ETAT DES STOCKS EXPLOITES AU MAROC
Hicham MASSKI
2010, actualisé en 2012
Le Maroc procède de manière régulière à l’évaluation des stocks majeurs qui structurent l’exploitation de ses écosystèmes marins. Il est entendu ici par évaluation, l’utilisation de modèles halieutiques à des fins d’estimation de points de référence limite et cible à même de servir de repères pour l’orientation des politiques de gestion et d’aménagement des pêcheries ; les valeurs de biomasse (BMSY) et du coefficient de mortalité par pêche (FMSY) correspondant au rendement maximal soutenable (MSY) font partie de ces points de référence les plus communiqués, il en existe d’autres.
Atlantique
Les stocks qui bénéficient d’évaluations régulières de ce type en Atlantique sont :
les principaux stocks de petits pélagiques avec la sardine (3 stocks), le maquereau (1 stock - 1 espèces), les chinchards (1 à 2 stocks – 2 espèces) et les sardinelles (1 à 2 stocks – 2 espèces),
les stocks de céphalopode de la zone Sud du Maroc : poulpe (1 à 2), seiche (1 stock – 2 espèces) et le calmar (1 stock) ;
Le merlu blanc (1 stock) et la crevette rose (1 stock).
Ces évaluations sont réalisées par l’INRH (Institut National de Recherche Halieutique) de manière indépendante, ou de manière participative dans le cadre de groupes de travail dédiés relevant de la FAO (COPACE), en fonction de la nature des stocks évalués. Les stocks de petits pélagiques caractérisés par une grande mobilité au sein de l’aire de répartition de leurs populations voient le caractère partagé ou chevauchant (partage entre différentes juridictions territoriales) impacter fortement la démarche d’évaluation, et rend ainsi une approche régionale indispensable. D’autre stocks parmi les espèces démersales aux limites circonscrites à l’intérieur des limites territoriales marocaines sont évalués de manière indépendante à l’échelle nationale. Néanmoins, ces évaluations réalisées par l’INRH sont orientées exclusivement vers l’aide à la décision dans l’ajustement des plans de gestion des pêcheries, et souffrent d’un déficit de communication. C’est ainsi que seuls les résultats des évaluations menées sous l’égide de la FAO dans le cadre de groupes de travail COPACE sont communiqués de manière régulière. Les évaluations sont menées en grande majorité à l’aide de modèles simples (modèles globaux), adjoints de tentatives d’utilisation de modèles plus complexes avec des fortunes diverses. Les limites principales dans ces démarches d’évaluation restent la qualité des données de statistiques des pêches et de celles des suivis scientifiques réalisés. Quelques exceptions existent, mais globalement, la qualité des données des deux bords reste en deçà du niveau requis pour utiliser des modèles plus évolués qui intègrent une part de la complexité des écosystèmes.
Fig.1.: Résultats pour l’évaluation des stocks réalisés en 2007 (FAO, 2008) exprimés par rapport aux points de référence cible (B0.1, F0.1). La zone rouge est la zone de surexploitation des stocks. Les espèces pélagiques et démersales sont différenciées de par leur couleur.
Les derniers résultats d’évaluation disponibles (accessibles) remontent à l’année 2007 (FAO, 2008) et concernent près de la totalité des stocks énumérés en plus du Pageot acarné. Les résultats sont synthétisés dans la figure 9 qui donne un schéma de répartition des stocks selon le croisement des rapports respectifs des biomasses et des coefficient de mortalité par pêche correspondant à la période actuelle (Bcur, Fcur) (fin de la série temporelle considérée dans l’évaluation), et ceux correspondant à des niveaux d’exploitation soutenable à long terme avec un rendement optimal du stock (B0.1, F0.1). Les stocks situés dans la zone rouge du graphique sont jugés surexploités dans le sens où une menace d’effondrement pèse sur eux en cas d’augmentation de l’effort de pêche ou de défaillance du recrutement. Force est de constater que la majorité des stocks évalués sont dans un état critique et les recommandations énumérées préconisent des réductions d’effort de 20 à 50% selon les cas, en plus de l’adoption de mesures pour la protection des juvéniles, des périodes et des zones de reproduction, adjointes de contrôles rigoureux des engins de pêche utilisés. Les évaluations réalisées après 2007 montrent une relative embellie pour certains stocks de petits pélagiques qui sont sortis de la zone rouge. Ces espèces à fécondité élevée et à maturité précoce (comme la sardine) peuvent à court terme (1 à 2 ans) changer de statut suite à l’arrivée dans la pêcherie de jeunes individus en grand nombre issus de recrutements réussis.
Fig.2.: Evolution de l’état des stocks dans les eaux Atlantiques marocaines. SsE : sous-exploité, PE : pleinement exploité ; PE/SE : pleinement exploité à surexploité ; SE : surexploité.
Les signes patents de pression de pêche excessive sur les peuplements des écosystèmes marins de la région Nord Ouest Africaine ne sont pas nouveaux. Les premiers diagnostics réalisés sous l’égide de la FAO à la fin des années 1960s faisaient déjà état de stocks qui étaient alors qualifiés de ‘très exploité’ ou ‘fortement exploité’ en l’absence de données consistantes et de méthodes maîtrisées facilement mises en œuvre pour l’estimation des points de référence. A la fin des années 1970s, nombre d’évaluations de stocks avaient été menées et aboutissaient au constat que 90% des stocks évalués (9 au total) ont été jugés en état de surexploitation au moins une fois durant la décennie, et 20% n’ont jamais changé de statut. Trente ans plus tard, le constat ne semble guère s’améliorer ; l’apparition d’un stock sous exploité, qui n’est autre que celui de la sardine du ‘stock C’ qui est resté très faiblement exploité pendant plus d’une décennie, ne masque pas la dégradation subie par les autres stocks. Dans les faits, 80% des mêmes stocks diagnostiqués durant les années 1970s ont été jugés durant les années 2000s au moins une fois en état de surexploitation et 25% n’ont pas changé de statut durant la décennie. D’autres stocks d’espèces de sparidés ont bénéficié depuis d’évaluations de stock au niveau régional et ont été jugés soit pleinement exploités soit surexploités. La prise en compte de la totalité des évaluations réalisées dresse un constat plus optimiste et correspond à la seconde configuration présentée dans le même graphique (fig.11).
Ces évaluations permettent de dresser un tableau général des niveaux d’exploitation avec un niveau de précision variable d’un stock à l’autre. Elles sont réalisées dans la majorité des cas sur de larges échelles géographiques et parfois sur des groupes d’espèces, ce qui ne correspond pas nécessairement aux conditions idéales pour réaliser un diagnostic. La prise en compte de l’identité spécifique et des limites géographiques des stocks demeurent les objectifs à atteindre en terme d’évaluation. C’est ainsi que les diagnostics établis n’excluent pas l’existence d’effondrements localisés chez certaines espèces. D’un autre bord, les stocks peu ou pas exploités qui peuvent présenter un potentiel de capture n’apparaissent pas non plus, mais il faut se rendre à l’évidence que de tels stocks pour les poissons, crustacés et céphalopodes sont exceptionnels.
Méditerranée
Les stocks majeurs sur lesquels sont basés les pêcheries principales de la Méditerranée Marocaine ont fait l’objet de diagnostics de leur état pendant la dernière décennie. Les évaluations de stocks sont réalisées soit dans un cadre national (INRH) ou régional (CGPM) et traitent, pour ce qui est de la documentation rassemblée, de huit espèces au total parmi les espèces de petits pélagiques ou démersales.
C’est ainsi que les espèces majeures sur lesquelles sont basées les pêcheries chalutières Méditerranéennes marocaines : Rouget, Besugue, Merlu, Crevette rose et Bogue se trouvent dans une situation de surexploitation. La crevette rose du large a constitué en 2003 un cas exceptionnel car le stock du large a été jugé en état de sous-exploitation alors que celui de la côte avait été jugé surexploité, cela était dû à une pression de pêche plus forte à la côte qu’au large. L’évaluation la plus récente de cette espèce (CGPM, 2010) semble remettre en cause cette exception. Pour ce qui est de la pêche à la senne, la sardine qui représente l’espèce principale a été jugée en état de surexploitation lors d’évaluations réalisées en 2001 et 2003. Le Chinchard qui lui est pêché principalement au chalut a été diagnostiqué dans un état de pleine exploitation en 2003.
Tab.1 : Etat des stocks des espèces exploitées en Méditerranée Marocaine
Il n’existe aucune équivoque au fait que les peuplements méditerranéens subissent une pression outrancière de par l’exploitation de leurs composantes, et les eaux marocaines ne sont pas les seules à monter des signes persistants de surpêche. Le rapport de l’année 2008 du comité scientifique de la CGPM (CGPM-CSC, 2008) fait état pour 25 stocks évalués en Méditerranée de 32% en état de surexploitation, 28% ayant une biomasse ou une abondance faible, 4% effondré, 24% pleinement exploités et enfin 12% modérément exploités.
Résultas des évaluations pour les années 2010 et 2011
Tab.1 :Résultats des évaluations des stocks menées dans les zones atlantique et méditerranéenne en 2010 et 2011.
NWA : sous-région nord-ouest Africaine ; A, B, C : Stocks A, B et C de sardine en Atlantique marocain ; Dakhla : plateau continental de la zone Sud du Maroc. SsE : sous-exploité, PE : pleinement exploité ; PE/SE : pleinement exploité à surexploité ; SE : surexploité.
Références
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