Chapelle de la bâtie

La chapelle de La Bâtie-de-Gresse - Lionel RIONDET


Entre Mont-Aiguille et Grand-Veymont, sur l'échine d'un "serre" se déploie le village de La Bâtie-de-Gresse. Ne comptant de nos jours qu'une douzaine de résidants permanents (après avoir frôlé la désertification), ce fut autrefois une paroisse à part entière qui réunissait une population relativement nombreuse.


Telle une sentinelle, la chapelle se dresse, en harmonie parfaite avec les sommets qui l'environnent. C'est un sanctuaire typique de montagne, aux murs épais, dont l'entrée est orientée au sud. Son porche semi-enterré la protège de la neige et de la bise. De petites ouvertures en plein cintre et un clocher couvert d'ardoises lui donnent un charme certain. Au levant, un petit cimetière clos de murs lui est accolé. Si cet édifice porte de nos jours l'appellation

de chapelle, elle fut pendant des siècles une église paroissiale. Je suis très attaché au village de La Bâtie dont ma mère, Henriette Cotte, est originaire. Née en 1908, elle avait été baptisée en ce lieu. Je vous convie à découvrir l'histoire de cette chapelle et, à travers elle, celle du village.


La paroisse de La Bâtie est très ancienne. La première mention qui en est faite date de 1211. Hugues Artaud est alors seigneur de Gresse. Résidant à Aix-en-Diois, il appartient à une grande famille largement possessionnée dans cette région. Sur ses vieux jours, il décide de prendre l'habit de moine au prieuré de Saint-Marcel-de-Die.


Il fait alors donation des dîmes de Gresse et de La Bâtie à ce prieuré. A l'époque. il existait sans doute une église paroissiale dans le village, lequel était souvent désigné sous l'appellation La Bâtie-en-Trièves.


L'histoire de celle-ci se fait très discrète et nous n'en retrouvons trace qu'en 1644 lors de la visite pastorale du comte-évêque de Die Jacques de Léberon. La paroisse comprend le village de La Bâtie et le hameau de Choplane, niché à l'est du col de l'Allimas. L'évêque note que la chapelle, dédiée à Notre-Dame, est « sans revenu, patron, recteur, ni service, sauf deux messes par mois que les habitants paient au curé. Les dîmes étaient prélevées au bénéfice du prieuré de Gresse. Ce constat montre que la paroisse de La Bâtie était tombée en quasi désuétude. Etait-ce dû au faible nombre d'habitants ou au manque de zèle religieux de ceux-ci ? Les choses vont bientôt changer.


La fin du XVIIe siècle voit te roi Louis XIV remettre en cause l'édit de Nantes et entreprendre la disparition définitive de la Réforme en France (1). Il faut

pour cela raviver la foi catholique et réorganiser l'Eglise. Les évêques vont visiter plus régulièrement leurs paroisses, prêchant la bonne parole. La création d'ordres locaux tels que les Pénitents est encouragée ainsi que la rénovation des lieux de cultes. On va aussi réactiver certaines paroisses tombées en léthargie.


C'est le cas de La Bâtie. Quatre actes notariés, rédigés par maître Jullien de Gresse, nous renseignent sur la façon dont se sont déroulés les faits (2). Au

printemps 1683, la cure de La Bâtie-de-Gresse est rétablie. Un prêtre, messire Estienne Défrenaud, est nommé. Une convention est signée le 2 mai

devant Me Jullien entre le curé et les habitants du lieu afin de définir le montant de la portion congrue qui lui sera allouée et la façon dont elle sera réglée.

Il est décidé qu’elle se montera à 200 livres. Les dîmes qui étaient perçues par le prieuré de Gresse reviennent désormais à la nouvelle paroisse. Mais elles se révèlent insuffisantes pour rémunérer le curé. La communauté convient de les augmenter. Elles seront réglées de la façon suivante : « la 21ème gerbe de tous les grains croyssants aux dits ameaux, des légumes et alliers, de 2 sols pour teste des agneaux et un sol pour teste des chèvres de lait quy auront hiverné ». En outre, la communauté donne au curé la jouissance du pré des Perroux dont elle est propriétaire et qu’elle louait jusqu’ici à Jacques Rippert.

Sur cette somme, Messire Défrenaud devra régler les décimes et pensions dus à l’évêque ainsi que le 24ème, part réservée aux pauvres de la paroisse. En revanche, les habitants s’engagent à construire dans les plus brefs délais une maison curiale dont ils assureront l’entretien. Sont désignés quatre habitants de La Bâtie et deux de Choplane pour gérer ces règlements. Les signataires de l’acte représentant la communauté sont Jean Nicolas, Jacques Caramentrand, Jean Bouchier et Guigues Terrier. Ils sont les seuls paroissiens, semble-t-il, à savoir signer et on retrouvera aussi leur paraphe sur les actes qui suivront. Les témoins sont messire Jean Gautheron, prêtre segonder à Gresse et un habitant de ce » dernier village, Pierre Nicolas, dit le cadet du Chomeil.

La reconstruction de l’église

Un an plus tard, le 17 avril 1684, un nouveau curé est nommé à La Bâtie. Il s’agit de Jacques Benoît qui est mis en possession de la paroisse par messire Balthazard Julien, curé de Gresse, en présence d’Ennemond Giroud, curé de Monestier-de-Clermont. Un acte notarié en prend note et décrit minutieusement les rites liés à cette prise de fonction.

Le même jour, un autre acte, fort intéressant, est signé entre les habitants et Pierre Allemand, maître maçon.

L’église de La Bâtie, peu utilisée et quasi à l’abandon, devait être en piteux état. Aussi, les « Bâtillous » en entreprennent la reconstruction. Le prix-fait (on dit aujourd’hui un devis) fait l’objet d’un acte notarié détaillé où sont précisés les devoirs et charges des deux parties .Les murs de la nouvelle église, repris à pied d’œuvre, auront deux pieds et demi d’épaisseur (soit 82 cm). La muraille du côté couchant sera bâtie « à chau et à sable » et les arêtes seront « picquées à grosse pointe des deux côtés du levant ». Une porte sera fournie et posée par le maçon de même que deux fenêtres de plus que n’en comportait la précédente église.

La communauté paiera au sieur Allemand « dix-sept sols par toise desdites murailles, avec trente sols destraine pour le tout ». Un acompte de onze livres sera réglé au commencement des travaux, dix-huit livres « à mi-œuvre » et le reste à la Toussaint de la même année. L’église devra donc être terminée avant l’hiver. Les habitants promettent en outre de fournir ‘tous attraitz nécessaires pour se faire sur l’échaffaud ou poulie et les manœuvres nécessaires audit Allemand ». Celui-ci promet de commencer le travail sous huit jours, de se faire seconder par un autre maître maçon et de poursuivre le chantier sans discontinuer jusqu’à son achèvement. Paraphent l’acte les quatre habitants sachant signer dont les noms figurent plus haut.

Deux d’entre eux, Guigues Terrier et Jacques Caramentrand sont désignés pour suivre les travaux. Il est prévu qu’ils toucheront, « au cas où il leur fallut aller à Die ou à Grenoble », une indemnité de quinze sols par jour et une autre de huit sols pour une journée de déplacement « dans le pays ». L’église dut être achevée dans les temps. Reste le problème de la maison curiale, promise au prêtre desservant.

En ce même mois de mai, le 21, les paroissiens, en présence de Me Jullien, se réunissent, sans doute à la demande du tout nouveau curé, dans la grange de Salomon Giraud. On va réactualiser et apporter quelques compléments à l’acte établi l’année précédente. La portion congrue de 200 livres est confirmée. Il est simplement précisé qu’elle sera versée par quartier tous les trois mois. La maison curiale promise n’a pas encore été construite. Il est convenu que la communauté versera 12 livres annuellement au curé, « en deux payements esgaux, à savoir à la Saint-Jean-Baptiste et à Noël », pour le « louage » d’une maison, étant entendu que la cure sera bâtie le plus tôt possible.

Jean Nicollas, Pierre Duser-Boucher et Salomon Giraud sont nommés rentiers des dîmes et répondront sur leurs biens et même sur leurs personnes (« à tenir prisons comme pour deniers royaux ») de la bonne gestion de celles-ci.

Une belle croix en pierre se dresse sur le coté de l’église, au bord de la route. Aucune date n’y est gravée. Le Christ y est représenté d’une façon très primitive. On peut penser que cette sculpture fut l’œuvre d’un artiste local et sans doute érigée à l’époque de la construction de l’église. Elle était naguère située dans le porche. Ecroulée, elle fut relevée il y a quelques décennies et dressée à son emplacement actuel.

Les paroissiens

Les actes notariés nous révèlent donc de quand date exactement la chapelle de La Bâtie. Ils nous donnent aussi des renseignements intéressants sur la population de la paroisse en cette fin du XVIIème siècle. En effet, figurent sur l’ensemble de ces actes les noms des chefs de famille qui s’engagent derrière leurs représentants.

La paroisse se compose de 32 familles, réparties de la façon suivante : 22 à La Bâtie et 10 à Chauplane. Ce qui correspond à une population d’environ 150 habitants. Parmi ces 22 chefs de famille, on note qu’il y a une seule femme, Marie Nyer. Tous sont agriculteurs. Dix d’entre eux sont mes ancêtres directs dont Guigues Terrier, Salomon Giraud et Pierre Duser-Bouchier qui occupèrent à divers titres des responsabilités au sein de la communauté.

l est surprenant de ne pas trouver la famille Cotte dans la liste des paroissiens. En effet, les Cotte sont établis comme meuniers à La Bâtie depuis au moins le début du XVIIème siècle. Ils habitent en contrebas du village, au bord du ruisseau des Pellas qui fournit la force motrice du moulin. Celui-ci est aujourd’hui transformé en maison d’habitation. Pourquoi les Cotte ne font-ils pas partie de la communauté villageoise ? L’explication est sans doute celle-ci : à l’époque qui nous concerne, le moulin est établi sur l’autre rive du ruisseau et les Cotte sont donc considérés comme étant des Pellas, le hameau voisin, sis sur la paroisse de Saint-Michel-les-Portes. Cependant, les actes les concernant figurent sur le registre paroissial de La Bâtie.

Quelques feuillets forment le plus ancien registre paroissial conservé à La Bâtie. Ils ont été rédigés par le curé Défrenaud, revenu exercer son ministère dans la paroisse. Le premier acte inscrit date du 13 décembre 1686. Il concerne le baptême d’André Cuchet, fils de Benoît et Barbe Samuel, du hameau des Pellas.

Ce dernier n’appartient pas à la paroisse de La Bâtie. D’ordinaire, les actes concernant ses habitants figurent sur le registre de Saint-Michel-les-Portes. Mais il n’était pas rare, l’hiver, lorsque les chemins pour se rendre au chef-lieu étaient impraticables, que les « Pellaïous » vinssent à La Bâtie, située à quelques centaines de mètres de chez eux, pour y faire procéder aux cérémonies religieuses.

En mai 1688, messire Claude Bochage succède au curé Défrenaud. Il est originaire de Beaufort-en-Savoie. Il vient à La Bâtie en compagnie d’une de ses nièces, Antoinette, qui tient le rôle de bonne. Sa précédente affectation devait être la paroisse de Barnave, dans le Diois, car une chose singulière se produit. Il avait commencé un registre paroissial dans ce village. Nommé peu après à La Bâtie, il avait cru prudent, ne sachant si sa future paroisse en était munie, d’emporter le registre à peine entamé de Barnave. Ainsi, chose surprenante, sur les trois premières pages du registre paroissial de La Bâtie, figurent des actes uniquement des habitants de Barnave.

Parenthèse familiale. En 1690, Antoinette Bochage, la nièce du curé, se marie avec Jacques Maurice, des Pellas. Ils feront souche et sont tous deux mes ancêtres directs.

Le premier juin 1696, Mgr Pajot du Plouy, évêque de Die, vient visiter la paroisse de La Bâtie. Il est reçu par le curé Bochage. Il trouve une église quasiment neuve et bien entretenue : «Il y avait un tableau, quatre chandeliers, une chaire, des bancs dont l’un était à Guigues Terrier, une cloche d’un quintal et demi ». La paroisse compte 34 familles et 120 communiants (3). Le revenu du prêtre est toujours de 200 livres. Lors de cérémonies, l’évêque donne la confirmation à cent personnes.

Un demi-siècle plus tard, en 1763, on trouve une description assez détaillée du sanctuaire (4). Le porche n’est pas encore surmonté d’un clocher. Une « balustre de bois de sapin » sépare le chœur de la nef et sert de table de communion.

L’église est équipée d’une chaire à prêcher, d’un bénitier, de fonds baptismaux et d’un confessionnal. Il y a même au fond de la nef une tribune.

On pouvait voir encore cette église en ordre de marche il y a une quinzaine d’années à peine. Des rénovations faites à cette époque ont supprimé malencontreusement la tribune et autres éléments de mobilier.

Et l’église devint chapelle

Puis vint le temps de la grande révolution. Les biens de l’église tombent dans le domaine national. Le presbytère et le jardin attenant sont vendus par l’Etat pour la somme de 7200 francs. Il ne reste plus de trace, aujourd’hui, du presbytère. Il se situait dans la petite prairie qui jouxte l’église, côté sud. On le voit figurer sur le cadastre de 1825.

En 1838, l’église est équipée d’une nouvelle cloche. Elle a 56 cm de diamètre et sonne la note mi. Elle a pour parrain Mr Joseph Terrier, maire de Gresse, et Mme Rose Marie Grimaud, épouse Paturel. On peut y lire l’inscription suivante : Crucifixion de la Magdeleine. Elle fut fabriquée la même année par le fondeur F.A. Bonnevie. Elle prête encore aujourd’hui sa note mi aux échos des montagnes (5).

Mais se profile bientôt la fin de la paroisse. Au cours du XIXème siècle, la population des villages de La Bâtie et Choplane diminue et il devient difficile d’entretenir un desservant. Aussi, en 1842, le hameau des Pellas qui, nous l’avons vu, est situé à quelques centaines de mètres mais appartient à la paroisse de Saint-Michel-les-Portes, est rattaché à La Bâtie. On augmente de cette façon le nombre de fidèles et on espère ainsi assurer le maintien de la paroisse. Mais, une quinzaine d’années plus tard, en 1858, La Bâtie est définitivement rattachée à la paroisse de Gresse, dont le village dépend depuis la Révolution sur le plan de l’administration civile. Le hameau des Pellas retourna à son ancienne paroisse et l’église de La Bâtie devint alors une simple chapelle. Ainsi s’acheva l’existence de cette très ancienne paroisse de Notre-Dame de La Bâtie et Saint-Sulpice de Choplane. A noter qu’il existait, à proximité de ce dernier hameau, une chapelle rurale dont il ne reste aujourd’hui que des traces.

Située au bord du vieux chemin reliant La Bâtie à Choplane, elle était dédiée à Saint-Sulpice. Mr Léon Giraud, un vieux « Bâtillou », racontait naguère que, tout jeune, gardant les moutons sur les flancs du col de l’Allimas, il montait sur le toit de la chapelle, déjà en partie ruinée, pour repérer son troupeau.

En 1843, dans une enquête statistique demandée par l’évêque au sujet de ses paroisses, le curé de l’époque note l’existence de la chapelle de Choplane. Une fois l’an, chaque dimanche qui suit la Saint Pierre, la paroisse s’y rend en procession et une messe y est célébrée. Le curé rajoute que « la tradition n’apporte rien sur l’origine de cet usage ».

Voici terminée l’évocation de la chapelle de La Bâtie-de-Gresse. Toujours bien présente dans le paysage de ce village au pied de la chaîne, elle est un attachant élément du patrimoine de nos montagnes. "

LIONEL RIONDET

1 - La révocation de l’édit de Nantes aura lieu en 1685.

2 - Actes de Me Julien, notaire à Gresse (ADI 3 E 3134). Ils m’ont été très aimablement communiqués par M. Jean-Claude REBOUL, de Gresse-en-Vercors.

3 - A titre indicatif, la paroisse de Gresse compte à la même date 146 familles, soit environ 730 habitants.

4 - Dans « Patrimoine en Isère – Trièves » (Musée Dauphinois – 1996)

5 - Voir à ce sujet l’article d’Edmond COFFIN « Inscriptions campanaires dans la région de Vif » (revue des A.V.G n°50 – octobre 2002)