A partir d'une série de peintures sur le thème des 4 éléments, Patrick a écrit des textes poétiques que nous avons rassemblés dans un recueil "de l'Origine" sous forme de petits livrets
Masses et courants
Une fois qu’elle a peint la terre, le feu et l’eau, on propose à l’artiste de peindre l’air.
Quel est le poids du ciel ? se demande-t-elle, en préparant les pigments bleus et roses. La masse de l’atmosphère, c’est cinq milliards de millions de tonnes.
Si on pose l’œuvre à plat sur le sol, la colonne d’air qui se trouve au dessus pèsera 16 tonnes. Et la colonne audessus de l’artiste allongée : 4 tonnes. Ça ne l’empêche pas de bouger, s’asseoir, se relever, et se mettre à courir.
Mais jamais elle ne courra aussi vite que les vents d’altitude, qui s’écoulent parfois à 360 kmh. Ne croyez pas que ces courants soient rectilignes. Malgré leur vitesse, ils empruntent ces trajets imprévisibles et sinueux indiqués en noir sur la peinture. Il faut avoir un œil aiguisé pour les distinguer, alors qu’ils se chevauchent, se rejoignent ou s’écartent, invisibles, au dessus des nuages.
Les entrailles de la terre
Il y a, sous la croûte terrestre, une zone de lenteur où viennent s’amortir les courants sismiques. L’artiste s’est allongée là, derrière la peau du monde. Elle devine et peint la surface par transparence. Elle comprend que ce n’est pas une plus grande solidité, mais une plus grande fluidité de notre planète qui la protège un peu des ondes de choc.
Lignes de terre
Maintenant elle nage en altitude, et regarde sous elle un paysage énigmatique. Bras de rivières ? Réseau de chemins ? Forêts en automne ? Ou traces de vent sur les sables du désert, cités dissoutes et tombées en rouille, linéaments de roches vitrifiées. Elle hésite à lire les lignes de terre comme d’autres liraient les lignes de la main.
A partir d'une dizaine de linogravures réalisées sur des représentations d'habitat insolite, Patrick a inventé des petits contes plein de saveur; nous avons rassemblé l'ensemble dans des petits livrets et dans 5 coffrets avec gravures originales sous le nom de "sur la piste du temps"
Il y eut un grand incendie, dont le souvenir est encore visible au dessus des toits. On remarque aussi, sur la façade, les restes d’un balcon disparu. La nuit du sinistre, les dix habitants de la maison s’étaient réfugiés sur ce balcon pour fuir les flammes. Mais le feu s’est propagé jusqu’à eux, et les voliges se sont effondrées. Seules les poutres de soutien demeurent aujourd’hui, et surtout leurs ombres qui s’allongent sur le mur. On dit que les gens du village s’en servent maintenant pour lire l’heure au soleil. Parfois, les nuits de pleine lune, ces ombres deviennent encore plus noires, elles semblent s’animer, et prendre la forme des dix silhouettes des défunts.
La première difficulté, lorsqu’on a une grande famille, c’est de trouver un prénom à chaque enfant. Souvent on en arrive, après les quatre premiers, à ne leur donner qu’un numéro. Ainsi des filles prénommées Sixtine ou Dixie, des garçons prénommés Quentin, Septème, Octave. La seconde difficulté, c’est de tous les loger à la même enseigne, ou du moins sous le même toit. Il y avait à Bramans une famille tellement prolifique que le père, heureusement charpentier de profession, devait rajouter des chambres à chaque nouvelle naissance. Sa maison, dont il ne pouvait élargir la base, s’élevait donc en s’évasant. Le toit rallongé peu à peu vers les quatre points cardinaux traversa bientôt la ruelle jusqu’aux maisons des voisins qui ne manquaient pas de se plaindre. « Allons – leur répondait le charpentier qui connaissait la théorie des poutres – vous n’allez pas faire toute une histoire pour quelques cache-moineaux ! »
Une artiste avait choisi de sculpter le gypse. Elle remplissait sa musette près de la carrière Calypso quand un orage éclata. Comme la roche blanche qu’elle venait de glaner lui fondait sur la peau, elle eut envie de s’en servir pour peindre. Elle avisa les murs d’une tour industrielle désaffecté, et commença une petite fresque au pied de la façade. Ensuite, jours après jours, elle revint, et son oeuvre se développa vers le haut. Elle dût bientôt construire un échafaudage pour s’élever avec sa fresque. En quelques semaines, après avoir peint tous les étages de l’édifice, elle arriva au sommet de la tour.
Posée là, il y avait une maisonnette incongrue, peut-être l’ancien bureau de l’ingénieur des mines. L’artiste y entra. Une longue table, de grands espaces libres, des fenêtres sur le pourtour. Elle y installa son atelier idéal, d’où elle pouvait embrasser toute la vallée, les sommets et le torrent.