Des Orques qui coulent des bateaux :

un comportement récent qui inquiète plaisanciers et pêcheurs


Le 21 mai 2022, un réel émoi s’est emparé des pêcheurs artisans du port de Tanger, ceux qui utilisent de simples barques en bois munies de petits moteurs pour aller pêcher en mer à quelques encablures des terres. Cinq barques ont été malmenées par un groupe d’orques, provoquant fissures et voies d’eau dans leurs coques, conduisant à la perte de deux parmi elles qui ont fini par sombrer et les autres n’ont connu le salut que grâce à l’intervention de la marine royale marocaine qui les a remorqué. Bien heureusement, tous les pêcheurs étaient sains et saufs et n’ont été déplorées que des pertes matérielles. Les vidéos des « attaques » ont été largement partagées sur les réseaux sociaux et l’on découvrait au Maroc ce monstre marin inquiétant qui attaque les humains si près des côtes.

En fait, les pêcheurs artisans de Tanger connaissent très bien les orques qu’ils côtoient très fréquemment, surtout ceux qui pêchent le thon dans le détroit de Gibraltar entre Mai et Août. Le thon rouge étant la proie principale de l’orque du détroit de Gibraltar, des groupes d’orques viennent se poster à l’entrée du détroit en Mai de chaque année pour chasser le thon. Les pêcheurs faisant de même, ils se retrouvent ainsi dans les mêmes zones où ils sont en interaction étroite, surtout depuis que les orques se sont mis à croquer les thons qu’ils pêchent avant qu’ils n’aient le temps de les remonter à bord de leurs barques. Alors, tous les moyens sont bons pour éloigner les orques ; cris, coups d’accélérateur, jets de pierres...etc. Jamais les orques n’ont attaqué de barques, jusqu’à récemment en 2021, où des récits et vidéos rapportent des situations de barques harcelées par des orques.

Voilier fraçais coulé le 1 Nov. 2022 au large du Portugal, quatre membres d'équipage secourus par une navette de secours portugaise.

Rencontre d'un voilier avec des Orques dans la même zone sans interaction ni dommages

Les pêcheurs marocains ne sont pas les premiers à faire les frais de ce comportement nouveau chez les orques. Des interactions de différente nature sont observées depuis 2020 entre des orques et des voiliers dans la plupart des cas. Une publication scientifique parue en mai 2022 inventorie 47 interactions en 2020, dont 41 avec des voiliers. Ces interactions qui peuvent durer de quelques minutes à plus de deux heures peuvent aller du contact avec la coque jusqu’à la destruction du safran avec la création de voies d’eau et immobilisation du voilier. La majorité des interactions avaient eu lieu sur les côtes de la Galice et dans les côtes Portugaises au Sud de Lisbonne. Ces derniers mois de 2022 ont connu une recrudescence de ces interactions qui sont maintenant observées des Îles Canaries à la Bretagne (France). Deux voiliers ont été coulés en Août et un troisième en Novembre au large des côtes portugaises, heureusement sans pertes humaines.

De très nombreux articles de presse reviennent sur ces événements. Les spécialistes reconnus pour leurs recherches sur les orques préfèrent parler d’interactions, plutôt que d’attaques, et y voient plus un comportement de jeu de certains jeunes orques plutôt qu’un comportement intentionnel de dégradation des embarcations. La puissance de ces animaux qui peuvent peser plusieurs tonnes fait qu’un jeu peut se transformer en cauchemar pour des humains isolés sur leur embarcation au milieu de l’océan. Selon certains spécialistes, ce comportement tendrait à disparaître à mesure que les jeunes Orques grandissent et seront plus occupés à chasser qu’à jouer. Il faudrait ‘juste’ attendre quelques années et espérer que ce comportement ne soit pas transmis aux plus jeunes.

A la recherche d’information rapide et de solutions immédiates, de nombreux groupes se sont formés sur les réseaux sociaux pour suivre les interactions, leur localisation et leurs conséquences. Ces groupes se sont avérés être utiles aussi bien pour traiter des situations d’urgence, que pour permettre aux voiliers d’éviter les zones où des orques ont été observés. Ils permettent également de discuter des solutions possibles pour éliminer ces interactions ou atténuer leurs effets. L’utilisation de ‘pingers’ qui sont des dispositifs acoustiques qui émettent des sons sous marins afin d’éloigner les orques est très débattues, des solutions techniques pour protéger les safrans ou pour fabriquer un gouvernail de fortune sont également discutées, de même que des solutions plus ou moins farfelues comme l’utilisation de sable, de piment ou de carburant...etc à jeter dans l'eau quand les Orques sont là. La solution proposée la plus controversée et la plus inquiétante pour la conservation de l’espèce, est l’usage d’explosifs (pétards) dont les détonations sous marines éloignent les orques, mais qui peuvent leur provoquer des lésions irréversibles potentiellement mortelles.

En définitive, les réponses collectives mises en œuvres actuellement dans la zone ibero-marocaine cherchent prioritairement à éviter les zones de présence des Orques. Les forums en sont une, ils rapportent l’information de présence d’orques observés par des voiliers, mais quand il s’agit du groupe d’Orques responsable des interactions, celles ci sont quasiment inévitable. Dans plusieurs cas, les orques ne sont observés qu’après le début des interactions. Un groupe de recherche partenaire de notre association, spécialisé dans l’étude des Orques du détroit de Gibraltar: CIRCE, propose de poser des balises GPS sur les Orques responsables des interactions, des balises qu’ils utilisent de longue date pour étudier le déplacement des Orques dans la région. Cela permettrait de les suivre en temps réel et d'offrir l’opportunité aux usagers de la mer d’éviter les zones à risque.


Suivre les interactions avec accès à leur historique:

le site orcas @ portugal