Dispositifs législatifs

L’enracinement tsigane en France est un phénomène ancien puisqu’il remonte au XVe siècle. Après l’accueil social dont bénéficièrent les « Égyptiens » auprès des populations, des autorités laïques et de l’Église, des princes et des nobles, les Tsiganes, à travers leur mode de vie itinérant, sont soumis à une législation répressive. Le destin de la diffuse « nation bohémienne » bascule à deux reprises. D’abord, des années 1600 à l’aube du XVIIIe siècle ; ensuite, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, où un ensemble de facteurs d’ordre socio-économique, politique, idéologique concourent à assimiler les « nomades » à des étrangers et à des asociaux indésirables.

L’attitude des pouvoirs publics français envers les Tsiganes voyageurs s’est déployée autour d’un dispositif législatif et policier que l’on peut résumer ainsi : surveillance, identification et contrôle, assignation à résidence et internement.

Le recensement général de 1895 de tous les « nomades, Bohémiens et vagabonds », la surveillance et le fichage des nomades par les Brigades régionales de police mobile créées en 1907 à l’initiative de Clemenceau, la loi de juillet 1912 relative à l’institutionnalisation du carnet anthropométrique d’identité, constituent autant d’étapes qui jalonnent le dispositif d’identification et de contrôle utilisé par la France républicaine envers les Tsiganes.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, les « nomades » sont assignés à résidence et bon nombre d’entre eux enfermés dans des camps d’internement.

En France entre 1940 et 1946, près de sept mille nomades seront internés dans des camps. Après la Libération, les Tsiganes encore internés, ou assignés à résidence, doivent patienter jusqu’en mai 1946 pour retrouver leur entière liberté.

1895 Un dénombrement général de tous les «nomades, Bohémiens, vagabonds » est prescrit par le gouvernement.

Le ministre de l’Intérieur informe les préfets « qu’il y aura lieu de procéder à enquête sur les nomades et les Bohémiens à partir du mercredi 20 mars ».

1912 16 juillet. La loi sur la circulation des nomades institue un carnet anthropométrique d’identité pour les « Bohémiens » français.

1940 Octobre. Sur ordre de l’Allemagne, le régime de Vichy interne près de sept mille Tziganes, répartis dans une trentaine de camps.

Ils seront libérés en... 1946.

1969 3 janvier. Le carnet anthropométrique est remplacé par un livret de circulation que doivent détenir les gens du voyage sous peine d’amende. Ils doivent également être rattachés à une commune.

1990 31 mai. La loi Besson impose aux communes de plus de cinq mille habitants de se doter d’une aire d’accueil pour les Roms. Elle sera renforcée par la loi du 5 juillet 2000, qui simplifie les mesures d’évacuation en cas de stationnement illégal.

2003 18 mars. La loi Sarkozy punit de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 3750 euros l’installation collective sur des terrains publics et privés sans autorisation.

2010 5 août. Une circulaire du ministère de l’intérieur enjoint aux préfets de démanteler par la force trois cents « campements illicites (...), en priorité ceux des Roms ».

2015 10 juin. Les députés suppriment le livret de circulation et accroissent les pouvoirs des préfets en matière de construction d’aires d’accueil.

17 août. Dans son rapport sur la France, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies appelle les autorités à « mettre un terme aux évacuations forcées des lieux de vie des migrants roms ».


L’anthropométrie, les papiers de contrôle


L’anthropométrie est une technique d’identification des personnes mise au point à la fin du 19è siècle pour les institutions policières puis judiciaires et pénitentiaires. Elle s’appuie sur une série de mesures du corps humain, sur le relevé de marques physiques et vise à l’identification des criminels. Elle va ensuite servir à l’identification et à la catégorisation de groupes d’individus qui vont être ainsi stigmatisés comme dangereux. Cela va être le cas des populations dites « nomades ».

Les carnets anthropométriques d’identité imposés aux populations « nomades » comportent des renseignements très précis sur les individus : nom, photo de face et de profil, empreintes digitales, mesure du corps, de la tête et de l’iris, état civil, généalogie, profession, etc.

Ces carnets comprenaient également les visas des autorités à l’arrivée des « nomades » dans une commune et à leur départ. Or les arrêtés municipaux interdisaient un stationnement de plus de 48h ce qui fait que de 1912 à 1969 les « nomades » devaient faire viser leurs carnets par l’administration toutes les 48h ! Une vie entière à se présenter tous les deux jours aux guichets de la mairie ou de la gendarmerie…

Autre aspect particulièrement contraignant des carnets anthropométriques, ils sont collectifs et concernent tous les membres d’une famille qui n’ont pas le droit de s’éloigner les uns des autres : au-delà de la surveillance individuelle des personnes le carnet conditionne la vie du groupe, qu’il isole et condamne, les individus n’ayant pas la possibilité de sortir de ce statut qui les maintient à part du reste de la société.

En 1969, le carnet anthropométrique d’identité devient carnet de circulation : les carnets ne sont désormais visés que tous les trois mois. Si la contrainte est allégée elle n’en reste pas moins encore terriblement présente. Les carnets de circulation ont été supprimés par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et la citoyenneté, publiée au Journal officiel et entrée en vigueur le 29 janvier 2017, et dont l'article 195 abroge la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969, relative aux livrets et livrets spéciaux de circulation.


La surveillance des Nomades au tournant du XXe siècle

Pourtant intégrés dans les circuits économiques régionaux et transfrontaliers depuis plusieurs siècles, les déplacements des travailleurs itinérants et saisonniers, des marchands ambulants, des familles dites « bohémiennes », foraines ou réputées nomades suscitent peu à peu réprobation et défiance.

La stigmatisation de ces populations par les pouvoirs publics puise ses racines dans la deuxième moitié du XIXe siècle. La crise économique des années 1880, l’industrialisation et l’urbanisation bouleversent les structures et les économies des mondes ruraux et transforment le regard porté sur les familles itinérantes. Les discours xénophobes sur l’insécurité des espaces ruraux assimilent les familles itinérantes françaises à des vagabonds asociaux et apatrides, porteurs de maladies, espionnant et pillant les campagnes. Ces déclarations trouvent un large écho dans la presse et un puissant relais politique : en 1884, une loi permet aux maires de s’opposer au stationnement des itinérants sur le territoire de leur commune.

Le 20 mars 1895, un premier dénombrement empirique de tous les « nomades, bohémiens, vagabonds » vivant en France est organisé par le gouvernement. Le rapport de la commission extraparlementaire faisant suite au recensement donne le nombre de « 25000 nomades en bandes voyageant en roulottes » sur le territoire français.

En 1907, au moment où la question sécuritaire occupe les débats publics, le gouvernement français crée les brigades régionales de police mobile qui sont placées sous l’autorité de la Sûreté générale. À la même période, les parlementaires s’emparent de la question et élaborent un projet de loi visant à établir une réglementation des professions itinérantes. Le terme de « Nomade » s’impose dans les débats parlementaires pour réprimer un mode de vie associé au vagabondage et à la criminalité.

Loi du 16 juillet 1912 :

l’instauration d’un régime des Nomades

La loi du 16 juillet 1912 sur « l’exercice des professions ambulantes et la circulation des Nomades » crée trois catégories d’itinérants en conjuguant des critères de domiciliation, de nationalité et de profession. La réglementation des professions itinérantes fixe des statuts stables (ambulants, forains, nomades) à des individus qui pratiquent en réalité une mobilité intermittente et fige ces personnes dans des catégories administratives dont il est très difficile de sortir. Cette population se trouve placée sous le contrôle du ministère de l’Intérieur.

Cette loi constitue un acte décisif dans la mise en place d’un système policier d’identification préventive et de surveillance des circulations des populations itinérantes. La catégorie « Nomade » permet à l’administration de cibler tous ceux que l’opinion nomme péjorativement Bohémiens, Tsiganes, Gitans, etc. La visée ethnique de la répression exercée s’efface au profit d’un terme généraliste mais la dimension raciale de la loi demeure.

En France, le vocable Tsigane est de plus en plus remis en question par les membres des différentes communautés.

Cette population hétérogène, estimée à près de 40000 personnes par les autorités en 1940, est assignée à résidence par un décret-loi signé du président de la République, Albert Lebrun, le 6 avril 1940. Les Nomades, mais aussi les forains, les circassiens et les familles itinérantes sont menacés par l’application de ce décret.

Le 4 octobre 1940, l’état-major allemand exige l’internement des « Zigeuner » de la zone occupée dans des camps familiaux surveillés et gérés par les autorités françaises. Le régime de Vichy traduit cette demande en internant les Nomades tels qu’ils sont définis par la loi de 1912.