Edition 2025
Adaptation.
Enjeux politiques et implications territoriales d'un impératif contemporain
Adaptation.
Enjeux politiques et implications territoriales d'un impératif contemporain
Résumé
L’usage contemporain du terme « adaptation » résulte d’un construit traversé par des tensions éthiques, politiques et épistémologiques. Sa définition, ses objectifs et ses modalités de mise en œuvre diffèrent selon les contextes locaux, les échelles d’action et les acteurs impliqués. Dans une perspective critique, l’adaptation peut donner lieu à une pluralité d’interprétations. Une première, empreinte de darwinisme social ou de spencérisme peut impliquer la déconsidération voire l’élimination des « inadaptés·es », l’adaptation est alors imposée par des acteurs dominants : sociaux, institutionnels, économiques.
Argumentaire
La journée d’étude de la JIG 2025 a pour objectif d’interroger le concept d’adaptation dans les savoirs géographiques. L’adaptation est mobilisée dans de nombreuses disciplines scientifiques et désigne de façon générale la capacité d’un individu, d’un groupe ou d’un milieu à se conformer à une perturbation. L’adaptation, quelle qu’elle soit, suppose une contrainte extérieure et une transformation face à celle-ci. Au regard du changement climatique, l’adaptation est devenue un « problème public » (Cefaï, 1996) souhaitée et encouragée par des instances supranationales, et transposée dans des politiques publiques portées à de multiples échelles. La construction de ce problème public a supposé l’intervention de groupes sociaux, étatiques ou non, et d’institutions telles que les lobbies, associations, syndicats, partis politiques… (Hassenteufel, 2021). L’institutionnalisation du concept d’adaptation, tel qu’il est conçu pour faire face au changement climatique, est ainsi le produit de nombreux débats, établis dans, mais aussi au-delà, des arènes scientifiques. La notion elle-même résulte ainsi d’un cadrage médiatique, d’affrontements politiques ou encore de négociations institutionnelles (Hilgartner et Bosk, 1988).
L’usage contemporain du terme « adaptation » résulte d’un construit traversé par des tensions éthiques, politiques et épistémologiques (Simonet, 2009) et ne peut être uniquement considéré comme le fruit de données scientifiques objectives. Sa définition, ses objectifs et ses modalités de mise en œuvre diffèrent selon les contextes locaux, les échelles d’action et les acteurs impliqués. Dans une perspective critique, l’adaptation peut donner lieu à une pluralité d’interprétations. Une première, empreinte de darwinisme social ou de spencérisme (Becquemont, 2004), peut impliquer la déconsidération voire l’élimination des « inadaptés·es », l’adaptation est alors imposée par des acteurs dominants : sociaux, institutionnels, économiques (Klein, 2008). Par ailleurs, une interprétation solidariste de l’adaptation existe aussi, par exemple soutenue par la théorie de l’entraide d’Elisée Reclus ou de Kropotkine (2005) : celle-ci serait ainsi spontanée, émanant de la solidarité entre les individus. Les diverses interprétations du terme adaptation servent donc des courants de pensée multiples et des objectifs politiques parfois diamétralement opposés.
Cette journée d’étude de la JIG 2025 s’adresse aux jeunes chercheurs·es (masterants·es, doctorants·es, post-doctorant·es) en géographie ou dans d’autres disciplines, qui interrogent l’adaptation comme référentiel, cadre d’action et pratique scientifique. Devenu un enjeu de plus en plus central dans les politiques publiques, ce concept interroge aussi les manières de faire de la recherche : il engage des rapports renouvelés à l’incertitude (Boston 2017), aux territoires, et aux sociétés. Il suscite enfin des questionnements éthiques et politiques sur la justice sociale, la soutenabilité environnementale ou encore le rapport entre science et engagement.
Le premier axe de cet appel invite à explorer les enjeux politiques et définitionnels de l’adaptation, qu’il s’agisse de ses multiples interprétations, des récits qui la façonnent, ou encore des formes alternatives portées par des initiatives locales ou informelles. Le deuxième axe examine la place de l’adaptation dans les politiques publiques, de leur conception à leur mise en œuvre, ainsi que les tensions qu’elles peuvent générer entre différents acteurs et temporalités politiques. Il aborde également les stratégies d’adaptation des sociétés face aux risques naturels et leur résilience en contexte post-catastrophe. Enfin, un troisième axe propose d’interroger les pratiques de recherche sur le terrain dans des contextes marqués par l’instabilité et les crises, en s’intéressant à la fois aux imprévus méthodologiques et à la question du positionnement des chercheurs·es face à des enjeux éthiques, sociaux et politiques. Nous invitons ainsi à contribuer à une réflexion collective sur la pluralité des adaptations, sur leurs fondements théoriques et pratiques, et sur les implications que ces dynamiques suscitent pour la recherche géographique contemporaine.
Axe 1 : Enjeux politiques et définitionnels de l’adaptation
Alors que les conséquences du changement climatique se font de plus en plus concrètes, l’appel à l’adaptation a gagné en importance dans les discours politiques. Pour certains auteurs, la notion d’adaptation est perçue comme un abandon de la lutte pour l’atténuation du changement climatique (Depoues, 2023, Godard, 2010). Face à l’urgence et à l’échec des politiques d’atténuation (Basset et Fogelman, 2013), d’autres chercheurs·es proposent de dépasser ces oppositions (Simonet et Leseur, 2019). Des institutions supranationales comme l’Union européenne et l’ONU s’emparent de ce concept pour en forger leur propre acception. L’enjeu de l’adaptation est donc définitionnel, mais également politique. Savoir si l’adaptation procède du réformisme, de l’ajustement, ou du transformatif, revient à poser la question de ses motivations : pour qui ? Au nom de quoi ? À quelle échelle ? (Simonet, 2016) Que devons-nous considérer comme vulnérable ? (Magnan, 2012). Répondre à ces questions demande de définir clairement les objectifs des acteurs – public, privé, société civile, acteurs locaux – qui portent les projets d’adaptation. Les contributions pourront interroger l’interprétation de l’adaptation : ses implications concrètes dans des contextes territoriaux particuliers et les enjeux politiques de la définition d’un terme si vastement approprié.
La mise en œuvre de l’adaptation au changement climatique est, dans certains cas, perçue comme floue, voire ambigüe, pour certains acteurs. Ces problèmes peuvent freiner la mise en œuvre d’actions concrètes. Dans ce cas, contribuer à clarifier ce que recouvre l’adaptation au changement climatique participerait à lever les barrières cognitives qui y sont liées (Simonet et Leseur, 2019). Les contributions à cet axe pourront donc mettre en lumière des initiatives visant à définir l’adaptation dans des contextes locaux spécifiques, à différentes échelles, par exemple dans des ateliers citoyens, des groupes de réflexions, ou des initiatives conjointes entre chercheurs·es et acteur·rices politiques. Dans un registre différent, là où l’État est absent ou se désengage, comment penser d’autres formes d’adaptations que les stratégies institutionnelles ? Les récits et stratégies d’adaptation au changement climatique non institutionnelles sont une autre question que souhaite explorer cet appel (Riaudel, 2022 ; Kypréos et al, 2020).
Les communications qui proposent de dépasser les questions de l’adaptation au changement climatique pour intégrer d’autres thématiques sont les bienvenues. Nous visons ici particulièrement les travaux sur la justice socio-environnementale et climatique ou sur la perte de la biodiversité (Mercado et al., 2024). De même, les propositions qui analyseront des politiques d’adaptation cherchant à créer un référentiel fondé sur une autre vision du monde – par exemple en s’écartant du modèle néolibéral (Blanc Ansari, 2019) – ou qui chercheront à déplacer le regard anthropocentré de la notion d’adaptation (Pereira et Saramago, 2020) auront toute leur place lors de cette journée.
Axe 2 : Adaptation et politiques publiques
Depuis plusieurs décennies s’observe un changement de paradigme au sein des pratiques d’aménagement du territoire et de préservation environnementale. En effet, les rapports des humains à leur environnement sont remis en question et impliquent leur repositionnement au cœur de bouleversements globaux, notamment climatiques (IPCC, 2022), dont ils sont responsables. L’adaptation constitue dans cette dynamique un processus généralement impulsé par les acteurs publics (Klauer et al., 2013 ; Kousser et Tranter, 2018) au regard d’enjeux stratégiques (Davoudi et al., 2009). Les dimensions impliquées sont éminemment systémiques (Bertalanffy, 1968), qu’elles soient sociales, économiques, environnementales ou culturelles. En ce sens, des arbitrages entre différentes stratégies doivent être faits par les responsables politiques pour viser une durabilité des territoires qui soutient la réduction de leur vulnérabilité. Ces choix, influencés par des contextes spécifiques, interrogent la capacité des décideurs à anticiper le temps long (Hale, 2024) et à répondre efficacement aux impacts de perturbations de plus en plus fréquentes.
Dans une perspective synchronique, cet axe invite les jeunes chercheurs·es à présenter leurs travaux concernant les politiques d’adaptation, de leur intention à leur évaluation, en passant par leur élaboration et leur mise en œuvre. Il s’agit ici d’interroger la pertinence et la cohérence de dispositifs existants, leur efficacité à engager des transformations dans l’incertitude (Callon et al., 2014 ; Marchau et al., 2019), mais aussi les tensions qu’ils génèrent entre puissances publiques et privées.
Cet axe accueille également des recherches portant sur la gestion des risques naturels et les dynamiques post-catastrophes, qu’il s’agisse de comprendre les stratégies d’adaptation, les processus de résilience territoriale, la reconfiguration des politiques publiques après événement extrême, ou encore la mémoire et la gouvernance du risque (Goeldner-Gianella et al., 2019 ; Moatty et al., 2021 ; d’Avdeew et al., 2025). En regards croisés et dans une perspective diachronique, cet axe est ouvert aux travaux questionnant les stratégies d’adaptation des sociétés passées face aux changements climatiques historiques (Labbé, 2017 ; Degroot, 2018 ; Pfister et Wanner, 2021), dans la mesure où ils peuvent nous éclairer face aux bouleversements que nous vivons aujourd’hui.
Les contributions attendues pourront ainsi porter sur la planification de l’adaptation à différentes échelles spatiales et temporelles, en privilégiant les études sur le long terme ; l’articulation entre rigidité réglementaire et dynamiques environnementales ; l’analyse de la prise en compte de l’incertitude dans les décisions politiques ; les conflits d’usages et d’arbitrages conséquents à une politique d’adaptation ; les innovations institutionnelles et expérimentations d’adaptation ; les stratégies d’adaptation face aux risques naturels et les dynamiques de reconstruction post-catastrophe.
Nous soutenons ici des propositions mobilisant des approches comparatives, des études de cas ou encore des méthodes novatrices pour analyser les capacités et limites des politiques d’adaptation. L’objectif de cet axe est ainsi de nourrir les échanges et débats d’actualité portant sur des modèles de gouvernance, capables de concilier efficacité, équité et soutenabilité (Schlosberg, 2007) dans un contexte de vulnérabilité accrue.
Axe 3 : Face aux bouleversements, les chercheurs·es et leur terrain – perspectives méthodologiques
Dans un contexte mondial marqué par le changement climatique, une recomposition géopolitique des relations internationales, et des crises sociales, le terrain de recherche n’est un espace ni neutre ni stable (Fassin et Bensa, 2008). Il devient le théâtre d’épreuves ou de tensions, où les imprévus ou bouleversements peuvent survenir de manière brutale (Albera, 2001) : un acteur-clé est contraint de quitter son poste ou de se taire, un glissement de terrain vient détruire le lieu d’enquête, un bouleversement politique rend soudainement le terrain inaccessible… Les exemples sont nombreux (Mukherji et al., 2014 ; Moss et al., 2019) et les chercheurs·es se trouvent parfois face à une contradiction. L’injonction à planifier de façon méthodique son terrain, à rendre compte et justifier son protocole de façon de plus en plus poussée se heurte aux imprévus, échappant à son contrôle, et le ou la menant donc à adapter sa méthodologie (van Assche et al., 2023).
La première thématique de cet axe interroge ainsi la manière dont les chercheurs·es composent avec l’imprévu (Phillips et Johns, 2012). Comment poursuivre un travail d’enquête lorsque les repères (humains, paysagers, technologiques, politiques) s’effondrent ? Faut-il suspendre, transformer, ou relire autrement son objet de recherche ? Par l’intermédiaire, par exemple, de retours d’expériences réflexives, les communications pourront mettre en lumière l’importance d’une posture adaptative (De Bruyne et al., 1974) : accepter la perte de contrôle, reconnaître les zones d’ombre, prendre en compte l’affect. L’imprévu n’est alors plus uniquement un obstacle à contourner, mais aussi un élément révélateur des fragilités d’un terrain, des logiques sociales et sociétales à l’œuvre ou encore de l’expérience vécue de la recherche.
La seconde thématique aborde la question du positionnement des chercheurs·ses dans un monde en transformation. Face aux enjeux précédemment évoqués et leurs conséquences éthiques, sociales et environnementales, la segmentation entre observation, engagement et militantisme peut s’affiner (Morelle et Ripoll, 2009 ; Wyart et Fait, 2013 ; Gibard et Winiarski, 2024), au détriment, selon certains, de la distanciation critique (Charaudeau, 2013). Dans les recherches propres à l’adaptation menées aux côtés de communautés vulnérables ou focalisées sur certains mouvements sociaux, les chercheurs·es occupent une place complexe, qu’ils ou elles doivent savoir gérer. Ainsi, l’implication devient un paramètre de recherche : où s’arrêter dans son analyse et sa participation ? Quelles responsabilités quant à l’usage des données produites ou mobilisées ? Qui peut s’en saisir ? Peuvent-elles contribuer à renforcer des systèmes de domination ou au contraire contribuer à les rééquilibrer ?
Modalités de contribution
Réception des propositions de communication (2500 caractères espaces compris) et des propositions de poster (1500 caractères espaces compris) jusqu’au 30 novembre 2025, uniquement par courriel à l’adresse : representantsdoctorants.ed434@gmail.com
21 octobre 2025 : ouverture de l’appel à communication
Fin novembre 2025 : date limite pour la réception des propositions
Courant décembre 2025 : sélection par le comité scientifique
Janvier 2026 : retour aux participant·e·s
25 mars 2026 : journée d’études à l’Institut de Géographie de Paris
Comité scientifique : Jordie Blanc Ansarie (IEDES), David Goeury, (Haute École de Suisse Occidentale de Genève), Matthias Kowasch (Sorbonne Université, UR Médiations), Esmeralda Longépée (Université Panthéon-Sorbonne, PRODIG), Christine Raimond (Université Panthéon-Sorbonne, PRODIG)
Comité d’organisation : Charlotte Briend (UMR Géographie-cités), Keisha Corantin (UMR Prodig), Ines Delépine (UMR Géographie-cités), Laken Ganemtore (UMR Prodig), Noam Greco Monteiro (Laboratoire Médiations), Charlie Hureau (UMR LGP / UMR LSCE), Loïck Le Roy (Laboratoire Médiations), Edouard Ledoux (UMR Géographie-cités), Jeanne Riaudel (UMR Prodig), Aurélien Vaux (UMR LGP)