JeanNine née KALMOVITZ STRUBEL

Mes parents

André DELAPLACE, mon futur beau-frère

> Fiche YADVASHEM

Je suis née le 30 mars 1933. La mauvaise année. Hitler. J’ai vécu une enfance très heureuse. J’étais la dernière avec ma sœur jumelle d’une famille de cinq filles. Mes parents ont eu la surprise de voir arriver encore deux filles. Jusqu’en 1939, tout allait bien. En 1940-41, nous avons quitté Paris. Nous sommes partis en zone libre. Ils ont commencé les bombardements sur Paris. Et moi, j’étais très peureuse. J’avais peur.  Il fallait descendre à la cave. J’affolais tellement ma mère, elle croyait que j’avais froid et me mettait des pulls, des pulls. J’avais une peur bleue en fin de compte. Jamais en fin de compte cet enfant ne résistera. Nous avons vécu là-bas jusqu’en 1942-43.


Par quel moyen vous êtes-vous rendue en zone libre ?

En train. Nous nous sommes arrêtés à Dax puis on s’est rendus à Pau.


Etiez-vous de nationalité française?

Je suis né à Paris, 13ème. Nationalité française de parents étrangers. Je suis française par la loi du sol. Mes parents sont arrivés en 1929. Mes parents n’ont été naturalisés qu’en 1947 du fait qu'ils n’avaient que des filles. Pour avoir la naturalisation, à l’époque, il fallait des enfants à envoyer à la guerre. C’est fou d’entendre ça. Moi, j’étais française par le sol. A Pau, nous avons vécu une vie paisible. On nous avait prêté une petite maison, mes parents élevaient des volaille. Une vie bien, mon père était maroquinier et arrivait tant bien que mal à nourrir une famille de quatre enfants. Jusqu’à qu’il y ait eu des problèmes, du fait que ce n’était plus la zone libre. On faisait PARIS PAU régulièrement. On s’est fait arrêter ma mère, ma sœur, ma sœur qui avait 16 ans et ma sœur jumelle par les gendarmes français en passant la ligne de démarcation en 1942. Ma mère et ma sœur sont parties dans le camp de Gurs. Nous, ma sœur jumelle et moi avions embarqué. Mais comme j’avais un beau frère qui connaissait beaucoup de gens. Il leur a dit de ne pas les embarquer car elles sont françaises et que le camp était pour apatrides.  Il y avait beaucoup d’espagnols. Le camp de Gurs n’est pas très connu mais a une histoire. Avec l’aide de mon beau-frère, nous n’y avons passé qu’une nuit, une nuit dont je n’ai pas de souvenance, on me l’a rapporté.Je l’ai complètement occulté. Ce sont les gendarmes français qui nous ont envoyés là bas! Ma mère et ma sœur sont restées là- bas trois mois dans un climat très rude. Elles cassaient la glace pour se laver, il faisait des hivers pas comme maintenant. Mon beau-frère, qui a appris qu’on commencé à déporter les gens, est intervenu. C’était un peu une tête brûlée. Il jouait au football. Il est allé voir quelqu’un de haut placés dans le football. Il a réussi à faire sortir ma mère et ma sœur ainsi que d’autres personnes pour qu'elles ne soient pas déportées. Donc ma sœur et ma mère sont restées mais très marquées car les trois mois avaient été très rudes. Je n’ai pas eu l’occasion d’y retourner mais il reste des restes de ce camp. Après nous sommes rentrés sur Paris, ma sœur avait fait connaissance d’un monsieur catholique grâce à un de mes beaux frères qui avait trouvé une pension pour ma jumelle et moi.  Tout le reste de ma famille a été caché dans une petite maison qu’on leur avait prêté près de la mairie de Vincennes. C’était une maison où il y avait un crime. Il y avait encore du sang sur le mur. Personne ne voulait y habiter. Toute la famille sauf ma sœur aînée, tout le monde a été caché la dedans pendant deux ans et demi à côté de la Kommandantur. Mon père, ma mère parlant Yiddish, en mettant l'oreille contre le mur, mon père apprenait l'avancée des Alliés. Ils entendaient les Allemands parler. Pendant deux ans et demi, ils n’ont pas mis le nez dehors. Et nous , ma sœur jumelle et moi, nous avons été privés de la présence de nos parents. Notre sœur de 16/17 ans venait nous voir une fois par mois. Ces personnes ont bien voulu nous garder. J’en ai pas fait des “Justes”, c’était des Ténardiers. J’étais battu, ils nous prenaient des”boniches”, On servait à table après la sortie de l’école, on épluchait les légumes. Des “bonnes à tout”. Ils rêvaient qu'une chose, c’est que nos parents ne reviennent jamais nous chercher afin de nous garder. C’était un hôtel, une sorte d’auberge. Dans un sens, on leur doit la vie, mais pas assez. Ils prenaient de l’argent tous les mois, de la part de mes parents. Nous sommes restés là-bas deux ans et demi. Dieu merci personne n’a été déporté. Mes sœurs naviguaient dans Paris avec des faux papiers.


Comment avez-vous obtenu ces “faux papiers”?

Par celui qui est devenu mon “beau-frère”. Il a fait des faux papiers. Sa maman qui venait ravitailler mes parents, venait en bicyclette avec des fausses cartes d’alimentations. Ce sont des Justes. Le nom de mon beau-frère c’est André Delaplace. Il a un arbre à Yad Vashem.

Après nous avons eu beaucoup de mal à retrouver notre appartement, mon père en tant que maroquinier avait un appartement commercial comprenant un lieu d'habitation où habitait la famille. A Paris, comme beaucoup de gens à l’époque, les français ont pris notre appartement, ont vidés tous les meubles, se sont installés. Pendant deux ans, mes parents se sont battus pour récupérer leur appartement. Mon père a repris son activité. Au bout de deux ans, le magasin aussi a été restitué après de nombreux procès. Dans notre malheur, on a eu beaucoup de chance. Avec six enfants, personne n’a été déporté. Malgré le fait que nous n’avions pas été bien traités, ces personnes nous ont sauvés. Pendant deux ans et demi, ils nous ont nourris, se sont occupés de nous. Je n’ai jamais voulu revenir sur les lieux. Nous sommes allés une fois sur les lieux. J’ai tellement pleuré qu’on a pas été plus loin. C’était un village, une école. J’avais dix, onze ans. Le père était gentil, il marché dans les pas de sa femme. Sa femme était méchante. Même sous un orage terrible, on faisait trois kilomètres sous la pluie. Elle nous considérait comme des domestiques. Lorsque nous sommes arrivés dans ce village, les gens ne savaient pas que c’était un juif. Lorsque mon beau-frère est venu la voir, il leur a dit de ne surtout pas dire qu’elles sont juives. Mais comme elle l’a raconté à une personne, cela a vite fait le tour du village. Ça a été un défilé chez cette personne car tout le monde voulait savoir ce que c' était des juifs. Et comme on était blanche et tout à fait normal , ils disaient “Mais c’est ça des juifs?”. Ils en revenaient. J’allais à la messe pendant deux et demi, la messe le matin, tout. J’ai participé à tout. Je connais les prières partout.


Y’avait t’il le souhait de vous convertir ?

Oui. Le curé voulait nous convertir. Mais, dans mon âme d’enfant... Mes parents n’étaient pas du tout pratiquants. Mon grand-père, qui a été arrêté, était très pratiquant. A l’époque, les filles rêvaient de la robe blanche de la commission. Mais on disait au curé qu'on ne voulait pas faire la fête tant que nos parents n’étaient pas là. Regardez l’affaire Finaly…


Dans notre malheur, on a eu la chance d’avoir une sœur qui prenait le train PARIS LE MANS à ses risques et périls. Après le village était bien desservi par une gare proche du village. Comme elle était très jolie, elle se faisait draguer par les Allemands dans le train. C’était le seul lien avec mes parents. J’étais très attaché à ma mère. Tellement qu’à l’âge de 14 ans, nous avions pris un appartement en face de la gare du Nord en attendant de retrouver notre appartement. Et dès que ma mère sortait, je me mettais à la fenêtre et je criais de toutes mes forces “ Maman, reviens”. J’ai été longtemps traumatisé.

Propos recueillis par David STORPER dans le cadre du travail de recueil de témoignages entrepris par le Collectif Histoire et Mémoire.