Une réussite industrielle issue du milieu scientifique local : Léanord C'est dans le cadre de l'ISEN que voit le jour au début des années soixante l'expérience très particulière de Léanord (Laboratoire d’électronique et d'automatique du Nord), l’un des plus anciens start-ups français dans ce secteur.
Le directeur en titre est Norbert Segard jusqu’en 1970 ; mais le véritable animateur est Bernard Pronier, qui en deviendra PDG en 1972. Ce centralien,licencié ès-sciences, passé par le Laboratoire de recherches balistiques de l’Armement de Vernon, puis par Philips-Coprim, est appelé par N. Segard à enseigner la physique du magnétisme. Léanord est créé en 1960 dans les locaux de l’institut, avec un statut convenant à sa vocation : la recherche sous contrat, appliquée aux problèmes d'asservissement. « Le projet a été mûri à la Catho. On voulait moderniser le tissu industriel, qui en était encore à l’électromécanique, à peine ! Léanord a été d’emblée une entreprise, vouée à résoudre des problèmes que nous poserait l’industrie traditionnelle, dans des domaines où elle n’avait aucune capacité propre ; pour cela, nous avions besoin de rester en contact avec la recherche universitaire. » (B. Pronier).
L’industrie la plus « traditionnelle », le textile, « s’est avérée un partenaire très décevant : ces entreprises n’avaient ni ingénieurs, ni techniciens capables d’accueillir les technologies nouvelles. Les patrons qu’on rencontrait étaient intéressés par ce que nous proposions ; mais rien ne suivait, on ne trouvait aucun interlocuteur compétent. ».
L’undes premiers clients de Léanord est donc, à l’autre extrémité de l’éventail économique, le Commissariat à l’énergie atomique. Les programmes nucléaires sont, à l’époque, en plein essor, les ingénieurs du CEA sont évidemment de plain-pied sur le plan technique avec Léanord ; de plus, le CEA ne se limite pas à des commandes ponctuelles, et l’on peut effectuer pour lui des études à long terme. En travaillant pour le CEA (contrôle non destructif, etc.), Léanord est amené à collaborer avec Intertechnique.
Dans le Nord, d’autres industries se révèlent plus « modernisables » que le textile. Dans la sidérurgie, des contrats sont passés avec Usinor. Pour la chimie, Léanord développe des dispositifs de process control. C’est le secteur de la vente par correspondance qui fait véritablement décoller la PME lilloise. La Redoute crée en 1967 un nouvel établissement, où doivent être automatisées les opérations de réception et de déstockage. IBM, pressenti, se désiste, et c’est Léanord qui réalise un ensemble de gestion de stocks en temps réel, avec un ordinateur Multi 8 fourni par Intertechnique, et un système first in, first out mis au point antérieurement avec le CEA.
Léanord rencontre peu de concurrence jusqu’au milieu des années 1970. La plupart des firmes réalisant des automatismes, dépendant des grands groupes (Thomson, CGE, etc.), travaillent soit en interne pour leur maison-mère, soit pour l’Etat. Léanord ne néglige pas ce marché (CEA, dispositifs de détection de submersibles pour la Marine), mais les demandes du secteur privé suffisent à assurer son développement. Son effectif passe de une personne en 1960 à 175 en 1987. Son chiffre d’affaires atteint 77 MF en 1983, le double en 1986 avec un résultat net de 5 MF. L’installation de Léanord dans ses propres locaux en 1970, résultant de cette croissance, coïncide aussi avec l’affirmation de son caractère d’entreprise intégrant, outre la recherche-développement, les fonctions de marketing, de production et de gestion. La société de capital-risque SOFINNOVA prend en 1972 une participation de 20 %, qu’elle cèdera en 1976 à Instruments SA, filiale « technologique » de Creusot-Loire.
En 1972, à l’époque où le Plan Calcul tente d’imposer la CII sur le créneau des grands ordinateurs, Léanord découvre les premiers microprocesseurs tout juste inventés par Intel, et exploite immédiatement cette innovation. La firme lilloise réalise et vend par centaines des dispositifs d’automatisme industriel à base d’Intel 4004 et 8008, et contribue à la réalisation du premier microordinateur du monde, le Micral conçu chez R2E près de Paris. Désormais, Léanord se consacre de plus en plus à la micro-informatique, en conservant son esprit « bureau d’études » et en sous-traitant une grande partie de la fabrication.
En 1978, B. Pronier rencontre les fondateurs d’Apple. Les bonnes relations entre les deux équipes permettent à Léanord de réaliser une version française de l’Apple II, le « Silex » qui, bénéficiant de l’expérience industrielle des Lillois, est plus fiable que l’original, et dispose d’un disque dur avant son jumeau californien.
Léanord livrera 4.000 des « 10.000 micros » acquis par l’Education nationale dans le cadre de son plan d’informatique scolaire. À partir de 1980, Apple effectuant sa propre percée en France, Léanord adopte le système d’exploitation CP/M de Digital, puis MS/DOS pour construire des micro-ordinateurs compatibles IBM (série « Elan », commercialisée à partir de 1985). La politique d’avance technique de Léanord se manifeste par exemple en 1987, quand B. Pronier présente le premier micro-ordinateur français construit autour d’un Intel 386.
Au milieu des années 1980, la faillite de Creusot-Loire et la croissance de la firme conduisent à chercher de nouveaux actionnaires. Ce sera, brièvement, la CGCT (téléphonie) et la SFENA (Aérospatiale). En 1987, Léanord est cédé par la SFENA à la filiale informatique d’Intertechnique, IN2, puis passe avec celle-ci sous le contrôle de Siemens en 1989.
Extrait du Rapport final "Villes et institutions scientifiques " 1996 - CNRS
(c) Carl HERVIER - 2007