Conférence: justifier la colonisation ?

Conférence donnée par Didier Carsin

le samedi 13 avril 2024, à la Bibliothèque O. Niemeyer du Havre

Justifier la colonisation?


Comment Alexis de Tocqueville put-il soutenir l'entreprise coloniale en Algérie (dans ses textes de 1841 et de 1847), alors qu'auparavant il avait condamné l'expropriation des Indiens d'Amérique par les Blancs et fustigé l'esclavage des Noirs dans la 1ère partie de De la Démocratie en Amérique (parue en 1835) ?

Y a-t-il une contradiction entre sa pensée de philosophe et son action d'homme d'Etat, ou doit-on considérer au contraire, comme T. Todorov, que son colonialisme "n'est que le prolongement de son libéralisme"?

En tout état de cause, la lecture des textes de Tocqueville sur l'Algérie jette un éclairage exceptionnel sur ce qu'est un processus de colonisation et n'en dissimule pas la violence. 

Enregistrement audio de la conférence


Plan de la conférence

1- Une courte présentation de Tocqueville (1805-1859) et de sa philosophie politique

a- Un aristocrate républicain (voir le document d'accompagnement de la conférence)

b- Ce qu'il faut entendre par la "société démocratique"

c- "On rencontre en Amérique autre chose encore qu'une immense et complète démocratie": la démocratie américaine s'arrête aux Blancs, elle exclut les Indiens et les Noirs (en 1831, date à laquelle Tocqueville voyage aux Etats Unis


2- La condamnation du traitement infligé aux Indiens et aux Noirs (dernier chapitre de la 1ere partie de la D.A. parue en 1835)

a- L'expropriation et l'extermination des Indiens

b- Comment l'abolition de l'esclavage des Noirs risque d'aboutir à la ségrégation


3- La justification de l'entreprise coloniale en Algérie et la réflexion sur les moyens d'assurer sa réussite (Ecrits sur l'Algérie de 1837 à 1847)

a Substituer à la question de la légitimité celle de l'efficacité (voir l'apologue par lequel commence la lettre d'août 1837)

b La justification de l'entreprise coloniale au nom de la grandeur de la nation française


c  Une analyse machiavélienne des moyens de sa mise en œuvre:

- Dominer et coloniser

- L'usage la violence contre les populations civile ("les nécessités fâcheuses"): interdiction du commerce, razzias, destruction des cités algériennes

- La nécessité d'une « expropriation forcée » exercée une fois pour toutes au départ pour établir les fondements de la colonisation ;

- Dès lors que la situation est stabilisée, retirer aux militaires la responsabilité de l'administration du pays et la confier à un gouvernement civil, afin de favoriser le peuplement de la colonie par des Européens


4- Comment Tocqueville envisage-t-il l'organisation juridique de la colonie et l'administration de la coexistence entre colons européens et "indigènes"? 

a- Deux législations différentes, deux régimes conçus pour des populations distinctes: " On ne peut traiter les sujets musulmans comme s'ils étaient nos concitoyens et nos égaux » (le droit pour les colons, la force pour les indigènes)

b- Les craintes de Tocqueville concernant l'avenir de la colonisation (« Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable.», « Ce qu'on peut espérer, ce n'est pas de supprimer les sentiments hostiles que notre gouvernement inspire, c'est de les amortir »)


5- Quelles leçons tirer de la lecture des écrits de Tocqueville sur l'Algérie?

a- La condition de l'Arabe d'Algérie: en partie entre comme l'Indien d'Amérique (exproprié) et en partie comme le Noir d'Amérique (discriminé et au service de ce nouveau propriétaire qu'est le colon européen)

b- Y a-t-il contradiction entre les principes énoncés par la philosophie politique de Tocqueville et son action d'homme d'Etat qui justifie la colonisation?

c- Sa philosophie de l'histoire (exprimée au début de De la Démocratie en Amérique) ne le conduit -elle pas à justifier la disparition de l'Indien d' Amérique et la soumission coloniale de l'Arabe d'Algérie (au nom de l'idée de civilisation) ?


Bibliographie:


De la démocratie en Amérique, Tome 1, chapitre 10, de Tocqueville

Sur l'Algérie, Tocqueville, en G/F

Nous et les autres, chapitre « Tocqueville », de Tzvetan Todorov, collections Essais au Seuil