Les Scouts neutres

Mes copines du Mazet-Saint-Voy

La Libération, une fête

Janine BENFREDJ NÉE HIRSCH

Je suis né à Paris, à Asnières exactement.

Mon père travaillait à la banque Lazare où il était fondé de pouvoir. Vers l’année 1939, la banque LAZARE est partie aux États-Unis. Ils ont dit à mon père, Monsieur Hirsch, « venez avec nous vous garderez votre poste ». Mon père a répondu : « je ne peux pas abandonner ni mes parents ni mes beaux-parents ». Mais il a dit « il faut qu’on quitte Paris ». Dans l’immeuble où on habitait, il y avait une cour d’immeuble assez grande. Il y avait à un étage de cet immeuble des gens qui étaient très antisémites. Il y avait de l’antisémitisme plus ou moins latents à l’époque. Quand on jouait dans la Cour, il y avait leur fille qui se mettait à la fenêtre et qui criait « Barbe-à-poux, Barbe-à-poux, Barbe-à-poux ». Et ces gens-là déversaient leurs poubelles devant la porte de mes parents tous les jours. Il faut être vraiment être petits pour faire des choses pareils. Mon père a dit : « il ne faut pas rester à Paris ». Sa famille avait progressivement bougé à Paris.

En quelle année sommes-nous ?

En 1939. Il a cherché quelque chose. On lui a proposé un magasin à Bordeaux, près d’un pont. Quelque chose l’a poussé à dire non je le prend pas. Ils sont finalement venus à Nîmes mes parents. Ils étaient venus voir un peu, un lundi, jour de la Foire aux Vins. Il y avait beaucoup de monde dans les rues. Ils se sont dits que cette ville était vivante, charmante et tout ça. Ils ont trouvé au niveau de la rue Général Perrier un bureau de tabac à vendre. Les gérants de ce bureau de tabac s’appelaient « Mazel », c’est bizarre hein… On a déménagé et on a habité à Nîmes.

Ça ne s’est pas trop mal passé les premiers temps, quoiqu’il y eût certainement des arrestations mais on n’était pas au courant. Parait-il qu’il y avait un camp où on mettait les futurs déportés dans la région.


En quelle année arrivez-vous à Nîmes ?

En 1939.

J’avais six ans. Je suis allé à l’école. Primaire, à Daudet. Il y avait des petites classes. Ça ne s’est pas trop mal passé. Il y avait déjà des restrictions, la queue pour aller chercher le beurre, le lait, coupé d’eau par les crémiers.

Allez-vous à la Synagogue de Nîmes à ce moment-là ?

Mon père n’a jamais été un fervent religieux mais ma mère y allait et était toujours assise à côté de Mme Simone Mendel. Même pendant la guerre.

 

Avez-vous connu des personnes à la Synagogue ayant été déportés ?

Les Goldenberg, ils avaient un magasin rue Général Perrier, qui était un magasin de vêtements pour hommes. Ça marchait bien. Dans leur famille à eux, ils ont eu seize personnes déportées qui ne sont pas revenues.

Les Bornstein aussi. Betty Decalo, très maigre à son retour des camps et Jacques. Les Cazès. Ils avaient un magasin près des Halles appelé « Le Mouton à Cinq Pattes ». Les Chezovki. Mais je les connaissaient davantage quand ils habitaient déjà rue Littré derrière le magasin. Le couturier Gueller, c’était le tailleur de la fille très longtemps.

En Novembre 1942, les Alliés débarquent à Oran, en Algérie. La zone libre est occupée. Ils sont arrivés à Nîmes. Mes grands-parents qui étaient aussi réfugiés en provenance de Lorraine, sans rien. Quand mon grand-père a vu les tanks allemands sur l’Esplanade, la nuit, a fait un infarctus et il est mort.

Connaissiez un Grand Rabbin nommé Hirschler venu d’Alsace dans la région de Nîmes à cette époque-ci ?

Non, d’abord Hirsch ce n’est pas vraiment notre nom. C’est une erreur d’état civil. Normalement, notre nom c’était Weil. Dans l’Alsace, on donnait Hirsch comme prénom.


Les juifs on les appelaient Hirsch ?

Hirsch, c’était un nom d’animal. On disait à cette époque-là qu’aux juifs il fallait leur donner des noms d’animaux. Ma grand-mère c’était Berr, « ours ». Mes parents, c’était Hirsch, « le cerf ». En Novembre 1942, on a commencé les arrestations des juifs qu’il y avait.

 

Mes parents avent déjà un administrateur de biens juifs. Il y a une dame qui est venu avec un monsieur un jour. Elle était très élégante. Je revenais de l’école, j’avais mon cartable. Elle rentre dans le magasin. « Mesdames, Messieurs, ne touchez plus à rien, ici plus rien n’est à vous ! ». Ma mère n’a pas perdu le Nord. Elle m’appelle et me dit : « tu vas monter prendre ton gouter, tiens pour ton gouter ». Elle a ouvert mon cartable et a vidé la caisse dedans.  Ma mère a toujours eu des réflexes extraordinaires. On avait plus le magasin. Mon père est parti avec un de mes oncles au Mazet-Saint-Voy près du Chambon Sur Lignon pour essayer de nous trouver un point de chute et nous faire venir. Entre temps, la Gestapo est venue pour nous arrêter. On avait dit à ma mère si vous voyez une traction avant noire à toit blanc s’arrêter devant chez vous, faites attention c’est la Gestapo. C’était des gens au courant. Il y’avait comme même des résistants à l’époque.  Un soir, on entend une voiture s’arrêter. C’était le couvre-feu, donc il n’y en avait pas souvent. Ma mère se penche et voit la Citroën noire à toit blanc. Elle referme les volets intérieurs. On ferme tout, on éteint tout et on ne bouge pas. Les allemands sont arrivés « Police ALLEMANDE ». Y’en avait qui le disait avec l’accent du Midi car il y avait déjà des « Collabos ».

Les gens du deuxième étage : « on n’ouvre pas, ce n’est pas une heure pour venir sonner chez les gens. » Ils ont sonné chez le voisin de palier. Le voisin a ouvert. Ils ont dit « on cherche la famille Hirsch ». Ils leurs ont répondu « Oui, c’est bien là mais ils sont partis il y a huit jours. »  Ils savaient que nous étions là. C’était monsieur Cabanel de mémoire bénie. Il leur a solidement dit qu’on était partis depuis huit jours. Ils ont comme même attendus devant la porte de neuf heures du soir à minuit à donner des coups de pieds dans la porte, à essayer d’ouvrir. Ma mère avait laissé la clé dans la porte. Ils s’énervaient et espéraient nous voir réapparaitre. Nous étions tout le soir dans l’obscurité, assis sur des chaises à pas oser bouger. Voilà. Après minuit, ils sont partis. Le voisin de pallier nous a fait passer un mot sous la porte qui disait vous pouvez bouger, ils sont partis, j’ai fait le tour du pâté de maison, il n’y a plus personne.


Quelle a été votre décision suite à cette terrible nuit ?

Nous sommes partis, c’était le jour de la Saint-Georges. C’était une grande fête de Scouts. Tous les Scouts. Nous étions aux Scouts neutres car il n’y avait plus les Scouts juifs à ce moment-là.

 

Notre voisin de pallier était cheminot. Il savait très bien ce qu’il se passait. Les trains de marchandises avec des gens qui criaient « Au Secours ». On ne savait pas exactement ce qu’il se tramait dans les camps de concentration. Mais on savait que ce n’était pas pour nous faire du bien. Ils ramassaient les juifs qui n’étaient pas français, ils ont dit ça. Dans la rue où on était, toute une famille appelée les « Benattar » ont tous été pris. Ils cherchaient à se cacher et comme ils avaient laissé les restes de leur repas sur la table, les allemands et ceux qui étaient avec eux ont vus 7 assiettes et ont cherchés 7 personnes qu’ils ont trouvés. Le seul revenu, c’est Georges Benattar.

J’avais ma cousine Nadine avec nous. Nadine, sa mère était catholique mais elle était déjà au Mazet-Saint-Voy sa mère.


Connaissiez-vous Alfred Nahon ?

Mon père le connaissait, je crois, très bien. Ce nom me dit quelque chose.

J’avais un oncle, Pierre, qui était avocat.

Il est parti à Nice à vélo. Il avait un physique très stéréotypé de l’image du « juif » de l’époque. Il ne pouvait pas prendre le train sans risquer se faire arrêter. C’était le frère de mon père. Il y’avait la femme de ménage qui nous cherchaient partout sur le Boulevard Amiral Colbert, en face de la Kommandantur et elle criait « Monsieur Hirsch, y a la Gestapo qui vous cherche ! ».

 

Vous m’aviez dit que votre père servait de « boite aux lettres » à la Résistance ?

Oui, sous la pile du Signal (genre de Paris-Match) de l’époque, on cachait les journaux de la Résistance. On servait de boite aux lettres. Un jour, les allemands étaient entrés. Trois prennent tour à tout un Signal, ma mère est devenue blanche. Ils n’ont pas atteint le bout de la pile heureusement. Ma mère, au cours de cette nuit, nous a habillé en Eclaireurs. Vous filez chez Anna, la femme de ménage et vous ne bougez pas de là. Quand on est arrivé, elle a pleuré. Elle habitait vers la rue des Marchands. On l’a attendu. Il y a quelqu’un qui sonne chez elle. L’homme avait un manteau en cuir, un grand chapeau. On s’est dit c’est la Gestapo. C’était mon oncle qui avait reçu ma mère, ma grand-mère et mon frère chez elle. Parce que ma tante, la sœur de ma mère était mariée à un militaire français nommé Vergniol et qui était catholique. Donc non inquiétés. Ils sont allés chez eux et ont demandés de l’aide. Il a dit que les petites, il allait envoyer quelqu’un les cherchez. Vous partirez en suite jusqu’au Chambon-sur-Lignon, et vous vous partez séparément. Ma grand-mère, ils l’ont gardée avec eux. On se disait si y en a un de pris, les autres réchappent.

 

Ton grand-père a été enterré au cimetière israélite pendant la Guerre ?

Oui, en 1941. Il s’appelait Nordemann.

 

Combien êtes vous rester au Chambon-Sur-Lignon ?

Nous sommes restés deux ans au Mazet-Saint-Voy. On a été reçus comme des princes en revenant. J’ai retrouvé la petite fille des gens qui nous hébergez et nous sommes toujours amis. 


Propos recueillis par David STORPER dans le cadre du travail de recueil de témoignages entrepris par le Collectif Histoire et Mémoire.