Alfred NAHON, de retour de déportation depuis quelques semaines, décrit son tragique récit dès le 23 juillet 1945 dans la presse régionale :
- Artisan du bâtiment, de religion israélite, je fus arrêté par trois hommes de la Gestapo en avril 44 à Nîmes.
Immédiatement incarcéré à la prison de la caserne Vallonge et après avoir été présenté à l'adjudant-chef, les nazis firent l'inventaire du contenu de ma valise, me volèrent mon portefeuille, ma montre, deux paires de gants et divers autres objets, en me laissent ce qui ne les intéressait pas. C'est par ces procédés, que je commençais à connaître ceux qui voulaient imposer au monde un ordre nouveau. Le dixième jour, accompagné par la feld-gendarmerie, armée de mitraillettes, je fus dirigé en car avec d'autres prisonniers de toutes catégories à la grande prison des Beaumettes, située dans les environs de Marseille.
-On nous a beaucoup parlé des Beaumettes et des tortures qui ont dû être endurées par les patriotes dans cette prison. Pourriez vous nous donner un exemple?
- Oui, Dans un groupe dont je faisais d'ailleurs partie, une évasion se produisit et le chef des geôliers fou de colère, fit tourner en rond toute la nuit dans la cour enchainés, poignets par poignets, les 19 hommes du groupe, afin de les faire parler pour savoir l'endroit où était caché le fugitif et s'il avait des complices. Malgré la souffrance de leurs poignets saignants, la fatigue et le sommeil, pas un Français ne parla de toute la nuit et le matin, les Allemands impuissants, dûrent les renvoyer dans leurs cellules.
- Après les Beaumettes, où avez-vous été dirigé ?
Après quelques jours de cellules et n'ayant reçu comme nourriture qu'un morceau de pain et une soupe d'eau claire par jour, un convoi composé de 300 prisonniers, hommes femmes et enfants, fut formé pour être envoyé à Drancy, grand camp de passage dont l'administration, la police, etc. étaient dirigés par des Israélites sous le contrôle de gardes mobiles et de la Gestapo. Entassés dans des wagons à bestiaux, nous partîmes en direction de la banlieue parisienne, en cours de route, chacun cherchait le moyen de s'échapper de l'étreinte nazie. Deux jeunes de 20 ans, deux frères d'Avignon réussirent à ouvrir une porte du wagon et à sauter en marche ; un troisième voulut sauter en gare d'Orange, mais sans avoir eu le temps de s'abriter derrière un butoir, il reçut une rafale de mitraillette. Inutile de dire que les évasions s'arrêtèrent là car à la gare suivant les portes furent cadenassées et enchaînées.
-Drancy ! Quels souvenirs doit vous rappeler ce camp réputé par ces horreurs ! Avez-vous été témoin de quelques atrocités ?
-A Drancy, on m'annonce que notre convoi était attendu afin de compléter un transport qui devait être déporté le lendemain. On peut être courageux mais le mot déportation est un mot terrible lorsqu'on aime son pays, lorsqu'on laisse sa famille, en ignorant si un jour on reverra la France.
C'est les larmes aux yeux que dans la nuit de mon arrivée, car le départ était pour le lendemain 7 heures, je préparais ma musette en y mettant les provisions de route que l'on nous avait remises (nourriture disait on pour cinq jours).
Et voici un spectacle horrible que j'ai vu de mes propres yeux.
Le lendemain matin, à 6h30, trous S.S. porteurs de mitraillettes étaient là. En face, un groupe de déportés était rassemblé pour le départ. Une dizaine furent pris et adossés contre un mur. On leur lia pieds et mains. Le sourire au lèvre, les trois S.S. épaulèrent leurs mitraillettes et firent feu. L'un deux s'approcha de nous et nus dit :
"En France, on appelle cela un carton".
- Deviez vous rester longtemps à Drancy ?
- Non. Quelques instants après ce drame, des cars venaient nous chercher et nous transporter à la gare de Bobigny.
Là, un petit état-major allemand était installé et quelques mètres plus loin, notre train nous attendait.
Sur l'ordre d'un adjudant, nous fûment poussés dans des wagons à bestiaux et serrés au maximum à 90 par wagon. Dans un coin deux récipients, un contenant de l'eau, l'autre pour les besoins naturels ; deux petites lucarnes, de 0m 25 de diamètre pour l'aération. Voilà ce que la race des seigneurs nous offrait.
Inutile de dire qu'entassés de cette façon, tous souffraient de ne pouvoir s'assoir, ni s'allonger et plusieurs se battaient afin d'avoir un peu de places sur les planches pour se reposer ou pour accéder à la lucarne afin de respirer un peu d'air.
Notre souffrance dura cinq jours et cinq nuits interminables, dans notre wagon, un homme mourut : un autre devint fou et l'on dût l'attacher avant qu'il ne fasse des victimes.
Peu avant d'arriver à destination, pendant un court arrêt du train, des soldats allemands qui accompagnaient le convoi montèrent à contre-voie, munis chacun d'un sac et nous demandèrent (très pressés) car ils opéraient pour leur propre compte de leur remettre nos cigarettes, conserve, savon, etc. (une façon comme une autre de nous soulager). Enfin, le train s'arrête à destination. Où sommes nous? En Haute Silésie, à Auschwitz, grand centre d'extermination, destiné aux ennemis des nazis. .
Dès arrivés, des hommes armés de bâton nous obligent à descendre immédiatement en abandonnant tous nos bagages dans les wagons (bagages que nous ne reverrons jamais plus) et c'est les ventres vides que nous nous alignons sur le trottoir, en rangs de cinq ensuite la colonne s'avance vers un groupe de S.S. qui au passage nous séparent les uns à droite, les autres à gauche. Ceux de droite, hommes et femmes, jeunes et forts sont destinés au travail force et envoyés dans le camp.
- Et quel fut le sort réservé aux autres ?
- Les autres, hommes et femmes, faibles ou âgés et les enfants n'ayant aucune valeur pour ces bandits, seront supprimés par un moyen diabolique, que seuls les cerveaux boches pouvaient trouver. A quelques pas de là, à Birkenau, 6 crématorium comprenant chacun de nombreux fours, brûlaient chaque jour une foule de déportés venus de toute l'Europe. Poussés à coups de bâtons, ceux que les nazis vont supprimer descendent les escaliers et se trouvent en sous-sol, dans une salle mesurant 60 mètres sur 12 environ ; au-dessus de la tête un écriteau de 0.60 sur 0.70 peint à huile, écrit en anglais, allemand, français, italien, anglais et polonais indique "Vestiaire" au fond la salle, un autre écriteau indique "Chambre de désinfection Bains" tout autour de la salle des bancs et des petits porte-manteaux numérotés jusqu'à 2 000. N'ayant pas fait toilette depuis plusieurs jours, ces malheureux s'empressent de se déshabiller, croyant qu'ils aillent se doucher. Dévêtus, ils sont dirigés à grands coups de bâtons vers le fond de la salle où une grande porte donne accès à une pièce d'environ 12 mètres sur 6; le plafond est percé de grilles d'aération automatiques, actionnés de l'extérieur. Au milieu de la salle, deux cylindres, de 0.30 de diamètre percés de milliers de petits trous partent du sol et montent jusqu'au plafond qu'ils traversent. Enfermés à double tour dans cette prison, les malheureux commencent à comprendre ce qui les attend car comme douche il y a une quinzaine de pommes d'arrosoir clouées au plafond sur des taquets de bois.
- Quelques minutes après, un assassin nazi ayant jeté une grenade asphyxiante à l'intérieur de chaque cylindre le gaz se répandait dans la pièce, l'on entendait milles cris de souffrance de ces malheureux qu'on gazait, et qui, dans quelques instants, ne seront que des cadavres.
L'opération terminée, les nazis après avoir ventilé la pièce, sortaient les morts les mettaient dans l'ascenseur, qui les montaient au-dessus dans ces fours, où avant de les réduire en cendres, un S.S. venait arracher les dents en or de tous ces innocents assassinés.
- Vous avez eu de la chance ce jour là de faire partie de l'autre colonne. Vers où vous entraine t'on ?
- La colonne de droit dont je faisais partie fut affectée à un kommando, et c'est avec tristesse, que chaque jour, en allant au travail notre colonne regardait les flammes immenses sortir des énormes cheminées des fours crématoires.
Un soir de septembre 44, une commission arrive à Aushwit, accompagnée par la Rapport-Fuhrer, elle oblige tous les prisonniers à défiler devant elle afin de faire une sélection et d'en prendre 10 p. cent parmi les plus faibles qui seront immédiatement consignés au Blok 10, et emmenés deux jours plus tard pour être exterminés.
La semaine suivant, environ 400 malades amaigris, appelés pour ça "Musulmans" seront emmenés en chemise, sur des camions, et jamais plus on ne reverra, ces malheureux, car les nazis suppriment tous ceux qui ne peuvent pas être utiles.
Midi Libre 23 juillet et 4 août 1945