Justes parmi les Nations

Justes parmi les nations

Pendant la Seconde guerre mondiale, en Europe, un certain nombre d’hommes et de femmes non-juifs ont aidé des Juifs en leur fournissant secours, nourriture, vêtements, abris, caches, faux-papiers…
En France, c’est notamment à partir des rafles organisées à l’été 1942 dans les deux zones que les gestes de solidarité ou de sauvetage se multiplient.
Les personnes ayant fourni de l’aide aux persécutés l’ont fait individuellement ou au sein de réseaux, et étaient de toutes conditions sociales, d’opinions et de religions différentes.

En 1953, une loi israélienne qui institue le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, crée le titre de « Juste ».
Un alinéa de cette loi prescrit de rendre hommage aux « Justes parmi les Nations qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs en tout désintéressement ».
A ce jour, le Mémorial de Yad Vashem a décerné le titre de Juste parmi les Nations à plus de 20 000 personnes en Europe.

En France, plus de 3 700 personnes ont été honorées, même si la grande majorité des Justes demeure encore anonyme. Le département du Gard en compte plus de cinquante.
Les Justes sont aujourd’hui honorés en France : une allée des Justes leur est dédiée à Paris au Mémorial de la Shoah et une plaque leur rend hommage au Panthéon.
Le 16 juillet est la « Journée nationale à la mémoire des victimes de crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommage aux Justes de France ».

L’action de ces Justes a contribué à ce que les trois-quarts des 333 000 Juifs vivant en France survivent et échappent à la déportation.


Gino BARTALI

Gino Bartali, né le 18 juillet 1914 à Ponte a Ema, près de Florence en Toscane, et mort le 5 mai 2000 dans la même ville, est un coureur cycliste italien. Professionnel de 1935 à 1954, il est considéré comme l'un des meilleurs coureurs de tous les temps.

Vainqueur de deux Tour de France, de trois Giro, de quatre Milan-San Remo et de trois Tours de Lombardie, Gino le Pieux, comme on le surnommait, aurait sans nul doute obtenu un palmarès bien plus prestigieux sans la seconde guerre mondiale qui le contraint à l’inactivité durant ses meilleures années. C’est durant cette longue période que l’immense champion, montra combien il était également un homme de cœur et de courage en risquant sciemment sa vie pour sauver des juifs.

Mobilisé au sein de l’aviation en 1941, Gino Bartali, qui est, depuis longtemps un opposant farouche au régime de Benito Mussolini, déserte en juillet 1943.
Arrêté, il est traduit devant un tribunal de guerre après avoir passé 45 jours en prison. La déliquescence du régime fasciste et son prestige de campionissimo lui permettent d’être libéré sous caution.
Alors que son pays est sous occupation allemande depuis septembre 1943, Gino Bartali intègre un réseau catholique de sauvetage conduit par le rabbin de Florence, Nathan Cassuto, conjointement avec l'archevêque de Florence, le cardinal Elia Angelo Dalla Costa", lui-même reconnu Juste parmi les nations en 2012.

Gino Bartali servait de messager au réseau, dissimulant des documents dans sa bicyclette et les transportant entre les villes, sous le couvert de son entraînement.
Partant de son domicile Florentin, sous prétexte de s’entraîner, il faisait le tour le tour de certains couvents jusqu'à Assise, Gênes ou dans les Abruzzes, parcourant parfois jusqu’à 350 kilomètres dans la journée en cachant dans le cadre de son vélo, des documents imprimés à Assise, qui permettaient de fabriquer de faux papiers d’identité. Il dissimulait ces précieux documents dans son guidon et dans sa tige de selle et il profitait bien évidemment de la popularité immense dont il bénéficiait depuis sa victoire dans le Tour 1938 pour passer les contrôles sans être inquiété.
Nombreux furent les carabiniers, qui, trop heureux d’avoir échangé quelques mots avec le campionissimo et d’avoir obtenu de lui un autographe, le laissaient repartir sans penser à autre chose.
Avec les Allemands les contrôlés étaient plus compliqués et dangereux, mais il passa toujours au travers des mailles du filet.
Gino Bartali a également caché à Florence, durant plusieurs mois, une famille Juive dans un appartement lui appartenant.

Homme discret, modeste, Gino Bartali ne tirait aucune gloire de ses actes. Il n’a jamais souhaité parlé de ses activités clandestines, déclarant seulement qu’il avait agi guidé uniquement par sa conscience.

Mort en 2000, Gino Bartali, pas plus que sa famille après son décès, n’a jamais fait de démarches pour faire reconnaître son activité durant la guerre.
Sa reconnaissance comme « Juste » en 2013 est intervenue grâce à la persévérance et à la mobilisation de la communauté juive d'Italie, en particulier de sa ville de Florence, qui a permis de recueillir des témoignages directs, nécessaires à l’avancement du dossier.

Gino Bartali, un immense champion mais surtout un grand Monsieur.

Remy Dumoncel

Rémy Dumoncel est né le 28 octobre 1988 à Romorantin, de parents catholiques.

En 1913, après avoir étudié le droit à l’Université de Paris, il rejoignit la maison d’édition Tallandier à Paris.

Pendant la Première Guerre Mondiale, il servit dans l’armée française et fut blessé à cinq reprises et fait prisonnier. Pour son courage il reçut la Croix de guerre et la Légion d’Honneur.

Après la guerre, il retrouva son travail chez Tallandier et, en 1919, il épousa Germaine Tallandier, la fille du propriétaire de la maison d’édition. Ils eurent cinq enfants qu’ils élevèrent en fervents catholiques.

En 1935, Rémy devint maire d’Avon, une petite ville à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Paris. Rémy était fier de sa ville, célèbre pour son palais royal et la forêt de Fontainebleau toute proche. Fervent patriote, il se méfia de l’Allemagne après l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

1940-44 : En juin 1940, les Allemands vainquirent les Français et, le 16, ils occupèrent Avon. Rémy était déterminé à rester maire et participa activement à un groupe de résistance appelé « Velite Thermopyles ». Il apporta une aide financière aux écrivains, juifs entre autres, qui ne pouvaient plus publier leurs œuvres.

Il accueille les prisonniers évadés et les fait passer en zone libre. Il organise à cette effet, à la préfecture de Melun un service clandestin de cartes d’identités. Il hébergea des Juifs alsaciens en Dordogne, où il possédait une maison. Utilisant son poste de maire pour protéger les Juifs et les autres fugitifs, il leur fournissait de faux papiers et les aidait à partir vers le sud, dans la zone libre de la France, ou à les cacher en lieu sûr.

En 1940, les Allemands lui demandent de désigner vingt otages : il fournit quatre noms dont le sien, ainsi que celui du père Jacques (Louis Bunel) directeur du collège Saint-Thomas d’Avon. Celui-ci fut emmené par la Gestapo pour avoir caché des enfants juifs. Louis Malle en tirera un film : « Au revoir les Enfants ».

Le 4 mai 1944, Rémy Dumoncel est à Paris.
Il est recherché par la Gestapo.
Il sera arrêté et incarcéré à Fontainebleau, transféré à Compiègne et de là, à Neuengamme où Il meurt le 15 mars 1945.

Son nom est inscrit au Panthéon en tant que Juste.

Roddie Edmonds  

Le Sergent Roddie Edmonds, du 422e régiment d’infanterie de l’armée des Etats-Unis a été reconnu par Yad Vashem comme Juste parmi les Nations pour avoir sauvé des militaires juifs dans le stalag allemand de Ziegenhain près de Cassel (ouest de l’Allemagne), où il était détenu.

« Sergent Roddie Edmonds semblait être un soldat américain ordinaire, mais il avait un sens extraordinaire des responsabilités et de dévouement envers ses semblables, » a déclaré le président de Yad Vashem, Avner Shalev. « Ce sont les attributs qui lient tous les membres de ce groupe sélectifs des Justes parmi les Nations. Les choix et les actions du Sergent en font un exemple pour ses concitoyens américains et soldats qui se sont élevés unis contre le fléau du régime nazi, » a-t-il ajouté.

Un jour de janvier 1945, le commandant du camp a ordonné à ceux des prisonniers qui étaient juifs de s’identifier comme tels d’ici au lendemain matin, apparemment en vue de les envoyer en camp d’extermination ou de les faire assassiner. Le sergent-chef Edmonds, le plus haut gradé dans la section américaine du camp, a ordonné à tous ses hommes de se présenter, juifs ou non.

Quand le major commandant le camp a vu tous les soldats devant leurs baraquements, il s’est exclamé: « C’est impossible qu’ils soient tous juifs ! ». « Nous sommes tous juifs », lui a répliqué le sergent-chef Edmonds.

Le commandant a sorti son pistolet et le soldat américain lui a fait front en invoquant la convention de Genève sur les prisonniers de guerre.

« Si vous me tuez, vous devrez nous tuer tous, et après la guerre vous serez jugé pour crimes de guerre », a-t-il ajouté. Le commandant a tourné les talons, a rapporté Yad Vashem, s’appuyant sur différents témoignages, dont celui de Paul Stern, l’un des prisonniers juifs sauvés ce jour-là.

“Soixante-dix ans ont passé, mais j’entends encore ses mots au commandant du camp », a dit Paul Stern cité par Yad Vashem dans un communiqué.

Le sergent-chef Edmonds, originaire de Knoxville, Tennessee, est décédé en 1985. Il est le premier soldat américain reconnu comme « Juste parmi les Nations ».

Détail du  Monument à Carl Lutz - Budapest 

Timbre suisse en l’honneur de Carl Lutz (1999).

Carl Lutz

Carl Lutz, est né le 30 mars 1895 en Suisse à Walzenhausen (canton d’Appenzell), et bénéficia d’une éducation religieuse méthodiste de la part de sa mère.

De 1910 à 1913, il poursuit des études et fait un stage de commerce dans une usine de textile, à St. Margrethen.


En 1913, à l'âge de 18 ans, il déménage aux Etats-Unis, et travaille comme ouvrier à Granite City, Illinois.

De 1918 à 1920 il est étudiant au Central Wesleyan College (Warrenton, Missouri)

De juin à septembre 1920 il est Secrétaire à la Légation de Suisse, à Washington.

Puis jusqu’en 1926 il est Secrétaire d’ambassade à Washington, et poursuit des études à la Faculté de Droit et d’Histoire de l’Université George Washington, Washington où il obtiendra en 1924 un diplôme universitaire.

De 1926 à 1934 il est Conseiller au Consulat suisse à Philadelphie, Pennsylvanie et St. Louis, Missouri

En 1935, Lutz est envoyé en Palestine, où il est nommé Vice-consul à Jaffa. Il y passera six années où il représente les intérêts tant suisses qu’allemands. C’est, d’une part, ce qui le sensibilisera aux problèmes des juifs, et d’autre part, il a si bien défendu les veuves et les orphelins d’Allemands en situation difficile que les autorités allemandes garderont pour lui un certain respect.


De 1942 à 1945 il est Chef de la Division des intérêts étrangers, Légation de Suisse, à Budapest


Le 2 Janvier 1942 Lutz est affecté au consulat de Suisse à Budapest, où il est nommé chef du Département des intérêts étrangers de la légation suisse. Là, il représente les intérêts des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de douze autres pays en raison de son alliance avec l'Allemagne nazie.

Dans la capitale hongroise, le vice-consul représente, outre la Suisse, les intérêts de 14 nations dont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont rompu leurs relations diplomatiques avec la Hongrie, et ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs. A cette époque, la Hongrie est engagée auprès de l’Allemagne nazie. Le 19 mars 1944, la Wehrmacht et un détachement de SS conduits par Adolf Eichmann envahissent la Hongrie. Plus d’un demi-million de Juifs résident dans le pays et mènent une existence précaire, mais relativement épargnée. Les persécutions s’intensifient et dès le 15 mai, les premières déportations vers Auschwitz débutent.

Carl Lutz entreprend de monter un stratagème, avec un cercle d’intimes, afin de permettre aux Juifs hongrois de fuir la barbarie nazie.
Une alliance hétéroclite comprenant des organisations juives locales, des diplomates de pays neutres (Vatican, Suède, Espagne et Salvador notamment) et le délégué du CICR Friedrich Born, naît ainsi, pour former un véritable réseau clandestin.
Le but de Lutz (et de sa femme Gertrude, dont l’histoire parle peu, mais qui était toujours présente, et très active) était de battre de vitesse les déportations.
Pour travailler, Lutz a profité de deux directives officielles. D’une part, les représentants d’Hitler n’ont pas mis en cause le droit de 8000 juifs d’émigrer vers la Palestine demandé peu avant le début des déportations, dans le cadre du «Livre blanc britannique», lequel instaurait l’émigration de 75 000 Juifs en Palestine sur cinq ans (1939-1944). Et d’autre part Berne lui a interdit de donner des passeports individuels.

Pas de documents individuels ? Lutz a pris note, et a décidé que dans ces cas-là il établirait des documents collectifs (sans consulter Berne), qu’il a appelés “Schutzpass” (passeport de protection).
Il regroupait jusqu'à mille personnes sur un passeport. D’autre part, il a utilisé les 8000 autorisations d’émigrer en les multipliant. Les autorisations, numérotées de 1 à 8000, étaient interprétées comme ayant été données non à huit mille personnes, mais à huit mille familles soit près de 62 000 Juifs. Et lorsqu’il n’y en avait plus, on en refabriquait, toujours soigneusement numérotées de 1 à 8000.
Estampillées des armoiries suisses, elles stipulent que leurs détenteurs sont protégés.
Il protège ainsi les jeunes émigrants, du service du travail hongrois et plus tard de la déportation pendant qu'ils attendent leur passage vers la Palestine. Plus de 10000 enfants et adolescents juifs atteindront ainsi la Palestine en 1944. L'utilisation de la Schutzbriefe ou Schutzpasse a été adopté plus tard par les bureaux consulaires suédois, portugais et espagnol à Budapest pour protéger les Juifs de la déportation.

Peu de temps après la prise de contrôle allemande de la Hongrie en mars 1944, Lutz reçoit une note concernant la déportation prévue des Juifs hongrois. Immédiatement, Lutz et Maximilien Jaeger, le chef de la légation suisse, organisent les légations neutres à Budapest pour contrecarrer le plan allemand, mais en vain. Lorsque les déportations commencent, Lutz place le personnel du Conseil juif pour la Palestine à Budapest sous sa protection diplomatique.

Pour mener à bien son plan, Carl Lutz étend l’extraterritorialité à quelque 72 bâtiments de la capitale hongroise, notamment dans le ghetto de Saint-Étienne, dont des bureaux appartenant aux représentations étrangères qu’il servait, et des commerces juifs désertés. A tel point qu’un district entier bénéficie de la protection helvétique.
Cet acte reste à ce jour «l’application de l’immunité diplomatique la plus étendue jamais observée».
Parmi ces abris, la «Maison de Verre», au 29 Vadasz Utca, le siège d’un grossiste en verre juif, a été transformée en «Département d’émigration de l’ambassade de Suisse» à l’automne 1944. Plus de 30000 Juifs sont hébergés dans ces bâtiments.
Bien qu'ils aient fait l'objet d'attaques et de tentatives de pillages répétées, ces habitants ont presque tous survécu.

Lutz a été appelé à plusieurs reprises pour se rendre au camp de concentration d’Obuda pour sauver des Juifs qui étaient sur le point d'être déportés vers des camps d’extermination. En Novembre 1944, il arrive à faire libérer environ 1000 juifs qui avaient été envoyés de Budapest à la frontière autrichienne.
 

En 1944, peu de gens sont au courant de la politique d’extermination des Juifs par le régime nazi.
Le 10 avril, deux Juifs slovaques, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, s’échappent d’Auschwitz et rédigent leur témoignage. Connu plus tard comme le «rapport Vrba-Wetzeler» ou «Protocole Auschwitz», ce document de 40 pages est traduit en allemand et diffusé à travers la diaspora juive en Europe. Une de ces versions arrive entre les mains de Carl Lutz, qui l’envoie immédiatement à Berne. Désirant ne pas s’attirer les foudres du IIIe Reich, on lui demande de garder l’information secrète. Frustré, il contourne l’obstacle en confiant le document à Florian Manoliou, diplomate roumain travaillant à l’ambassade de Roumanie à Berne. Le protocole arrive finalement à Genève, au consulat du Salvador, où George Mandel-Mantello, Juif d’origine hongroise, diffuse l’information à la presse suisse. Elle est ensuite relayée auprès de grands médias internationaux et c’est ainsi que le monde apprend, stupéfait, l’étendue des crimes nazis. Dans une note envoyée le 20 juillet 1944 à George Mandel-Mantello, Carl Lutz écrit: «J’ai vu des journaux suisses avec des rapports complets des horreurs commises sur les Juifs de Hongrie. Les responsables de ces actes sont furieux. Ils sont persuadés que la nouvelle a été transmise par la valise diplomatique suisse. A ce que je sais, ce n’est pas le cas. Mais la manière dont l’information a été diffusée importe peu. Ce qui compte, c’est le résultat.».
 

Quelques chiffres permettent de mettre en perspective le travail qu’il a accompli :
- en 1941, 742800 juifs vivaient en Hongrie,
- à Budapest, quelque 124000 ont survécu à la guerre,
- entre le 15 mai et le 9 juillet 1944, 437402 juifs hongrois sont morts à Auschwitz,
- avec l’aide de ses volontaires, Lutz a aidé quelque 62000 juifs à survivre, autrement dit, la moitié des survivants lui devaient leur vie.
 

Lorsque l’Armée rouge a libéré la Hongrie, Lutz aurait dû partir aussitôt. Une fois de plus il brave les ordres, et reste plusieurs semaines pour s’assurer que tous ceux qui étaient sous sa protection sont en sécurité.
 

L’accueil du Département des affaires étrangères suisse a été glacial. Il avait transgressé toutes les règles, et désobéi à tous les ordres. Il a été réprimandé formellement pour avoir outrepassé ses compétences. Pendant plusieurs années, il n’a pas reçu d’affectation, et a dû se contenter de travaux administratifs.
On disait même qu’il avait été mis sur une liste noire. En tout cas, on ne lui faisait pas confiance. On aurait préféré ne plus parler de lui.
Mais les juifs qu’il avait sauvés ne l’entendaient pas de cette oreille.

En 1951 il devient Délégué mandataire de la Fédération luthérienne mondiale en Israël.

En 1961 il démission du service consulaire, et prends ainsi sa retraite du service diplomatique.

En 1965, Lutz a été reconnu par Yad Vashem «Juste parmi les Nations».

Il décède à Berne le 13 février 1975.

Le grand rabbin Yona Metzger
d'Israël, remercie personnellement Mme Sendler

"On m'a éduquée dans l'idée qu'il faut sauver quelqu'un qui se noie, sans tenir compte de sa religion ou de sa nationalité", aimait à dire Irena Sendler. 

Irena Sendler

Irena Krzyzanowska est née le 15 février 1910.
Fille unique, elle a passé sa petite enfance à Otwock, Pologne.

Son père, un médecin socialiste, habitant dans une banlieue ouvrière de Varsovie aidait les plus défavorisés. Il est décédé du typhus alors qu’Irena avait sept ans.

Irena fait des études à l'Université de Varsovie d’où elle a été exclue pour avoir omis de se conformer aux lois ségrégationnistes concernant les juifs. Elle y a été de nouveau admise un an plus tard.
Devenue assistante sociale et épouse, Irena Sendler (ou Sendlerowa en polonais) se consacra pendant la Seconde Guerre mondiale à aider les enfants juifs sous l’Occupation allemande.

Le 30 septembre 1939, Varsovie fut envahie par l’armée allemande et Adolf Hitler parada même dans les rues de Varsovie dès le 5 octobre 1939.
Les nazis rassemblèrent les Juifs dans des quartiers fermés dans les principales villes polonaises : Varsovie, Lublin, Cracovie, Lodz... Le Ghetto de Varsovie comptait lors de sa création, le 12 octobre 1940, environ 380000 Juifs sur les 1,3 million d’habitants de la ville.

Quand l'Allemagne envahit le pays, elle est infirmière au Département du Bien-être social de Varsovie, qui gère les cantines communautaires de la ville.
Là, elle travaille sans relâche pour soulager les souffrances de milliers de personnes, aussi bien juives que catholiques. Grâce à elle, les cantines fournissent non seulement de la nourriture aux orphelins, aux personnes âgées et aux pauvres, mais aussi des vêtements, des médicaments et de l'argent.
Pour éviter les inspections, elle enregistre les personnes sous de faux noms catholiques et déclare la maladie de ses patients très contagieuse, comme le typhus ou la tuberculose.

Dès octobre 1940, elle travailla non seulement dans le cadre légal du service d’aide sociale de la municipalité de Varsovie, qui lui permettait d’entrer et de ressortir du ghetto de Varsovie, mais également clandestinement pour venir en aide aux enfants juifs, en leur fournissant des vivres, des vêtements et, aussi, des médicaments et des vaccins contre le typhus et la tuberculose notamment. Elle avait obtenu l’autorisation de se rendre au ghetto habillée en nourrice.
Irène organisa et dirigea un groupe de 20 personnes qui se consacra à sauver des enfants de la mort dans ce quartier de la capitale polonaise sous l'occupation nazie. Comme elle l'expliqua plus tard, elle put mener à bien cette œuvre grâce à l'aide de religieuses polonaises.
Irène s'unit alors au Conseil pour l'Aide aux juifs, organisé par la résistance polonaise. Elle réussit à obtenir un laissez-passer du Département du Contrôle épidémiologique de Varsovie afin de pouvoir entrer légalement dans le ghetto

Elle risqua de cette manière sa vie, et renonça par exemple à rendre visite à sa mère mourante et à assister à l’enterrement de celle-ci. Son pseudonyme pour ses activités clandestines était Jolanta.

Dans le ghetto de Varsovie, 5000 personnes par mois mouraient de maladie et de malnutrition.

Le gouvernement polonais en exil à Londres se chargeait d’envoyer des fonds et, en décembre 1942, créa «Zegota», un mouvement clandestin d’aide aux Juifs dont fit partie Irena.
Ce réseau sauva 75000 Juifs polonais entre 1942 et 1945, et délivra plus de 60000 fausses identités.
Tout un système de faux papiers, avec faux actes de naissance, de baptême et fausses filiations se mit en place pour replacer les enfants dans des familles chrétiennes ou dans des institutions chrétiennes.
Irena expliquera elle-même : «J’ai placé la plupart des enfants dans des établissements religieux. (…) Je savais que je pouvais compter sur les sœurs»).

Les premières rafles des nazis commencèrent et eurent lieu du 22 juillet 1942 au 12 septembre 1942 par la déportation massive des Juifs vers le camp de la mort de Treblinka, à 80 km de Varsovie (5 à 6000 personnes par jour).
A l’automne 1942 la population du ghetto ne comptait plus que 70000 personnes.

Il fallait séparer les enfants des parents pour les sauver.
Pour les soustraire aux rafles, Irena s’acharna à prendre et à isoler les enfants juifs de leurs familles d’origine pour les sauver.
Elle avait grand mal à convaincre les parents ou grands-parents de les laisser partir, la séparation d’un enfant étant l’une des pires choses qui peut survenir à un parent.
Irena, jeune mère, le savait bien et c’était pour elle une horrible tâche.
Irena Sendler témoigna ainsi : «Nous avons assisté à des scènes terribles. Le père était d’accord, mais la mère non. Quelquefois, nous devions quitter ces familles malchanceuses sans prendre leurs enfants. Je revenais le lendemain et, souvent, je m’apercevais que tout le monde avait pris le train à Umschlagsplatz qui les avait acheminés aux camps d’extermination», ajoutant encore : «Dans mes rêves, j’entends encore les cris des enfants quand ils quittèrent leurs parents».

Pour passer les enfants, elle inventa toutes sortes de système : elle commence par faire sortir les enfants en ambulance, comme victimes du typhus ; par la suite elle utilise des seaux d'ordures, des boites à outils, des emballages pour marchandises, des sacs de pommes de terre. Pour les plus grands, elle passe par les égouts, et utilise une église à deux entrées, une dans la partie juive et l’autre dans la partie chrétienne de la capitale polonaise.

Il n'était pas non plus facile de trouver une famille qui accepte d'accueillir les enfants juifs....
Le sauvetage d'un enfant nécessitait la coopération d'au moins 10 personnes. Les enfants étaient transportés d'abord dans une unité de service humanitaire et ensuite dans un lieu sûr. On cherchait ensuite un logement dans des maisons, des orphelinats et des couvents. « J'ai envoyé la plus grande partie des enfants dans des structures religieuses », rappelait-elle. « Je savais que je pouvais compter sur les religieuses ».
Elle avait réussi à recruter suffisamment de personnes pour recueillir les enfants juifs dans les institutions sociales de la municipalité et les faire assimiler à des enfants catholiques.

Pour ne pas oublier les identités de ces enfants, Irena inscrivit minutieusement tous les vrais noms associés à leurs fausses identités dans le but de leur rendre leur passé après la guerre.
Irène gardait l'unique registre de la véritable identité des enfants dans des bocaux enterrés sous un pommier dans le jardin d'un voisin, face à une caserne des Allemands. Au total, les bocaux, qu’elle retrouva après la guerre, contenaient les noms de 2500 enfants.

Une seconde vague de déportations commença le 18 juin 1943, mais fut combattue avec héroïsme par la résistance des Juifs.
Le ghetto de Varsovie fut cependant «liquidé» le 16 mai 1943, après le soulèvement le 19 avril 1943 de 3000 Juifs dont seulement 600 étaient armés.
Ceux qui n’avaient pas été tués dans les combats, exécutés sur place (7000 personnes) ou brûlés dans les incendies du ghetto (6000 personnes), se suicidèrent ou furent exterminés à Treblinka.

Le 20 octobre 1943, Irena Sendlerowa fut arrêtée par la Gestapo, puis emprisonnée, torturée et condamnée à mort. Elle parvint à ne trahir aucun complice de son réseau et réussit même à s’évader en soudoyant les gardiens de sa prison.

Le 20 octobre 1943, Irena fut arrêtée par la gestapo. Elle était la seule à connaître les noms et les adresses des familles qui accueillaient les enfants juifs. Elle supporta la torture pour ne pas les trahir. On lui brisa les pieds et les jambes, mais personne ne réussit à briser sa volonté.
Elle passa trois mois dans la prison de Pawiak, ou elle fut condamnée à mort.
Alors qu'elle attendait son exécution, un soldat allemand l'amena pour un nouvel interrogatoire. En sortant il lui cria : «Cours !».
Le jour suivant, elle lut son nom sur la liste des Polonais exécutés.
Irène poursuivit alors son travail sous une fausse identité.

Jusqu’à la libération de Varsovie, elle s’occupa des enfants qu’elle avait sauvés en leur rendant visite régulièrement.

A la fin de la guerre, elle déterra les bocaux et utilisa les annotations pour retrouver les 2500 enfants confiés aux familles. Elle essaya d’organiser la rencontre avec leurs parents répartis dans toute l'Europe ; mais la plupart d'entre eux avaient perdu leurs familles dans les camps de concentration nazis.
Les enfants connaissaient Irène uniquement sous le nom de Jolanta. Des années plus tard, quand sa photo fut publiée sur un journal, après qu'elle eut reçu un prix pour ses actions humanitaires pendant la guerre, un nombre important de personnes qui avaient été sauvées grâce à elle la reconnurent.


Après la guerre, Irène Sendler travailla dans le domaine social, aidant à la construction de maisons pour les personnes défavorisées, d'orphelinats, et coopérant à un service d'assistance pour les enfants.


En 1958, Irena reçut la médaille du ministère polonais de la Santé pour son action sociale.

En 1965, elle fut nommée «Justes parmi les nations», par Yad Vashem à Jérusalem. Mais elle n’a pu se rendre en Israël qu’en 1983, les autorités polonaises communistes lui ayant refusé tout voyage.  

En 1991, Irena fut nommée citoyenne d’honneur d’Israël.

Ce n’est que le 10 novembre 2003, que l’État polonais honora cette femme exceptionnelle en lui remettant l’Ordre de l’Aigle blanc (Order Orla Bialego) qui est la plus haute distinction civile en Pologne.

Dernière survivante de son réseau clandestin, Irena accepta de rencontrer des jeunes pendant ses dernières années, malgré la faiblesse de son état de santé qui l’obligeait à rester dans un fauteuil roulant.

Le 14 mars 2007, lors de la séance du Sénat polonais reconnut à Irena Sendler la qualité d’héroïne nationale. En son absence (trop faible pour se déplacer), le président de la Pologne, Lech Kaczynski, dit d’Irina : «Elle mérite un grand respect de la part de la nation tout entière».

Par ailleurs, Lech Kaczynski préconisa la candidature de la résistante pour l’attribution du prix Nobel de la paix de 2007, parmi 180 autres nominés.
Elle ne l’a pas obtenu en 2007. C’est Al Gore qui fut choisi avec beaucoup de regret pour les admirateurs d’Irena. Elle ne l’aura donc jamais, puisque ce prix ne peut pas être attribué à titre posthume.
L’attribution du prix Nobel à Irena Sendler aurait pourtant été très symbolique car il aurait été le premier attribué pour une action en rapport avec l’Holocauste.

Irena Sendler est décédée à Varsovie le 12 mai 2008.  


Aristides de Sousa Mendes

 

Aristides et César

Aristides de Sousa Mendes et son frère jumeau, César, sont nés le 19 juillet 1885 dans le village de Cabanas de Viriato, au centre du Portugal, dans la région de Beira Alta.
Les deux frères, Aristides et César, grandissent dans une famille de l'aristocratie terrienne, catholique, monarchiste et traditionnelle, renommée dans la région.
Leur père, José de Sousa Mendes, juge à la Cour d'appel de Coimbra, homme respecté, était apprécié pour son grand sens de la justice, du droit et de ses règles.

Les jumeaux poursuivent leurs études de Droit à l'Université catholique de Coimbra. À 18 ans, ils obtiennent leur licence.

Les deux jumeaux, Aristides et César entrent dans la carrière diplomatique en 1910, au sein du prestigieux ministère des Affaires étrangères, au moment où la république est proclamée au Portugal.

En 1932, César, le jumeau d'Aristides est nommé ministre des Affaires étrangères par Salazar qui vient de prendre les rênes du pouvoir. César essaye de réformer le ministère en limogeant des diplomates et de hauts fonctionnaires comme le secrétaire général, le comte de Tovar, Pedro Lemos.
César n'avait d'autre ambition que de servir son pays mais ne parviendra pas à atteindre ses objectifs. Il sera démis par Salazar et le comte de Tovar deviendra un ennemi de la famille.

Aristides est très attaché à son frère.
En 1920, il décide de le rejoindre pour le soutenir après le décès, à Berlin, de sa première épouse âgée de 29 ans, avec qui il a 5 enfants.
Aristides restera 3 mois aux côtés de son jumeau.

Aristides et Angélina, ensemble dans la carrière diplomatique

En 1909, ses études terminées, Aristides de Sousa Mendes do Amaral e Abranches épouse sa cousine germaine, Angelina Amaral de Abranches née le 20 août 1888 à Beijos, de noble lignée et catholique pratiquante. Elle jouera un rôle très important dans sa vie, toujours à ses côtés.

Angelina et Aristides aiment recevoir et ils apprécient la musique. Ils organisent de grandes réceptions, dans les différents postes consulaires qu'ils occupent, pour représenter dignement leur pays et sa culture qu'ils aiment tant.
Au Portugal les idées démocratiques, républicaines et sociales font irruption dans une société monarchique et conservatrice. Le pays vit une période de forts changements.

Angelina et Aristides auront 14 enfants : Aristides César, Manuel Silvério mort à Louvain, Zézinho, Clotilde, Isabel Maria, Geraldo, Pedro Nuno, Joana, Sebastião, Carlos, Teresinha, Luís Felipe, Raquel décédée à l'âge de 18 mois et João Paulo. Ils sont passionnés de voyage et pour mieux se déplacer ils font fabriquer l’Espresso par les usines Ford de Belgique, sans regarder à la dépense.

Aristides sera successivement en poste en Guyane Britannique (mai 1910), à Zanzibar en Afrique orientale britannique (1911) et à Curitiba au Brésil (1918).
Mais en 1919, en raison de ses convictions monarchiques, Aristides est mis en disponibilité.
De 1921 à 1923, Aristides dirige le consulat du Portugal à San Francisco (EUA). En 1924, Aristides est nommé consul à Saint Luís do Maranhão (Brésil) et dirige, provisoirement, le consulat de Porto Alegre (Brésil).
En 1926, Aristides est rappelé à Lisbonne au service de la direction générale des Affaires commerciales et consulaires.
En 1927, il est nommé consul à Vigo, au nord-ouest de l’Espagne, où il est sermonné par son ministère pour ne pas avoir appliqué les consignes. Son Gouvernement refusait l’entrée des Républicains espagnols au Portugal.

En 1929, Aristides est nommé consul général à Anvers (Belgique) et accrédité au Grand-Duché de Luxembourg. Il y demeurera 9 ans.
En 1933, alors que Hitler devient chancelier de l'Allemagne, Aristides de Sousa Mendes est en poste à Anvers (Belgique). Il y demeurera jusqu’en 1938.

Septembre 1938 : Aristides en poste à Bordeaux

En 1938, Salazar nomme Aristides consul général du Portugal à Bordeaux, avec la responsabilité des consulats de Toulouse et de Bayonne.

La grande famille de Sousa Mendes s'installe à Bordeaux en septembre 1938 dans le vaste consulat, au 14 du quai Louis XVIII, entre l'esplanade des Quinconces et la Bourse maritime, face aux magasins et aux entrepôts du port en pleine activité.
L'année même de son arrivée à Bordeaux, Aristides rencontre une jeune musicienne française de 30 ans, Andrée Cibial. Aristides aimait beaucoup la musique. Avec ses enfants, il avait créé un petit orchestre familial, ce qui enthousiasmait la jeune Française. Elle devint très vite amoureuse d’Aristides qui finit par céder à ses avances. Une petite Marie-Rose naîtra deux ans plus tard de cette rencontre.
Mais c’est avec Angelina, son épouse, qu’il fera face aux événements de juin 1940. Elle qui accueillera dans son domicile d’innombrables réfugiés qui fuyaient la mort, et cela avec un inlassable dévouement qui a fait l’admiration de tous.

Septembre 1939, l'Espagne est dévastée, le Portugal reste neutre

Quand la guerre éclate en septembre 1939, Aristides a 54 ans. Son frère César est ambassadeur du Portugal en Pologne lorsque le pays est envahi par les troupes allemandes. Il fait parvenir à Aristides des nouvelles alarmantes.
La guerre semble encore très loin de Bordeaux. Mais l’épouse d’Aristides, Angelina, est inquiète. Ils décident ensemble de mettre à l’abri à Cabanas, dans leur Portugal resté neutre et en dehors de la guerre, leurs huit plus jeunes enfants accompagnés de Fernanda, leur fidèle employée.
Ils traversent une Espagne qu'ils ne reconnaissent pas, dévastée par la guerre civile après la chute de la Seconde République espagnole et la victoire du général Franco.

A Bordeaux, les réfugiés se multiplient

De retour à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes est confronté à des demandes de visas, de plus en plus nombreuses, des réfugiés qui arrivent du nord de l'Europe. Ils fuient devant l’avancée nazie et tentent de partir vers le monde libre par le port de Bordeaux ou les villes portuaires portugaises.
Les consulats bordelais sont envahis de réfugiés réclamant le visa qui leur ouvrira les portes du Canada, de la Palestine, des États-Unis, de l’Angleterre, de l'Amérique Latine ou de l'Afrique…
Salazar, bien que favorable à Hitler et à Mussolini, veut maintenir des relations cordiales avec l’Espagne et la Grande-Bretagne. Il parviendra à conserver la neutralité du Portugal.

La circulaire n°14

Le 11 novembre 1939, Salazar envoie à tous ses diplomates en poste la circulaire no14. Elle est destinée à interdire l'entrée du Portugal aux « gens indésirables » vues « les circonstances anormales actuelles » en sélectionnant les réfugiés. Sans accord préalable du ministre, aucun visa ne pourra désormais être délivré aux personnes qui ne sont pas dignes d’entrer au Portugal.
Cette mesure s’adresse particulièrement aux étrangers de nationalité indéfinie, contestée ou en litige, aux apatrides, aux porteurs de passeport Nansen délivré par la Ligue des nations, aux Juifs expulsés de leur pays d’origine ou du pays dont ils sont ressortissants, aux personnes suspectées d’activités politiques contre le nazisme…

Extraits du texte de la circulaire no14 du 11 novembre 1939 du Ministère des Affaires étrangères du Portugal portant sur la concession de passeports, visas sur des passeports et des inscriptions consulaires :

Il devient nécessaire, dans les circonstances anormales actuelles, d’adopter des mesures de précaution et de définir certaines normes, même à titre provisoire, afin de prévenir dans la mesure du possible l’octroi de passeports et de visas consulaires trop facilement et que la police de vigilance et de défense de l’État (PVDE) pourrait considérer comme inapproprié ou dangereux.
Sans pour autant rendre trop difficile l’octroi des documents à certains étrangers en transit par Lisbonne à destination de l’Amérique, pour lesquels nous n’avons ni l’intérêt ni l’intention de gêner ou d’entraver leur circulation.
Dans cette directive est déterminé ce qui suit :
1) En conformité avec les dispositions décrites dans l’article 701 du règlement consulaire, il devient interdit aux consuls de 4e classe de concéder des passeports ou visas consulaires sans une consultation préalable du Secrétariat d’État.
2) Les consuls de carrière ne pourront concéder des visas consulaires sans une consultation préalable du Ministère des Affaires étrangères.
a) Aux étrangers de nationalité indéfinie, contestée ou en litige, aux apatrides, aux porteurs de passeport Nansen et aux Russes.
b) Aux étrangers qui ne sont pas en mesure de justifier auprès du consul, de manière satisfaisante, les motifs de leur venue au Portugal. Mais aussi à ceux dont le passeport présente une déclaration ou quelque annotation de l’impossibilité de retourner dans leur pays de provenance. Concernant tous les étrangers, les consuls doivent chercher à s’assurer que les demandeurs ont les moyens de leur subsistance.
c) Aux Juifs expulsés du pays de leur nationalité ou de celui dont ils proviennent.
d) À ceux désireux de s’embarquer dans un port portugais qui n’ont pas dans leur passeport le visa d’entrée dans le pays de destination, les billets de traversée par voie maritime et la garantie d’embarquement des compagnies respectives.
Les consuls feront très attention à ne pas entraver la venue à Lisbonne de passagers à destination d’autres pays et tout spécialement aux passagers en transit aériens transatlantiques ou à destination de l’Orient. […]
Pour le bien de la Nation
pour le Ministre Luiz Sampayo
Lisbonne le 11 novembre 1939


Novembre 1939 : Aristides désobéit

Aristides de Sousa Mendes, élevé dans le respect des lois et des valeurs humanistes, trouve les nouvelles directives de la circulaire no 14 à la fois inhumaines, racistes, injustes et anticonstitutionnelles.

Aristides compatit aux situations des réfugiés qui assiègent son consulat.
Il envoie des centaines de demandes de dérogation à Lisbonne. Elles seront, dans une large majorité refusées, ou resteront sans réponse.
À partir de novembre 1939, il émet quelques faux passeports et accorde quelques visas, n'envoyant les demandes d'autorisations qu'une fois ses protégés arrivés à bon port. Mais il doit les refuser à des centaines d’autres.
Ces irrégularités sont très vite détectées par les services du ministère et la police politique portugaise. Salazar, connu pour sa sévérité, le menace d'un procès disciplinaire. Aristides sait qu’il ne s’agît pas de vaines menaces et que le comte de Tovar ne manquera pas une occasion de lui nuire et de se venger, ainsi, de son ennemi juré César de Sousa Mendes.
Les troupes allemandes avancent rapidement, elles frappent vite et fort. César est toujours en poste à Varsovie durant les bombardements de la ville.

Avril 1940, tout s'accélère

Les gouvernements européens fuient l'avancée allemande.
En avril 1940, la grande-duchesse de Luxembourg, sa famille, les principaux membres de son gouvernement et 70 000 Luxembourgeois prennent le chemin de l'exil. 50000 réfugiés hollandais et deux millions d’évacués belges viennent s’ajouter aux millions de Français qui cherchent à gagner le sud de la France.
La population de Bordeaux, du nombre de 300000 personnes avant le 10 mai, dépassa 700000 à la fin du mois, voire beaucoup plus. Le nombre de réfugiés en attente de visa devant le consulat du Portugal augmente chaque jour. Lisbonne reste le seul port d’Europe de l’Ouest ouvert, avec des liaisons vers les Amériques, le Moyen-Orient et l'Afrique.

S'il ne peut accorder de visas à des « gens indignes », il en accorde aux nombreuses personnes qui ne sont pas concernées par la circulaire no14, les non-juifs américains, belges, français, anglais et hollandais.
Mais le 24 mai 1940, Salazar envoie une nouvelle circulaire n'autorisant plus aucun visa sans autorisation préalable du ministère et de la PVDE (police de vigilance et de défense de l’État). Aristides continue comme si de rien n'était. Le 21 mai il demande de nouvelles autorisations. Salazar répond : « respect de la circulaire no14 ! »


La Belgique et la France dévastées

Le 20 mai, arrivent à la gare Saint-Jean de Bordeaux, en provenance de Bruxelles, Isabel la fille d’Aristides, son époux Jules d’Août, leur enfant âgé de deux ans Manuel et deux de leurs amis diplomates. Ils racontent la Belgique et la France dévastées par les bombardements, leur périple pour rejoindre Bordeaux, et le sort réservé aux Juifs et aux réfugiés.
Au consulat, devant lequel campent de nombreux réfugiés, le nombre de demandes quotidiennes se chiffre à plusieurs centaines. Aristides est contraint de ne pas y répondre, même s'il commet « quelques irrégularités ».
Fin mai, la police portugaise des frontières intercepte 17 Belges porteurs de visas non autorisés et des Polonais munis de faux passeports, tous établis par Aristides.
Il persiste à concéder quelques visas non autorisés, demandant ensuite les autorisations par télégramme sans attendre les réponses qu’il sait négatives. Cependant, le nombre de réfugiés et les demandes de visas ne cessent de croître.

La guerre devient mondiale : le 10 juin 1940 l’Italie, alliée de l'Allemagne, déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne.


Aristides et Haïm Kruger

Le 12 juin 1940, la rencontre d'Aristides de Sousa Mendes et du rabbin Haïm Kruger, Juif polonais âgé de 37 ans, va jouer un rôle déterminant.
Au fil de longues discussions, une amitié profonde naît entre les deux hommes. Le rabbin Kruger lui demandera de sauver son peuple.
Le 13 juin, Aristides envoie un télégramme à son ministère demandant l’autorisation d’émettre des visas pour le rabbin Kruger, sa famille et 28 autres réfugiés.
La réponse est immédiate et catégorique : « Non ! Ces personnes ne peuvent être admises au Portugal, c'est contraire à la circulaire no14 ».

C'est dans ce chaos que César de Sousa Mendes, neveu d’Aristides en provenance de Pologne, arrive à Bordeaux. Il parvient à rejoindre le consulat du Portugal où il trouve la maison de son oncle envahie d'orphelins, de femmes, de personnes âgées campant dans les nombreuses chambres et dans les bureaux.
Les réfugiés qui campent devant le consulat sont harassés après des jours et des nuits passés dans la rue, dans l'attente d'un éventuel visa distribué au compte-gouttes. Mais il se murmure que le consul est sensible aux demandes qui lui sont faites. Ils attendent, gardés par des soldats français, et ne bougent pas craignant de perdre leur place dans la file d’attente. C'est le seul espoir qui leur reste.
Le désespoir de tous ces réfugiés pour qui il ne peut pas grand-chose, perturbe Aristides tout comme les défaites de la Belgique, pays où il a été si heureux, et de la France qu'il aime tant.
Épuisé, impuissant, Aristides s'alite le 14 juin et reste prostré pendant trois jours.

17 au 19 juin 1940 : Aristides désobéit à Bordeaux

Le 17 juin à Bordeaux, le maréchal Pétain, le « vainqueur de Verdun », âgé de 84 ans, est appelé à la présidence du Conseil. Il demande l'armistice à l’Allemagne, signant la défaite de la France, la fin de la IIIe République et s’engageant dans la politique de collaboration avec l'occupant. Les conséquences seront dramatiques pour les millions de réfugiés en France et particulièrement pour les Français.
Ce même 17 juin à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes ne décide pas de démissionner. Il choisit d’être honnête avec sa conscience. Il choisit d’agir, de désobéir !
Il sait déjà que Salazar ne lui pardonnera pas sa désobéissance.

Ce même 17 juin à Bordeaux, le général de Gaulle n’accepte pas de déposer les armes.
En désaccord avec la demande de Pétain, il choisit de désobéir ! Guidé par sa conscience il quitte la France et s'envole, avec son nouveau gouvernement, de Mérignac pour Londres. Il y prononcera le lendemain sur les ondes de la BBC « radio Londres » le fameux Appel du 18 juin 1940 (inscrit par l’Unesco au Patrimoine « Mémoire du monde » aux côtés de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen).

Aristides de Sousa Mendes ouvre le consulat à 8 heures.
Il demande à tous de se mettre au travail, d'aller chercher les passeports, de laisser entrer tout le monde, il n'y a pas de temps à perdre. Aidé d’Angelina, de ses fils Pedro Nuno et José et du rabbin Kruger, de son secrétaire José Seabra et de qui peut les assister, il signe des milliers de visas et émet des passeports.
Lorsque les réserves de documents officiels sont épuisées, il appose son tampon et sa signature sur de simples bouts de papier. Certains proposent de grosses sommes pour un visa. Il refuse et leur accorde les visas, comme aux autres, jusqu'au dernier. José Seabra tente de faire respecter au minimum les règlements, il enregistre chaque visa. Le lendemain, le consulat ne fermera plus ses portes et José Seabra, débordé, abandonnera écritures et encaissements pour accélérer la délivrance.
Angelina soutient Aristides dans ses choix de citoyen de l’Humanité. Elle aide et accueille les réfugiés dans la grande maison du quai Louis XVII, à Bordeaux.
La nouvelle se répand comme une trainée de poudre parmi la population cosmopolite des réfugiés. L'espoir renaît. Avec leur précieux sésame, des milliers de personnes prendront la route vers le Portugal.
Aristides demande à son vice-consul honoraire de Toulouse, Émile Gissot, de délivrer des visas à tous, sans aucune distinction.

20 au 22 juin 1940 : Aristides à Bayonne

Alors que le paquebot Massilia quitte Bordeaux avec 27 parlementaires rejoignant le Maroc, dont Georges Mandel, Édouard Dalladier, Pierre Mendes France…
Aristides se rend à Bayonne à la demande de son vice-consul débordé de demandes qu'il ne peut satisfaire.
Aristides de Sousa Mendes, connaissant parfaitement la région, parvient à circuler. Il arrive dans Bayonne, elle aussi envahie de réfugiés.

Au consulat, au 8 de la rue du Pilori, la petite rue face de la cathédrale qui descend aux halles, il trouve des milliers de personnes désespérées en attente d'un visa pour la vie.
Aristides ordonne à son vice-consul, Manuel Vieira Braga, de délivrer les visas. Celui-ci lui répond : « Je ne peux obéir qu'aux ordres de mes supérieurs et à la circulaire no 14 du 11 novembre 1939 ».
Le consul lui rétorque : « Votre responsable hiérarchique c'est moi et en ma qualité de consul général, je vous ordonne de délivrer des visas à tout le monde ».
Mais Manuel Vieira Braga insiste : « Vous commettez un acte grave, vous vous exposez à des sanctions et des conséquences pour votre carrière ».
Aristides lui répond alors : « Cher ami, ma carrière est secondaire par rapport à toutes ces vies à sauver ».

Aristides de Sousa Mendes s'installe au bureau du consul et commence à délivrer des milliers de visas sans formalité.
Devant la foule massée dans la rue, dans la cour et dans l'escalier en bois qui mène au 3e étage de l'immeuble, Aristides de Sousa Mendes demande de descendre une table et une chaise. Le travail à la chaine recommence dans la rue, où les passeports sont ramassés, tamponnés, signés et rendus à leurs propriétaires.

Le 22 juin 1940, alors que le gouvernement français est toujours installé à Bordeaux, la France signe l'Armistice. Le IIIe Reich met en place toute une série de mesures pour limiter la circulation des personnes et instaure la ligne de démarcation.

22 au 25 juin 1940 : Aristides à Hendaye

Sur la route d’Hendaye, faisant fi de la convention d'armistice et des ordres de l'occupant, Aristides de Sousa Mendes continue de délivrer les précieux visas à tous les réfugiés qu’il croise à l’approche de la frontière.

À Hendaye, du 22 au 25 juin, il continue à signer des visas sur les passeports et tout autre document au porteur que les réfugiés lui tendent. L'essentiel est que le plus grand nombre puisse franchir la frontière avant l'arrivée des troupes allemandes et avant que les douaniers espagnols refusent les visas Aristides de Sousa Mendes.
Les services de renseignements anglais, le ministère espagnol de l'intérieur et Franco sont alertés par les services des douanes qui observent une marée humaine à leur frontière.
Le 23 juin, Salazar, dont l'alliance avec le général Franco est essentielle, est furieux. Il décrète que les visas émis par le consul général du Portugal à Bordeaux sont nuls et sans effet « car cet homme est devenu fou, il a perdu la raison ».
Ce même 23 juin, est voté à la demande du maréchal Pétain un décret rétrogradant le général de Gaulle au rang de colonel et le mettant à la retraite d’office par mesure disciplinaire. Il sera, en août 1940, condamné à mort, dégradé. Ses biens seront confisqués.
La course contre la montre va commencer.
Aristides de Sousa Mendes tente encore de sauver ceux qui sont refoulés par la police des frontières d'Hendaye. Il propose aux réfugiés de le suivre jusqu'à un poste frontière espagnol isolé qui ne peut être informé de l'interdiction. Il présente son passeport diplomatique aux douaniers en leur disant : « Je suis le consul général du Portugal à Bordeaux. Tous ces réfugiés ont des visas que je leur ai délivrés, ils ont le droit de se rendre dans mon pays ». Les douaniers les laissent passer. Ils sont sauvés !
Des milliers d’autres réfugiés détenteurs de visas signés par le consul Aristides de Sousa Mendes sont pris au piège, refoulés par les douaniers espagnols à Irun et aux autres postes frontières, alors que les chars allemands arrivent dans les Pyrénées-Atlantiques. Certains tenteront de passer la frontière plus loin, d'autres remonteront vers le Nord, d'autres encore, comme le penseur allemand Walter Benjamin ou l'écrivain allemand Carl Einstein, se suicideront plutôt que d'être livrés aux nazis.
Retour à Bayonne, puis à Bordeaux
Aristides, épuisé, retourne à Bayonne avant de rentrer à Bordeaux, où il arrive le 26 juin. Il trouve encore quelques réfugiés à aider, Angélina et Aristides les accueillent au consulat. Il donne à des Juifs de faux passeports portugais qui les protégeront des lois de Vichy, de l'internement et de la déportation.
Le 27 juin 1940, l'armée allemande occupe Bayonne et entre dans Bordeaux le lendemain. Le 29, le gouvernement français part pour Clermont-Ferrand avant de s'installer à Vichy.

Bilan : 32000 à 34000 visas délivrés, 30000 personnes sauvées ?

En 9 jours, le bilan du sauvetage réalisé par Aristides de Sousa Mendes avec l’aide de son épouse et de deux de ses enfants est exceptionnel.
Il a réussi à délivrer près de 34 000 visas et à établir de nombreux faux passeports. Il est difficile d’avancer un chiffre exact car l’enregistrement des visas n'a été tenu que jusqu'au 18 juin… et de nombreux porteurs de visas ne sont pas parvenus jusqu'au Portugal.
Concernant les entrées dans le pays, les archives de la police portugaise de sécurité des frontières font état de 40 000 réfugiés entrés en mai, juin et juillet 1940. Le capitaine Agonstinho Lourenco, directeur de la Police de vigilance et de défense de l'État (PVDE) témoigne que la majorité des étrangers qui se sont présentés aux frontières portugaises de mai à juillet 1940 avaient des visas délivrés par de Sousa Mendes. Lourenco estime à plus de 30 000, le nombre de personnes entrées au Portugal munies de visas de Sousa Mendes ou de son vice-consul de Toulouse, Émile Gissot, dont 10?000 juives.

Le consul Aristides de Sousa Mendes n’a privilégié aucune catégorie de personnes.
Il a délivré des visas et des faux passeports à toutes les personnes menacées :
des hommes, des femmes et des enfants ayant besoin de protection, des officiers autrichiens, tchèques, polonais…, des Belges, des Hollandais, des Français, des Luxembourgeois, des Anglais, des intellectuels, des artistes, de grands industriels, des commerçants, des hommes d’État, des ambassadeurs et des ministres, des professeurs, des hommes de lettres, des journalistes, des étudiants, du personnel de la Croix-Rouge, des membres des familles royales, des combattants, des résistants, des religieux, des Juifs, des chrétiens, des protestants, des agnostiques, des personnes seules ou des familles entières, sans distinction aucune, les membres du gouvernement belge, la grande-duchesse Charlotte de Luxembourg, sa famille, les membres de son gouvernement et leur suite, les Habsbourg-Lorraine, Otto de Habsbourg, l'impératrice Zita de Bourbon-Parme et ses enfants, la duchesse de Parme, ainsi que les membres du gouvernement autrichien, Édouard, Henri et Robert de Rothschild, le général Leclerc et d’autres généraux, bon nombre des fondateurs de l'État d'Israël…

Juillet 1940 : retour au Portugal

Fin juin, les autorités allemandes et espagnoles félicitent Salazar pour sa décision de maintien de l'ordre et pour avoir mis un terme aux agissements de son consul général à Bordeaux.
Salazar ordonne l'ouverture d'une procédure disciplinaire contre Aristides de Sousa Mendes quatre jours avant son retour au Portugal, le 4 juillet 1940. Ce même jour, il informe les autorités anglaises qu'il a mis fin aux dysfonctionnements qui se sont produits à Bordeaux et à Bayonne et que le consul a été relevé de ses fonctions.
Dès son arrivée à Lisbonne, Aristides demande une audience à Salazar, président du Conseil portugais et ministre des Affaires étrangères, afin de lui expliquer le sens de son action et ses motivations. Cette requête restera sans réponse.

Il rentre alors à Cabanas de Viriato heureux de retrouver sa famille, ses amis, mais également les réfugiés et leurs familles à qui ils avaient proposé l'hospitalité.
Il y retrouve M. Klein, un grand négociant en diamants d'Anvers, Paul Van-Zeeland, ancien premier ministre belge, Marcel-Henri Jaspar, ministre belge de la Santé publique, Albert de Vleeschauwer, ancien ministre belge des Colonies et administrateur général du Congo avec son épouse et leurs cinq enfants, des membres de la famille royale de Belgique, tout comme des réfugiés plus modestes. La vie reprend son cours, même si Aristides est préoccupé par son avenir.

Les Juifs louèrent la générosité de Salazar.

Ils ignoraient la désobéissance d’Aristides et le sort qui lui était réservé.
Malgré l'admiration que Salazar portait aux fascistes, il redoutait la menace anglaise. Il n'organisa pas la chasse aux Juifs dans son pays.
Dans l'indifférence générale, Aristides de Sousa Mendes est traduit devant le Conseil de discipline à Lisbonne, accusé de désobéissance, préméditation, récidive et cumul d'infractions. Le procès retient contre Aristides la délivrance de visas non autorisés, la falsification de passeports mais aussi et surtout d'avoir créé « une situation déshonorante pour le Portugal face aux autorités espagnoles et allemandes » .
Le 30 octobre, le verdict politique de Salazar tombe : Aristides de Sousa Mendes est rayé de la carrière diplomatique, son traitement est réduit de moitié et ses appointements au quart sans les indemnités habituelles, avec l'incapacité professionnelle de diriger un consulat.
Du bonheur passé il ne reste plus que quelques photos et de nombreux souvenirs heureux. Le consul proscrit, aidé de son frère César et de quelques amis, va tenter jusqu'au bout d'obtenir une révision de son procès. Mais le dossier est classé « secret d'État », suivi personnellement par le président du Conseil, Salazar, et sa rancune.

Aristides avait raison :
La guerre qui fait toujours rage et les nouvelles de toute l'Europe ne peuvent que conforter Aristides de Sousa Mendes dans ses choix, mais il doit subvenir aux besoins de sa famille.

De la déchéance à l'oubli

Angelina et Aristides de Sousa Mendes habitent maintenant un petit appartement à Lisbonne et le brillant diplomate s'inscrit à l'Ordre des avocats. Mais personne ne s'adressera à lui compte tenu des sanctions dont il fait l'objet.
La famille vit avec des ressources de plus en plus faibles. Elle va souvent manger dans un foyer pour les plus démunis, la cantine de l’Assistance juive internationale, organisé par la communauté israélite de Lisbonne.
En juin 1943, Carlos et Sebastião de Sousa Mendes, nés tous deux à Berkeley quand leur père était en poste à San Francisco, font valoir leur citoyenneté américaine et s'engagent dans les troupes américaines basées en Angleterre. Ils participeront au débarquement en Normandie et à la Libération de la France et de la Belgique.
En 1945, tout en se félicitant hypocritement de l’aide que le Portugal a apportée aux réfugiés pendant la guerre, Salazar refuse de recevoir Aristides de Sousa Mendes.
Le 16 août 1948, meurtrie de chagrin et à bout de force, Angelina de Sousa Mendes do Amaral e Abranches, après avoir soutenu son mari pendant 39 ans et assisté à la dispertion de sa famille. Elle meurt à Lisbonne d’une congestion cérébrale, à l’âge de 59 ans.

Le 16 octobre 1949, Aristides de Sousa Mendes épouse Andrée Cibial, reconnaissant ainsi sa fille Marie-Rose. Il partage sa vie entre Cabanas et Lisbonne. La maison de Cabanas se vide peu à peu de ses meubles. Aristides et Andrée viennent de temps en temps voir leur fille, élevée par ses oncles à Ribérac en Dordogne.
Malgré la vengeance de Salazar et les difficultés financières auxquelles il est confronté, Aristides n'a jamais regretté ses actes. Il se disait en paix avec sa conscience et avec sa foi. Accablé par la maladie il est hospitalisé, sur l’initiative de son frère, à l'hôpital des Tertiaires, une clinique gratuite dirigée par des Franciscains appartenant au troisième Ordre de Saint-François.

Le 3 avril 1954, il y meurt en paix avec lui-même, Andrée à ses côtés.
Son corps est transporté dans le caveau de famille du cimetière du Passal à Cabanas de Viriato.

Après sa mort, la maison de Cabanas sera vendue aux enchères pour payer ses dettes.
Ses enfants dispersés à travers le monde, continueront de se battre pour rétablir l'honneur de leur père et de leur mère.

Le 18 octobre 1966, Yad Vashem honore Aristides à titre posthume en le nommant Juste parmi les Nations, à l'initiative du rabbin Haïm Kruger rappelant que pour beaucoup de réfugiés juifs, la seule voie de sauvetage passait par l'entrée au Portugal.

Le 10 juin 1986, le Congrès des États-Unis d’Amérique décida d'honorer la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes comme l'avait déjà fait Yad Vashem.

L’État d’Israël le nomme citoyen honoraire en 1987.

En 1987, le Portugal remet à la famille d'Aristides la médaille de l'Ordre de la liberté au grade d'officier et se crée à Bordeaux le Comité national français en hommage à Aristides de Sousa Mendes.

En 1988, Aristides de Sousa Mendes est réhabilité à titre posthume par l'Assemblée de la République portugaise et réintégré dans la diplomatie avec le titre d'ambassadeur.