Extime

Dire que la reproduction détermine l'ensemble du rapport c'est dire que les mécanismes d'appropriation des femmes déterminent l'ensemble du rapport et il faut le dire, je vois pas bien le problème.

La question est de savoir pourquoi, dans quel but et pour dire quoi, on veut « franchir ce seuil de l'intime ». Pour combattre et pour montrer quoi. C'est pas juste histoire de caractériser la définition des sujets, pour moi c'est surtout donner une place théorique à ce qui par définition n'en n'a pas pour les raisons de particularisation et de naturalisation comme le AC, et surtout pour la raison que la gestion de l'intime, de l'affectif comme tel c'est dans le champ du féminin.

« Entrer dans la viande du rapport » pourquoi il faudrait le faire, surtout c'est quoi exactement cette viande, et puis pourquoi c'est compliqué... ? Ce que je crains dans cette formule, outre son côté chair fraîche dont on m'a encore gentiment caractérisé l'autre soir, c'est de faire des affects une chaire plus fraîche de la définition des rapports que le fait par exemple qu'elles fassent la vaisselle.

« L’intime lui s’articulerait aux deux autres (mais dans un rapport particulier au privé dans lequel il est inclus) sur le mode du senti, des affects produits dans des relations et des relations produites par ces affects, des affects biologisés parce que s’effectuant forcément à travers des corps, et ferait exister les sujets hommes et femmes tels que la totalité les constitue, certes pour le capital, mais aussi comme véritables sujets sociaux pour eux-mêmes, dans leurs rapports. C’est aussi parce que j’ai tels ou tels affects que j’entre en lien comme homme ou comme femme de telle ou telle manière (que je deviens homme ou femme), et donc que je m’inscris de telle ou telle manière dans les sphères publique et privée, dans la totalité du MPC. La nécessaire reproduction des catégories homme et femme par le MPC n’existe qu’en étant vécue et agie par des sujets sociaux particuliers, et se vivant comme tels »

Je pense que ma question n'est pas tant tels ou tels affects mais quelle place les affects occupent dans les rapports homme/femme et du coup dans la définition des hommes et des femmes. Les affects ne font pas exister les corps et les sujets, la place qu'ils occupent dans les rapports font exister les hommes et les femmes, c'est pas du tout la même chose. C'est pas juste la question des sentis mais bien celle de leur place dans la définition des uns et des autres et du coup les rapports sociaux induits par ce rapport aux sentis.

De même juste après, parler de corps socialisé me paraît insuffisant, ça ne dit rien de cette « socialisation » qui fait que les femmes ont un corps et un sexe et que les hommes sont les êtres génériques.

Ensuite aussi ça pose le même type de problème : «A tous, on nous a d’abord demandé si on était un garçon ou une fille, et tous, il nous a bien fallu répondre, avant d’avoir à en répondre. Et je doute fort que le travail de déconstruction de la naturalité du rapport fait par les féministes, que ce soit par les luttes ou la théorie, ait eu beaucoup d’effet sur cette puissante évidence. Il en faudra un peu plus pour que la nature cesse d’être naturelle. En attendant, on peut toujours remettre en cause des « rôles sociaux », ça n’est déjà pas rien, mais ça n’est pas la même chose. »

Encore une fois ça n'a pas le même sens pour les hommes et pour les femmes et on en « répond pas de la même façon », et précisément du fait de la naturalisation, la question de savoir si on est un garçon ou fille ne se pose jamais dans une adresse direct (y'a que pour les nourrissons qu'on demande aux parents).

Quant au travail des féministes, la question n'est pas tant celle de la déconstruction que celle de montrer le déni structurelle de l'affectif comme mécanisme contradictoire de l'appropriation de femmes : l'appropriation des femme n'existe pas en dehors de l'affectif qui du coup les fait exister comme femmes dans le même temps où cet affectif est structurellement nié comme quelque chose dont on devrait savoir s'affranchir pour faire place à la vraie détermination rationnelle des rapports sociaux. Le rapport piège les femmes dans l'affectif en subjectivant et en individualisant l'oppression et ce piège se referme quand justement, dans ce qui existe comme sphère publique, c'est-à-dire pas un espace mais le champ du masculin, on leur rappelle qu'elle doive faire abstraction de ce par quoi on les fait exister. Ce n'est pas le cas pour les hommes dont les conditions d'existence ne sont pas déterminées par leurs affects. Quels que soient ces affects dans leur contenu la question encore une fois est la place qu'ils occupent. Je dirai vite fait comme ça que le rapport homme/femme c'est un chantage affectif, et le maître chanteur est évidemment celui qui n'existe pas socialement comme construit par ses affects, c'est pour cela qu'il peut « en jouer » mais aussi en faire l'abstraction pour continuer à être ce qu'il est. L'intime, l'affectif, n'est pas l'affaire de sujets, il est l'affaire des femmes.

Le gros problème que j'ai avec les notes d'AC c'est qu'on dirait que l'intime y fonctionne comme concept supposé unifier la condition des femmes et celle des hommes, et en masquant du coup l'autoprésupposition des hommes dans l'histoire. L'affectif des femmes n'existe que dans un mouvement d'extraversion, c'est l'autoprésupposition des hommes et de leurs affects qui en retour fait exister les femmes et leurs affects. On pourrait même pousser jusqu'à se demander s'il est bien justifié théoriquement d'employer le même mot pour désigner un senti autoprésupposé ou un senti qui doit son existence et son contenu à un autre au sens où ça fait exister des places différentes dans les rapports.

« C'est d'auto-reconnaissance des sujets dont il est question »... Non justement je pense pas : pour les femmes c'est d'une hétéro-reconnaissance dont il est question.

« Ce sont des sujets qui font exister (ils ne les créent pas, mais les agissent) les normes qui les produisent, c’est aussi comme ça que ça vit et que ça peut entrer en contradiction, dès lors que l’intrication des rapports de classes et des rapports hommes/femmes est celle du MPC, l’intime en soi ne définissant aucune contradiction mais étant une des manières dont la contradiction existe, et apparaît comme telle. » Justement, l'intime et l'affectif sont l'existence même de la contradiction mais je suis pas sure de bien comprendre cette phrase qui me paraît se contredire (sans doute parce que je la comprend pas). Là ce sont les développements d'AC qui font disparaître le caractère contradictoire : on ne se sait pas « tout naturellement » homme ou femme sur les mêmes bases ni dans le même but, c'est pour cela que les activités des unes et des autres ne sont pas les mêmes.

Je ne pense pas que le rôle de l'intime est de faire perdurer par les affects des modèles en remaniement, l'affectif est ce qui fait exister les rapports hommes/femmes et ce par quoi se reproduisent les rapports hommes/femmes dans leurs spécificités historiques (pour cette raison le couple ne me semble pas plus emblématique de l'appropriation des femmes que n'importe quoi d'autre et il n'est en aucun cas une condition sine quanon de l'oppression des femmes, en ce sens il est je pense bien moins fondamental que l'échange pour suivre l'analogie d'AC). Et la crise des sujets hommes sera d'abord celle des sujets femmes et rien d'autre, pour la même raison que le rapport tel qu'il existe dans son éternisation est autoprésupposition des sujets hommes. C'est aussi pour cela qu'il n'a jamais été nécessaire qu'elles soient cantonnées à la sphère privée (qui j'ai l'impression ici est employé dans le sens d'espace domestique), l'essentiel est qu'elles soient définies sur la base de leur place dans l'espace domestique, ensuite elles peuvent toujours aller tant qu'elles veulent comme elles ont toujours dû le faire hors de l'espace domestique, c'est dans cet écart que je comprend jusqu'à présent l'intérêt de la distinction entre sphère privée et espace domestique. Justement la sphère privée n'est pas l' espace domestique matérialisable, c'est ce qui définit les femmes. En ce sens je vois pas trop en quoi la restructuration a boulversé la sphère privée même si ca a réaménager l'espace domestique et familial.

« Les femmes non-appropriées dans le couple sont du coup mises à disposition de tous les hommes, le rapport hommes/femmes n’étant pas abolition des hommes et des femmes, mais libéralisation du corps des femmes, mise à disposition pour tous les hommes, ce qui se ramène surtout à une bonne affaire pour eux (c’est-à-dire pour les meilleurs, les dominants, le rapport restant ce qu’il est, faut pas rêver les gars). Ce qui n’empêche pas le désir de fonctionner, mais il fonctionne comme il fonctionnait dans le rapport général. »

Outre le fait que je ne comprend pas ce que la référence au désir vient montrer, je pense que c'est très important (comme je l'avais critiqué chez AS) de ne pas voir la mise à disposition des femmes ou leur disponibilité comme un fait, qu'elles soient en couple ou pas, mais comme une activité des hommes contre les femmes, c'est-à-dire comme des pratiques quotidiennes masculines : on n'est pas des cleps ni des serfs volontaires et c'est pas parce qu'on n'est pas appropriée par un homme qu'on est automatiquement disponibles pour tous. La mise à disposition c'est, pour ne pas parler des trucs les plus noirs, le regard et les commentaires des mecs dans la rue, c'est le fait qu'il est attendu qu'on s'intéresse à eux, leur vie, leurs problèmes, qu'on les comprennent, qu'on les plaigne, qu'on les soigne avant de se soigner nous-mêmes, tout ça dans un rapport qui fait que se soustraire à ça c'est prendre des risques : risque que ça tourne encore plus mal pour nous, que ce soit par la menace physique ou la menace affective, or cette reconnaissance de la part des mecs est un piège mais c'est aussi ce qui nous fait exister comme femme, c'est-à-dire exister tout court. Car c'est bien pour les femmes que « nos affects et nos corps ne nous appartiennent pas ». Et ces affects sont construits par des rapports matériels : passer sa journée à des faire activités de « care », rémunérées ou pas, ça implique le développement de la capacité à ressentir de l'empathie, de la tendresse, bref c'est de fait être disponible pour les autres et tourné vers eux. En ce sens même le partage de la moindre tâche ménagère est problématique et c'est d'ailleurs sûrement pour ça que ça bouge quasi pas. La vaisselle c'est centrale et on pourrait d'ailleurs en dire pas mal à ce sujet : activité dévalorisée et vue comme ne nécessitant ni la moindre attention, ni la moindre technicité, ni la moindre concentration (on discutait l'autre jour avec Lidia de pourquoi c'est possible que certains mecs ne voient pas que la vaisselle qu'ils lavent est encore sale et de à quel point c'est gonflant et dévalorisant que « ton » mec vienne t'embrasser alors que tu fais la vaisselle : ça nous viendrait pas à l'esprit de faire ça à un mec qui bricole car le bricolage c'est technique !). C'est pour ça qu'on attend des femmes qu'elles fassent plusieurs trucs à la fois parce que ce qu'elles font c'est toujours par définition et a priori bête comme chou ou alors si c'est complexe c'est instinctif. C'est ça le fond des affects et le rapport homme/femme, les affects des femmes dans leur contenu et dans la place déterminante qu'ils occupent ne sont produits par rien d'autre que de leurs banales activités quotidiennes.

D'autre part, je pense et là je rejoins AC sur la particularisation des femmes versus les hommes comme groupe, sur les dominants hommes j'ai bien l'impression que quand même ce qu'on appelle la solidarité masculine ça existe vraiment et même entre forts et faibles et même si les uns et les autres n'ont pas le même accès aux femmes. Pour ce que j'entend dans les collèges notamment : y'a aucune solidarité entre filles avec les filles qui ont des réputations par exemple parce que ça signifierait potentiellement avoir soi-même une réputation et risquer la reconnaissance des mecs, tandis que celui qui n'aime pas se battre ou qui est frêle peut régulièrement bénéficier de la solidarité/protection des autres et de certains « caïds ».

De la même façon, il me semble qu'une fille qui arrive dans un groupe constitué (quel qu'il soit) est a priori une menace pour les autres filles ce qui n'est pas le cas pour les garçons. On avait eu rapido cette discussion en mangeant lors d'une précédente réu et je disais qu'il me semble que porter une regard a priori sympathique sur une fille qui débarque dans un groupe relève pour une fille d'un positionnement significatif et n'est pas du tout un truc spontané, le spontané c'est la suspicion (de quoi que ce soit). Je force le trait mais je pense que ça existe pour de bon.

Sur « le type qui tabasse sa femme parce qu'elle le trompe avec un piquet de grève », outre le fait que je pense que c'est tout à fait faux de considérer que le problème relève de la jalousie, y faudrait pas quand même omettre (ça peut être un peu contradictoire avec ce que j'ai dit précisément sur le contenu des affect) que c'est pas la même chose d'être jalouse et de pleurer, de déprimer ou d'attendre que d'être jaloux et de fracasser sa meuf. Pourquoi ? Parce que l'un est du côté de l'affect justement et de l'intime et l'autre du côté d'une pratique et ça montre que se reconnaître comme mec c'est aussi la capacité à faire des affects un truc de gonzesse qui n'a pas sa place dans la sphère publique. Bon c'est un peu vite dit cependant parce que c'est pas si évident peut être de différencier affects et pratiques, et là-dessus on sait bien que pleurer peut être une pratique efficace, mais bon je dit comme ça me vient au cas où ... Enfin, à ce sujet , et c'est aussi pour moi un enjeu important pour réfléchir à la place de l'affectif dans les rapports hommes/femmes, les hommes savent transmuter leurs affects et leurs expériences personnelles en choses générales, désaffectivées, publiques, là où les femmes, du fait de l' « hétéroprésupposition » de leurs affects en sont encombrées car toujours a priori, de façon structurelle et quel que soit le sujet, suspectées, sans doute à raison, de réagir « à l'affectif », si je pense au boulot ou à ce qui peut se passer dans les « milieux » par exemple. On en revient là à l'importance d'accorder un statut théorique à l'affectif, et pas seulement dans sa transmutation en conceptualisation, comme l'ont fait les féministes. Et d'ailleurs, ça me fait penser à Lacan (pour une fois que je fait une référence elle est vraiment pas politiquement correcte !) qui disait que l'affect c'est ce qui ne trompe pas et on pourrait tordre et dire que l'affectif c'est ce qui ne trompe pas sur le contenu des rapports hommes/femmes.

Tarona