Quelle gestion des pêches pour une prise en compte des problématiques liées à la biodiversité
Le Maroc a un littoral Atlantique étendu de 36°N à 21°N, constituant la partie nord de l’écosystème hautement productif du Courant des Canaries. Cette productivité biologique élevée est stimulée par des remontées d’eaux profondes chargées en matière nutritive (upwelling) propices au développement des micro-algues (phytoplancton) qui composent le premier maillon de la chaîne alimentaire dans les écosystèmes marins. Cette zone soutient une importante industrie de pêche qui représente une activité économique essentielle pour les états côtiers.
Plus de 60% des 1.5 Millions de tonnes débarquées de nos jours dans la partie Nord de l’écosystème du Courant des Canaries (ECC) proviennent de pêcheries marocaines (Figure.1). L'industrie de la pêche représente une branche économique importante dans l'agro-industrie marocaine, comptant pour quelque 2,5% du PIB et environ 15% de la totalité des exportations. En conséquence, ce secteur d'activité fournit de près de 400 000 emplois, représentant 4% de la population active marocaine.
Pendant les 50 dernières années, la situation des pêcheries a évolué d'une situation où 90% d'entre elles ont été classifiés comme "peu développé" dans les années 50 à une situation où 34% d'entre elles sont "matures" et à 34% montre les rendements en baisse dans les années 90 et qualifiées de "sénescentes". Après avoir été peu exploités dans les années 50, les peuplements marins de l’ECC ont connu pendant les années 1960 l’émergence d’une exploitation industrielle de la part de flottes distantes (ex-URSS, Asie, Europe) faisant passer les débarquements de moins de 250 Mille tonnes à près de 2.5 Millions de tonnes au milieu des années 1970. Les niveaux de débarquement oscillent depuis entre 1.5 et 2.7 Millions de tonnes avec une augmentation constante de la part des pays côtiers ; le Maroc participe à plus de 70% de la totalité des débarquements de la zone Nord de l’ECC avec une réelle prédominance des espèces pélagiques (plus de 80%). Les variations observées dans les débarquements totaux sont plus imputables à des changements dans les réglementations de l’accès à la ressource qu’à des variations de la disponibilité de la ressource.
1. Évolution des débarquements commerciaux dans l’écosystème du Courant des Canaries
Il est indéniable que la structuration des peuplements marins de l’ECC change ; pendant la deuxième moitié du 20ème siècle, les communautés marines sont passées d’un état diversifié où abondaient les grands prédateurs à longue durée de vie, à un état moins diversifié où les prédateurs se sont raréfiés et le milieu colonisé par des espèces opportunistes à courte durée de vie. L’utilisation d’indicateurs décrits par les instances scientifiques de la CBD (MTL : Mean Trophic Level, Rapport Piscivores/Planctivores) tendent à montrer cet état de fait (Figure.2).
Les mécanismes de ces changements restent obscurs, mais il est assez clair que les pratiques de pêche avec les perturbations physiques produites dans les écosystèmes, les effets de ciblage d’espèces à forte valeur composées essentiellement de grands prédateurs et les rejets qui y sont associés ont une grande part de responsabilité dans les évolutions constatées.
2. Mean Trophic Level : tendance générale à la décroissance suggérant la diminution des grands prédateurs au profit d’espèce situées plus bas dans la chaîne alimentaire
Les orientations prises dans les stratégies de diagnostic des écosystèmes ont rendu disponibles un ensemble d’indicateurs qui permettent d’apprécier l’impact de la pêche sur les écosystèmes marins. L’utilisation de deux de ces indicateurs reconnus pour leur pertinence (PPR : Production Primaire Requise pour soutenir la pêche et FiB index : Fish in Balance index), montre que la pêche dans la zone Nord de l’ECC prélève aux alentours de 20% de l’énergie produite dans cet écosystème, ce qui correspond à un écosystème fortement exploité, mais ne parait toutefois pas outrepasser les capacités de production de ce dernier ni mettre en péril son fonctionnement. Le niveau de ces deux indicateurs oscille autour d’une valeur moyenne depuis le début des années 1970, après une forte augmentation dans les années 1960 imputable à l’expansion de la pêche (Figure.3).
3. Evolution de la PPR (Primary Production Required to sustain fishing)
L'industrie marocaine de pêche est passée par une phase de développement dans les années 70 et les années 80, où les objectifs principaux poursuivis étaient l’augmentation de la capacité de production nationale et des revenus de la pêche. L’aménagement des pêcheries est devenu une priorité après que certains stocks ont montré des problèmes d’épuisement de la ressource dès les années 1980. C’est ainsi qu’un ensemble de mesures contraignantes ont été mises en application pendant les années 90 et 2000. Ces mesures, basées sur une approche de gestion monospécifique des pêches, visaient principalement la résolution de problèmes de surcapacité de pêche, d’interactions spatiales entre pêcheries et de surexploitation de stocks cibles.
Il est de plus en plus évident que l’impact de la pêche ne se restreint pas à une simple réduction de biomasse des espèces cibles. L’adoption d’une démarche plus globale intégrant les différents effets de la pêche sur les écosystèmes exploités devient une nécessité. Le sommet de Johannesburg a été marqué par l’engagement des états de reconstituer les stocks exploités à leur situation de rendement maximum soutenable à l’échéance 2015 par une prise en compte accrue de l’écosystème dans la gestion des pêche. Toutefois, les problèmes pratiques que soulève l’implémentation d’une telle approche sont immenses, particulièrement pour un pays émergent comme le Maroc.
Les orientations prises dans la programmation de la recherche dans le domaine de la biologie des pêches et de l’halieutique vont vers l’introduction de plus de formalisme dans le traitement des questions écologiques liées à la gestion des stocks. La modélisation des processus physiques, des processus de productivité et de la trophodynamique sont des axes de recherche prioritaires, et ont bénéficié depuis 2005 de projets spécifiques intégrant des actions de coopération bilatérale ou multilatérales. La biodiversité est traitée en temps que thème à part entière, avec un questionnement sur les processus qui régissent les changements des peuplements, les stratégies d’adaptation des systèmes d’exploitation ainsi que sur la viabilité des pêcheries, et plus largement des modes actuels d’utilisation des ressources marines vivantes.
Adapté de : Souad Kifani, Hicham Masski and Abdelmalek Faraj, 2008. The need of an ecosystem approach to fisheries: The Moroccan upwelling-related resources case. Fisheries Research, Volume 94, Issue 1, Pages 36-42
MASSKI Hicham
Publié: 2012; Actualisé: Mai 2016