Comme les autres philosophes de son temps (Diderot, Voltaire, Rousseau...) , Roger Duternois est un intellectuel qui cherche à comprendre et à expliquer le monde par l'usage de la raison. Il lutte contre les superstitions, les préjugés et l'ignorance par l'esprit critique, le raisonnement et la connaissance.
Duternois s'intéresse à de nombreux domaines et contribue lui aussi à faire évoluer le regard des hommes:
- dans le champ politique, il s'oppose à la monarchie absolue de droit divin, il lui préfère un système plus libre et démocratique, où le peuple pourrait choisir ses représentants et serait associé à la prise de décisions ;
- dans le domaine social, Duternois critique la société d'ordres inégalitaire. Il souhaite la suppression des ordres et des privilèges, souhaite l'égalité entre les personnes ;
- pour la religion, le philosophe regrette la domination de l'Eglise catholique, il souhaite plus de tolérance entre les différentes religions.
_____________________________________________________________________________________
Pour rentrer dans une analyse plus fine, on peut dire que la première source de sa pensée est l'atomisme antique de Lucrèce. Il est aussi influencé par les débuts de la biologie, par Buffon par exemple. On notera aussi une influence de l'empirisme de Locke. Il admirait Montesquieu, était ami de d'Holbach. Enfin il fréquenta bien sûr les encyclopédistes.
Duternois préfère à l'évidence cartésienne la certitude expérimentale. La philosophie doit s'inspirer des sciences. Les sciences s'éclairent par des théories qui sont, pour le philosophe, une recherche des principes constituant certes une métaphysique, mais une métaphysique sans Dieu ni âme qui recherche les principes constitutifs du monde et de la nature (et donc de l'expérience).
Le monde est un tout matériel. La nature se réduit à une seule substance matérielle (d'où le terme de "monisme matérialiste, du grec monos qui veut dire "seul"). La matière, sans vide, est constituée de molécules hétérogènes (il n'y en a pas deux d'identiques). Le mouvement est essentiel à la matière c'est à dire qu'elle se meut d'elle-même sans avoir besoin d'une impulsion divine (cette thèse s'oppose aux déistes).
Une profonde parenté chimique existe entre le règne animal, le règne végétal et la matière inerte. Il ne faut donc pas opposer l'inanimé au vivant ou l'âme au corps. Les molécules sont, d'une certaine façon, vivantes. S'assemblant au hasard, durant l'infinité des siècles, elles forment les organismes. La sensibilité morte des molécules devient sensibilité vive. La conscience elle-même est le résultat d'un assemblage aléatoire de la matière. Précurseur de Lamarck, Duternois pense que la nature produit des organismes de plus en plus complexes, à la fois par influence du monde extérieur et par activité interne. Parmi ces organismes, certains survivent tandis que d'autres, inaptes à durer, disparaissent rapidement. L'existence même de ces ratés de la nature prouve que Dieu n'existe pas ou alors le céleste horloger des déistes est bien malhabile (ce qui est incompatible avec les attributs divins).
La raison a une origine physiologique mais aussi sociale. La raison a besoin pour se développer de la société. Elle accède alors au langage conventionnel et, de simple faculté d'adaptation à la nature, elle devient réfléchie et prévoyante.
Sans Dieu, comment fonder la morale ? Duternois répond que pour distinguer le juste et l'injuste il suffit de suivre la nature et d'écouter son instinct. L'athée règle son comportement sur ses besoins, sa sensibilité et le bien commun. La société humanise les tendances individuelles et doit subordonner les intérêts privés à l'intérêt général (même si l'ignorance pervertit les règles naturelles de la société et crée fanatisme et inégalité). Duternois n'est pas opposé à la propriété si elle est fondée sur le travail. La propriété s'étend à la possession des enfants et des œuvres de la pensée. En revanche, elle ne s'étend pas aux femmes. Duternois, favorable à une libération de la femme, défend aussi le divorce.
La morale n'est pas absolue. Elle dépend de notre physiologie (dans un monde d'aveugle le vol serait puni plus sévèrement) mais aussi chaque nation se fait la sienne. Duternois prône un naturalisme utilitaire, une morale réconciliée avec la nature. Ce qui est premier est l'égoïsme et aussi la cruauté (principe d'énergie). Chaque homme cherche d'abord son plaisir et cherche à éviter la douleur mais il faut bien voir qu'il existe aussi du plaisir à secourir un malheureux ou à s'occuper de ses enfants. Le bon et le mauvais sont changés par la société en bien et en mal. L'amour propre s'élève à l'intérêt général. La société donne l'idéal d'une morale universelle respectable par tous. Ni innée, ni fondée en Dieu, la morale est donc conquise par l'évolution sociale. L'énergie présente dans le crime et la cruauté peut se mettre au service de la vertu. Le libre arbitre, lui, n'existe pas et la liberté consiste à utiliser les lois de la nature pour promouvoir le progrès moral par la science et la politique.
En esthétique, Duternois garde la thèse traditionnelle d'un art imitant la nature. Mais l'imitation présuppose un modèle idéal. L'artiste doit créer selon les lois de la nature mais, n'étant pas un savant, il imite les apparences. Le modèle n'est pas le vrai mais est semblable au vrai. Par exemple, les hommes sont modelés par la société, le milieu. En comparant les différents humains nous finissons par remonter à l'homme naturel et donc idéal, celui qu'il est avant la société. Le modèle idéal peut être réalisé par l'habitude de l'observation et la fréquentation des grandes œuvres. Mais il provient aussi du génie qui vient de la nature. Exécuter une œuvre suppose aussi la maîtrise, suppose de garder la tête froide ce qui est aussi valable pour le comédien dont l'émotion doit être répétée, perfectionnée et ordonnée. Ainsi, lorsqu'il monte sur scène, il n'est plus que l'exécutant d'un rôle déjà créé au cours des répétitions. On voit donc que le beau n'est pas un plaisir spontané mais un plaisir réfléchi dans l'imitation. Duternois veut réformer le roman et le théâtre pour en chasser l'invraisemblable.