4 février 1942

Dossier 2849 Русский

MINISTERE DE L’INTERIEUR

Direction Générale de la Police Nationale

CAMP DU VERNET D’ARIEGE

Service d’Information.

NOTICE DE RENSEIGNEMENTS SUR MIKHEEW André

A ETAT-CIVIL.

MIKHEEW André, Réfugié russe, est né le 5 Août 1898 à PETROGRAD, Russie, fils de feu Nicolas et de Catherine née MIRECHKOWSKY[.] Marié à demoiselle PHILIPPOFF [G]ally le 27 Janvier 1924 à la Mairie du XIIIo arrondissement — Paris — sans enfant — Religion : Orthodoxe — Profession : Ingénieur — Chimiste. —

B INTERNEMENT.

Interné le 12.10.1939 sur ordre de M[onsieu]r le Préfet de Police de la Seine — Venant de Paris — (Roland Garros)

MOTIF : Suspect au point de vue National.

C RENSEIGNEMENTS GENERAUX.

MIKHEEW est entré en France — à Paris en Février 1921, avec passeport français venant de Bizerte où s’était réfugiée l’escadre du Général Wrangel à laquelle il appartenait. —

Il se rend chez son oncle M[onsieu]r JAKOUBOWITCH, ex-Général de l’Armée Impériale, domicilié au N° 14 de la Rue Vineuse Paris XVI° [a]prés rue [du] Lunain X[I]V° — qui l’héberge jusqu’en 1922 date de son départ pour l’Allemagne. Pendant ce premier séjour en France, MIKHEEW travaille comme secrétaire chez M[onsieu]r KARPINS[K]Y, Ingénieur, constructeur Passage Lavoir, XVIII° puis à la S[ocié]té des Ecrémeuses Suédoises « Diabolo » à St-Ouen — Ayant réalisé quelques économies MIKHEEW quitte Paris pour Berlin avec l’intention de poursuivre ses études d’ingénieur. Il y retrouve un ami de son père, M[onsieu]r SWEDBERG, directeur d’importantes sociétés minières en Oural qui le présente à M[onsieu]r KOLBECK recteur à l’Académie des Mines à FREIBERG Saxe, où il est inscrit comme étudiant[.] Son père subvient à ses besoins pendant cette période. —

MIKHEEW fait à Berlin la connaissance de sa future femme Mademoiselle Gally PHILIPPOFF. Fin 1923 il quitte l’Allemagne avec elle et sa famille pour se rendre à Rio-de-J[a]ne[i]ro en passant par Paris, ils s’y arrêtent quelques mois et contracte mariage. Début 1924 il part pour le Brésil où il monte une fabrique de parfumerie devenue très pro[s]père par la suite. Enhardi, il se lance dans de grosses affaires mais est ruiné à la suite de mauvaises spéculations. —

Atteint de la fièvre jaune, ne supportant plus le climat, il revient en France en 1929 avec l’espoir de refaire sa situation. Réside pendant quelques mois dans divers hôtels à Paris, puis s’installe en 1930, 106 Rue d’Assas VI°. Travaille pendant environ 2 mois comme ajusteur à la Maison Thomson-H[o]uston à St OUEN — puis est engagé comme chim[i]ste par la S[ocié]té de[s] Parfums MYON, Rue Perronet à Neuilly et en 1931, par la S[ocié]té des Parfums COTY, 13 B[oulevar]d de Versailles à Suresne[s] qu’il ne quittera qu’au moment de son arrestation.

Il change de domicile — en 1932 — 82, Rue Charles Laffitte à Neuilly sur Seine ; occupe en 1938 simultanément 2 logements : 21 Avenue Kléber Paris XVI°, et 3 RUE Melliac XIV° ce dernier domicile ayant été pris au nom de sa femme. MIKHEEW explique cette dans résidence par le fait qu’il désirait procéder chez lui à des essais de laboratoire pour l’exécution desquels la présence de sa femme n’était point désirable. En réalité le but escompté paraît-être celui de pouvoir recevoir quelque galante conquête.

Débit Septembre 1939 MIKHEEW est arrêté chez lui par la Sûreté. Incarcéré à la Santé puis à la Prison de Fresne[s] où il demeure 37 jours, de là est envoyé à Roland Garros, puis interné le 12.10.1939 au Vernet.

L’intéressé a obtenu sa carte d’identité en 1921 et celle de travailleur industriel en 1929 sous le N°33 CC 86 110 — puis sous le N°284098 en 1936 prolongée successivement jusqu’au 31 Décembre 1939. Cette dernière lui a été retirée au Camp du Vernet à son arrivée, le 12 Octobre 19[3]9, et doit se trouver actuellement à la Préfecture de l'Ariège, service des Etrangers.

MIKHEEW gagnait largement sa vie (65.000 frs pur an) le montant de ses loyers était en dernier lieu de Frs : 8.000 charges comprises — Versait mensuellement 500 Frs au Club des Défensistes (D). —

Il a participé à la guerre civile en Russie avec l’Armée Blanche. Etait l’un des premiers engagés a fait toute la campagne jusqu’à l’évacuation de la Crimée. C’était un patriote cent pour cent. Il a appartenu en France à différentes organisations et groupements : Association des Défensistes — Club Russe Post-Révolutionnaire — Association des Anciens Combattants engagés volontaires du « Croiseur Général Korniloff » [—] Union Fraternelle des Anciens Combattants et Victimes de la guerre interalliés, 9 Rue de L’Isly Paris VIII° —

D ACTIVITE POLITIQUE.

MIKHEEW a, incontestablement, exercé une activité politique marquée durant son séjour en France mais il ne semble pas que ses opinions et agissements aient atteint d’autres milieux que ceux des Russes Blancs.

Grand patriote russe, il a adhéré en 1935 à l’association des « Défensistes » plus exactement : Association des Emigrés Russes pour la Défense de la Paix et Sécurité de la Russie [—] Groupement légalement autorisé, dont le siège était 10, Rue Humblot Paris XV°. —

Suivant ses déclarations, cette société, qui groupait une trentaine de membres d’opinions politiques diverses, s’était assignée pour but : la défense de l’intégrité du Territoire russe, aussi bien contre le régime soviétique que contre l’immix[t]ion éventuelle de l’Allemagne et du Japon dont certains indices, laissaient entrevoir à l’époque la possibilité de telles initiatives. — Somme toute, opposition au communiste et à toute tentative étrangère visant, même dans un but antis[o]viétique, à une intervention quelconque en Russie.

En 1938 il devient secrétaire de cette association. — Lorsqu’en Juillet 1939 un décret-loi modifia le régime relatif à la constitution des sociétés, il fit procéder au réenregistrement de celle-ci et, conformément à la loi nouvelle, fournit la liste nominative de ses membres avec indication de leur adresse et du numéro de leur carte d’identité.

Cependant, n’ayant pû grouper en temps voulu tous les renseignements nécessaires, la liste qu’il remet ne comporte que les noms des membres pour lesquels il a recueilli et les adresses et les numéros des cartes d’identité.

(Il constatera par la suite que seuls furent interné ceux dont il a ainsi lui-même fourni les noms.)

Le but poursuivi par cette association devenant sans objet à la suite de la collusion germano-soviétique (22 Août 1939) il provoque une réunion de tous les membres de sa société au cours de laquelle la dissolution de celle-ci a été votée à l’unanimité. Procès-verbal de cette décision a été adressé conformément à la loi de la Préfecture de Police de la Seine. Le récépissé de ce dépôt serait entre les mains de Mademoiselle KOGAN internée à Rieucros. —

La raison justifiant cette dissolution résiderait dans le fait que la (tension consécutive au parti germano-soviétique risquant d’entrainer la France dans une guerre)[.] I[l] convenait dès cet instant de suspendre sur le sol français toute activité patriotique étrangère ;

Malgré cela l’association des Défensistes semble avoir été considérée comme rattachée à la 4ème Internationale et, de ce fait comprise parmi les 700 sociétés et Groupements interdits dont le Journal Officiel — a par la suite publié la liste.

MIKHEEW parait très sincère dans ses déclarations. — I[l] ne peut comprendre qu’une société régulièrement enregistrée qui ne groupait que 26 membres, tous russes blancs, et dont le but n’avait aucun caractère de politique anti-français ait pù être considérée comme dangereuse pour l’ordre public et la sécurité nationale. —

Il suppose que le fait de ne s’être pas systématiquement opposé au communisme (parce que jugeant encore préférable de voir son pays sous cette domination plutôt, que sous celle d’un pays étranger) ait pù être interprété comme douteux[.]

Selon lui, ne seraient réellement communistes en Russie que les cercles dirigeants et une infime partie de l’immense population. La masse paysanne aurait d’ailleurs acquis, depuis qu’existe ce régime, une indépendance de plus en plus grande et souhaiterait le rétablissement d’une autorité libérale.

MIKHEEW a été expulsé et assigné à Résidence au Camp du Vernet le 11.10.39[.] Notification de cette décision lui a été faite le 9 Mars 1940.

Il ne parait pas avoir été condamné.

E REMARQUES DIVERSES.

Sa conduite au Camp est excellente. Dès son arrivée le 12 Octobre 1939 il a été employé comme menuisier puis a installé la savonnerie qu’il dirige avec une grande compétence. —

Détaché de Juin à Août 1941 il a été désigné pour monter une savonnerie au Camp de Jeunesse N°27 à Bénac (Ariège) où il initie d’ailleurs les Jeunes à la fabrication du savon. — En revient avec un certificat très élogieux.

N’a jamais participé au Camp à un mouvement politique quelconque et n’appartient à aucun parti. —

Demande libération A TOULOUSE ou dans n’importe quelle Ville où une industrie savonnière pourrait utiliser ses compétences. —

F AVIS DU CHEF DU SERVICE D’INFORMATION

Son arrestation en 1939 semble avoir été motivée que par le fait de sa participation du mouvement des « Défensistes » l’activité de cette association ayant été considérée à tort ou à raison comme dangereuse pour la Sécurité Nationale. Quoiqu’il en soit, il n’apparait pas que MIKHEEW ait été personnellement visé par la mesure qui a provoqué l’internement de tous les membres de cette organisation dont il a lui-même fourni la liste. —

Sa très bonne conduite au Camp d’une part, et, d’autre part, ses capacités indéniables d’ingénieur chimiste (qui pourraient être très utilement mises à profit pour l’économie nationale) militent en faveur de sa libération. —

Avis favorable à celle-ci si des faits inconnus de nous ne s’y opposent. Car contraire, favorable pour résidence forcée dans un centre où ses compétences professionnelles pourraient être mieux utilisées. —

G AVIS DE MONSIEUR LE COMMISSAIRE PRINCIPAL DE LA POLICE SPECIALE :

Avis très favorable pour sa libération — Toujours eu une excellente conduite au camp, où il a rendu d’excellents services. — Très correct — Caractère droit. —

Aucun motif réel d’internement — Sa place n’est pas dans un camp d’internement. —

H AVIS DE MONSIEUR LE CHEF DE CAMP :

Il est désirable que cet interné soit libre, si toutefois un fait inconnu du camp ne s’oppose pas à sa libération. —

Rendait de précieux services comme ingénieur chimiste — Caractère droit et ouvert — Excellente conduite. —