Quelques extraits

https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=sites&srcid=ZGVmYXVsdGRvbWFpbnxjYXBpdGFpbmVkZWxhZ2FyZGV8Z3g6NWI0YjZlMjk3MDg5YmJiZQ



Chaque parcours humain,

aussi modeste soit-il,

reçoit le pouvoir

de déposer en d’autres vies

quelques lumières.

Michel-Marie Zanotti-Sorkine.




À mon père



Prologue


Est-il encore possible de prononcer le nom de Vichy, dans l’histoire de la France contemporaine, sans s’attirer les foudres et le regard inquisiteur de la police de la pensée ?

Un éditeur auquel je proposais ce manuscrit m’a répondu, fort aimablement il est vrai, qu’il était navré de ne pouvoir l’éditer, car il ne souhaitait pas revenir sur les “agissements“ du Maréchal Pétain pendant la guerre. Et, ajoutait-il pour se justifier : “nous ne devons pas choquer les susceptibilités… Internet peut facilement ruiner une réputation“ !

Ainsi, dire le vrai, serait faire offense ; témoigner serait transgression ; penser par soi-même serait délit au point de “ruiner une réputation“ ! Si, écrire l’histoire, c’est régurgiter tel quel ce que la pensée unique a déversé dans les médias, alors il n’est plus besoin d’éditeur, il n’y a plus d’écriture, il n’y a plus de culture.

Car l’affaire serait entendue. Tout ce qui, en France, a touché Vichy, au début des années quarante, est blâmable, mis à l’index ; tout ce qui en a été éloigné est vertu ; et ceux qui en parlent aujourd’hui, savamment bien que n’ayant rien connu de cette époque, se classent rétrospectivement, bien entendu, dans le camp des vertueux présumés.

Et si les choses n’étaient pas si simples ? Si l’honneur n’était pas seulement affaire de géographie ? Si ceux qui en parlent aujourd’hui avaient eu à choisir, non pas dans le confort de leur salon, mais pris au piège des événements, face au danger ?

Cher lecteur, si seule convient à ton esprit cette pensée prédigérée là, alors il ne faut pas lire ce livre. Mais si tu ne crains pas de conserver ton libre arbitre, de cultiver ton esprit critique, alors je te propose ces quelques pages.


Le centre de la France ?


Cet été-là, Saint-Amand-Montrond, alanguie sur les rives du canal du Berry, en lisière de la forêt de Tronçais, au cœur du Bourbonnais, savourait sa situation au centre géographique de la France.

(…)

Le Capitaine venait d’être affecté au commandement de la section de gendarmerie de Saint-Amand. Il y remplaçait un sage qui, voyant venir l’heure de la retraite, avait, dans des temps plus heureux, su organiser judicieusement ses loisirs entre un bureau de section noir et délabré, et des “brandes” giboyeuses.

Au mur de son bureau, sur le papier peint grisâtre et défraîchi, le Capitaine avait punaisé une carte de France. Un fil de laine rouge tendu sur des épingles figurait l’état du front de guerre.


Le coup de téléphone


L’intermède de Saint-Amand dans la carrière du Capitaine ne dura pas. Le 12 août 1941, tombait comme un coup de tonnerre la nouvelle inattendue. Un appel téléphonique émanant du capitaine Delmas, commandant la compagnie de La Garde personnelle du chef de l’État, lui annonça qu’il venait d’être affecté au commandement de cette unité, et qu’il devait se rendre immédiatement à Vichy, pour prendre contact avec lui avant son départ.

Le Capitaine ne comprit pas d’où tombait cette décision. Il n’avait bien sûr jamais sollicité ce poste. Il ne savait même pas ce qu’était cette Garde personnelle.

Il n’avait pas trente-sept ans ! Pourquoi lui ? Quelle expérience lui trouvait-on à l’état-major pour tenir ce poste ? Pourquoi fallait-il que le destin choisît ces circonstances si graves pour l’envoyer au cœur du cyclone, dans cette capitale de substitution qui semblait de plus en plus étrangère aux préoccupations des Français ?

Le Capitaine s’ouvrit immédiatement de cette communication à son chef direct, le chef d’Escadron commandant la compagnie du Cher. La réponse vint sans délai de la 9e Légion à Châteauroux. Elle confirma son affectation.

En pleine querelle entre partants et restants, que devait-il faire ? Où était son devoir d’officier ?

(…)

La prise de fonctions


Le soleil de l’été 41 ne semblait pas troublé par ces circonstances dramatiques qui agitaient le sol de France, lorsqu’au milieu du mois d’août, le Capitaine fit le déplacement de Saint-Amand à Vichy pour rencontrer son homologue qu’il devait remplacer.

Il y découvrit, au fond d’une cuvette embuée, une minimétropole grouillante. On aurait dit une station thermale dont les curistes, affectés d’indigestions diverses, se seraient brusquement multipliés, se bousculant désormais pour leur verre d’eau. Il fut frappé de stupeur par l’étonnant décalage qui se laissait observer entre cet indescriptible désordre, qui semblait bien être le quotidien de ses habitants, et les soucis des Français d’ailleurs, plus habitués à raser les murs sous la botte allemande. Il n’imaginait pas alors la jungle, le panier de crabes, qu’il découvrirait plus tard.

Une foule hétéroclite se bousculait dans les lieux publics. Il fallait faire effort pour imaginer que Vichy pût être jadis une station thermale paisible et feutrée. Le monde des officiels en quête d’un hôtel croisait une faune d’aventuriers à l’affût d’un bon coup. Il n’y avait plus une chambre disponible, plus un logement à louer. L’Hôtel Thermal abritait la Défense nationale avec Weygand, la Justice et les Finances étaient au Carlton, le Corps diplomatique aux Ambassadeurs, le Helder, l’Hôtel Majestic hébergeaient divers autres ministères et parlementaires.

Le chef de l’État et la vice-présidence étaient logés à l’Hôtel du Parc, un établissement de prestige qui faisait face à l’établissement thermal. La Garde, gantée et casquée, en défendait l’entrée. Le Chef de l’État et son entourage y avaient leurs bureaux et salles de réunion au troisième étage. Là se trouvait aussi la modeste chambre du Maréchal, meublée d’un lit de camp et d’une cantine. Laval et les services de la vice-présidence du Conseil s’étaient réservé le deuxième étage. Les Affaires étrangères étaient installées au premier. Le Maréchal y prenait ses repas avec ses convives du jour, collaborateurs bien sûr, invités officiels souvent, traîtres parfois, solliciteurs toujours.

(…)

Le Drapeau de la Gendarmerie


Un an après son affectation à Vichy, le Capitaine eut pourtant une raison de mettre en avant la fierté de son grade dans l’honneur qui lui fut fait.

Le 28 août 1942, il reçut l’ordre de conduire sa compagnie, en grande tenue, au château de Charmeil où, au cours d’une cérémonie intime, le glorieux drapeau de la Gendarmerie devait être confié à La Garde personnelle.

L’unicité du drapeau de la Gendarmerie remonte à Napoléon III. Au préalable, et depuis la création des escadrons de gendarmerie en 1791, chacun de ceux-ci avait son propre étendard. L’Empereur, en créant le régiment de gendarmerie de La Garde impériale, lui remit le drapeau unique de la Gendarmerie.

Depuis cette date, seuls le drapeau et l’étendard particulier de La Garde républicaine, sans aucune inscription de bataille, rappelaient les drapeaux de la Gendarmerie. Une décision ministérielle de 1913 combla cette lacune, en accordant à la Gendarmerie le drapeau actuel, symbole visible de son glorieux passé. Il fut confié solennellement le 14 juillet 1913, par le Président de la République, Raymond Poincaré, au colonel commandant la Légion de Paris. Du modèle général de celui des corps de troupe, il porte d’un côté les inscriptions : “République Française“, “Gendarmerie départementale“, et de l’autre : “Honneur et Patrie“, “Wondschoote, Villodrigo, Taguin, Sébastopol“. Sa hampe est terminée par une pique portant à son embase, d’un côté les initiales RF, de l’autre la mention “Gendarmerie“. Sa cravate, au contraire, ne comporte aucune indication.

Les batailles inscrites au Drapeau rappellent le caractère éminemment militaire de la Gendarmerie, issue des premiers gens d’armes dont le métier consistait en une mobilisation permanente au service d’une cause à défendre sur les champs de bataille ou chargée d’assurer la tranquillité du pays et le respect des lois.

Un décret du 9 février 1930 lui attribue la croix de la Légion d’honneur que le président Doumergue attacha à sa hampe le 14 juillet suivant.

En juin 1940, il fut sauvé, avec celui de La Garde républicaine de Paris, dans des circonstances dramatiques, et fut transporté de Paris à Bordeaux, puis à Vichy et Riom, pour être finalement déposé enter les mains du colonel commandant la 13e Légion de gendarmerie à Clermont-Ferrand, jusqu’au 27 août 1942, jour mémorable où le lieutenant-colonel Blachere, commandant alors la Légion, en transmit le dépôt sacré à La Garde personnelle du chef de l’État à Vichy.

(…)

Le renvoi de Weygand - Le retour de Laval


Le Capitaine avait aussi une famille à Vichy. Avec les soucis domestiques dus aux enfants en bas âge, il fallait bien un médecin. Le Docteur Ménétrel, médecin personnel du Maréchal, et par ailleurs son chef du secrétariat particulier, fut ce médecin de famille pendant le temps des fonctions du Capitaine. Certes, cette relation ne dépassa guère le stade de la consultation médicale, néanmoins elle permit au Capitaine de se tenir indirectement informé de bien des événements et d’en comprendre ainsi les aspects cachés. Il n’y avait pas une entrevue dans le bureau du Maréchal que Ménétrel n’entendît pas. Le Maréchal le savait bien, s’en amusait. Pour autant, le Capitaine laissait au toubib ses prises de position qu’il ne partageait pas toujours. Au sujet des juifs, par exemple.

C’est ainsi que, vers la mi-novembre, La Garde vit arriver à l’Hôtel du parc le général Weygand, délégué général du Gouvernement en Afrique française, véritable patron de l’empire colonial préservé jusqu’alors de la main-mise allemande.

Le capitaine put observer pendant quelques jours les allers et venues de l’amiral Darlan et de quelques ministres.

(…)

Le Renseignement

(…)

Si La Garde personnelle avait pour mission d’assurer la sécurité du Maréchal, son souci ne consistait pas seulement dans la parfaite organisation des escortes ou des parades. Pendant ces dix-huit mois passés à sa tête, le Capitaine n’avait pas oublié sa formation reçue au cinquième bureau de l’état-major des armées, lors des stages de contre-espionnage de 1939. Peut-être ce détail qui lui avait échappé n’était-il d’ailleurs pas étranger à sa nomination au poste qu’il occupait. Alors, il mit toute sa compétence, désormais, au service de cette cause en adhérant, avec son subordonné le lieutenant Frumin, au service de renseignement “Alliance“ dirigé par le commandant d’aviation Faye, puis par Marie-Madeleine Méric, et dont le chef de secteur en était le capitaine Fradelle, alias “Corsaire”.

De cette activité secrète, le Capitaine ne dira jamais rien à personne, même et surtout pas aux siens.

(…)

Plus tard, en juin 44, le Capitaine, sous d’autres cieux, apprendra l’arrestation par les Allemands de douze officiers à Vichy, dont deux officiers de La Garde personnelle.

(…)

Le capitaine Delmas, devenu chef d’escadron, que le Capitaine avait remplacé deux ans plus tôt au commandement de la compagnie de La Garde personnelle à Vichy, sera arrêté par la police secrète allemande et mourra en déportation.

Le lieutenant Frumin, adjoint et ami du Capitaine que celui-ci avait rejoint dans le réseau “Alliance“, sera arrêté par la Gestapo en septembre 43 à la suite, sans doute, d’indiscrétions commises par un membre d’un autre noyau fréquenté par le lieutenant. Torturé à la prison de Rastatt, il ne livrera aucun nom du réseau. Il paiera de sa vie son attachement à la cause de la Résistance.