D'un point de vue économique, le concept générique de ville repose sur deux conditions :
- la densité de population (condition nécessaire);
- la spécialisation des fonctions (condition suffisante);
Dans les deux cas, il s'agit d'une concentration de colonies de peuplement et d'activités humaines qui dépasse la simple exploitation directe de la terre pour une organisation de la société (mode de vie, formes de sociabilité).
Pour les économistes classiques, mais aussi pour les historiens, l'homme en tant qu’ « animal social » constitue, dans le processus de domestication de la nature, la cause première de la tendance à l'agglomération et donc du processus de génération des villes.
Toujours du point de vue économique, la ville est le résultat:
- de la tendance naturelle des hommes à troquer des biens pour en maximiser l'utilité;
- la tendance des ménages à s’installer à proximité les uns des autres pour accroître leurs avantages;
Lorsque cette coïncidence des intérêts est créée, il y a une concentration spatiale des activités économiques et résidentielles. Les avantages de la vie collective sont indéniables. Avant la ville, il y avait le village, le sanctuaire et le champ où l'homme partageait la vie avec de nombreuses autres espèces animales.
Ceux qui peuvent choisir où vivre devraient se poser quelques questions : Cet endroit est-il agréable et sûr ? Si ce n'est pas le cas, peut-on le rendre ainsi ? Est-il possible de mieux vivre des ressources locales ? Cet endroit est-il accessible ou trop isolé ? Tous les éléments nécessaires à la survie (eau, nourriture) sont-ils disponibles ?
Sur cette base, l’homme a choisi les endroits les plus propices au développement d’une agglomération : une haute terre défendable, un point de franchissement de rivière, un confluent de deux rivières, début d'un delta ou d'un estuaire, source, etc.
De nombreuses villes continuent à prospérer même après la disparition des raisons pour lesquelles leur site a été choisi. Par exemple, Paris a été fondée sur une île de la Seine pour des raisons défensives, Madrid sur un promontoire. Alors que Londres a été fondée au point le plus étroit de la Tamise, le long de la voie romaine qui menait au nord. L’espace physique constitue donc un élément déterminant des processus territoriaux.
Cependant, lorsque nous parlons de la ville (le bâti), nous faisons également référence dans une certaine mesure à la campagne (le non bâti) qui constitue un territoire non occupé par la ville, gravitant autour d'elle et constituant son territoire.
Les questions que nous posons sont les suivantes:
- par quel processus sommes-nous arrivés aux villes et au territoire tels que nous les voyons maintenant ?
- pouvons-nous identifier des territoires présentant des caractéristiques similaires ?
Le territoire est compris comme la relation systématique entre l'homme et le sol, le registre qui préserve les signes de toute action de l'homme et de la nature dans le temps et de tout fait lié à l'anthropisation. L'homme n'a pas seulement conquis et modifié le territoire, mais, de par sa conformation et ses caractéristiques physiques le territoire a conditionné et orienté la présence humaine et suggéré le chemin de l'évolution. Il est possible de reconnaître l'évolution anthropique du territoire à travers les modes d'utilisation du territoire par les peuples qui se sont installés sur un territoire donné.
Ce sont des structures utiles pour assurer la connaissance, le transit et les connexions entre les territoires.
Ils représentent la relation de complémentarité entre ville et campagne, entre bâti et non bâti, entre édifices et espace public.
Ils représentent l'association des habitations des hommes et de leurs sols. Chaque phase de développement d'un territoire correspond à l’apparition d'un type d’établissement qui met en évidence son niveau de progrès à travers la manière de former un ensemble structuré selon un certain niveau de complexité.
C’est l’ensemble des structures réalisées par l'homme en un moment donné, quand il exerce son activité sur le territoire naturel ou sur un territoire déjà humanisé. Les types territoriaux mettent en relation quatre classes de sols avec quatre catégories d’établissement. Les crêtes, les collines, les vallées et les plaines sont de simples manifestations de la réalité naturelle et qu’on peut distinguer de manière purement objective : ce sont des concepts qui représentent la capacité du territoire à recevoir l'action de l'homme dans les différentes phases d’humanisation.
Le processus d’humanisation du territoire peut être décrit chronologiquement à travers 4 phases:
- la première phase (crête) correspond à l'exploration, à la connaissance, à la prise de conscience, à l'expérience logique de l'utilisation du sol.
- la deuxième phase (la contre-crête) est celle de l'exploitation dérivée de l'utilisation rationnelle du territoire à travers l'amélioration des techniques de culture.
- la troisième phase (vallée) est dominée par les relations et les échanges commerciaux, le développement du droit de l’économie et la planification.
- la quatrième phase (plaine) marque la conquête et le contrôle complets de l'espace physique, de la production culturelle, de la formation de l'entité étatique, du développement des relations avec les autres civilisations.
L'histoire de l'humanité commence lorsque le sujet (l'homme pensant) prend conscience de ses propres besoins et les met en relation avec la réalité qui l'entoure, c'est-à-dire avec l'objet disponible (le sol).
La phase de crête ne présente pas seulement un fait altimétrique ou climatique mais renvoie à une certaine résistance environnementale à l'action humaine. C’est une période où l’homme s’est habitué aux longs périples et à une utilisation occasionnelle et sporadique de la terre, typique d’une vie nomade consacrée à l'élevage et à la récolte, où s’est développée une économie pastorale. La position de la crête résume toute l'immensité du territoire en contrebas : un propriétaire isolé d'une grande superficie de terrain s'installera au plus haut point pour le dominer.
Cette phase est caractérisée par l'autonomie et par une certaine indifférence quant à la localisation précise de l'établissement, liée à la liberté de localisation et aux possibilités de choix. La densité de population est un indicateur efficace de cette phase : des populations clairsemées, peu ou pas du tout sédentaires.
C’est l’itinéraire le plus sûr pour explorer un territoire, il coïncide avec la ligne de partage des eaux en deux bassins versants adjacents. Ne traversant jamais les cours d’eau, il a l’avantage d’être sec et utilisable toute l’année. C’est la voie haute qui relie différents territoires les uns aux autres et qui, au cours des phases successives, a été l’épine dorsale des communications entre les populations sédentaires.
Le parcours de crête peut rarement accueillir directement la formation d'un établissement car les sources se trouvent à des altitudes plus basses. Du parcours de crête principal bifurquent des parcours de crête secondaires qui peuvent atteindre le niveau des sources. Le parcours de crête est la structure typique de la phase historique qui correspond à l'exploration et à la connaissance du territoire.
Implantation sérielle ouverte : a) symétrique ; b) asymétrique
Implantation linéaire fermée : c) symétrique ; d) asymétrique ; e) en boucle
Ils sont constitués d'une série de parcelles de terrain toutes situées sur la même crête, avec une pente et une orientation constantes et perpendiculaires au sentier. Ils représentent les tissus agricoles les plus anciens qui se forment en même temps que les premiers établissements.
Figure 2 Le village de Djebla, situé sur la crête la plus haute de la commune de Beni Ksila, Algérie.
Cette typologie est constituée par les établissements de promontoires qui sont presque toujours situés à la confluence de deux cours d'eau et dont le parcours portant de leur édification est le chemin de crête secondaire du promontoire. Ils sont situés à des altitudes élevées et bénéficient du caractère défensif naturel de leur site d’implantation. Les établissements de promontoire se caractérisent par un accès facile uniquement à partir de la crête, tandis que le reste du périmètre est naturellement délimité et défendu par des pentes et des talus. La forme allongée de l’établissement dérive de l'occupation progressive de toute la surface plane du promontoire.
Figure 3 Filacciano, Latium, Italie.
La typologie de référence pour l’établissement de crête est la maison à cour élémentaire. Elle est constitué d’une ou de plusieurs pièces élémentaires situées à l’intérieur d’une enceinte.
Après l'exploration du territoire à grande échelle pendant la phase précédente, le choix d’un site plus approprié et plus sûr pour des fins d’établissement devient une nécessité. Les principaux facteurs de localisation sont la conformation physique, la possibilité d'exploitation des ressources, l'approvisionnement en eau et la bonne exposition.
Pour cette raison, il est nécessaire de descendre à un niveau inférieur à celui de la crête principale. Le chemin suivi est celui des crêtes secondaires, qui à partir de la crête principale atteignent, avec un tracé presque orthogonal, une bande d’une altitude moyenne. Cette bande est limitée en largeur par la crête en haut et par le fond de la vallée en bas.
Ces parcourent sont parallèles aux courbes de niveaux et ils relient des établissements situés à une altitude moyenne, ce sont des chemins qui favorisent l’échange entre les l’établissement et l’abandon progressif de l’autarcie. Contrairement à la naturalité du parcours de crête, le parcours de contre-crête nécessite, pour son développement et sa consolidation, des interventions artificielles (des ponts, des passerelles, etc.).
La consolidation des parcours de contre-crête, en plus de procurer une connexion directe entre les établissements de même bande altimétrique, comporte la possibilité d'accéder à des « promontoires » d'altitude plus basse, en reproduisant le processus réalisé dans les phases précédentes pour la formation de la première bande d'établissements : le parcours de crête n’est pas le seul parcours à agir comme parcours principal, désormais c’est la « contre-crête locale » qui va jouer ce rôle. Il se forme ainsi une sorte de « redoublement » de la bande d'établissement, pour l’occupation progressive du territoire vers le fond de vallée.
Implantation linéaire ouverte : f) symétrique ; g) asymétrique ; h) entrecroisée
Les parcelles de terre arables se forment orthogonalement au nouvel axe routier qui suit les courbes de niveau.
Etablissements de contre-crête :
Les établissements de contre-crête modifient la pente naturelle et utilisent ainsi les étroites portions disponibles de terrain, à travers des terrassements. Ils sont caractérisés par la linéarité et l’uniformité offertes par le parcours de contre-crête.
Figure 4 Filandari, Calabre méridionale.
La typologie de référence des établissements de contre-crête (le village-rue) :
C’est ensemble de maisons (avec un grande espace non bâti) juxtaposées, de forme et de taille similaires. Le principe d’organisation du village est basé sur la sérialité qui reflète une égalité sociale. Contrairement au tissu des maisons à cour, le village présente des lots en profondeur et agencé perpendiculairement au parcours de contre-crête.
Basé sur la structuration des parcours décrit ci-dessus, le réseau de communication est maintenant plus articulé et plus complexe.
La conquête du fond de la vallée est désormais essentielle pour créer un réseau de connexions étroites avec un centre, pour permettre des connexions plus rapides et pour faciliter les échanges avec d'autres territoires. En présence d'une forte directionnalité déterminée par le cours d'eau principal, la vallée est le point de convergence de plusieurs affluents en un centre d'intérêts qui marque le dépassement de la vie rurale. En effet, grâce à des échanges par des voies rapides, facilement praticables on assiste à l’apparition d'un marché.
La disparité des valeurs et des cultures trouve un équilibre politique qui permet de définir un système de règles et une économie qui dépasse les besoins du marché local. La consolidation territoriale se réalise à travers une armature urbaine articulée et hiérarchisée. C'est à partir de ce moment qu'une organisation territoriale planifiée commence autour d'un centre urbain auquel dépend un ensemble de villages et de petites villes et qui domine une plaine.
Ces parcours ont tendance à remonter le bassin hydrique suivant la direction de l’écoulement du cours d’eau principal. Selon l’importance et l’envergure de la section de la vallée, ils peuvent être plus distants du lit, oscillant entre toutes les solutions possibles, soit le long du piémont, soit à proximité du fleuve. Dans ce dernier cas, ils seraient parallèles à la vallée et ne s’en écartent que pour raccourcir le chemin.
Implantation linéaire ouverte : i) symétrique ; j) asymétrique
k) implantation linéaire entrecroisée ; l) implantation nodale
Il s'agit de terrains le long du cours d’eau principal dans des zones souvent inondables nécessitant des aménagements hydraulique. Comme les terrains sont utilisés pour des cultures spécialisées, les tissus du fond de la vallée s’étalent en profondeur sur de longues distances par rapport aux tissus de crête ou de contre-crête.
Figure 5 Tissu de fond de vallée, Oued Jedi, Ksar El Hirane, Laghouat.
Ils prennent naissance à l'intersection des nouveaux axes routiers qui unifient les établissements des phases précédentes pour des motifs commerciaux. On reconnait les établissements de fond de vallée à la régularité des alignements routiers, à l'uniformité des types de construction et à la bidirectionnalité du plan qui se manifeste par la présence d'un axe urbain majeur et d’un contre-axe. L’établissement du fond de vallée est hiérarchiquement le plus important car c'est le lieu d'où proviennent et/ou convergent toutes les connexions de l’armature locale. Il est aussi caractérisé par un schéma orthogonal à axes hiérarchisés dans les deux directions principales. C’est à ce moment aussi que nait l’urbanisme, parce que la ville se donne une forme autonome et non plus soumise directement aux caractéristiques physiques du site.
Figure 6 Boufarik.
La typologie des établissements de fond de vallée est l’organisme urbain : une ville fortifiée avec des axes dont le rôle essentiel est d’assurer le passage par le centre. La forme du centre urbain, définie par l'intersection de plusieurs axes, résume et explique les relations avec le territoire du fond de vallée.
La plaine est caractérisée par la facilité de communication. La conquête de la plaine est une opération difficile et complexe qui requiert une grande coopération d’efforts et de capacités techniques. Le territoire de la plaine est le centre d’intérêt de plusieurs territoires situés en amont où convergent la production économique, le savoir et l’expérience dérivés du développement atteint durant les phases précédentes. La phase de la conquête de la plaine coïncide avec le concept d’Etat et le niveau d’organisation civil, militaire et politique qu’il reflète.
Ils représentent la phase de restauration complète et d'utilisation intentionnelle du territoire. Le modèle principal de ce tissu est la centuriation romaine, qui établit une série d’alignements et de limites reposant sur une trame carrée de 710 x 710 m. Avec l’action de récupération des plaines, les tissus subissent un processus de rationalisation radicale qui tend à les placer globalement dans un système de planification plus large.
Figure 7 Plaine de la Mitidja.
Les Établissements de la plaine diffèrent de ceux du fond de vallée car ils doivent être libérés des conditionnements géo-morphologiques. Ces agglomérations sont étroitement liées et consécutives aux travaux de drainage et sont donc le résultat d'une planification. Ils présentent des systèmes intentionnels, réguliers et géométriques, révélateurs de la présence d’un pouvoir centralisé, de la volonté de dominer la réalité naturelle et accroître la valeur économico-productive des sols. Le polycentrisme de ces établissements repose sur les caractéristiques de la totalité et de l’universalité.
Figure 8 Palmanova Friuli (1593), Ville planifiée et fortifiée, à plan radial.
La typologie de référence des établissements de plaine est l’Urbe. Elle est constituée d’un système fortement hiérarchisé de centres urbains, dont l’un prééminent par rapport aux autres. La relation entre les centres urbains formant l’urbe et le territoire environnant est basée sur le polycentrisme. Le schéma de l’urbe représente une cité capitale de l’Etat autour de laquelle orbite plusieurs villes hiérarchisées.
Bibliographie :
Muratori, S., (1967), Civiltà e territorio, Roma, Centro studi di storia urbanistica.
Maretto, P., (1993), Realtà naturale e realtà costruita, Firenze, Alinea, seconda ristampa.
Caniggia, G., (1976), Strutture dello spazio antropico, Firenze, Uniedit
Cataldi, G., (1977), Per una scienza del territorio, Firenze, Uniedit
Giannini S. (1976), Il tipo territoriale, Istituto di progettazione, Facoltà di Architettura, Università di Genova
Figoli, M.G., (1995), Luogo, linguaggio, architettura, Università di Genova, Facoltà di Architettura, E.R.S.U.