2 - GUERRE ET RESISTANCE

A la mobilisation générale de septembre 1939, Marcel Hénaux rejoint l'Intendance des étapes le 3 septembre 1939.

Il est démobilisé à La Réole (Gironde) le 1er août 1940 et rentre à Lille après l'armistice.

2.1 Action clandestine

Marcel Hénaux s'engage tôt dans la résistance, d'abord en diffusant les premiers journaux clandestins comme La Voix du Nord et Témoignage Chrétien, et participe aux activités de plusieurs réseaux sous le pseudonyme de Christian.

Membre du mouvement La Voix du Nord et du « groupe de l'Abattoir » du réseau Sylvestre Farmer- WO, création du S.O.E. (1), il sert dans les Forces Françaises Combattantes au titre du réseau Gloria du 1° janvier au 31 décembre 1942, puis fait partie en qualité d’agent P1 du réseau Sylvestre Farmer (Buckmaster) du 1er janvier 1943 au 31 mai 1944.(2)

Dans ce même réseau, du 1er au 20 juin 1944, il est agent permanent P 2. Le grade de lieutenant a été homologué pendant la durée de cette dernière mission (3).

Devenu membre du Comité de la Résistance, il assure aussi des missions pour l'Organisation Civile et Militaire (O.C.M).

Il est à tous les carrefours de l'action résistante. Commandant du groupement « résistance », co-fondateur du Mouvement Nord-Pas-de-Calais des Résistants d'inspiration chrétienne, il assure le secrétariat général de l'organisation clandestine qui deviendra à la Libération le M.R.P.

On le retrouve aussi chargé de mettre en œuvre la politique dictée par Jean Moulin : en septembre 1943, il est à Valenciennes où, en tant que membre du comité départemental représentant Alger, il met sur pied un comité d'arrondissement où sont représentés le Front National, Libération Nord socialiste, le Parti communiste et la confrérie Saint Jacques (4).

Lorsque à Lille est créé le Comité Départemental de la Libération qui regroupe les résistants et donne une cohésion à leurs actions, Marcel Hénaux y représente les démocrates chrétiens et, vite apprécié par les différents chefs des mouvements de résistance, en devient le secrétaire. Son dynamisme est reconnu de tous.

2.2 Arrestation

Marcel Hénaux mène son activité de résistant tout en poursuivant sa carrière d'avocat au barreau de Lille.

Il s'y fait remarquer surtout par sa modestie professionnelle et personne, parmi ses confrères, ne semble avoir eu connaissance de son activité dans la Résistance, tant il est réservé : prudence oblige. Soucieux de préserver sa famille, il se livre très peu.

Pourtant il n'en a pas moins attiré l'attention de la police secrète allemande, sans doute du fait de la trahison d'un membre du réseau Voix du Nord, à l'origine d'une vague d'arrestations en 1943 (5).

Le 21 juin 1944, la Gestapo le capture dans un guet-apens. Amené à la prison de Loos en juillet, il fait connaissance avec les salles de torture de la Gestapo au Café de la Rotonde à La Madeleine. Malgré la souffrance, il ne parle pas (6).

2.3 La déportation

Condamné à la déportation, il est chargé le 1er septembre 1944 dans le sinistre « train de Loos », qui vide la prison de Loos de ses prisonniers politiques ; très peu de ces déportés rentreront vivants à la fin de la guerre.

Sa foi dans la proche liberté est si forte qu'au départ du train à Tourcoing, il entonne le chant « Ce n'est qu'un au revoir, mes frères » repris par tous dans le wagon, bientôt suivi de « La Marseillaise ».

Les « dames de la Croix Rouge », prévenues par le chef de gare français, autorisées à s’avancer vers le convoi, distribuent des vivres et des cigarettes avant que les détenus n’embarquent ; bien peu en bénéficieront.

Déjouant la surveillance des gardes, elles s’efforcent en outre de recueillir des messages pour les familles, griffonnés à la va-vite ; on ignore si Marcel Hénaux a été d’une manière ou d’une autre empêché d’écrire ou si son éventuel message a été -comme d’autres- intercepté par les gardes (7).

Le train se dirige d’abord vers la Belgique et remonte jusqu’en Hollande avant de redescendre vers la Rhénanie.

Les conditions du voyage sont très difficiles : les détenus, entassés à raison de 80 ou 90 par wagon à bestiaux, ne peuvent « s'allonger ni même s'asseoir en étendant les jambes ». Au bout de quelques heures, « on enregistre les premières crises d'angoisse ».

Il n’y a pas d’eau à bord et les organismes sont déshydratés. Dans les wagons de queue qui ont servi à transporter de la chaux et du ciment et très mal nettoyés, la poussière fait tousser et accroît la soif.

La chaleur est suffocante ; les wagons n'ont pour toute aération que de petites lucarnes grillagées et des bousculades se produisent pour y accéder. « L’odeur est pestilentielle » : hormis quelques boîtes de conserve, « rien n’a été prévu pour les besoins naturels ».

La nuit, « les effets de la fatigue musculaire se font sentir et les détenus s'empilent les uns sur les autres » (8).

2.4 Les camps

Pendant ce long et tragique voyage qui conduit les déportés à Mülheim (Rhénanie du Nord), puis au camp de concentration de Sachsenhausen, Marcel Hénaux soutient constamment le moral de ses compagnons.

Il chante un poème de sa composition, écrit à Loos, et son refrain retenu par tous scandera le pénible périple: « La Liberté viendra mes frères - La Liberté viendra. Et tous nous resterons des frères - Quand ce beau jour luira».

Son énergie lui vaut de la part de ses compagnons le qualificatif d'inoxydable (9).

De Sachsenhausen -matricule 101716- il est transféré le 5 octobre 1944 à Köchendorf connu pour ses mines de sel -matricule 33703- puis, devant l’avancée des troupes russes, à Dachau le 8 avril 1945- matricule 150861 (10) .

Les déportés épuisés par le froid, la faim, les mauvais traitements et le labeur inhumain dans la mine accomplissent à pied cet ultime parcours de 269 km avec pour toute nourriture quatre pommes de terre et cinq cent grammes de pain.

2.5 La fin

Sans l'aide de ses compagnons, Marcel Hénaux ne serait pas arrivé au camp.

Epuisé par la dysenterie, il meurt à l’ « infirmerie » du camp de Dachau le 15 avril 1945(11).

A cette date, les fours crématoires ne fonctionnent plus par manque de charbon. Les morts sont jetés dans des fosses communes.

Sur les 871 hommes partis de Tourcoing le 1° septembre 1944, seuls 275 ont survécu à la déportation.

Plusieurs mois plus tard, sa femme reçoit la montre qu’il portait lors de son arrestation : celle-là même que son frère Henri avait sur lui au moment de sa mort, lors de la première guerre.

2.6 Ironie du sort

On apprendra après la libération - lors du procès à Douai - que celui qui a dénoncé le réseau à la Gestapo en 1944 n’est autre que Guillaume Schepers, qui a grandi lui aussi à Fruges au début du siècle, à quelques centaines de mètres de la famille Hénaux.

Enfant naturel, né d’un père allemand, il avait été placé là par l’Assistance Publique chez une nourrice, Marie Lefebvre-Morel dont le mari Ernest était maréchal-ferrant.

A l’issue du procès, Schepers fut condamné à mort et fusillé.

Le kapo qu’on peut tenir pour responsable direct de la mort de Marcel Hénaux a voyagé dans le même train que lui.

De nationalité polonaise, arrivé en France à l’âge de cinq ans, Casimir Czarnecki (1925-1990) a travaillé aux mines de Drocourt et Rouvroy (Pas-de-Calais) avant de se faire embaucher par une firme allemande.

Détenu en 1944 pour des raisons non précisées, il a été embarqué dans le train de Loos et connu le même périple, de camp en camp.

Devenu kapo, il s’est acharné sur les intellectuels français, particulièrement Marcel Hénaux.

A la libération du camp de Dachau en avril 45, il est battu par les détenus mais parvient à s'échapper et rentre dans le Pas-de-Calais .

La justice militaire le rattrape en 1951 : condamné à mort, il est gracié après huit années de détention(12).