Grands Dauphins aux côtés d'un chalutier au large d'El Hoceima (photo: CETASUR)
Ces espèces restent néanmoins très peu connues même des scientifiques marocains tellement les recherches sont rares. L’essentiel de la connaissance disponible provient de l’exploitation des échouages, quand des individus blessés, désorientés ou mort sont rejetés par la mer. Ce n’est que grâce à des collaborations internationales que l’on commence à évoluer vers une recherche proactive comme cela fut le cas en 2013 quand une campagne de prospection a couvert toute la Méditerranée marocaine à la recherche des cétacés, cela dans le cadre d’un partenariat Hispano-marocain (CETASUR1). Les premiers résultats de cette campagne ont montré une richesse inattendue et les recherches sur les données récoltées et les prélèvements réalisés sont prometteuses.
Les cétacés à dents sont des prédateurs et consomment poissons, céphalopodes (poulpe, calmar, seiche) et crustacés (crevettes), et se retrouvent ainsi en compétition avec les pêcheurs pour la ressource dans un contexte de rareté. Quand les zones de pêche sont également des zones d’alimentation pour les cétacés, l’interaction devient directe et peut devenir violente. Des interactions de ce type sont décrites de par le monde. Intelligents et parfois partisans du moindre effort, les cétacés viennent s’alimenter directement dans les filets et les hameçons des pêcheurs, provoquant des pertes pour les pêcheurs et risquent de se prendre eux même dans les filets ou les hameçons. Exaspérés, certains pêcheurs en arrivent à utiliser des moyens extrêmes : usage d’explosifs, d’armes à feu, et d’appâts empoisonnés… etc. Un cas particulièrement bien documenté d’interaction entre des Orques et des pêcheurs à la palangre2 (utilisent des hameçons) en Nouvelle Zélande, montre que malgré l’utilisation d’explosifs pour éloigner les Orques et en leur tirant dessus, les attaques n’ont pas diminué et la population d’Orques a subi peu de pertes.
Au Maroc, c’est en Méditerranée que ces interactions sont observées de longue date, et on recherche des solutions depuis la fin des années 1990s… sans réel succès. Les sardiniers de M’Diq, Nador et El Hoceima sont victimes ‘d’attaques’ récurrentes de la part de grands dauphins, surnommés ‘Negro’, qui viennent s’alimenter des bancs de poissons encerclés par la senne (filet de pêche à maille fine) en endommageant le filet. Résultats, des pertes en cascade : peu ou pas de pêche, immobilisation du filet pour réparation puis réduction de la durée de vie du filet au fil des attaques. Une évaluation réalisée en 2004 par des chercheurs de l’Institut National de Recherche Halieutique3 (INRH) évalue les pertes moyennes de 13 à 35 000 DH par bateau et par mois. Des dispositifs acoustiques répulsifs, certes artisanaux, ont bien été testés dans les eaux marocaines contre les grands dauphins. Efficaces dans un premier temps (quelques semaines), ils se mettent à produire l’effet inverse en agissant comme une clochette annonçant l’heure du diner. Désemparés, les pêcheurs tentent d’éloigner les dauphins en faisant du bruit, en projetant des lampes à faisceau laser, et allant même jusqu’à se mettre à l’eau, comme ce patron de pêche d’El Hoceima surnommé pour cela par ses confrères : El Tiburon (requin en espagnol). Différents dispositifs de répulsion Hi’Tech existent sur le marché, mais jusqu’à présent aucun n’a prouvé son efficacité sur le long terme.
Un second cas emblématique d’interaction se déroule dans le détroit de Gibraltar à l’arrivée de l’été. Pour rejoindre la Méditerranée, les thons rouges en migration empruntent le détroit, où ils sont attendus par les pêcheurs marocains et espagnols, les Orques du détroit et par les plaisanciers venus admirer le spectacle. La population d’Orques qui vit dans les eaux Atlantiques autour du détroit se concentre au niveau du détroit en été pour chasser les thons. On assiste alors à un ballet unique en son genre entre pêcheurs qui tentent de remonter leur prise à bord (dépassant souvent la centaine de Kg) avant que les orques qui évoluent parmi les embarcations ne viennent la déchiqueter en emportant tout ou partie de la prise. Pendant ce temps, les touristes massés par dizaines sur des bateaux de whale watchin (observation des baleines) jouent aux paparazzis.
Néanmoins, si les pertes sont pécuniaires pour les pêcheurs, elles se comptent en individus morts du côté des cétacés pris dans les filets, dont on voit une partie arriver sur les côtes comme cette Orque femelle échouée en juin 2015 aux abords de Tahadart portant les stigmates de la pêche.
Masski H., Février 2015
Images de thons attaqués par des Orques:
http://www.firmm.org/fr/news/article/items/invites-au-banquet-des-orques-du-27-juillet-2013
http://www.balades-naturalistes.fr/2013/08/03/orque-a-gibraltar/
References:
1- Ingrid N. Visser (2000) Killer whale (Orcinus orca) interactions with longline fisheries in New Zealand waters. Aquatic Mammals 2000, 26.3, 241–252
2- ZAHRI Y. et al. (2004) Etude de l’interaction entre le grand dauphin et la pêche á la senne coulissante en méditerranée marocaine. (www.faocopemed.org/old_copemed/vldocs/.../dolphin_purseseine.pdf)