Architecture urbaine
Master II
Méthodes et Outils d'Analyse Urbaine S. HEFFAF
Master II
Méthodes et Outils d'Analyse Urbaine S. HEFFAF
Introduction
Ce cours décrit les aspects et les mécanismes d’un processus cognitif « spécifique », celui de la composition architecturale et urbaine qui est une forme de connaissance synthétique et intuitive, avec un langage et des formes totalement irréductibles au langage et aux formes logico-analytiques de la pensée scientifique.
Son caractère spécifique exige de se baser sur des raisonnements patients. Il suffit de savoir et de garder à l’esprit que si le raisonnement critique quant aux objets de l’architecture les éclaire, les explique et les remet en question, il pourrait néanmoins se refermer sur lui-même et perdre le contact avec la réalité. Méfions-nous donc de l'élégance formelle, des syllogismes : lorsque notre discours sur l'architecture se termine dans une forme satisfaisante, c'est souvent lui seul qui le fait, non pas ce qu'il reflète.
Terminologie
Dans ce cours, les termes "principe" et "organisme" seront abondamment utilisés, ils méritent donc d’être suffisamment clarifier.
"Principe" signifie un système reconnaissable et descriptible d'organisation des formes dans l'espace ; "organisme" signifie un agrégat de formes tridimensionnelles, qui apparaît unitaire et clair, parce que réglé, précisément, par des "principes".
Ce sont deux termes issus des traités de la Renaissance et toujours en usage dans les manuels d’architecture. L’académie a fait de ces deux principes un usage abusif ; mais nous supposons qu'il faut leur enlever tout absolutisme, qu'il faut les séparer de l'idée de "règle inviolable et originale" et de "résultat obligatoire et prescrit". Ils seront donc utilisés dans leur sens le plus ouvert, le plus inclusif et le moins autoritaire. Pour donner un exemple, nous dirons que le Dôme de Rocher est un "organisme" informé par le principe de "centralité" ; ici le principe est facilement descriptible, en termes géométriques et proportionnels simples, et l'organisme s’identifie à un système de formes spatiales complètes auxquelles rien ne vaut d'être ajouté ni enlevé.
Mais le Walt Disney Concert Hall de Frank Gehry est aussi un "organisme" (que, peut-être, on apprécie moins) ; même si nous avons beaucoup de mal à le définir. Son "principe" agrégatif est constitué de rebondissements et de glissements de volumes bizarres. Pourtant nous l'appelons "organisme", parce qu'il est structuré, avec une grande évidence par ce principe si difficile à définir.
Il est donc évident que, dans ce cas, le mot organisme n'est pas très soumis à la formule académique : il décrit une certaine unité d'un ensemble que, si on en retire ou en ajoute une partie, personne ne peut le remarquer, peut-être même pas l'auteur lui-même.
Problèmes de composition
Le but de ce cours est de fournir un guide pour la conception d'un bâtiment ou de plusieurs bâtiments dans la ville.
Le recours au concept de "composition" (c'est-à-dire à la dimension du projet la plus proche de la structure formelle et spatiale de l'architecture) ne signifie pas que d’autres problèmes, de nature différente, (sociaux, fonctionnels, etc.) sont écartés, mais qu’il est nécessaire de les garder bien distincts. Il arrive trop souvent, dans l'esprit des architectes, (surtout face à la complexité des faits de la ville) que tout soit confondus : nous utilisons souvent plusieurs approches et méthodes (typologiques, fonctionnelles, historiques, structurelles, etc.), en les confondant les unes dans les autres sans construction.
Dans les années précédentes l'accent a été mis principalement sur "l'unité intérieure" de la structure formelle d'un bâtiment, maintenant, le projet est conçu à partir de la ville, le regard s'élargit : on va du cœur de l’édifice à l'extérieur, vers une vision plus large.
De ce point de vue formel particulier, le thème de ce qu'on appelle l'architecture urbaine se traduit avant tout par une question de relations : entre une architecture et son contexte (entre l'organisme architectural lui-même et la ville ou la nature) d’une part ; et entre plusieurs architectures (plusieurs organismes) d’autre part. Pour le premier cas de figure, celui de la relation entre l'architecture et la ville (nature, lieu, contexte, etc.), il y a toujours eu un désaccord radical entre les architectes.
l - Organisme architectural et ville : un résumé des théories contemporaines
Une relation attentive et raffinée entre la ville existante et le projet est, pour un architecte d'aujourd'hui, la plus évidente des coutumes ; une des particularités de son travail que, non seulement chaque étudiant en architecture, mais aussi chaque professionnel (ou presque), n'oublie jamais de déclarer, de prédire. C'est un symptôme (moraliste) de la répulsion justifiée et mûrie dans le sens commun, de l’urbanisme moderne, et de la dégradation du milieu urbain (perpétrée par l'individualisme esthétique le plus débridé et par la recherche de l'insolite) dont il est responsable.
Pourtant, le résultat en est un urbanisme « ostentatoire » (que l’on pourrait appeler « contextualiste ») qui ne convainc pas. Si l'on regarde, avec un peu d'attention, ce qui se produit aujourd'hui dans les écoles d’architecture et les études des projets urbains, on a l'impression que tout se réduit à l'application de quelques formules. Les architectes, pourrait-on dire, regardent un peu autour d'eux, prennent de la matière de la ville, de la couleur, des traits (un alignement, ou deux, une direction des tissus, un axe), des exceptions qui touchent l'œil, etc. et en font un petit système de règles qui garantit un projet qu'il est possible, d'une certaine manière, de « justifier » : alors on l'appelle un projet urbain.
On a l'impression qu'après avoir rendu ainsi hommage à la culture urbaine, presque tous les architectes (et les étudiants) font alors face à la véritable problématique de leur travail, avec la même inconscience et la même prosopopée créative et audacieuse de leurs prédécesseurs, quoique un peu limitée par le " savoir-faire avec l’urbain " ; mais certainement, avec la même ignorance.
La question du rapport de l'architecture à la ville est trop profonde et assez complexe, trop stratifiée dans l'histoire urbaine, pour être traitée en quelques lignes. Cependant, il faut tenter de dégager les principales positions, souvent opposées, que les études urbaines ont exprimées sur ce sujet. Dans ce qui suit on ne considère pas ceux qui prêchent (et pratiquent) un solipsisme artistique inconsistant (que l'art doit être séparé de toute conscience critique et réalisé comme une expression spontanée d'une subjectivité inspirée), ni ceux qui pratiquent un contextualisme maniériste comme on vient de le décrire plus haut.
1.1 – Les déterministes
Une idée directrice, commune à un large éventail d'expériences de design et d'études urbaines (surtout italiennes, de l'après-guerre à nos jours), nous permet de les résumer toutes sous cette étiquette : le déterminisme. Cette idée directrice consiste dans la conviction que la ville évolue selon une ligne, pas nécessairement univoque, voire contradictoire ou enchevêtrée, mais bien identifiable avec une analyse appropriée et des outils critiques. Cette conviction est renforcée par l'observation (incontestable) de la compacité et de la cohérence évolutive des tissus des villes pré-modernes et par l'observation (tout aussi incontestable) de la permanence tenace, en elles, de certaines caractéristiques structurelles fondamentales.
La première conséquence de cette idée est qu'un bon projet ne peut exister que s'il s'inscrit dans cette ligne évolutive ; la deuxième conséquence est l'importance extraordinaire que revêt l'analyse de la formation des tissus urbains : son développement cohérent est considéré comme la condition indispensable au projet.
Le développement du raisonnement déterministe est le suivant : d'abord, avec l'analyse urbaine, nous devons être capables de saisir quels sont les mécanismes qui ont déterminé la croissance organique de la ville ; ensuite, nous devons reconstruire leur propre évolution et leur conséquence historique, pour arriver à définir une "théorie" du développement urbain ; enfin, nous devons aborder le projet, le concevoir comme une application rigoureuse de la théorie.
Le premier mécanisme qui détermine une croissance organique de la ville (ici, les nombreux courants de recherche, dont la culture déterministe est composée, sont tous en accord) est le "type", qui doit aussi être compris comme un "modèle". C'est-à-dire qu'on suppose que chaque opérateur (architecte, constructeur, client, etc.), qui s’apprêtait, au fil du temps, à construire (ou transformer) une maison, a partagé avec un grand groupe de contemporains (ceux qui lui ressemblent, par culture, position sociale, richesse, etc.) la même idée de maison : ou plutôt, un idéal abstrait de maison, nuancé en détail mais clairement défini dans ses caractères principaux. Cet idéal, qui est précisément le "type", découle de la connaissance des maisons qui existent, corrigées par l'expérience de leurs défauts ou insuffisances et par l'évolution des goûts et des besoins.
Dans la construction de chaque maison, le "type" est suivi, comme un modèle, par chaque opérateur, en l'adaptant, bien sûr, à des situations spécifiques. Cependant, des caractéristiques communes et reconnaissables demeurent dans les constructions réalisées ; celles-ci, à leur tour, deviennent la base de l'évolution ultérieure du type, etc. Ceci explique la grande homogénéité des tissus historiques, composés de nombreuses cellules presque similaires.
Sur la question du projet, les différentes positions sont beaucoup plus différenciées qu'en matière d'analyse urbaine. La plus stricte observance du déterminisme peut être associée à Saverio Muratori et à ses disciples, les soi-disant "muratoriens", et à Gianfranco Caniggia (qui a formulé la définition du type donnée ci-dessus). Pour eux (surtout pour Caniggia) la liberté du concepteur doit être minimale ; le même processus (analyse-théorie-projet) qu’on a décrit, en ce qui concerne les phénomènes structurels les plus évidents (comme le type), doit être étendu aux mécanismes qui déterminent les choix des matériaux, la logique constructive, la structure formelle, etc. Ce n'est pas un hasard si les projets de cette école ne sont souvent que les prolongements de la ville existante.
Un exemple très célèbre de cette attitude de design est le concours présenté par Muratori et associés pour les Barene di San Giuliano à Venise.
Ici, la proposition, ou plutôt les trois propositions, ont été organisées en se référant à trois systèmes urbains spécifiques et typiques de l'histoire urbaine vénitienne. Ce même concours a ensuite été remporté par Ludovico Quaroni et associés, avec un projet totalement opposé, pour son esprit moderniste : un projet organisé autour de mégastructures circulaires.
Un autre exemple : le Nouveau quartier Costa degli Ometti, Gênes, 1982
Le projet est promu par la Municipalité de Gênes qui charge Gianfranco Caniggia d'élaborer le plan directeur et le projet final du quartier. Le complexe exploite le potentiel de l'orographie en s'organisant suivant la direction des courbes de niveau en six bandes superposées qui s’intègrent avec le paysage. C'est un système complexe qui abrite plusieurs fonctions : des destinations commerciales, une église, une école et des espaces pour le sport.
Caniggia a conçu un modèle basé sur la "continuité du processus historique des structures anthropiques", ce qui l'a amené à adopter un langage figuratif original qui repose sur les canons stylistiques traditionnels de la région plutôt que sur les schémas de conception en usage au moment de sa conception.
1.2 – Les "contextualistes"
Les "contextualistes" (dont Aldo Rossi, Giorgio Grassi, Carlo Aymonino, etc.) ont, au contraire, suivi une démarche qui aboutit à des projets antinomiques avec la ville, formalistes et abstraits. Ils ont, souvent, fait suivre à des analyses urbaines très sophistiquées, des propositions radicalement innovantes. Ils ont ainsi interprété le type comme une valeur idéale.
Autrement, on peut dire qu'au lieu de l'interprétation presque sociologique que donnent les "déterministes" du type (idée commune à un groupe), les "contextualistes" proposent une interprétation plus spécifique (le type est un modèle idéal d’édifice, ou de ville, proposé à la communauté par la culture technique, par les manuels et les traités).
Ce qui compte, nous disent-ils ce sont les idées, les modèles ; ce qui compte ce n'est pas tant la ville telle qu'elle est, mais la ville telle qu'elle devrait être ; ou, mieux, l'ensemble stratifié de toutes les manières dont une ville aurait dû être (l'ensemble de tous les idéaux, de tous les modèles, qui se sont succédé dans l'histoire : ceci est, par exemple, la "ville analogue" de Aldo Rossi). Un bon projet est, enfin, un témoignage, le plus pur, le plus exemplaire et abstrait de ce qui devrait être dans un tel endroit de la ville et à une telle époque. Pour y arriver, il est indispensable d’analyser la ville (des idées de villes, des idées d’édifices), afin de construire une théorie qui est plutôt considérée comme un traité (liste de modèles).
L’architecture des contextualistes a trouvé son domaine d’application dans les grands organismes urbains fiers (alors que les muratoriens l'ont trouvé dans les tissus du bâti résidentiel mineur).
La ville comme lieu, le projet comme modification :
Les déterministes ont initié un domaine de recherche pour lequel la distinction entre architecture urbaine et architecture n'a pas de sens, précisément parce qu'ils identifient la ville au lieu, à l'environnement et au paysage humanisé. L’architecture urbaine est ainsi associée à l'ensemble des changements que l'homme a imposé, au cours de l'histoire, au territoire naturel, dont la ville n'est qu'un des ses aspects, (peut-être le plus pertinent pour l'architecture).