation enveloppante qu'un dégustateur a bien caractérisée en disant : "Ce vin tapisse le palais". Effectivement il est présent sans être oppressant, avec élégance, légèreté. Il est là, on a le temps d'en considérer les harmonies et les dissonances, d'en traquer d'éventuelles failles.

Mais ce qui domine, c'est ce sentiment d'équilibre. Equilibre entre les éléments sucrés qui pourraient être entêtants, mais qui sont contrebalancés par les touches d'amertume, voire d'acidité lorsqu'en finale on abandonne le vin et qu'on l'avale, il reste quelque chose qui raconte une histoire, une histoire qui dure, qui s'étale dans le temps."

Quand on commence un repas avec un Yquem, il faut admettre qu'on ne boit plus rien d'autre après. Vous parliez d'un tapissage des papilles gustatives, rhédibitoire pour apprécier ensuite un Margaux. Commencer un repas avec un foie gras accompagné d'Yquem, c'est admettre qu'on ne boira plus rien après, car il écrase de sa richesse et sa complexité tout ce qui suit.

Sauf si l'on sert entre temps un bouillon chaud tiède. C'est une tradition d'Yquem, ce consommé. Il permet de renouveler le palais et de le préparer pour d'autres sensations.

Tout comme d'ailleurs un Yquem n'existe plus après un porto, comme un porto après un cognac. Il y a une hiérarchie, une chronologie à respecter.

Un vin de méditation.

Charnel et intellectuel, mythique.

Un mythe, c'est une construction de l'esprit, une représentation idéalisée. Pourtant, s'il y a une chose vraie pour Yquem, c'est qu'on n'est plus dans une construction illusoire... Rien n'est laissé au hasard. Derrière le mythe, il y a un travail quotidien, et de la rigueur.

C'est en effet la part du mythe sur laquelle on peut agir : le travail minutieux