Quelques extraits

https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=sites&srcid=ZGVmYXVsdGRvbWFpbnxsZWNpZWxkdWNpZWx8Z3g6OWIzMDk1ZWZkZjNmYTdl


“En Lui se terminent les six infinis,

et c’est de Lui

qu’ils prennent leur extension à l’infini.”


Roman pseudoclémentin

Homélies. XVII



Prologue


Au bout de l’espace et du temps l’immense s’anéantit sur le mur de l’infime, en un point sans dimension et sans âge où, il y a quatorze milliards d’années, s’est engouffré l’Esprit. Aux extrémités des deux infinis de notre espace-temps, la matière cède la place à autre chose.

Les scientifiques de notre siècle hésitent. Les uns campent encore sur les remparts de la citadelle matérialiste. Les autres savent que la science touche le fond du tout matériel, qu’ils doivent maintenant pousser la porte de cet au-delà de la matière. Car force est d’admettre aujourd’hui que l’Univers semble bien tirer sa réalité sensible d’une vérité cachée.

(…)

Le grand défi qui s’ouvre à l’Homme en ce troisième millénaire est d’oser entrebâiller la porte et jeter un œil de l’autre côté. Que verra-t-il ? À quoi ressemble la Pensée ?

(…)

J’en ai fait le récit à la manière d’un roman apocryphe du premier siècle de notre ère que ni la science ni les Écritures n’ont reconnu. Est-ce pour indiquer que j’empruntais un itinéraire non balisé ?


Chapitre I - Un univers de passés


Le drame de l’orchidée


— Belle orchidée, quel destin t’accable ? Tu resplendissais hier encore de ton éclat voluptueux. Le Soleil, qui se jouait des persiennes, te caressait du bout de ses rayons. Tu vibrais, sensuelle, sous l’hommage. Tu te croyais éternellement belle. Mais voilà, ce matin déjà tu te voûtes un peu dans ton pot blanc. Tu as le teint un peu terne. Tes pétales semblent las.

Depuis combien de temps l’homme était-il assis là, plongé dans l’abîme de ses pensées ? Le Soleil s’élevait lentement sur l’horizon, entre les arbres du parc, et ravivait un peu les couleurs de la fleur.

— Je t’observe en cet instant et pourtant je ne te vois pas et ne te verrai jamais telle que tu es. Je suis condamné à ne te connaître que telle que tu as été. Non pas que je veuille ignorer le présent, me délecter du passé, ou que je sois atteint de quelque insuffisance visuelle, mais ce monde est ainsi fait que jamais je ne pourrai te contempler telle que tu es au présent. Il ne m’est permis que de t’admirer telle que tu étais il y a quelques instants. Tel est ton destin. Tel est le mien.


La fleur, sans doute, ne comprenait rien à ces propos. Pourtant, on aurait dit qu’elle écoutait. L’homme poursuivit :

— Car pour te voir, ma belle, il me faut saisir, capter quelques grains, quelques vibrations, de cette lumière du Soleil qui te fait frémir. Ce n’est pas toi que je vois, mais la lumière que tu me renvoies. Mon œil ne voit rien, ne sait rien, sans ces quelques photons, les messagers de ta splendeur. Il faut que cette lumière rebondisse sur ta corolle ouverte et voyage jusqu’à moi. Et quand enfin mon œil la reçoit, quand se projette sur l’écran de mes neurones l’image de tes violets chatoyants, il s’est passé un peu de temps, tu n’es déjà plus la même, tu es déjà un peu fanée. Oh, pas beaucoup ! Quelques infinitésimales parcelles de seconde séparent ton présent du mien. Mais jamais néanmoins nos deux présents ne coïncideront tout à fait.

(…)

Chapitre II - Songe en deux dimensions

Le tableau plat

L’homme avait maintenant abandonné son orchidée et repris ses pinceaux devant sa toile. Car, ingénieur de formation, passionné de sciences, il n’en était pas moins artiste à ses heures. Il disait d’ailleurs que l’art est une autre façon de comprendre le monde.

(…)

Le vieux lampadaire qui éclairait la pièce projetait en noir, sur la scène du tableau, la pointe du pinceau et la main qui le tenait. S’approchant un peu, l’homme se mit à danser comme un vieux fou. Sa silhouette noire s’agitait sur le visage des personnes attablées sur cette copie qu’il avait entrepris de faire, d’un célèbre Renoir. Il s’écarta, s’approcha, s’amusa ainsi jusqu’à ce que son ombre projetée s’ajuste, s’insère entre les personnages. Il s’était invité, comme par effraction, dans “le déjeuner des canotiers”. Il était devenu un être plat sur une feuille d’univers. L’espace devant et derrière cette toile avait disparu. Il n’y avait plus de profondeur. Il était laminé, sans épaisseur. Il pouvait se mouvoir dans son plan vers le haut ou vers le bas, vers la droite ou vers la gauche, c’est tout. Il n’avait plus de liberté de mouvement dans l’épaisseur. Il n’avait même plus conscience que ce mot pût exister. Il était entré dans un espace à deux dimensions.

Il faisait nuit maintenant dans ce drôle d’univers plat. Le firmament en deux dimensions était une ligne à l’infini qui l’encerclait de bas en haut par-dessus sa tête, comme gigantesque arc en ciel. Quelques points lumineux, ou tirets sans épaisseur, scintillaient sur cet horizon de ciel, les étoiles de son univers plat. Les observant une à une, il vit que leur présence était pour toutes éphémères. Les points apparaissaient, se déplaçaient un peu le long de la ligne du ciel, puis s’éteignaient rapidement.

(…)

Chapitre III - La cinquième dimension


Le pays du partout

Est-ce le vertige du futur qui arracha l’homme à ses songes en deux dimensions, ou à son cauchemar éveillé ? Depuis combien de temps tenait-il ainsi son pinceau, l’esprit ailleurs ? Et voilà qu’à nouveau le passé se mélangeait au présent comme, entre elles, les étoiles du ciel.

(…)

Laissant là ses pinceaux, il prit sa voiture et partit. Il avait, à l’âge où d’autres prennent leur retraite, à l’âge où l’on retourne à l’essentiel, entrepris d’écrire ce qu’il avait compris de ce monde, au cours de sa longue vie de bâtisseur. Sa culture scientifique jointe à son ouverture d’esprit vers l’au-delà de la matière, l’avait conduit à établir une sagesse spirituelle en parfaite harmonie avec la raison et la foi. Spontanément, des lecteurs, que les mêmes questionnements agitaient, tous passionnés de science et de métaphysique, s’étaient contactés puis réunis à son initiative en un club de discussion. C’est à l’un de ces cénacles d’amis que l’homme se rendait, pour quelques jours.

(…)

Le jour peinait à se lever. On devinait le ciel sombre et lourd, noir sans doute. Il pleuvait à seaux depuis un moment. Des cataractes submergeaient le véhicule. Les essuie-glaces impuissants laissaient à peine deviner le capot. Des phares allumés croisaient de temps en temps la voiture, c’était miracle qu’à chaque fois la collision fût évitée. Comment était-ce possible qu’au troisième millénaire on roulât encore à double sens sur ces étroites bandes de bitume ? Décidément, l’an 2000 était arrivé trop vite, le progrès n’avait pas réussi à tout réformer. La voiture roulait maintenant au pas, projetant sur les côtés des gerbes d’eau sale, quand, dans l’incertaine lueur des phares, l’homme crut entrevoir la silhouette d’un piéton. Il ralentit pour ne pas l’asperger. Qui pouvait ainsi se promener à cette heure, sous ce déluge, sur une route déserte ? En général, il ne prenait personne en auto-stop. Cette fois pourtant il s’arrêta, ouvrit la portière. Le piéton accourut, s’engouffra dans la voiture. Il ruisselait.

— Où allez-vous, demanda le conducteur ?

— Je ne sais pas.

— Alors où voulez-vous que je vous dépose.

— J’irai là où vous allez.

Le passager était un très jeune homme, presque encore un adolescent, vingt ans peut-être. Il dégoulinait de pluie, s’excusait de mouiller le siège.

— D’où venez-vous ?

— Je ne sais pas. J’étais au milieu de partout, au pays de la lumière. Et me voici maintenant emprisonné dans cet espace, comme dans un épouvantable trou noir. Et vous, qui êtes vous, Monsieur ?

— Un adolescent de soixante-dix ans qui cherche le futur.

Le jeune homme maintenant riait. L’homme, crispé sur son volant, tentait de maîtriser les embardées de la voiture sous les rafales. Il était intrigué par la réponse sibylline de ce garçon. Il reprit :

— Vous venez de dire que vous étiez au milieu de partout. Que vouliez-vous dire ?

— Là où j’étais avant, il n’y avait pas de lieux. Ou plutôt, chaque endroit était un partout à lui tout seul. De sorte que tous les endroits étaient ensemble, réunis en un partout béant et omniprésent où tout se trouvait. L’ici et l’ailleurs se confondaient en une unique perception.

(…)

Le pays du toujours

L’homme à l’orchidée était cette fois saisi d’inquiétude. Il s’enquit :

— Mais quel âge avez-vous donc ? J’ai cru vous voir tout à l’heure sous les traits d’un très jeune homme, vous me parlez maintenant comme un savant d’âge mûr.

— Avant de vous rencontrer, Monsieur, je connus aussi le pays du toujours, le royaume de l’éternel. Là, il n’y a ni avant ni après, l’âge n’y a pas de sens. Et me voici maintenant, par un étrange destin, aspiré dans votre temps, cette poussière d’instants. Voilà pourquoi, sans doute, mon aspect vous apparaît incertain, car cet espace-là est incapable de me représenter autrement qu’en morceaux de temps qui, mis bout à bout, reconstituent la durée. Le problème est de savoir où commence le film. Et cela, je ne le sais pas.

(…)

La dimension de l’amour

Alors, Lazare entendit à nouveau la femme qui tout à l’heure l’avait tant troublé :

— Au-delà de cette cinquième dimension où fusionne l’espace-temps en un éternel partout, au delà de ce ciel du ciel dont est né l’Homme de chair, sa Terre et son ciel, il est une ultime dimension dont les bribes, les effluves qui nous en parviennent trahissent la présence du champ de forces qui créa le monde. Une force qui fait voir et entendre au-delà de la porte. Une force qui franchit le seuil. Quel est donc ce vecteur qui peut véhiculer la prière et lui donner la force d’être exaucée ? Quel est donc ce prodigieux champ de forces, sinon un champ d’amour ? Il se manifeste par une sorte de courbure de l’Univers dans la dimension finale, qui attire irrésistiblement les hommes. Il est, ce champ d’amour, une gravitation d’un autre ordre, qui relie les âmes et les entraîne vers l’Oméga. Ce sixième sens atrophié chez l’Homme de chair, ou peut-être en devenir, est le langage de l’au-delà du ciel. Déployé dans toute sa violence, il permet le dialogue. Bernadette, à Lourdes, ne fit pas autrement pour “voir” et “entendre” Marie que l’aimer immensément. L’Humanité, peut-être un jour, aura atteint cette capacité d’aimer. Alors, elle verra son au-delà.


L’immense et le zéro


L’orchidée gisait sur le sol, arrachée de son terreau épandu autour du pot brisé. Était-ce le bruit de la chute qui avait réveillé l’homme, ou l’enfant qui venait de faire irruption dans la pièce ?

(…)

— Explique-moi, grand-père : comment la matière peut-elle venir de la pensée ?

(…)

— Explique-moi aussi, insista l’enfant : comment le zéro peut contenir l’immensité du cosmos ?

(…)

Épilogue


Nous rentrons, cher lecteur, d’un fabuleux voyage. Laisserons nous les souvenirs rapportés, dormir désormais dans quelque tiroir, comme ces objets exotiques qui au retour dérangent le conformisme retrouvé ?

Pour la première fois dans son histoire, la science bute sur les frontières de son terrain de recherches, de son champ d’action de la raison. Non pas qu’elle sache désormais tout et qu’elle n’ait plus rien à découvrir. Tant s'en faut. Mais jusqu’alors, cette recherche scientifique n’imaginait pas de limite à son espace d’expérimentation. Or l’on sait maintenant, pour avoir approché, par un sens l’instant zéro du cosmos, par l’autre sens le seuil infranchissable de la petitesse, qu’au-delà de ces deux infinis la science n’a plus accès. La matière et l’énergie y disparaissent, les mathématiques y sont inopérantes, la raison y devient impuissante.

Qu’y a-t-il au-delà ? Ou bien il n’y a rien, ou bien il y a le contraire de rien, c’est à dire tout.

(…)