Neurosciences et philosophie

Le cerveau et la philo, que nous dit la science ?

(article écrit en décembre 2008 pour revue Acropolis)

Depuis quelques années maintenant les neurosciences nous délivrent régulièrement de nouvelles informations sur le fonctionnement de notre cerveau. Les nouvelles techniques d’imagerie fonctionnelles (depuis les années 80-90) permettent de visualiser les zones du cerveau qui sont impliquées lors de diverses activités comportementales ou cognitives. Des programmes de recherche lancés depuis quelques années apportent maintenant des résultats dans divers domaines. Prenons à titre d’exemple deux livres publiés récemment en langue française (1)(2) qui font états de travaux récents des neurosciences avec des implications possibles dans la vie de tous les jours.

Nous allons partager avec vous ces recherches qui nous plongent dans le mystère du fonctionnement de notre cerveau et qui, étonnamment, nous ramènent à des connaissances déjà très anciennes concernant la psychologie humaine qui, pendant des siècles, ont permis à diverses cultures de proposer des approches de maîtrise du corps, de l’esprit, de la psyché. Les neurosciences démontrent de manière claire l’utilité de ces pratiques.

Faisons tout d’abord un survol des connaissances actuelles sur la structure fonctionnelle du cerveau. Le modèle des trois cerveaux (reptilien, limbique et néocortex), proposé par le neurochirurgien Paul Mac Lean dans les années 1970 reste en grande partie valable. On parle maintenant de 4 cerveaux.

Figure p 34 L’intelligence du stress, Jacques Fradin, Ed. Eyrolles 2008.

Le cerveau reptilien reste la base la plus ancienne. Son rôle est la gestion inconsciente des fonctions vitales physiologiques. Il assure la survie biologique et en particulier la cascade du stress des trois états d’urgence de l’instinct (fuite, lutte, inhibition). Viennent ensuite les territoires paléo-limbiques (la partie la plus ancienne du cerveau limbique) situé en dessous du corps calleux et qui gère les rapports de force de la vie en communauté. Le cortex automatique regroupe le vieux cortex néo-limbique et le cortex sensori-moteur. Comme son nom l’indique cette partie gère de manière automatique le connu, le quotidien en fonction des habitudes, de l’expérience, des émotions. C’est le siège de la « conscience noyau » comme l’appelle A. Damasio. On peut aussi parler de moi animal. Le néocortex préfrontal permet de gérer le nouveau, l’inconnu, la complexité. Il est le sommet de l’intelligence humaine mais contrairement au cortex automatique, il semble inconscient et son utilisation demandera un effort conscient. Il est cependant en relation avec tout le cerveau et est capable de tout coordonner.

Pourquoi ne le fait-il donc pas ?

Les chercheurs de l’institut de médecine environnementale (Paris), travaillent depuis plusieurs années sur la psychologie cognitive et les neurosciences. Ils ont publié plusieurs ouvrages de vulgarisation à visée d’application dans le domaine du management. Le dernier en date (2) nous parle de la gestion des modes mentaux dans la gestion du stress. Les auteurs nous rappellent d’abord que le stress que nous vivons dans nos sociétés modernes est essentiellement d’origine interne (90 %) plutôt que causé par une origine externe. La différence est qu’en cas de stress externe notre cerveau reptilien est programmé pour réagir rapidement et efficacement comme nous l’avons vu.

En cas de stress interne (induit par nos émotions, croyances, petites voix, …) la réponse naturelle ne convient plus, elle n’est pas adaptée. Le problème est que le mode automatique conscient ne semble pas vouloir céder volontiers la place au préfrontal qui peut, lui, gérer cette situation en prenant de la hauteur, en se détachant des émotions, en réfléchissant, en innovant. Le stress chronique que nous vivons dans nos sociétés serait le révélateur de cette aberration fonctionnelle constatée par les chercheurs grâce à l’imagerie cérébrale fonctionnelle (2). Ils proposent une démarche de gestion des modes mentaux favorisant la préfrontalisation.

Pour reformuler ces données avec d’autres mots, cela confirme ce que la psychologie (depuis quelques décennies) et la philosophie classique (depuis des siècles) nous disent concernant la difficulté de prendre du recul par rapport aux événements. La démarche philosophique (par la réflexion et la mise en pratique qu’elle sous-entend) serait en quelque sorte une méthode efficace pour permettre à l’Humain de prendre le contrôle de sa machine biologique, conduite en mode automatique la plupart du temps, et d’amener sa conscience en mode préfrontal, ce qui lui permettra d’innover, de créer, de prendre sa vie en main…

Certains diront que je vais un peu vite en besogne… Examinons donc quelques résultats d’études récentes.

Prenons le domaine de la méditation, pratique millénaire du bouddhisme. En 1987 déjà, le Dalaï Lama et quelques scientifiques se sont rencontrés pour étudier et comprendre les rapports entre le corps et l’esprit. Ils ont créé le Mind & Life Institute. Plusieurs scientifiques de renom participent à des discussions annuelles organisées par l’institut : Francesco Varela, Antonio Damasio, Daniel Goleman, Richard Davidson, Mathieu Ricard, … Après quelques années de dialogue entre méditatifs et scientifiques, des programmes de recherche ont été lancés (en 2000).

L’objectif des travaux est d’étudier ce qui se passe dans le cerveau de moines qui méditent et de voir l’impact de cette pratique sur les comportements et sur la physiologie. Des articles sont publiés régulièrement depuis quelques années dans des revues scientifiques (voir par ex. sur Internet les articles de R. Davidson (http://brainimaging.waisman.wisc.edu/publications/publications.htm#Articles).

Mathieu Ricard qui a participé à certaines de ces études nous en décrit quelques résultats (3) :

« Ces travaux donnent des résultats significatifs sur le renforcement du système immunitaire, la diminution de l'anxiété, de la colère, de la tendance à la dépression, pour ne citer que cela, et puis sur de nombreux aspects cliniques, comme l'accélération de la guérison du psoriasis ou encore la baisse de la tension artérielle. »

Ces travaux montrent aussi que la méditation peut induire une neuroplasticité, c'est-à-dire des changements dans le cerveau (nouveaux neurones, nouvelles connexions). Les auteurs observent notamment que la concentration peut s’améliorer par la pratique et l’entraînement mental et que les cerveaux de moines entraînés ou novices ont des zones actives différentes (4).

Tout ces travaux, sur lesquels il y aurait encore beaucoup à dire, nous montrent donc que le cerveau, et en particulier le préfrontal, serait en quelque sorte l’outil utilisé pour unifier et équilibrer l’ensemble de notre fonctionnement (mental, psychologique et comportemental).

Depuis des millénaires, des sages nous disent que c’est à l’intérieur de nous-mêmes que se trouve la clé de notre pouvoir d’être libre. Mais cela n’est pas naturel, cela s’apprend jour après jour. Peut-être serait-il intéressant de suivre leurs enseignements …

On ne naît pas humain, on le devient. (Erasme)

(1) L'Art de la méditation, Matthieu Ricard, NiL Editions 2008

(2) L’intelligence du stress, Jacques Fradin, Ed. Eyrolles 2008.

(3) Démystifier la méditation, LE MONDE 21.10.08

(4) Buddha’s Brain: Neuroplasticity and Meditation, R. Davidson and A. Lutz. IEEE SIGNAL PROCESSING MAGAZINE [176] SEPT 2007.