Un régime né de la défaite

L’effondrement de 1940 et le recours à Pétain

La Ligne Maginot n’a servi à rien. Les Allemands la contournent par la Belgique, percent par la forêt des Ardennes. En 3 semaines, l’armée française est en déroute. C’est une défaite militaire sans précédent : files de réfugiés sur les routes, affolés par la « Blietzkrieg » (guerre éclair), les bombardements, la vitesse, la violence de l’attaque allemande. L’armée en lambeaux, régiments perdus, livrés à eux mêmes, mais qui ont combattu : 100 000 morts en 3 semaines, autant qu ‘en 14-18. Les Allemands sont à Paris et à Lyon le 14 juin.
C’est aussi un effondrement politique : le gouvernement, en fuite vers Bordeaux, divisé : Paul Reynaud et De Gaulle (sous-secrétaire d’Etat) veulent faire passer un maximum de troupes en Afrique du Nord et continuer la guerre depuis Alger, avec une union étroite avec l’Angleterre. Le général Weygand et le maréchal Pétain considèrent que la guerre est perdue et qu’il faut demande l’armistice.

Le choix de l’armistice et ses conséquences

C’est Pétain qui est nommé président du Conseil le 16 juin. Le 17, il lance un appel à la radio « c’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ». Il demande l’armistice, signé le 22, effectif le 25. Entre temps des centaines de milliers de soldats français sont fait prisonniers. Le 18, De Gaulle a lancé son appel depuis Londres : « cette guerre est une guerre mondiale… la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ».
Les clauses de l'armistice : l'Alsace-Moselle redevient allemande, donc les jeunes alsaciens seront mobilisés dans l'armée allemande (les "malgré nous"), et un camp de concentration y est installé (Struthof). Zone nord et ouest occupée, zone sud dite "libre" (voir carte). Une armée réduite à 100 000 hommes (dont le 6ème BCA à Grenoble). 400 millions de francs or par jour pour l"entretien des troupes d'occupation.

L'assassinat ou le suicide de la République ?

Le 10 juillet 1940 à Vichy les députés et les sénateurs sous le choc de la défaite, pressés par Laval qui agite la menace d'une occupation plus dure, donnent les pleins pouvoirs à Pétain pour changer la Constitution. Seuls 80 votent "non".
Le lendemain, Pétain se donne les pleins pouvoirs de gouvernement (législation par décret, suppression des élections, cumul du législatif et de l'exécutif : La France entre en dictature.


Le premier Vichy : 1940-42 -la revolution Nationale-

Un régime autoritaire personnel

Appuyé sur sa légende du vainqueur de Verdun, Pétain et son entourage organisent le culte du chef, évidemment pas sur les mêmes bases qu'Hitler ou Mussolini (il a 84 ans et une armée défaite), mais sur l'image du "sauveur de la France une seconde fois" (la première, c'était Verdun), un grand-père qui protège ("je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur") et punit ("je hais les mensonges qui nous ont fait tant de mal", en clair, le front populaire).
Pétain, omniprésent sur les affiches de propagande, à qui les enfants vont faire des dessins, plus la chanson "Maréchal nous voilà".

Un régime d'exclusion, la revanche de l'extrême droite sur le Front Populaire, la République et même la révolution Française

Désignation de l'anti France, censée être coupable de la défaite, ce sont :
• les communistes : pourchassés, arrêtés
• Francs-Maçons : interdits, administration et élus locaux "épurés"
• Juifs : le statut d'octobre 1940 les exclut de la société française
• les étrangers : révision des naturalisations, arrestations arbitraires
Ouverture de camps d'internement, où on enferme des milliers de suspects, partisans du Front Populaire, communistes connus, étrangers "indésirables". Vichy arrête et "donne" aux Nazis les allemands réfugiés en France dans les années 30 et de très nombreux Républicains espagnols. On enferme sur simple décision du préfet, sans jugement. (Attention, ces camps sont moins "durs" que les camps nazis, mais ils sont souvent le prélude à la déportation vers les camps nazis)
L’antisémitisme d'exclusion fait des Juifs des sous-citoyens : définis comme "race" comme en Allemagne, mais sans pression allemande, recensés, avec tampon "juif" sur les papiers d'identité, spoliés (lois sur l'aryanisation qui sont tout simplement du vol d'Etat), rejetés de quantité de profession (médias, fonction publique, cinéma,…)

La promotion de valeurs réactionnaires

"travail-famille-patrie" remplacent "liberté-égalité-fraternité"
Ruralisme et tradition : retour à la terre, au folklore, qui doit "régénérer la France morale"
Culte des anciens combattants (et du maréchal, le premier d'entre eux) regroupés dans la "Légion des Combattants", qui doit être le relais du Maréchal auprès de la population.
Enseignement religieux rétabli dans les écoles
Au fond, une dictature réactionnaire, tournée vers des valeurs du passé mythifié (Jeanne d'Arc, les Gaulois, Saint Louis), pas un fascisme, même si l'extrême droite entoure Pétain et le conseille. Mais elle-même est diverse : Action Française traditionnaliste de Maurras qui tient enfin sa revanche sur la "Gueuse", partis fascistes de Doriot (PPF) et Déat (RNP) qu'on appellera "collaborationnistes".
Une opinion très largement maréchaliste (le Maréchal ne peut pas se tromper) même si l'enthousiasme pour la Révolution nationale est altéré par les difficultés du quotidien (ravitaillement, pillage agricole et industriel résultat de l'armistice). Par contre, méfiance et rejet de la collaboration.


La collaboration, politique exterieure de Vichy

Un choix clair et assumé de Pétain, Laval et Darlan

Le terme était déjà inscrit dans la convention d'armistice.
La rencontre Hitler-Pétain de Montoire, le 30 octobre 1940 symbolise la collaboration, qui est une demande française : Pétain espère que la France sera ainsi mieux traitée, considérée comme partenaire dans la nouvelle Europe allemande. Il espère que la France pourra garder son Empire, la flotte de guerre de Toulon, et que des prisonniers seront relâchés (il y en avait 1,5 million en Allemagne!).
Le problème, c'est que le rapport de forces est calamiteux : les Allemands ne veulent rien donner en échange, à part une souveraineté contrôlée de Vichy sur la zone sud. Hitler accepte pour économiser des forces d'occupation, éviter que l'Empire passe côté anglais, et compte sur Pétain pour arrêter communistes et Juifs et Résistants à partir de 1942.

Aspects de la collaboration :

- Idéologique : propagande commune antisémite (l'exposition "le Juif et la France"), anticommuniste.
- Militaire : recrutement de volontaires pour combattre sous uniforme allemand en URSS (la LVF).
- Policière : recherche et arrestations d'opposants, de résistants, de Juifs à partir de 1942 dans le cadre de la Solution Finale : Vichy n'a pas inventé, mais cogéré la déportation des Juifs, aidant ainsi les Nazis dans leur œuvre de mort. Laval a même proposé de ne pas séparer les familles, en clair, de déporter aussi les enfants. L'espoir était que les Allemands épargneraient les Juifs français, ce qu'ils n'ont pas fait. (Noter que dans la zone alpine occupée par l'Italie de novembre 1942 au 8 septembre 1943, l'occupant italien a protégé les Juifs, y compris contre l'administration française) .
- Economique : recrutement de main d'œuvre (Relève en échange de libération de prisonniers) puis vu l'échec, le Service du travail obligatoire (STO).


La "fascisation" de Vichy

La nouvelle situation après le 11 novembre 1942

Vichy continue à exister malgré l'occupation totale du pays, de plus en plus soumis aux Allemands, mais en même temps de plus en plus répressif au service de l'occupant : la police et la gendarmerie, après avoir arrêté des milliers de juifs, chasse les communistes, résistants, les réfractaires du STO, les maquisards, doit renseigner la Gestapo. Policiers et gendarmes commencent à douter de leur mission (à Grenoble, nombreux passent de fait à la résistance).
Les collaborationnistes (Français pronazis) entrent au gouvernement (Doriot, Henriot…).

Un Etat policier

La Légion des Combattants crée un service d'ordre (le Service d'Ordre Légionnaire) d'où nait la milice en janvier 1943 : instrument de répression de la Résistance (assassinats de résistants, renseignement et dénonciations pour les Allemands), elle symbolise la transformation de Vichy en un Etat fasciste, de plus en plus complice de l'occupant, et par là de plus en plus impopulaire.
Les policiers et la milice sont envoyés contre les maquis (Glières, Vercors).

La fin pitoyable : Sigmaringen

En août 1944, les derniers fidèles autour de Pétain et les "ultras" de la collaboration partent dans les bagages des Allemands en fuite qui les installent à Sigmaringen, près de la Suisse. Certains seront parmi les défenseurs de Berlin en avril 45. Pétain passe en Suisse, puis se rend en mai 1945. Condamné à mort, gracié par De Gaulle (Verdun et le grand âge) il meurt dans sa prison assez confortable de l'île d'Yeu en 1952, à 96 ans.

Au fond, un régime de revanche politique et sociale qui a profité de la défaite pour mettre pour la première (et la dernière ???) fois l'extrême droite au pouvoir en France.
Longtemps étouffée par le mythe d'une France résistante, réveillée par l'historien américain Paxton, l'histoire de Vichy est aujourd'hui mise au clair : régime réactionnaire au départ plus proche de Franco en Espagne ou Salazar au Portugal, il devient de plus en plus fasciste par ses méthodes (la milice) et le pouvoir donné aux groupes les plus proches du nazisme par leur anticommunisme et leur antisémitisme.