Paris
Libraire Générale des Sciences Occultes
Chacornac Frères
11. Quai Saint-Michel, 11 1927
AVANT – PROPOS
Le personnage dont je vais raconteur la vie étrange et tourmentée a été présente sous deux aspects absolument opposes.
Tous les lecteurs du celebre roman de J.K. Huysmans : Là-bas, se souviennent de l’extraordinaire << docteur Johannes >> qui vivait très retire, a Lyon, attendant la prochaine venue du Paraclet, qu’il annonçait, et occupait ses loisirs à guérir les maladies atteints par les maléfices.
<< C’est un très intelligent et très savant prêtre. Il a été supérieur de communauté et il a dirige, a Paris même, la seule revue qui ait jamais été mystique. Il fut aussi un théologien consulte, un maitre reconnu de la jurisprudence divine >>. Ainsi s’exprime Huysmans.
Parmi les occultistes, Stanislas de Guaita tient un tout autre langage. Dans un chapitre du Temple de Satan, il traite tout au long des doctrines bizarres d’un sorier modern qu’il désigne sous le nom de Jean-Baptiste, <<Pontife d’infamie, basse idole de la Sodome mystique, goétien de la pire espèce, homme misérable et criminel, sorcier et fauteur d’une secte immonde >>, un homme qui suscite ainsi des jugements aussi contradictoires mérite qu’on arrête quelque peu sur lui son attention, qu’on examine de prés sa vie et ses idées
Ce << très savant prêtre >>, selon Huysmans ; ce <<Pontife d’infamie>> selon Stanislas de Guaita, s’appelait de son véritable nom l’abbé Boullan. Ayant eu l’occasion de l’approcher au cours de ma carrier d’occultiste, ayant beaucoup connu des personnes qui vécurent dans son intimité ; possesseur enfin de nombreux documents sur son compte, puises dans les archives du Carmel d’Eugene Vintras, auquel il prétendait indument se rattacher, je m’efforcerai ; dans les pages qui vont suivre, de présenter cet étrange personnage, et de fixer d’une manière aussi exacte que possible la curieuse physionomie de ce prêtre, a la fois mystique et magicien, qui suscita vers la fin du XIX siècle des duels et des polémiques ont l’écho n’est pas encore complètement éteint.
L’abbé Boullan
Chapitre Premier
L’abbé Boullan, prêtre Romain.
Joseph-Antoine Boullan est ne le 18 février 1824, a Saint-Porquier, une petite ville du Tarn-et-Garonne. Il était fils de Barthelemy Boullan et de Marie Domini. Sa mère était, dit-on, d’origine italienne.
Nous ne savons rien de particulier concernant sa jeunesse. Se destinant au carrier ecclésiastique il fut, au sortir do petit séminaire, envoyé a Rome pour y faire ses études théologiques. Il y passa brillamment son doctorat en théologie.
Peu âpres, il entra dans la Congrégation des missionnaires du Précieux-Sang, fondée en aout 1815, a Giano, en Italie, par le vénérable Gaspard del Buffalo. Il fut envoyé, vers la fin de l’année 1850, dans la maison Saint-Paul, que la Congrégation venait d’établir a Albano. Il y resta une partie de l’année 1851, au cours de laquelle il prit part à plusieurs missions en Italie.
Selon l’usage adopte alors par les missionnaires du Précieux-Sang, le Directeur de la Mission, âpres avoir prêche aux fideles la nécessite de la pénitence, annonçait, à la fin de la prédication, que, pour donner l’exemple, les missionnaires allaient faire eux-mêmes pénitence pour le peuple. Une procession était organisée, et, a la vue de tout le peuple, les missionnaires, armes d’une pesante discipline de fer, se frappaient sur les épaules, avec parfois un tel excès, qu’ils étaient sur le point de succomber.
Plus tard, l’abbé Boullan ne parlait jamais sans émotion de ces flagellations sanglantes, auxquelles il avait pris part, pendant lesquelles, disait-il, il était prés de rendre l’âme, et qu’il fallait néanmoins recommencer à plusieurs reprises, car c’était au milieu d’une procession.
Il assurait, d’ailleurs, qu’il avait bien souvent vu la mission rester infructueuse jusqu’au jour ou les missionnaires, au cours d’une procession solennelle pratiquaient la flagellation.
De retour en France, vers la fin de 1851, nous le trouvons, en 1853, missionnaire de la Congrégation du Précieux-Sang, aux Trois-Epis, en Alsace.
Des cette époque, il s’intéressait particulièrement aux études mystiques, et, en novembre 1853, il faisait paraitre une traduction de la Vie divine de la Sainte-Vierge, du Père Bonaventure Amedeo de Caesare, extraite de la Cite Mystique de Marie d’Agreda (1)
(1) Vie divine de la Très Sante Vierge Marie, ou Agrège de la Cite mystique, d’âpres Marie de Jésus d’Agreda ; par le P. Bonaventure de Caesare, M.C. consulteur, de la Sacrée congrégation romaine de l’Index ; traduite et augmentée d’une notice per l’abbé Joseph-Antoine Boullan, docteur en théologie. Paris, Lecoffre, éditeur, 1854. Une second édition et parue en 1858.
Cet ouvrage lui valut des son apparition de très vives tribulations de la part de hautes personnalités ecclésiastiques, qui cherchaient à discréditer ce livre et allèrent, pour en arrêter la diffusion parmi les fideles, jusqu’à en défendre la lecture, le prétendant nuisible au salut des âmes. Il fallut l’intervention de la charge d’affaires du Saint-Siège en France pour faire cesser cette opposition.
Le but poursuivi par l’abbé Boullan, en publiant cet ouvrage, était, ainsi qu’il l’explique lui-même dans l’importante Notice sur les Œuvres de la Vénérable Marie de Jésus d’Agreda, placée en tête de son livre, d’appeler l’attention des prêtres et les engager a étudier les merveilles de la Mystique chrétienne << en face des phénomes du Magnétisme et du neo-Spiritualisme qui fait irruption dans le monde >>.
<<Il y a, écrivait-il, des dons divins et surnaturels si merveilleux que, si toute l’autorité des saints-docteurs et celle de L’Eglise ne les affirmaient absolument, on se sentirait porte a les révoquer en doute. Mais le doute n’est permis qu’a l’ignorance et a la mauvaise foi, et l’une et l’autre ne justifient pas l’homme au tribunal de la conscience, ni des lors au tribunal de Dieu.
<< Le Dieu des miséricordes accorde a des âmes le privilège connu sous le nom de paroles claires, distinctes et formelles, ou locutions surnaturelles : c’est-a-dire que Dieu consent à parler a une personne, soit directement, soit immédiatement, comme il arrive en certains cas ; soit par le ministère des anges, comme il et plus ordinaire. D’autres fois, c’est Notre-Seigneur, c’est l’auguste Mère de Dieu, et même, dans des circonstances plus rares, les saints, qui consentent a parler a des âmes élevées a un état particulier de contemplation >>.
Apres avoir fait remarquer que ceux qui entendent ces paroles surnaturelles et célestes voient parfois les personnages qui les prononcent sous des formes corporelles, l’abbé Boullan ajoutait : << Le peu de choses que nous avons dit suffira pour appeler l’attention des prêtres et les engager a étudier a fond ces merveilles de la grâce, en face des phénomènes du magnétisme et du neo-spiritualisme qui fait irruption dans la monde, ils comprendront mieux la vérité et l’erreur et ils discerneront clairement le piège que l’ennemi des le commencement, l’ange des ténèbres, s’efforce de tendre aux hommes, en les entrainant, ou dans la négation de ce qui est surnaturel, ou dans le grossiers tromperies ou il amène les malheureux adeptes de ses ténébreuses doctrines (1) >>
(1) notice, pp. 19-20
On voit ainsi clairement le but que poursuivait l’abbé Boullan : opposer aux phénomènes du magnétisme et du spiritisme ceux de la Mystique chrétienne.
En même temps que la Vie divine de la Très Sainte Vierge Marie paraissait, toujours d’âpres la Cite Mystique de Marie d’Agreda, la Vie admirable du glorieux patriarche Saint-Joseph, suivie de la Vie de la Vénérable Mère Marie de Jésus d’Agreda (1)
1. Vie admirable du glorieux patriarche Saint-Joseph, d’âpres la Cite Mystique avec une introduction des sentiments de M. Olier sur la dévotion a Saint-Joseph, et en appendice la Vie de la Vénérable Mère Marie de Jésus d’Agreda, Paris, Lecoffre, 1853
2. In 16. Paris, Coursier 1855, en cette même année 1855, l’Université Catholique, no. De Mars) publiait l’examen de l’ouvrage intitule : << Institutiones theologicae ad usum Seminarii Tolosani, par l’abbé Boullan (Tire a part, in-8, 16 pages, Nantes, 1855).
1. In-8. Paris, Jacques Lecoffre, éditeur, 1856.
2. Paris et Lyon, Jacques Lecoffre et ancienne Maison Périsse frères, in-16, 204 pages, 1857.
Dans le courant de l’année 1854, l’abbé Boullan fit un assez long séjour à Paris. Il habitait une petite chambre dépendante du Monastère des religieuses de L’Adoration Réparatrice, qui était alors établi, 12, rue des Ursulines. La fondatrice de la Congrégation, Mère Marie-Thérèse l’avait mande pour l’entretenir de ses projets de fondation d’une branche de religieux de l’Adoration Réparatrice. Magret tous les efforts de Mère Marie-Thérèse, il ne fut pas donne suite a ses projets.
L’abbé Boullan était devenu supérieur de la maison des Trois-Epis quand il publia, en 1855, traduit de l’italien, l’ouvrage de Dom Luigi Navaro, intitule : Explications des Saintes Ecritures, par une servante de Dieu (Sœur Marie-Louise, de Naples), contenant l’Apocalypse de l’apôtre saint Jean, avec le texte sacre de la Vulgate et la version française (2) .
L’année suivante, il faisait paraitre, a Paris, une notice sur l’abbé René-François Rohrbacher (1) ; mais a cette époque il n’était plus missionnaire du Précieux-Sang. Il habitait Paris, et il était prêtre libre. Enfin, en novembre 1856, il achevait la traduction des Gloires du Sacerdoce, ses obligations et ses maux, extrait des révélations authentiques de Sainte Brigitte, avec des explications importantes, d’âpres le R. P. Antonio Natali, de la Compagnie de Jésus (2).
L’abbé Boullan, on le voit, était surtout préoccupe par le surnaturel, les révélations et les faits merveilleux.
* *
En 1856, l’abbé Boullan avait eu à s’occuper d’une religieuse de la Congrégation de Saint-Thomas de Villeneuve, a Soissons, la sœur Adèle Chevalier, qui avait des visions et recevait des révélations.
Cette religieuse racontait que, frappée de cécité et d’une congestion pulmonaire, abandonnée par tous les médecins, elle avait été miraculeusement guérie, au mois de janvier 1854, grâce à l’intercession de Notre-Dame de la Salette. Elle était alors sœur postulante chez les religieuses de saint Thomas de Villeneuve.
La nouvelle s’en était rapidement répandue dans tout le diocèse, et l’évêque de Soissons avait délègue son Vicaire général pour procéder a une enquête. Les conclusions du rapport rédige par cet ecclésiastique étaient nettes et précises : << Apres avoir murement réfléchi sur les circonstances dans lesquelles Adèle Chevalier a obtenu le recouvrement de la vue et la guérison pulmonaire qui s’était présentée avec des caractères de gravite si alarmants, je n’hésite pas a croire a une intervention surnaturelle de la mère de Dieu >>
A partir de cette époque, la sœur Chevalier affirma qu’elle ne cessait d’être inspirée de la grâce divine, qu’elle était en communication avec la Vierge, dont elle recevait fréquemment des révélations par une voix mystérieuse.
En 1856, elle quitta la Congrégation des sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve pour se rendre a Notre-Dame de la Salette, ou l’appelaient, disait-elle, des voix surnaturelles.
L’es Peres de la Salette examinèrent son état et en furent si frappes qu’ils demandèrent a Mgr Ginoulhiac, évêque de Grenoble, l’autorisation de la mettre sous la direction de l’abbé Boullan, dont la science théologique leur était, disaient-ils, bien connue.
Des les premiers jours, l’abbé Boullan eut foi dans l’état surnaturel de sa pénitente, et fut convaincu de la vérité de ses révélations. Il conclut au miracle.
En juillet 1857, la sœur Chevalier publia des révélations sous le titre de : Cri de salut (1), mais sous le voile de ‘l’anonymat.
(( 1 – Reproduit par l’abbé Curicque dans: Voix Prophétiques, tome II, pp 466-470, Paris, 1872 ))
Il était dit dans cette révélation << qu’il y a une dose de réparation qui doit être acquittée par des âmes justes, par des victimes innocentes, par des âmes en état de grâce >>. Ce fut le point de départ d’une œuvre de la Réparation des âmes, qu’Adèle s’efforça d’organier sous la direction de l’abbé Boullan. Il se mit aussitôt a quêter pour recueillir les fonds nécessaires a la construction d’une église et d’une maison ou s’assembleraient les âmes réparatrices.
C’est sous l’influence des révélations de la sœur Chevalier qu’il publia, en 1857, un ouvrage ayant pour titre : La Véritable Réparation, ou l’âme réparatrice par les saintes larmes de Jésus et de Marie, dans lequel il disait que << le ciel demande pour nous sauver des prières réparatrices faites dans les Eglises par le clergé et les fideles >> L’ouvrage eut beaucoup de succès et les éditions se succédèrent.
Au cours de ses voyages, il rencontra vers la fin de 1857, a Millau, une institutrice privée, Mlle Marie-Madelaine Roche qui était, depuis 1847, l’apôtre infatigable de l’œuvre réparatrice des blasphèmes et de la violation du dimanche, établie a Saint-Dizier (Haute-Marne). Si l’on en croit son biographe, l’abbé Carrie, Mlle Roche était une mystique de valeur (1) Elle avait reçu le don de discernement des esprits et avait des intuitions qui lui permettaient parfois d’annoncer l’avenir. Depuis plusieurs années, elle s’appliquait a faire connaitre l’œuvre réparatrice dans la ville et dans la région.
Lorsqu’elle rencontra l’abbé Boullan, elle ne manqua pas de lui parler de l’œuvre qui lui tenait tant a cœur. Des relations s’établirent entre eux pour l’extension de cette œuvre.
Le directeur de l’œuvre réparatrice de Saint-Dizier, que M’elle Roche avait consulte, l’engagea à se confier a l’abbé Boullan : << C’est un prêtre savant, pieux, lui dit-il ; vous pouvez en toute conscience suivre ses inspirations >>.
Boullan l’engagea à venir à Paris pour qu’il pût examiner a fond la voie extraordinaire de la réparatrice de Millau. Mlle roche y alla, pris logement dans un couvent de la capitale et y demeura un mois entier.
L’abbé Boullan l’étudia attentivement, ne vit aucune erreur dans ses écrits et eut entièrement confiance dans sa mission de réparatrice.
Toutefois, il lui dit qu’avant de fonder l’œuvre, il fallait en référer à Rome, et il engagea Mlle Roche a s’y rendre, se chargeant lui-même de l’accompagner. Au mois de septembre 1858,
(1) Biographie de Marie-Madelaine Roche (1810-1880), par l’abbé J. Carrie. Rodez, 1910.
Il écrivit a Mlle Roche, qu’allant a Rome, il passerait a Millau pour l’y prendre. Ils se présentèrent tous deux a l’évêque de Rodez pour expliquer a l’évêque le but de leur voyage. L’évêque leur remit une lettre de recommandation. Arrives a Rome, Mlle Roche obtint de Pie IX, une audience privée, dont elle sortit de plus en plus confirmée dans sa mission.
Revenu à Paris, l’abbé retrouva la sœur Chevalier et reprit sa direction. Conformément aux révélations qu’elle disait avoir reçu de la Vierge, Adèle Chevalier avait fonde l’œuvre de la Réparation des âmes, dans laquelle elle groupait des âmes réparatrices. Les règles de la nouvelle Œuvre avaient été écrites par la sœur sous la dictée divine.
D’accord avec son directeur, elle installa l’Œuvre à Bellevue, dans le département de Seine-et-Oise, avec l’approbation de plusieurs prélats hauts placés.
A cette époque, en 1859, l’abbé Boullan habitait a Sèvres, 14, avenue de Bellevue, et il avait fonde une Revue intitulée : Annales du Sacerdoce, Journal de la Réparation et de l’Œuvre des Missions, qui s’occupait de théologie mystique, et de ramener les chrétiens d’Orient a l’Eglise romaine. La revue paraissait trois fois par mois.
Bientôt, on signala dans l’intérieur de la communauté des pratiques bizarres. L’abbé Boullan y guérissait, par des procèdes étranges, les maladies diaboliques, dont auraient été atteintes les religieuses.
Dans un ouvrage de M. Charles Sauvestre : Les Congrégations religieuses dévoilées, j’ai trouve de curieux renseignements sur notre abbé et ses étranges médications : << Une des sœurs étant tourmentée par le démon, l’abbé B., pour l’exorciser, lui crachait dans la bouche ; a une autre, il faisait boire de son urine mélangée a celle de la fille Chevalier, que les sœurs avaient ordre de ne jamais jeter ; a une troisième, il ordonnait des cataplasmes de matières fécales. J’en passe de plus étranges encore, et que la plume qui se respecterait le moins se refuserait à reproduire (1) >>
De plus, des ecclésiastiques écrivaient a l’abbé Boullan et a la sœur Chevalier pour leur demander — moyennant finances — comment ils pourraient se concilier la faveur de la sainte Vierge ; des femmes du monde les consultaient sur des cas de conscience incroyables.
Il y eut bientôt, auprès de l’évêque de Versailles, des plaintes nombreuses. Si l’on s’en rapporte aux documents judiciaires recueillis par M. Sauveté, une instruction fut ouverte contre l’abbé Boullan et la sœur Chevalier, accuses d’escroquerie et d’outrage public a la pudeur. Sur ce dernier chef, la chambre des appels correctionnels a Paris aurait rendu, en juillet 1865, une ordonnance de non-lieu, ne retenant que
(1) Charles Sauvestre : Les congrégations religieuses dévoilées, page 118. (Paris, Dentu, 1879.)
l’escroquerie, pour laquelle ils auraient été condamnes a trois ans de prison.
Je dois à la vérité de dire que je n’ai pu trouver trace de cette condamnation pour escroquerie, à la date indiquée par M. Sauvestre (1) Peut-être y a-t-il une erreur de date.
Quoi qu’il en soit, l’abbé Boullan écrira, plus tard, qu’en 1867, étant << sous le poids d’une épreuve terrible >> il alla faire une retraite au célèbre monastère bénédictin de la Pierre qui Vire, et c’est au pied de la statue de la Vierge << érigée sur l’antique pierre qui servait jadis aux invocations des démons >>, qu’il trouva le secours dont il avait besoin.
L’année suivante, il résolut, afin de connaitre les desseins de Dieu sur sa vocation et l’œuvre de la divine Réparation, d’aller a Rome, en pèlerinage, au tombeau des saints Apôtres et aux divers sanctuaires de la Ville sante. De la, il se rendit a Notre-Dame de Lorette, et de Lorette a Assise, pour recevoir la bénédiction du glorieux patriarche d’Assise, dans la célèbre église de Notre-Dame des Anges.
C’est a Rome qu’il conçut le projet de la fondation d’une revue destinée a mettre en lumière les saints du XIX siècle.
(1) M. Sauvestre donne comme référence l’Indépendance belge. J’ai parcouru tous les numéros du mois de juillet 1865 de ce journal, qui a une rubrique spéciale pour les tribunaux, mais n’ai rien trouve concernant l’abbé Boullan. Je n’ai pas été plus heureux en consultant attentivement à la Bibliothèque Nationale les deux gros volumes de la Gazette des Tribunaux, de 1865.
Il en rédigea le programme, en traça la plan qu’il exposa, a son retour a Paris, dans un groupe de religieux, et le 1er janvier 1870 paraissait le premier numéro des Annales de la sainteté au XIXe siècle.
* * *
Les Annales de la sainteté constituaient en quelque sorte un répertoire biographique des Saints, des Bienheureux et des Vénérables qui avaient vécu et étaient morts dans le courant du XIXe siècle. Ces biographies étaient établies d’âpres les actes des procès apostoliques pour la béatification.
L’abbé Boullan en était le principal collaborateur. Il travaillerait aussi à propager le culte de la Sainte Vierge et de saint Joseph, et, en mars 1870, il publia a Paris : La Très Sainte Vierge fondatrice, en Jésus-Christ, de la Sainte Eglise (in-8, de 96 pages).
Pendant le Concile du Vatican, il fut délègue a Rome, comme chroniqueur du Concile pour le Rosier de Marie, journal religieux fonde par l’abbé Pillon.
Rentre de nouveau à Paris, il devint a partir du 1er janvier 1872, propriétaire-gérant et rédacteur en chef des Annales de la sainteté au XIXe siècle (1).
(1) Les bureaux étaient 77, rue de Vaugirard, au domicile de l’abbé Boullan.
Toujours préoccupe de mysticisme, il y publie des articles sur les événements de Pontmain ; et, détail curieux, il mène une ardente campagne en faveur de l’introduction a Rome de la cause de béatification du cure d’Ars, pour lequel il avait une vénération particulière.
Mais sa principale préoccupation et l’idée réparatrice, et il annonce que les Annales de la sainteté out reçu du ciel une mission, celle de faire connaitre l’œuvre de Marie, qu’il a fondée en 1869, et qui est une nouvelle forme de la divine Réparation. Cette œuvre est désignée à faire triompher l’église et a sauver le monde, au milieu de la décadence de la foi.
Non seulement, disait l’abbé Boullan, nous devons souffrir une part de souffrance pour nous, mais il nous est aussi permis de souffrir en faveur des autres, parce que nous sommes les membres du corps mystique du Sauveur, et les membres du membre qui constitue le corps divin du Christ.
<< L’heure est venue ou le ciel veut révéler à la terre les mystères de la Sainte Hostie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par quelles souffrances de l’âme et du corps le Sauveur a opère la rédemption du genre humain… Il doit exister un Ordre religieux qui se proposera ce but, et l’heure est favorable pour faire connaitre quelque chose de ce qu’il a plu au ciel de nous dévoiler, concernant ces mystères… >>
Et l’abbé Boullan explique qu’il y a plusieurs degrés dans L’œuvre de Réparation. Le premier degré consiste a souffrir les maux de tout genre dans le corps physique, maux qui échappent a toutes les investigations de la science, et que l’art humain est impuissant a guérir. Il est d’une grande importance, dit-il, de faire observer qu’il ne faut pas confondre ces maladies mystérieuses avec les maux diaboliques qui ont pour cause les maléfices dont les suppôts des démons sont les auteurs. A l’extérieur, ces maladies ont des caractères qui les rendent semblables, mais aux yeux de ceux qui ont la lumière de la science, il y a une différence complète. Il est vrai que, dans les deux cas, l’art humain de la médecine est impuissant, mais cela ne suffit pas à les confondre.
<< Les maladies diaboliques qui ont leur source dans un maléfice doivent être guéries ; et cela se peut par ceux qui ont reçu de Dieu un pouvoir spirituel sur les démons et sur les maux dont ils sont la source. Il a plu a Dieu de nous faire connaitre les maux de ce genre, de les discerner des autres maladies, et quiconque connait ces maux doit s’efforcer de les guérir ; c’est ce que nous avons fait, et quelquefois avec succès (1) >>.
A l’égard des maladies qui résultent de ce qu’on s’est constitue victime, qui ont leur origine dans l’acceptation volontaire, il ne faut pas le guérir, disait l’abbé Boullan, mais il convient de les restreindre dans de justes limites, afin que les âmes ne soient pas écrasées sous le poids de leur
(1) Annales de la sainteté. Avril 1873, p. 315.
fardeau. Il y a un don, ou plutôt un pouvoir accorde pour venir en aide aux âmes qui son dans cet état ; << Nous le savons, il y a à l’heure présente dans le monde une quantité immense de maléfices. Mais il y a aussi, soit dans le cloitres, soit au sein des familles, un nombre considérable d’âmes affligées de maladies d’une origine mystérieuse, et qui n’ont d’autre cause qu’un état de substitution >>
Un autre degré de Réparation consiste, non seulement a accepter la maladie qui est le châtiment du péché, mais a subir le poids lui-même du péché dans son âme, du péché commis par d’autres.
Enfin, les âmes réparatrices peuvent s’associer pour ce combat contre les esprits de l’abime. Cette lutte, disait l’abbé Boullan, est << pénible, difficile, et rude au delà de toute expression >> et ce n’est que par l’association de âmes pour lutter contre les esprits d’iniquité qu’il est permis de vaincre en ces cas.
C’est dans ce but, et en vertu d’un ordre céleste, disait-il, qu’il préconisait un nouvel Ordre religieux de la divine Réparation ou œuvre de Marie, qui devait être un ordre divise en deux grandes branches : l’une comprenant les membres voues a la vie active, et l’autre ceux qui se consacraient a la vie contemplative. Chaque branche devait comprendre les religieux et des religieuses lies à Dieu par les vœux de religion. Il devait aussi y avoir, outre ces deux branches, des tertiaires pour les personnes vivant dans le monde.
L’ œuvre de Marie se rattachait au secret de la Salette. Elle était destinée a faire triompher l’église, et a sauver le monde au milieu de la décadence de la foi. Ses membres, qui devaient prendre le nom d’apôtres de Marie, recevraient du ciel les dons les plus merveilleux et participeraient aux pouvoirs thaumaturgiques.
Telle était l’œuvre préconisée par l’abbé Boullan, et plusieurs personnes pieuses répondirent à son appel.
Le 8 avril 1873, il adressa au Pape Pie IX une supplique pour exposer le dessein que la terre entière soit consacrée par un acte solennel au Sacré-Cœur de Jésus et au Cœur immaculé de Marie.
En septembre 1874, il crut devoir aller lui-même à Rome pour parler en faveur de sa pétition. A cet effet, il visita les grands théologiens, avec lesquels il avait jadis été en relation, a l’époque du Concile du Vatican.
Il avait également un autre but : celui de demander au Pontife d’accorder sa bénédiction a sa revue : Les Annales de la sainteté, qu’il lui soumettait. Il espérait, par ce moyen, contrebalancer efficacement l’influence hostile de certains évêques, et notamment de l’Archevêque de Paris, qui avait cru devoir prévenir son clergé << contre de prétendues révélations qui portaient le trouble et la crainte chez bien des personnes, et surtout contre les Annales de la sainteté au XIXe siècle >>.
L’abbé Boullan était alors très préoccupe de la magie qui s’exerçait au sein des sociétés secrètes, et il disait connaitre un remède divin a ce grand mal. De plus en plus, il était en relation avec des voyantes et des voyants. Il pratiquait les exorcismes en faveur des personnes obsédées, et s’appliquait aux guérisons miraculeuses des malades. Au début de l’année 1875, il avait guéri une épileptique au moyen d’une relique de la robe sans couture du christ conservée à Argenteuil. Mande a l’Archevêque de Paris pour s’expliquer a ce sujet, il fut frappe d’interdit par le cardinal Guibert, des qu’il lui eut expose comment il opérait pour obtenir ses cures miraculeuses.
M. J-K Huysmans a place dans la bouche d’un des personnages de son livre : Là-bas, le récit de cette entrevue de l’abbé Boullan avec l’Archevêque de Paris :
<< Ah ! je me souviens de la dernière fois que je le vis, comme si c’était hier ! Je le rencontrai, rue de Grenelle, sortant de l’Archevêque, le jour ou, âpres une scène qu’il me raconta, il quitta l’église. Je revois ce prêtre, marchant avec moi, le long du boulevard désert des Invalides. Il était blême et sa voix défaite, mais solennelle, tremblait.
<< Il avait été requis et on le sommait de s’expliquer sur le cas d’une épileptique qu’il disait avoir guérie, a l’aide d’une relique, de la robe sans couture du Christ, conservée a Argenteuil. Le Cardinal, assiste de deux grands vicaires, l’écoutait, debout.
<< Quand il eut termine et qu’il eut en outre fourni les renseignements qu’on lui réclamait sur ses cures des sortilèges, le Cardinal Guibert dit :
<< – Vois feriez mieux d’aller a la Trappe !
<< Et je me rappelle, mot pour mot, sa réponse “
<< – Si j’ai viole les lois de l’église, je suis prêt a subir la peine de ma faute ; si vous me croyez coupable, faites un jugement canonique et je l’exécuterai, je le jure sur mon honneur sacerdotal ; mais je veux un jugement régulier, car, en droit, personne n’est tenu de se condamner soi-même, nemo se tradere tenetur, dit le Corpus Juris canonici >>
<< Il y avait un numéro de sa revue sur une table. Le Cardinal, désignant une page, reprit :
< – C’est vous qui avez écrit cela ?
< – Oui. Eminence.
< – Ce sont des doctrines infâmes ! – Et il alla, de son cabinet dans le salon voisin, criant : Sortez d’ici ! – Alors, Johannes s’avança jusqu’à la porte du salon et, tomant a genoux sur le seuil même de la pièce, il dit :
< – Eminence, je n’ai pas voulu vous offenser ; si je l’ai fait, j’en demande pardon.
< Le Cardinal criait plus fort : Sortez d’ici ou j’appelle ! Johannes se releva et partit. – Tous mes vieux liens sont rompus, fit-il en me quittant. – Il était si sombre que je n’eus pas le courage de le questionner ! > (1)
(1) Là-bas, pages 286 et seq.
Frappe d’interdit, il se rendit néanmoins a Rome pour en appeler au Pape, mais son appel ne fut pas accepte et il fut chasse du Vatican quand il déclara qu’il avait reçu du ciel l’ordre de combattre les maléfices par le moyen d’hosties consacrées et ordures employées comme remèdes.
A la suite de ces aventures, les Annales de la sainteté cessèrent de paraitre (1) et in juillet 1875 l’abbé Boullan quitta l’église (2).
(1) Le dernier numéro porte la date du 1er juillet 1875.
(2) Comme complément aux publications faites par l’abbé J.A. Boullan, signalons : Histoire abrégée de l’église, par l’abbé Fr. Lhomond, revue sur les éditions publiées du vivant de l’auteur, continuée jusqu’au pontificat de Pie IX. Paris, Josse, 1859, in-18.
Chapter 2
L’abbé Boullan et le Vintrasisme
A plusieurs reprises, au cours de sa carrière de théologien et d’écrivain mystique, l’abbé Boullan avait eu l’occasion d’entendre parler du célèbre prophète Eugene Vintras, fondateur de L’œuvre de la Miséricorde.
Eugene Vintras a laisse une réputation discutée et troublante, mais ceux qui l’ont connu peuvent témoigner de la sainteté de sa vie. Il est sans contredit la plus extraordinaire figure mystique du XIXe siècle. Sa vie est étrange.
Fils d’ouvrier, ouvrier lui-même, sans fortune, sans éducation, dépourvu de tout ce qui paraissait nécessaire pour l’accomplissement d’une grande œuvre, il était, comme dit saint Paul, ce qu’il y a de plus vil et de plus méprisable, selon le monde. Et cependant il fut choisi pour révéler au monde une gnose qui dévoile certains mystères du Kosmos supérieur et jette des vues toutes nouvelles et très profondes sur l’économie et l’ésotérisme du christianisme.
Prophète, il annonçait la troisième Révélation, l’Ere du Paraclet, la venue du Christ en Gloire. Afin de l’élever a la hauteur de la grande mission a laquelle il avait été appelé, l’Esprit révélateur, le cultiva lui-même, la façonna, le pétrit pour ainsi dire, et, du degré d’ignorance ou il se trouvait, le fit arriver a la perfection, a l’intuition d’une immense vérité.
Il lui fut révèle qu’il était Elie, le prophète descendu du ciel en précurseur de l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1).
Son ministère prophétique, désigne sous le nom de Carmel d’Elie, fut manifeste par la révélation et l’institution d’un Pontificat provictimal et d’un Pontificat divin. Eugene Vintras était le Pontife prophétique.
Plusieurs prêtres vinrent se ranger autour du Prophète et récurent des fonctions et des titres nouveaux comme Pontifes du Carmel annonciateur de la troisième Révélation.
Cette nouvelle Révélation, Eugene Vintras l’appuyait sur des miracles. Parfois il s’élevait de terre, devant témoins, lorsqu’il priait. Sur son autel se produisaient des phénomènes étranges : des vins mystérieux emplissaient soudainement le calice, des hosties subitement sur l’autel et sur la patène a la vue de tous les assistants. L’autorité ecclésiastique s’était inquiétée et avait réussi à faire condamner par Rome ce prophète qui, en
(1) Le Grand prophète et le Grand Roi, 1851.