Le village De Lorimier (1895-1909)

À l’ombre de la grande ville : Le village De Lorimier (1895-1909)

Compte rendu d'Yves Keller de la conférence du mercredi 20 février 2019.

La conférencière Amélie Roy-Bergeron a complété récemment une maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal sous la direction de Dany Fougères. Son mémoire s’intitule Une banlieue tout à fait « fashionable »[i] : De Lorimier, 1895-1909. Elle travaille actuellement à la Société pour la Sauvegarde du Patrimoine de Pointe-Claire tout en poursuivant ses activités de recherchiste en histoire. Elle nous a offert une conférence vivante et soigneusement documentée.

À l’ombre de la grande ville

Dans la 2e moitié du 19e siècle, Montréal est passé de petite ville coloniale à la plus grande ville du Canada, passant d’un peu plus de 100 000 habitants en 1860 à 360 000 en 1925. Le creusement du canal Lachine en 1820, la création d’un centre ferroviaire dans le denier tiers du 19e siècle, l’électrification, qui libère de la dépendance au charbon et n’oblige plus à être proche du fleuve pour avoir accès à cette ressource, développement des transports en commun  et l’essor industriel entrainent une pression démographique et favorisent l’étalement urbain.

Une couronne urbanisée s’est donc progressivement développée « à l’ombre de la grande ville », en particulier au nord de la rue Duluth et à l’est de la rue Fullum. Dans cette couronne, plusieurs municipalités autonomes vont être créées avant d’être annexées l’une après l’autre à la ville de Montréal.

C’est le cas de la municipalité de De Lorimier qui a vu le jour en 1895 et a été annexée en 1909. Le village était situé au nord-est de la Cité de Montréal : ses limites étaient à l’ouest l’avenue Papineau, au nord l’actuel chemin des Carrières, à l’est la rue Iberville, et au sud la limite nord de Montréal, qui passait alors un peu au sud de la rue Rachel.

La Cité de Montréal, la paroisse de Montréal et le secteur où s’est développé De Lorimier, d’après les limites territoriales de 1792

Réalisation : Amélie Roy-Bergeron d’après Dany Fougères, Histoire de Montréal et de sa région, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, coll.« Régions du Québec », n° 21, p.370

À l’origine, De Lorimier fait partie du village rural de Côte-Visitation créé en 1872, où vivent à cette date 47 familles. Les recensements canadiens de 1871 et 1881 confirment l’importance de la culture du sol : près du deux tiers des hommes se déclarent cultivateurs ou garçons de ferme. En 1891 toutefois, le recensement témoigne d’un changement dans la composition sociale de la population du village de la Côte-Visitation qui double, avoisinant alors les mille personnes : de nouveaux métiers font leur apparition, comme des commerçants, des bouchers et des travailleurs de la construction, diminuant la proportion des agriculteurs. Ces nouveaux travailleurs sont nombreux à habiter le long de l’avenue Papineau, surtout entre Mont-Royal et Gauthier, à proximité de l’église paroissiale située au coin des rues Papineau et Rachel, sur l’emplacement de la future église de l’Immaculée conception. La  montée des professions dites « urbaines » marque le début d’urbanisation, avec des réalisations telles que l’installation de canalisation d’égouts, l’entente avec Montréal pour la distribution d’eau, l’ouverture de rues et l’installation de trottoirs. Naît alors une opposition dans la frange plus rurale de la population, qui ne souhaite pas que les fonds publics soient engagés dans de tels projets. Ils s’adressent donc à l’Assemblée nationale en 1894 pour demander la séparation de la portion ouest de Côte-Visitation en deux parties : Petite-Côte, sa portion plus rurale, et De Lorimier, qui pourra assumer sa vocation urbaine. La scission est officialisée le 12 janvier 1895.

Le village De Lorimier

Les prémisses

 Jusqu’en 1895, cette portion ouest de la Côte de la Visitation se développe lentement le long du chemin Papineau qui a été ouvert vers 1810 pour relier la ville de Montréal au chemin de la côte de la Visitation, aujourd’hui le boulevard Rosemont.

La famille Lionais va jouer un rôle significatif dans son développement à cause de l’influence qu’elle a eu sur le style de développement urbain de la municipalité. Les frères Lionais associés à titre d'agents immobiliers, achètent des lots dans le secteur dans une perspective de développement immobilier. Dans la revue Le Prix Courant du 6 décembre 1895 (vol.18, no.14) on peut voir un encart publicitaire  qui annonce la vente de « Terrains à bâtir divisés en 2000 lots de 25 X 100 » en précisant que « les rues De Lorimier, Chaussé et Bordeaux sont plantées d'arbres magnifiques . . . . » et que « la rue Bordeaux longe le Scolasticat des Jésuites et se trouve à 300 pieds de l’église. ». La rue De Lorimier est un exemple de rue attrayante qui favorise la construction de maisons plus luxueuses. Les promoteurs n’ont pas manqué non plus d’offrir gratuitement en 1875 le terrain qui servira à la construction de l'église de l'Immaculée-Conception. 

Les étapes du développement du village

 L’année 1895 voit la création du village De Lorimier. Il compte alors 500 habitants. Les débuts sont difficiles. Entre 1895 et 1899, le pouvoir municipal se met en place, mais les premières années sont marquées par un endettement important  et des « chicanes » qui mènent à la judiciarisation des conflits.

La consécration de l’église de l’Immaculée Conception a lieu en 1898. C’est la 1ère église électrifiée de Montréal. Ce dont les paroissiens ne sont pas peu fiers.

En 1899, Christophe Messier est élu maire du village de De Lorimier.  Avec lui le conseil municipal deviendra plus stable et adoptera une vision à plus long terme. Il sera réélu jusqu’à l’annexion de 1909. En 1907, on baptisera une rue à son nom alors qu’il est encore maire.

L’année 1900  peut être perçue comme une année charnière dans l’évolution du village. Les situations litigieuses sont régularisées, on met fin aux multiples procédures judiciaires (en particulier la guerre des bouchers)[ii],

La même année, un champ de courses hippiques, le parc De Lorimier, est installé  sur un territoire qui correspond aujourd'hui à la partie nord-ouest du parc Baldwin, entre les rues Parthenais, Franchère et Rachel, et l'avenue du Mont-Royal),  (Il sera fermé en 1907 sous la pression des riverains.). Des carrières de pierre sont exploitées: Chabot et Fullum / Saint-Joseph et Laurier. Des usines s’installent amenant leur lot de main d’œuvre : mise en opération de la manufacture de souliers McCready and co sur l’avenue du  Mont-royal en 1902 qui fournira l’armée pendant la guerre et fermera ses portes en 1920.

Sur l’avenue du Mont-Royal, en 1901, est construit un bâtiment multifonctionnel qui sert aussi d’Hôtel de ville – il y a même un enclos de récupération des animaux de ferme égarés avec un tarif pour l’hébergement (parcage). C’est devenu  la caserne des pompiers 26 qui est pratiquement toute démolie après avoir été fermée en 2015 sous prétexte de travaux de rénovation.

On peut souligner certaines dates qui ont marqué le développement du village à partir de 1900 :

Si vous voulez en savoir davantage, vous pouvez avoir accès au mémoire d’Amélie Roy-Bergeron sur le sujet en suivant ce lien : https://archipel.uqam.ca/12141/

[i] Qualificatif utilisé à l’époque  pour qualifier cette banlieue qui se voulait de bon ton et à la mode.

[ii] La guerre des bouchers : en 1881 : Montréal interdit l’abattage à Montréal : les abattoirs vont aller s’établir dans la couronne de la ville, mais en 1885, le village De Lorimier interdit aussi l’abattage. Cette Guerre des bouchers prendra fin en 1899 quand une entente est signée par le maire Christophe Messier.

De Lorimier et le développement de sa trame de rues: 1895-1908

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, A.R. Pinsonneault, Atlas of the Island and City of Montreal and Ile Bizard, 1907 ; Archives de Montréal, Fonds Village de Lorimier (P4), Procèsverbaux, P4-A-1. Réalisation : Amélie Roy-Bergeron