Le Pays d'Art et d'Histoire du Mont Beuvray

Par Roland Niaux

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I.

Le Mont-Beuvray – Bibracte – La Cité éduenne

La naissance d’Autun – Les éduens dans la Gaule romaine

De l’Eduie à la Bourgogne – Du Moyen Âge à nos jours

Le Mont Beuvray

Le Mont Beuvray est un massif de roches éruptives que de puissantes fractures ont fait jaillir du contexte viséen morvandiau. Maintenant très adouci par l’érosion, il se présente comme une masse arrondie d’environ 8 km de diamètre, culminant aux environs de 800 m. d’altitude. Le Beuvray termine, vers le sud-est, les monts du Morvan. Il s’y rattache au nord par le col de l’Echenault et s’en sépare à l’ouest par l’étroite et profonde vallée du ruisseau de la Roche. Globalement, il se détache des montagnes voisines par un dénivellement allant jusqu’à 400 m., ce qui lui donne son caractère si particulier de sommet-type du Morvan, bien qu’il n’en soit ni le plus élevé, ni le plus central. Il en est cependant le plus accessible et le mieux défendable, tout proche des grandes voies naturelles de pénétration que sont les vallées de l’Arroux, du Mesvrin et de l’Alène. Des sources nombreuses et abondantes, tant sur les pentes qu’au sommet même, des clairières vivrières au pied sud, un climat moins rigoureux qu’il n’y paraît au premier abord (1) si on le compare à celui de bien des petites villes actuelles d’Auvergne ou du Jura, ont fait du Mont Beuvray le site où les Eduens décidèrent, il y a un peu plus de vingt siècles, d’établir ce que l’on appelle aujourd’hui une « capitale » et qui était à la fois un centre cultuel, commercial et artisanal, une cité-refuge en cas de danger pour les populations voisines, et certainement un centre de décision politique.

Bibracte

Cette cité s’appelait Bibracte, dont le nom s’est maintenu dans celui du Beuvray (Mons Biffractum des textes anciens (2). Plusieurs lignes continues de remparts, doublés de fossés profonds, construits à mi-côte sur des pentes très raides, rendaient toute attaque bien aléatoire et toute surprise impossible. C’est pourquoi, dans l’esprit des contemporains, et en premier lieu dans celui de César – expert en la matière – Bibracte était considérée comme l’oppidum (ville forte) la plus importante du pays éduen (3).

Quand et comment Bibracte fut-elle construite ? C’est ce que l’on ne sait pas encore très bien, mais que les fouilles nous apprennent peu à peu, à chaque campagne de recherche. Ce qui est certain, c’est que la pierre à bâtir abondait sur place, mais que cependant l’on n’hésitait pas à en chercher parfois fort loin pour varier et enrichir les constructions. Il en découle que les voies d’accès étaient satisfaisantes et la main d’œuvre – donc la population autochtone – nombreuse. Les ressources en minerais – fer, plomb, argent notamment – étaient abondantes et toutes proches. L’artisanat métallurgique des fondeurs, forgerons, émailleurs, bronziers gaulois, bien connu et apprécié de fort loin, n’avaient donc aucun problème à s’épanouir dans les murs même de Bibracte. Lorsque César apparut dans l’histoire de la Gaule, Bibracte semblait être à son apogée. Ce n’était certainement pas une agglomération de huttes de terre et de branchage, comme le pensait une histoire relativement récente. Bibracte, déjà fortement imprégnée de civilisation gréco-romaine, possédait des maisons de prestige de conception très latine. Une cinquantaine d’années plus tard, à l’aube de notre ère, Bibracte s’effaçait.

La Cité éduenne

L’histoire de Bibracte, c’est l’histoire de la « cité » éduenne, et par cité, il faut entendre, au sens ancien, non seulement la ville proprement dite, mais le peuple dont elle est le phare et le symbole. Au centre de la Gaule, autour du massif montagneux du Morvan, ouverte sur le couloir rhodanien par son port de Châlon-sur-Saône, sur la Loire et l’Atlantique par son port de Decize, sur le bassin parisien par la vallée de l’Yonne (l’Yonne prend sa source à 3 km au nord-ouest des remparts de Bibracte), la « cité » éduenne occupait une position géographique privilégiée. Cette situation géographique l’amenait à disputer aux Arvernes (peuple de l’actuelle Auvergne) la suprématie politique et économique sur les peuples voisins de la Gaule centrale (4), notamment sur ceux qui pouvaient basculer facilement vers l’un ou l’autre des deux pôles d’attraction, à savoir ceux de la région de Bourges (Bituriges) et ceux du Lyonnais et du Forez. La prétention à la primauté, moteur de la politique éduenne, était fondée et encouragée par les liens politiques étroits qui unissaient l’aristocratie dirigeante à Rome. Le Sénat romain reconnaissait officiellement les Eduens « frères consanguins » du peuple de Rome (5). Cause ou conséquence de cette reconnaissance, la « romanisation » était probablement beaucoup plus avancée en pays éduen qu’en pays arverne lorsque César apparut sur la scène politique de la Gaule. Après bien des péripéties et des hésitations, le peuple éduen se trouva finalement, à l’issue de la guerre des Gaules, beaucoup plus proche des vainqueurs que des vaincus. Ceci, sans avoir trahi, comme d’aucuns les en ont accusés et comme d’autres ont tenté de les en absoudre (6). En effet, la notion actuelle de trahison était parfaitement étrangère aux motivations des politiques éduens du 1er siècle avant notre ère. Ils recherchaient uniquement la fortune de leur maison, de leur domaine, de leur clan. Il n’existait pas de nation gauloise, malgré l’unité approximative d’origine ethnique, de langue, de religion. Les dirigeants éduens se sentaient en fait beaucoup plus proches – par leur façon de vivre et par leurs intérêts – de Rome que des Arvernes. Ce n’était pas là un simple opportunisme de circonstance. La fidélité des Eduens à Rome ne s’est jamais démentie aux siècles suivants, tant que Rome a symbolisé la civilisation. Les épisodes des révoltes de Sacrovir et de Maric n’ont pas altéré cette constance. Ce ne furent que de simples incidents de parcours, dus à l’ambition ou à l’intérêt de personnalités locales. Cette fidélité n’était pas servilité : il semble que les Eduens, tôt appelés à la citoyenneté romaine, aient toujours joui dans la conduite de leurs affaires d’une relative autonomie, situation qui, sans doute, leur convenait parfaitement.

L'abandon de Bibracte et la naissance d'AUTUN

Lorsqu’Autun supplanta Bibracte, au début du premier siècle de notre ère, il n’y eut certainement pas acte d’autorité pour obliger les habitants de Bibracte à abandonner leur ville et à rejoindre Autun. Le simple attrait de la ville nouvelle, l’engouement pour une autre façon de vivre, ont dû suffire pour dépeupler, en quelques années, la vieille capitale, mais pas pour la bannir. Rien, dans les recherches archéologiques, ne permet de croire à un abandon brutal, à une destruction volontaire et simultanée des édifices gaulois de Bibracte. Bien au contraire, on voit édifier, à une époque qui doit être bien proche de la naissance d’Autun, un fanum sur la Terrasse du Beuvray. On n’y constate aucune interruption significative dans les cultes païens, puis chrétiens qui s’y poursuivirent au cours des premiers siècles. La légende, qui fait venir Saint Martin au sommet du Beuvray, à la fin du IVe siècle, pour y détruire « un temple d’idoles » et le remplacer par une fondation chrétienne, est sans doute proche de la réalité. Elle prouve en tout cas qu’à la fin du IVe siècle, Bibracte n’était pas devenu un espace mort. Une activité, une vie religieuse s’y poursuivaient. L’existence ultérieure d’assemblées populaires, la tenue de plaids et de rassemblements militaires féodaux, les foires, les pèlerinages attestés au Moyen-Âge, ne peuvent guère se justifier que par la poursuite ininterrompue d’une tradition trouvant son origine aux grandes heures de Bibracte. L’abandon de Bibracte, c’est l’abandon – définitif – de son rôle de refuge, c’est la fuite rapide de ses habitants vers la ville moderne de la plaine, c’est le pas décisif dans la romanisation, avec cependant un maintien de la tradition, notamment dans les domaines religieux et festif. C’est l’image d’une société en pleine mutation qui avance très vite vers un avenir qui lui fait peut- être un peu peur et qui, pour cela, ne veut pas ou n’ose pas rompre complètement avec le passé.

Les Eduens dans la Gaule romaine

Dans la paix romaine, il n’était plus question de compétition pour la prééminence avec les peuples voisins. Terminée, l’animosité entre Arvernes et Eduens. Cependant, on peut penser qu’un certain particularisme caractérisait toujours la nation éduenne, fait de la fidélité sans faille au mythe de Rome. Pour preuve en est l’adhésion immédiate à Claude, dit le Gothique, empereur de Rome, vers la fin du IIIe siècle, adhésion du peuple, de la cité éduenne, seule alors que tout le reste de la Gaule basculait dans la dissidence, derrière les empereurs « gaulois » Victorinus, Tetricus, qui, eux, se préoccupaient moins de Rome que de la garde du Rhin. Ainsi ressortait l’opposition entre une Gaule civile, policée, romaine – celle des Eduens – et une Gaule brutale, militarisée, apeurée par l’envahisseur proche, celle des cités rhénanes et nordiques. Cette fidélité à Rome des Eduens leur coûta fort cher, car Claude ne vint pas les défendre, du moins pas immédiatement, tandis que Victorinus s’empressa de venir mettre le siège devant Autun, trop heureux de pouvoir enfin donner une ville riche en pâture à ses soldats. Ce siège causa la ruine d’Autun, une ruine dont la ville ne se releva jamais complètement mais aussi causa la ruine de tout l’arrière-pays. Quel fut le sort de Bibracte et du massif morvandiau durant cette sombre époque, nul ne peut le dire. Tout au moins voit-on, à l’occasion des fouilles ou sondages archéologiques que la presque totalité des constructions gallo-romaines de la région atteste une ruine brutale à la fin du IIIe siècle, généralement non suivie de reconstruction ultérieure. Avant cet épisode tragique, on peut supposer, grâce aux témoignages de la prospection archéologique, un arrière-pays autunois et beuvraysien prospère, bien peuplé, partout cultivé et parcouru de multiples chemins, un peu ce qu’on pouvait voir il y a quelque cent ans, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Après le siège de 270, la population est décimée, les villages et les exploitations agricoles sont détruits, abandonnés. Famines, épidémies et misères succèdent fatalement aux brutalités guerrières. Les friches, puis la forêt prennent la place des cultures, les routes deviennent impraticables, le pays retombe dans la sauvagerie. Il est probable que cette situation désastreuse évolua assez peu jusqu’à la renaissance carolingienne, du moins dans les campagnes. Seuls, les villes et bourgs de quelque importance continuèrent à exister, repliés sur eux-mêmes, avec un arrière-pays lui aussi des plus réduits. C’est ainsi que la puissance éduenne se trouva considérablement et durablement ébranlée. Les courtisans de Constantin le Grand tentèrent bien de l’apitoyer sur le sort de la cité fidèle, et obtinrent effectivement des avantages substantiels et des aides en nature et en argent. Elles furent insuffisantes pour rétablir la situation antérieure. On assista à une déstructuration de la cité, les évêchés de Chalon, Mâcon, Nevers se trouvant successivement détachés de celui d’Autun, lequel correspondait exactement, à l’origine, à la cité éduenne. Cette dispersion de l’autorité religieuse ne correspondait pas à une société civile, sa féodalisation progressive et aussi la difficulté de se mouvoir dans un pays où la circulation posait problème.

De l'Eduie à la Bourgogne

Après ce que nous appelons les « grandes invasions », le pouvoir exercé jusqu’alors en pays éduen par les familles patriciennes gauloises, de civilisation latine, passa progressivement entre les mains des aristocrates burgondes, puis francs, de civilisation germanique. Ce furent surtout des querelles de chefs car la population locale, essentiellement rurale et agricole, éprouvée et réduite par les guerres, ne subit pas grande modification ethnique. Comme les Romains, les Burgondes et les Francs apportèrent en pays éduen leur « art de vivre », mais non une population nouvelle ; quelques familles de chefs, des seigneurs, tout au plus. Mais les chefs ont des courtisans, ils sont imités, parfois maladroitement. De même qu’au 1er siècle de notre ère, les Eduens avaient adopté des patronymes latins, à partir du Ve siècle, ils adoptèrent des noms germaniques, ce qui fit supposer parfois la présence sur notre sol de populations d’origines différentes, vivant côté à côte. En fait, c’est toujours le même peuple. Ainsi, au fil des siècles, l’Eduie devint Burgondie et la Burgondie se francisa en Bourgogne. Bibracte oubliée, Autun affaiblie et rétrécie, le pouvoir politique régional passa à Chalon puis à Dijon. Souvenir de l’ancienne prééminence d’Autun, son évêque demeure, durant tout l’ancien régime, « Président né et perpétuel des États de Bourgogne » distinction il est vrai purement honorifique. De même que les Eduens avaient œuvré pour s’assurer une place prééminente en Gaule, les ducs de Bourgogne, dix siècles plus tard, disputaient aux rois de France la suprématie sur le même territoire. Si la Bourgogne s’est trouvée finalement rattachée à la France par l’habileté de Louis XI, il n’était pas impensable qu’à l’inverse, les ducs de Bourgogne accèdent à la couronne de France et deviennent le moteur et le phare de l’Europe occidentale. Ce fut sans aucun doute leur ambition.

Du Moyen-Age à nos jours

Ambition ducale que Charles-le-Téméraire ne parvint pas à concrétiser, et derrière laquelle le peuple éduen-bourguignon, restait fort loin car il ne parvenait pas à se relever des suites de la guerre de Cent ans. Les Anglais n’avaient fait que de courtes apparitions en Bourgogne, mais à leur suite étaient apparues un peu partout des bandes autonomes de soldats devenus brigands, connues sous le nom de « grandes compagnies », « écorcheurs », « robeurs »… Ils mettaient le pays au pillage, détruisant ce qu’ils ne pouvaient emporter. S’étant emparés de quelques places fortes – entre autres le château de la Vesvre à la Celle-en-Morvan et celui de Visigneux à Lucenay-l’Evêque – ils pouvaient rayonner en toute impunité dans les campagnes éduennes. Cette situation désastreuse occupa toute la seconde partie du XIVe siècle.

Toutes ces guerres entraînaient la mort ou la fuite de nombreux paysans, le vol ou la destruction des récoltes. A la guerre succédait immanquablement la famine, laquelle avait aussitôt pour conséquence des épidémies, globalement qualifiées de « pestes ». A tout cela s’ajoutait une évolution climatique défavorable accentuant les périodes de froid et de pluie. Très rapidement, les campagnes se désertifièrent. Dans certaines paroisses, l’épidémie fit disparaître en quelques semaines les quatre-cinquièmes de la population.

La première partie du XVe siècle vit sur notre sol la lutte des Armagnacs contre les Bourguignons. Les Armagnacs s’emparèrent de Château-Chinon en 1407. Ils en furent chassés en 1412. C’est de cette époque que date la ruine de presque toutes les vieilles forteresses qui couronnaient nos montagnes.

Le renouveau fut long à se manifester et très lent. Avec le XVIe siècle finissant débutent en France les guerres de religion. Elles agitèrent assez peu le pays éduen. Le peuple des campagnes demeura massivement dans la religion catholique : une religion devenue formaliste, ne demandant qu’assez peu d’efforts personnels et qui lui convenait parfaitement. N’adhérèrent à la Réforme que les bourgeois des villes et une partie des nobles ayant seuls le loisir de réfléchir à des problèmes d’ordre spirituel. Ils ne mirent d’ailleurs pas très longtemps à renoncer à leurs « erreurs » et à rentrer dans le rang, leurs intérêts matériels – qui étaient grands – se trouvant menacés par un particularisme que n’approuvait pas la monarchie.

Lorsque survint la Révolution, le pays éduen commençait à retrouver une relative prospérité dans un contexte d’ordre et de paix. C’est d’ailleurs à cette époque que débuta le grand essor démographique qui devait culminer à la fin du XIXe siècle. Aussi, la Révolution ne sema qu’assez peu de troubles dans les campagnes. Bien sûr, comme partout ailleurs, les paysans appelaient de leurs vœux les réformes indispensables qui effraient le pouvoir. Ils applaudirent à l’abolition des droits seigneuriaux, mais n’allèrent pas beaucoup plus loin. Heurtés par l’anticléricalisme forcené des citadins, ils devinrent franchement réticents quand il fallut envoyer en masse les enfants du pays dans les armées de la République. Pour cette même raison, les Morvandiaux restèrent assez froids vis-à-vis de l’Empire, et relativement favorables à la Restauration qui, tout en respectant les acquis essentiels de la Révolution, n’engageait pas le pays dans de nouvelles guerres.

Ces périodes agitées pour la France nous révèlent une population locale assez sereine et réservée face aux remous parisiens, tout à fait hostile aux mouvements de violence et politiquement peu engagée. Cette attitude raisonnable ne lui apporta les faveurs d’aucun des régimes successifs. On considéra les Morvandiaux comme des gens arriérés, une arriération qui ne les empêcha pas de payer par la suite un lourd tribut à la Nation.

La guerre de 1914-1918 provoqua une hémorragie terrible dans les campagnes du Morvan ; il suffit de considérer les monuments aux morts de nos villages. Toutes les familles furent frappées et souvent dans plusieurs de leurs membres. Vingt-cinq ans plus tard, lorsque le pays fut occupé par les troupes ennemies, il n’y eut aucun flottement dans l’esprit public : ce n’est pas dans nos campagnes que l’on vit beaucoup de partisans de la collaboration. Les Morvandiaux n’ont jamais été dupés par la propagande. Le Morvan devint ainsi un refuge de réfractaires, puis une pépinière de maquis.

II.

Le Pays d'art et d'histoire du Mont Beuvray

Défense de la cité : le patrimoine castral

L'habitat rural et urbain : le patrimoine vernaculaire

Foi et monuments, croyances et superstitions : le patrimoine religieux

Le pays d’art et d’histoire du Mont Beuvray

Dans la constitution de la nation française, la « cité éduenne » apparaît de première importance. Elle est sans commune mesure avec son poids démographique et économique actuel : la « région Bourgogne », héritière de l’Eduie et de la Bourgogne ducale, est devenue l’une des plus modestes régions françaises du XXe siècle finissant. Cependant, sa position stratégique de trait d’union entre le monde rhénan et le monde méditerranéen, entre Lyon et Paris, entre la Suisse et l’Océan, lui réserve un avenir qui peut être non négligeable. C’est dans ce contexte que s’insère le « Pays d’Art et d’Histoire du Mont Beuvray », c’est à dire de Bibracte, cœur de l’Eduie. Bibracte ressuscitée par la volonté d’archéologues de toutes nationalités, venus découvrir nos lointaines racines… Le Pays d’Art et d’Histoire du Mont Beuvray, c’est l’histoire d’un art de vivre, propre à une famille humaine encore assez bien typée, celle des Morvandiaux. Leur territoire actuel, le Morvan, est une région que l’on ne peut pas exactement définir, les différents critères de choix offrant des limites très variables.

Jean Séverin, président honoraire de l’Académie du Morvan, reconnaissant le désaccord des scientifiques quant aux limites du Morvan, déclare préférer la géographie du cœur à celle du roc et s’en remettre à la conscience d’une identité morvandelle qui se définit par « une culture pastorale et bûcheronne, un parler, des traditions, une foi… tout ce qui au long des siècles, a formé un type d’homme, modelé les traits profonds d’une race qui a su garder, à travers invasions et conquêtes, une relative pureté » (7).

Les Morvandiaux ont généralement pour caractères communs la persévérance dans le travail, le courage dans les épreuves, l’amour de la liberté. Souvent pauvres en richesses matérielles, l’adversité ne les abat point. Virescit vulnere virtus (8) voici une devise bien éduenne, que l’on peut lire au fronton d’un château de Monthelon, celle de la famille de Rabutin-Chantal. Cet art de vivre morvandiau, éduen, nous allons le découvrir dans les témoignages de la vie quotidienne de nos ancêtres : leurs demeures, leurs outils, leurs églises, leurs châteaux, dans les paysages qu’ils ont aimés, façonnés, transformés pour parvenir à celui qui nous environne aujourd’hui, pays de forêts et de prairies vallonnées, pays de sources et d’eaux vives, de lacs et de rivières, de landes et de rochers arrondis. Dans ce pays, nous ne verrons pas de monuments fameux : ils sont à la mesure d’une population pauvre et clairsemée. Autun et ses remarquables monuments romains et médiévaux, Saulieu, Vézelay, qui attirent chaque année de longues cohortes de visiteurs, sont les fruits éclatants de la sève éduenne et morvandelle, mais se positionnent au pourtour de notre « Pays d’art et d’histoire », là où avait émigré peu à peu la population du centre abandonné. Car le pays d’art et d’histoire, c’est ce centre géniteur du pays éduen, ce centre historique et géographique de la cité éduenne. C’est le pays des descendants de ceux qui n’ont pas abandonné Bibracte ou qui y sont revenus, attachés à la terre ancestrale par des sentiments mêlés d’amour et de devoir, mais sûrement pas d’intérêts matériels. Le Pays d’Art et d’Histoire se limite dans un rayon d’environ vingt-cinq kilomètres autour du Mont Beuvray, limite tout à fait arbitraire qui a été celle du souhait formulé par les cinquante-six communes désireuses de se regrouper dans cette entreprise. Ces cinquante-six communes se partagent entre les départements de la Nièvre, de la Saône-et-Loire, comme le Mont Beuvray et Bibracte se trouvent également partagés par cette « frontière » administrative. Ce pays d’Art ne comprend pas Autun dans son périmètre. Autun est la seconde Bibracte, créée sans doute de toutes pièces pour lui succéder. Autun mérite maintenant à elle seule son caractère de « Ville d’art et d’histoire » indépendamment de son arrière-pays.

Défense de la cité : le patrimoine castral

Nous verrons dans la campagne de vieilles forteresses médiévales, plus ou moins ruinées, perchées sur les hauteurs entourant le Mont Beuvray et en défendant les couloirs d’accès. Ces positions stratégiques laissent supposer une occupation bien antérieure au Moyen Âge et, de fait, des témoignages d’occupation gallo-romaine se retrouvent plus ou moins nettement sur tous ces points fortifiés : Glenne, Roussillon, La Vieille Montagne, Château-Chinon, Touleur (9). Ces forteresses imposantes, dont on ne connaît que très peu l’histoire, ont toutes été abandonnées dans les grands séismes du XIVe siècle, consécutifs à la guerre de Cent ans. Leur ont succédé des maisons fortes moins ambitieuses, mais plus réalistes, dont la justification n’était plus la protection du cœur de l’Eduie, mais la simple affirmation des possessions seigneuriales. Complémentairement aux massives fortifications de hauteurs, on retrouve dans les vallées, au bord des rivières et ruisseaux, tout un réseau de petits points fortifiés bâtis sur des mottes, naturelles ou édifiées. Il s’agissait généralement de simples « tours » en bois, entourées de fossés et talus. Avec le travail de l’érosion et le nivellement des cultures, beaucoup ont disparu totalement. Leur étude révèle une occupation très ancienne, souvent gallo-romaine, et leur abandon est généralement attesté bien avant la fin du Moyen Âge. On les retrouve souvent à proximité des châteaux actuels, qui établissent ainsi une filiation avec des structures défensives très anciennes. Forteresses massives bâties en pierre sur les rochers des hauteurs et tours en bois sur mottes de terre en plaine paraissent donc contemporaines. Nées durant l’antiquité tardive, elles disparaissent au milieu du Moyen Âge. Les maisons fortes, bâties en dur avec fossés et pont-levis, qui les remplacent, sont plus proches, par l’importance comme par les situations, des mottes de plaine que des hauteurs fortifiées. Elles dureront beaucoup moins longtemps. Leur fonction défensive perd rapidement de son intérêt, l’autorité royale rendant impossible les petites guerres entre seigneurs voisins.

Ainsi apparaissent, dès le XVIe siècle, des remaniements, modifications, remodelages des bâtiments d’habitation, l’éloignement de la basse-cour et des communs, et tous travaux visant à donner davantage d’aisance et de lumière aux inconfortables maisons fortes. Et au XVIIIe et XIXe siècles, on reconstruira complètement, à neuf, souvent même sur un terrain vierge voisin. Ainsi, nous avons parfois la chance de pouvoir admirer, presque côte à côte, les trois étapes de l’architecture castrale en Morvan. Le château XVIIIe ou XIXe n’a bien entendu plus aucune attribution militaire ou défensive. Le but alors recherché est celui d’une demeure de prestige, digne du renom de ses bâtisseurs. La beauté, l’harmonie avec l’environnement sont toujours recherchés et obtenus, quelle que soit l’importance de la demeure.

L’habitat rural et urbain : le patrimoine vernaculaire

Les demeures des gens humbles ont laissé moins de vestiges que celles de leurs seigneurs et l’on comprend bien pourquoi : la qualité de leurs matériaux, comme le soin de leur construction, laissait souvent beaucoup à désirer. Un besoin d’affranchissement des contraintes passées, une certaine honte de l’ancienne infériorité sociale, joints à l’imitation insensée des modes citadines, ont par ailleurs beaucoup contribué à détruire ou défigurer volontairement les belles demeures paysannes. Ne parlons pas des toits de chaume, qui devaient disparaître pour de simples raisons de sécurité, mais les belles toitures d’ardoises ou de tuiles plates, comme les bardeaux de châtaigniers, encore communs il y a cinquante ans, cèdent le pas à des matériaux beaucoup plus légers qui s’enlaidissent très vite. Question de coût, évidemment ! Néanmoins, quelques belles demeures existent toujours, assez fréquentes même dans les gros bourgs.

La ferme morvandelle classique du XIXe siècle, basse et allongée, au logis coincé entre l’étable et la grange, avec sa seule et étroite porte surplombant trois marches de pierres branlantes, accolée à une minuscule fenêtre jamais ouverte, n’existe plus. Rehaussée, souvent amputée d’un côté et agrandie ou modifiée d’un autre, on a souvent de la peine à la reconnaître dans les bâtiments actuels (10). Gardons-en le souvenir, mais ne la regrettons pas : l’air et la lumière y pénétraient difficilement. A côté de ces habitats misérables, où bêtes et gens se serraient au plus près pour partager la chaleur commune, nous pouvons rencontrer encore quelques beaux domaines, spacieux et bien bâtis autour d’une vaste cour carrée, quelquefois pavée. Certaines identités entre domaines voisins font apparaître un concepteur commun, quelque riche châtelain de la fin du XIXe siècle, passionné d’agronomie et soucieux de mettre entre les mains de ses fermiers les meilleures installations susceptibles de rentabiliser la terre (11).

Si l’habitat rural, à part ces quelques exceptions est somme tout peu original et récent – rares sont les maisons rurales antérieures au XVIIIe siècle – le patrimoine semi-urbain des gros bourgs est beaucoup plus intéressant. Ceux-ci ont souvent conservé un certain nombre de belles – autrefois riches – demeures bourgeoise des XVe, XVI et XVIIe siècles, solides, peu modifiées, formant parfois de beaux ensembles architecturaux : elles furent habitées par les gens de loi et d’église, les commerçants et artisans qui faisaient la prospérité de ces villages, centres de foires et marchés. Ce patrimoine mérite d’être protégé : peu adapté aux nécessités de la vie moderne, son entretien et sa mise en conformité avec les normes d’hygiène et de confort coûtent cher. Il est donc menacé d’abandon et donc de dégradation. Parmi ces bourgs remarquables, citons Château-Chinon, bâti sur son piton rocheux, au pied des ruines de son château fort, aux belles maisons serrées à l’intérieur de remparts dont subsistent quelques tours : Moulins-Engilbert, véritable petite merveille construite également au pied d’un château, dans la boucle d’une rivière riante, tout comme Luzy. Plus modestes, mais non moins attrayants, il faut voir aussi les villages de Larochemillay, Mesvres, La Tagnière. D’un tout autre aspect, Saint-Honoré-Les-Bains doit aussi retenir notre attention : prestigieuse station thermale de la Gaule romaine, tombée dans l’oubli et redécouverte au XIXe siècle, elle est redevenue une station très moderne principalement spécialisée dans les maladies respiratoires de l’enfant. Elle a su conserver, autour de son magnifique parc thermal, quelques hôtels et villas au charme un peu désuet du XIXe siècle finissant.

Foi et monuments, croyances et superstitions : le patrimoine religieux

Le patrimoine religieux mérite lui aussi un regard approfondi. Nous ne trouverons pas de monuments célèbres, mais les témoignages d’une foi ancienne solidement enracinée. Le pays éduen fut très tôt évangélisé. Autun eut un évêque dès le IVe siècle. La légende attribue à Saint-Martin, mort en 397, la destruction d’un « temple d’idoles » au sommet du Mont Beuvray. Les « pas » fabuleux de sa monture ont laissé leurs empreintes sur bien des roches de notre région. Dans quelle mesure la légende a-t-elle enjolivé la réalité ? Ce qui semble assuré, c’est que Martin, évêque de Tours, mais surtout évêque missionnaire, est venu rendre visite et apporter son aide à son confrère autunois. C’est à dire que dès le IVe siècle, une communauté chrétienne structurée existait dans la région autunoise et qu’elle pouvait soutenir et poursuivre l’action commencée par Saint Martin.

L’évangélisation des campagnes fut longue et difficile. Le christianisme apportait un bouleversement des valeurs alors communément admises. On en ignore les péripéties, mais à l’époque carolingienne des paroisses apparaissent un peu partout autour des multiples petits prieurés. Aux XIe et XIIe siècles, nos actuels villages avaient tous église et chapelle.

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’évolution démographique des campagnes, en expansion continue depuis la Révolution, atteignait un niveau de véritable saturation, peut-être le niveau déjà atteint aux plus beaux jours de la paix romaine, au IIe siècle de notre ère. Le maximum aussitôt atteint, la décrue commença, lente d’abord. Nos campagnes, entre 1870 et 1880, regorgeaient d’habitants, on cultivait partout, non pour gagner de l’argent, mais pour vivre, les friches ne couvraient que les parcelles totalement stériles, les prés et les forêts occupaient une place bien moindre qu’aujourd’hui, des chemins sillonnaient le pays, des maisons s’élevaient partout. Non seulement chaque commune, mais les hameaux de vingt maisons avaient leur école, car la population était très jeune.

Les églises, presque toutes construites aux XIe et XIIe siècles, l’avaient été pour des populations bien inférieures en nombre. Or, au XIXe siècle, où la pratique religieuse était très développée, ces églises étaient souvent devenues trop petites. Peu ou mal entretenues, elles étaient également insalubres ou menaçaient ruine. Beaucoup d'entre elles furent alors condamnées à disparaître. On les remplaça par des édifices plus vastes mais on construisit à bon marché du néo-gothique ou du néo-roman aujourd’hui bien délabré, quasiment abandonné par une population retombée au niveau démographique le plus bas de son histoire, et dont la pratique religieuse a considérablement diminué. Heureusement, quelques vieux sanctuaires ont échappé à la mode dévastatrice. C’était généralement dans les paroisses les plus pauvres ou celles qui n’avaient pas sur leur territoire quelque richissime et généreux donateur, prenant sur sa fortune la plus grosse part des dépenses engagées pour le bien des âmes. Rarement venait à l’idée des responsables religieux ou administratifs l’idée que puisse être réparé ou agrandi l’édifice menacé. On n’avait généralement que mépris pour les vieux monuments, jugés « barbares » et pour leurs œuvres d’art, qui pouvaient être si avantageusement remplacées par les productions en série de l’industrie dite « sulpicienne ».

En dehors des églises paroissiales, il existe bien d’autres monuments de l’histoire de la foi, d’une foi souvent issue de croyances pré-chrétiennes. Chapelles rurales, chapelles de dévotions, fontaines sacrées et guérisseuses, calvaires de carrefours, de ponts, de cimetières, sans parler de quelques vertiges de croyances plus lointaines, arbres, grottes, rochers ou sources. Beaucoup allient sur un même site, chapelle, arbre et fontaine par exemple. Ces chapelles souvent rebâties sommairement tout au long des siècles, ont représenté un phénomène attractif extraordinaire de piété populaire. Pendant des siècles, elles ont rassemblé, à périodes fixes – Pâques et Pentecôte, bien souvent et le lundi pour ne pas contrarier le culte officiel – des foules de plusieurs centaines et parfois de plus de mille pèlerins. Ces derniers venaient quelquefois simplement des paroisses voisines, quelque fois de fort loin, à pied, en plusieurs jours s’il le fallait, conduits par leurs curés. Ces rassemblements, qu’on appelait des « apports » étaient à la fois religieux et profanes. Souvent, on y mangeait, on y buvait, on y dansait et quelquefois on finissait par se battre, le vin aidant. Ils se sont poursuivis jusqu’à la fin du XIXe siècle et se sont peu à peu estompés. Parmi les plus célèbres, citons la foire du premier mercredi de mai sur le Mont Beuvray, inaugurée par le pèlerinage à la fontaine Saint-Pierre. Plus exclusivement religieux, ceux du Faubouloin et de la Certenue.

Faubouloin, sur la commune de Corancy, est un site sacré où le culte s’articule autour d’une chapelle et de trois sources, les fontaines Saint-Marie et Sainte-Marguerite et la fontaine du Frêne. Les deux premières guérissaient les « bavous » et les « bitoux » (12), la troisième favorisait les mariages (sans référence à l’apparence même d’un culte chrétien). A côté de Faubouloin, un oppidum, celui de Verdun et un arbre sacré, un hêtre, replanté de génération en génération, le « Fou » de Verdun (13), qui partageait avec fontaines et chapelle la dévotion des fidèles.

La Certenue, sur la commune de Mesvres, est une hauteur dominant la vallée du Mesvrin. Son sommet, qui atteste une présence gallo-romaine, est occupé par une chapelle, où les fidèles venaient autrefois en grand nombre, le lundi de Pentecôte, prier « La Sainte », comme on dit là-bas, après une visite à la fontaine sacrée située un peu plus bas. Ils viennent d’ailleurs toujours, mais plus rares et isolément. « La Sainte » (aujourd’hui et depuis des siècles une statue de la Vierge) est l’héritière inavouée de la déesse-mère gauloise. Elle régnait autrefois en triade sur la montagne sacrée. Ses deux compagnes ont été expulsées un peu plus loin par l’arrivée du sacré. La légende les situe parfaitement dans leurs nouvelles demeures. Le culte qui se rendait à La Certenue avait pour but le mariage et la procréation. Ce culte de la fécondité était tellement suspect de paganisme que la chapelle demeura interdite durant plusieurs siècles par l’autorité de l’Eglise, ce qui n’empêcha jamais les foules chrétiennes de s’y rendre avec conviction. Quant à « l’apport » du Beuvray, c’était le plus important. Il durait trois jours et l’on y venait de fort loin, de toute la Bourgogne peut-être, à certaines époques. C’était à titre principal une manifestation commerciale, mais précédée et accompagnée de démarches cultuelles, sur le site même où s’éleva Bibracte.

La modeste chapelle que l’on voit aujourd’hui au sommet du Beuvray a été construite en 1873. Elle succède à une suite d’édifices construits au cours des siècles sur le même emplacement, le premier d’entre eux étant un fanum gallo-romain bâti au début de notre ère, sans doute très peu de temps avant l’abandon de Bibracte. C’était un bel exemple de la pérennité d’un culte surmontant l’obstacle des transformations religieuses. La tradition du pèlerinage n’a sans doute jamais été interrompue. L’attraction du Beuvray est toujours demeurée très vive parmi les populations voisines. Au Moyen-Âge, le seigneur de Larochemillay y tenait les assemblées féodales, « jours » de justice, et rassemblement des vassaux en armes.

La foire du premier mercredi de mai avait une réputation immémoriale. Un chemin, dit des « Foires du Beuvray », probable voie celtique, se déroule de crête en crête, depuis la Loire en passant par le Mont Dardon et le Mont Dône, du sud au nord. Encore au XIXe siècle, on y amenait des centaines de bestiaux qui grimpaient lentement les rampes de la montagne. Des marchands, des artisans, apportaient leurs produits et s’installaient au sommet, sous des baraques provisoires. Pendant trois jours, on commerçait, on louait des domestiques, on signait des contrats, on payait ses dettes et ensuite on faisait la fête. Aubergistes et cabaretiers de tous les villages voisins alimentaient et abreuvaient les milliers de chalands et curieux. On chantait et l’on dansait, et, comme de nos jours, le bal se terminait par des empoignades où l’on maniait allègrement le gourdin. Il y eut même quelquefois des morts, mais la maréchaussée, paraît-il, n’osait pas se montrer, de peur de réaliser l’unanimité contre elle ! De ces manifestations très profanes, le sentiment religieux n’était pas absent. Le grand archéologue qui révéla Bibracte, Jacques-Gabriel Bulliot, raconte que les paysans montant au Beuvray, ne manquaient jamais de faire leurs dévotions et leurs offrandes à la fontaine Saint-Martin et à la fontaine Saint-Pierre, avant d’aller à leurs affaires. La fontaine Saint-Martin, qui se trouvait en dessous de la chapelle dédiée au même saint, juste en-dehors du rempart, a aujourd’hui disparu. La fontaine Saint-Pierre, simple édicule de pierres maçonnées à l’autre extrémité de la Terrasse, n’a été démolie que récemment, pour permettre les fouilles archéologiques qui ont révélé l’existence de structures complexes recelant de nombreuses monnaies gauloises de la Tène finale et, attestent une occupation ininterrompue du site depuis plus de vingt siècles. C’est ce phénomène irrationnel puissant qui a persuadé Bulliot, au milieu du XIXe siècle, de l’identité de Bibracte-Beuvray, avant même d’avoir commencé les fouilles. Il y avait encore, à cette époque, dans le monde paysan des pourtours du Beuvray, la légende d’une « grande ville » disparue au sommet de la montagne. De cette ville, on entendait le soir grincer les portes de bronze jusqu’à Nevers (Nevers est à 80 km du Beuvray). Le souvenir de Bibracte s’était maintenu dans l’inconscient collectif.

III.

Histoire économique

La forêt, le flottage

Industrie et sous-sol

Agriculture - Evolution et paysage

Démographie et flux migratoire

Perspective d'avenir

La forêt, le flottage

L’histoire économique de notre pays est celle d’une région rurale à sol pauvre, caractérisée par son isolement. Durant l’antiquité, le pays éduen était sillonné de nombreuses et bonnes routes, rayonnant autour de Bibracte, puis d’Autun vers la Saône, la Loire, le bassin parisien, le bassin rhénan et toutes les grandes villes de la Gaule. Elles devinrent vite impraticables et impratiquées, après la destruction d’Autun et la désertification de son arrière-pays consécutives aux invasions de la fin du IIIe siècle. Du fait de son effondrement démographique, le Morvan devint un pays totalement isolé des mouvements commerciaux européens du Moyen Age. Les routes carrossables qui l’ont à nouveau pénétré n’ont été construites qu’à la fin du XIXe siècle. Jusqu’alors, le pays vivait en autarcie et très pauvrement, ses ressources propres étant insuffisantes pour nourrir convenablement une population, même modeste. Les dernières pénuries alimentaires graves remontent à l’époque révolutionnaire : avec deux mauvaises années successives, la famine menaçait. Les rendements agricoles étaient extrêmement bas, aucune terre ne pouvait être distraite au profit de l’élevage. L’absence de routes ne permettait pas le commerce ni aucune industrie. La seule source de revenus allait être la forêt. Le Morvan, en grande partie défriché à l’époque antique pour nourrir une population alors nombreuse, s’était peu à peu recouvert de forêts, composées majoritairement de hêtres. Il allait en tirer, à partir du XVIIe siècle, ses principales ressources grâce à la technique du « flottage » permettant le transport fluvial du bois vers Paris. La capitale en effet, dont la population s’accroissait régulièrement, avait un besoin constant de bois de chauffage. Le bois étant alors le seul combustible utilisé, le principal problème à résoudre était celui de son acheminement à un coût modéré. Or, le Morvan était uni à Paris par des voies d’eau ininterrompues : l’Yonne et ses affluents, Cure, Cousin et maints autres ruisseaux prenant leur source au cœur même du pays éduen. Les difficultés techniques furent vite résolues. Tout au long des cours d’eau et pratiquement depuis leur source, on creusa des retenues, on édifia des barrages, afin de provoquer, au moment choisi, des crues artificielles permettant d’emporter vers l’aval les bûches de bois rassemblées sur les berges. Portant la marque de leur propriétaire, elles étaient ensuite récupérées et triées dans des ports artificiels, puis assemblées en véritables trains qui étaient alors conduits et dirigés par l’Yonne puis la Seine jusqu’à Paris. Ce flottage des bois sur Paris s’est maintenu jusqu’au début du XXe siècle. Il disparut à partir du moment où l’on remplaça le bois par le charbon pour le chauffage des maisons parisiennes. Aux plus beaux jours du flottage, c'est-à-dire au cours du XIXe siècle, le Morvan envoyait chaque année environ 200 000 décastères de bois en quelques 500 trains de flottage. Pendant 400 ans, le Morvan a fourni à Paris 90 % de son bois de chauffage. Il était temps que s’arrête l’hémorragie. La forêt morvandelle ne parvenait plus à se renouveler et se réduisait de plus en plus en taillis. Il est vrai qu’il ne s’agissait que d’une partie de cette forêt, celle du bassin versant la Seine, dans le pays d’Art et d’Histoire, le triangle Anost-Beuvray-Château-Chinon. Dans ce triangle, on rencontre encore quelques- unes des anciennes retenues, parfois toujours en eau et l’emplacement des ports, stations de stockage du bois avant leur départ (entre autres l’étang d’Yonne, au Châtelet, l’étang de Préperny, près du sommet du Folin, le Port des Lamberts, à moins d’un kilomètre de la source de l’Yonne). Une carte du XIXe siècle relative au flottage sur le cours de l’Yonne (14) ne mentionne pas moins de 32 étangs, 39 ports, 15 moulins, foulons ou huileries, 14 barrages légers, sauts aménagés ou alingres (barrages de perches) entre la source de l’Yonne et Corancy. Sur cette rivière, encore bien modeste, et ses affluents (environ 40 km de cours d’eau), on rencontre en moyenne un étang, un barrage aménagé ou un port de stockage tous les cinq cents mètres à partir de la source de chaque ruisseau.

Voir aussi cet article :

Archéologie contemporaine du flottage des bois sur l'Yonne et ses affluents

L’exemple qui semble le plus remarquable d’aménagement aux nécessités du flottage d’une installation préexistante est celui du pseudo canal de Touron (commune d’Arleurf). Il s’agissait d’un immense fossé d’environ cinq cents mètres de longueur, vingt mètres de large et dix mètres de profondeur, vraisemblablement édifié à l’époque romaine sur la ligne de partage des eaux, afin de stocker les eaux du haut Morvan pour les envoyer par les voies naturelles, au moment choisi, sur Autun (donc ensuite l’Arroux et la Loire). Il a suffi d’un travail relativement modeste pour inverser le mouvement, c’est à dire colmater le départ sur le bassin de la Loire et ouvrir un passage vers le bassin de la Seine. Se trouvait ainsi aménagé un remarquable réservoir utilisable pour le flottage. Des recherches récentes laissent à penser que la fonction première de ce prétendu canal n’était pas hydraulique. Ce serait en fait une tranchée minière d’époque proto-historique, comme il en existe beaucoup d’autres en Morvan.

Industrie et sous-sol

L’activité industrielle et l’exploitation du sous-sol sont aujourd’hui à peu près inexistantes. Certes, le pays possède des richesses minérales certaines. Les minéraux les plus divers apparaissent dans tout le haut Morvan, le fer, le plomb, l’argent, le cuivre principalement mais en quantité et en teneur insuffisantes pour justifier une exploitation rationnelle. Le fer a été exploité un peu partout dans le passé lointain autour de Bibracte, les nombreux ateliers métallurgistes gaulois l’attestent. Il s’agissait généralement de petits gisements de surface, exploités jusqu’à épuisement complet, et qui de ce fait n’ont pas laissé de traces. Les seuls vestiges de quelque importance se retrouvent en forêt de Chatillon, sur la commune de Villapourçon et sur celle de Larochemillay, le long de l’ancienne voie de Bibracte à Saint-Honoré, à quelques kilomètres seulement de Bibracte. Le gisement exploité en excavations, aussi proches que possible les unes des autres, sur le sommet du filon, a été repris un peu plus bas en puits et galeries au cours du XIXe siècle. Malheureusement, les difficultés inhérentes au transport du minerai, compte tenu des mauvais chemins, eurent vite raison de l’entreprise. Il fallait transporter les matériaux jusqu’au Creusot – 50 km – sur des chars tirés par des bœufs. Chaque transport durait une semaine. La mine de fer de la Ruchette, pourtant riche, ne vécut que quelques années. Une autre exploitation importante autour de Bibracte fut celle du marbre, extrait tout près de la Ruchette, à Champrobert (Larochemillay) et au Puits (Villapourçon). Comme pour le fer, les souvenirs de l’exploitation antique ont été retrouvés par une reprise d’exploitation au cours du XIXe siècle. Il s’agit d’un beau marbre blanc saccharoïde, largement utilisé dans les monuments romaines d’Autun et dans les villas des alentours, ainsi qu’aux thermes de Saint-Honoré. Au Puits, le gisement a été épuisé. Il est remplacé par un étang tout proche du carrefour. A Champrobert, ce sont les frais de transport qui ont fait abandonner l’exploitation ; les vestiges des carrières antiques viennent d’être en grande partie détruites par la construction d’un étang.

La pierre à bâtir fut aussi exploitée. Dans notre région, ce fut le granit, apprécié pour la taille. Les carrières, nombreuses et continuellement exploitées, n’ont que très rarement conservé les traces du travail antique.

L’eau, par le thermalisme, fut source de richesse à l’époque gallo-romaine. Des thermes somptueux avaient été bâtis à Saint-Honoré-les-Bains, le long de la route Chalon-Bibracte-Decize. Ils apparaissent vers 50 avant J.-C. Il disparaissent avec les invasion et la désertification des campagnes vers la fin du IVe siècle ou le début du Ve. C’était une station importante, connue sous le nom d’Aquis Niscincii. Sept puits fournissaient des eaux sulfurées et arsenicales, à températures élevées, sans doute utilisées, comme de nos jours pour les affections des voies respiratoires. D’autres sources minérales de moindre importance étaient exploitées dans les environs, à Onlay, à Larochemillay. On en retrouve la trace dans la toponymie et dans quelques vestiges en surface.

Le schiste fut largement exploité aux premiers siècles de notre ère dans le bassin d’Autun. Utilisé dans la construction comme élément de décor, en plinthes, moulures, tablettes de revêtement, mosaïques, il était très apprécié pour sa légèreté, l’aisance de son travail, son poli et sa belle couleur noire et on l’exportait assez loin. On le retrouve dans presque toutes les belles maisons romaines du pays éduen. On l’exploite à nouveau au cours du XIXe siècle, mais pour un tout autre usage. Roche sédimentaire formée dans les boues des fonds marins riches en matières organiques, le schiste autunois renferme du bitume. Exploité sur Cordesse, Igornay, Tavernay (en ce qui concerne le Pays d’Art et d’Histoire) et sur Saint-Forgeot pour le principal, l’industrie du schiste atteignit son apogée durant la guerre de 1939-1945. On produisait du pétrole brut, raffiné sur place et tous les sous-produits industriels du traitement : huiles, engrais, goudrons, matériaux de construction… Le pays éduen faillit bien devenir une véritable région industrielle, car les réserves étaient immenses. Malheureusement, la paix revenue, il n’était pas possible de résister à la concurrence des produits pétroliers du Proche et du Moyen Orient. La dernière usine, qui produisait 8000 tonnes de pétrole brut par an, ferma ses portes en 1955. On tenta, à la fin du XIXe siècle, d’extraire la houille, mais très modestement : quelques petites exploitations sur la Celle, Somman (Polroy, La Charbonnerie) qui ne vécurent que quelques années. Les dernières grandes entreprises de carrières ont été l’extraction de la fluorine, matériau utilisé dans les industries métallurgiques et chimiques, d’abord à la Petite Verrière (mines de Voltennes) à partir du XIXe siècle, puis à Cordesse (Maine) et à Saint-Prix (Argentolle dont le nom rappelle une exploitation antique de plomb argentifère aux portes mêmes de Bibracte). On exploite maintenant le feldspath à Etang-sur-Arroux, près de la Perrière.

Agriculture - Évolution et paysage

L’activité agricole, activité de base de la plupart des habitants du Pays d’Art et d’Histoire, a considérablement évolué depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Activité de subsistance, comme nous l’avons dit, elle était extrêmement diversifiée. Même la vigne était cultivée sur les pentes sud-ouest du massif, dans les vallées de l’Alène et de la Somme : il en reste encore quelques parcelles dans la région de Saint-Seine. Le phylloxera, au début du siècle, a fait disparaître l’essentiel de cette production, dont la toponymie conserve les traces jusque dans les communes les plus hautes et les plus froides du Morvan. Aucune culture n’était suffisamment rentable pour justifier la commercialisation de ses produits, laquelle aurait été très difficile faute de moyens de communication. Cette agriculture de survie était caractérisée par des rendements faibles, une qualité médiocre des produits et une impuissance devant les conséquences des phénomènes climatiques normaux, générateurs de pénurie, tels que gel, sécheresse ou excès de pluie. Mais il y avait beaucoup de monde à nourrir, et par conséquent, il fallait utiliser au mieux les maigres ressources d’un sol souvent ingrat. Le paysage était donc bien différent de celui que nous voyons maintenant. La forêt, principale ressource des siècles précédents et les prairies, tendaient à se réduire : partout des terres labourées, avec des céréales, des pommes de terre, des jardins et des vergers autour des maisons. Seules, les croupes montagneuses, aujourd’hui couvertes de forêts, étaient alors en pâturages : c’était le cas du Mont Beuvray, au moment où Bulliot entreprenait ses fouilles. Les forêts étaient alors circonscrites aux pentes raides et aux bas fonds dans lesquels on ne pouvait rien faire d’autre. C’était un paysage très morcelé, entrecoupé de haies vives et de chemins creux, coloré et varié, parsemé d’habitations isolées et de petits hameaux, dont beaucoup ont maintenant disparu. Cette situation prit fin rapidement avec la guerre de 1914-1918. Après avoir atteint son plus haut niveau entre 1860 et 1880, la poussée démographique entamée à la fin du XVIIIe siècle reflua lentement. La terrible saignée de la guerre, frappant les couches les plus jeunes et les plus actives de la population, provoqua un effondrement brutal. L’agriculture se voyait brusquement privée de la moitié de ses exploitants. Découragés, beaucoup de survivants abandonnèrent le village pour la ville. Ce fut le début de « l’exode rural ».

La période située entre les deux guerres 1914-1918 et 1939-1945 n’engendre pas un rétablissement mais une transformation progressive de la mise en valeur du sol, comme de la construction du paysage. Les mentalités n’ont pas encore vraiment changé, mais la nécessité – le manque de bras – oblige à changer les habitudes : le nombre de parcelles cultivées s’amenuise, l’élevage progresse, la prairie gagne les hauteurs, la vigne disparaît, les vieilles maisons ou les maisons isolées sont abandonnées, certains chemins tombent en désuétude. Cependant, on demeure encore en relative polyculture.

C’est la seconde guerre mondiale qui va accélérer l’évolution. Après les souffrances et les privations de quatre années de « retour en terre », il n’est plus question, pour les générations nouvelles, de simplement survivre, mais de rentabiliser au maximum leur patrimoine. Le nombre de paysans a diminué de moitié, par rapport au début du siècle, mais après la pénurie, la demande de produits agricoles paraît illimitée. Il faut donc impérativement augmenter la productivité, ce qui aboutit à produire moins cher. Mais comme cette transformation elle-même coûte cher, il faut être de moins en moins à en partager le profit. Ainsi, causes et conséquences de la nouvelle situation : moins de monde et une demande accrue se percutent et aboutissent à une transformation rapide du mode de vie et du paysage.

Les exploitations et les habitats se modernisent, on remplace les hommes par des machines, les parcelles se remodèlent et se regroupent, les chemins inutiles ou tortueux disparaissent, la conception autarcique de l’économie disparaît ainsi que la notion d’autoconsommation.

Pratiquement, seules deux activités subsistent : l’élevage bovin et l’exploitation forestière où le résineux a remplacé le feuillu. Le cultivateur d’autrefois a acquis une mentalité d’industriel de la production agricole et subit maintenant les conséquences des crises économiques frappant l’industrie.

Démographie et flux migratoire

A partir de la fin du XVIIIe siècle, approximativement depuis la Révolution, nous avons assisté à l’expansion démographique des campagnes. Due à une relative prospérité, à l’ordre, à la sécurité qui ont régné dans les campagnes, elle s’arrête au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Voici quatre exemples, indiquant la situation un peu avant la Révolution (en 1777) et l’effectif maximum de population, selon les statistiques du Ministère de l’intérieur :

Que s’est-il passé ?

Tout d’abord, on peut considérer que les chiffres atteints en fin du XIXe siècle constituent un seuil au-delà duquel il n’aurait sans doute pas été possible d’assurer une vie normale des populations, les ressources du sol étant très limitées. Ensuite cette époque correspond à celle du désenclavement du Morvan. De bonnes routes sont établies, les chemins de fer sont mis en service. Si donc la vie devient trop dure, il est possible de s’expatrier. Toutes les conditions se trouvent remplies pour provoquer un flux migratoire vers l’extérieur et, dans une moindre mesure, un apport extérieur à une population qui avait maintenu son homogénéité. Il était alors assez peu question pour le paysan morvandiau de s’expatrier pour aller travailler à l’usine. D’ailleurs l’essor industriel n’en était qu’à ses débuts, et au Creusot, par exemple, seul centre industriel proche de la région, les usines nouvelles accueillaient principalement des ouvriers venus du nord et de l’est de la France. Ce sont les jeunes femmes moins timorées que les hommes, qui, les premières, vont s’expatrier temporairement pour une tâche bien particulière : vendre leur lait aux riches mères de la famille de la capitale qui ne pouvaient où ne voulaient remplir ce rôle auprès de leurs enfants. Très vite, les jeunes mères morvandelles, de robuste constitution, rapidement connues pour être honnêtes et de bon caractère, furent extrêmement appréciées et recherchées. L’essentiel de la demande se situait à Paris, mais il y avait également une clientèle dans les autres grandes capitales d’Europe. Et la demande était si importante que cette « industrie », assez laidement appelée « nourricerie », prit rapidement une extension parfois dommageable pour les familles locales. La jeune femme partie souvent pour trois ou quatre ans, le mari restant seul au pays, ses propres enfants confiés aux grands-parents, on devine les drames pouvant découler de cette situation. Rentrée au pays, la jeune femme avait vite un nouvel enfant et repartait à la ville pour une nouvelle expédition rémunératrice. Les sommes ainsi gagnées étaient considérables. Deux ou trois « nourrissages » suffisaient à réparer, parfois acquérir la maison familiale ou une terre convoitée. Dans certains villages, le quart des jeunes femmes partait ainsi plusieurs années à la ville avant de regagner leur foyer. Quelques-unes ne revenaient jamais. Le seul avantage de cette pratique fut une certaine ouverture au monde citadin, l’acquisition – très lente – d’habitudes nouvelles d’hygiène et de propreté dans l’éducation des enfants. Accessoirement, une autre forme de migration fut celle du placement, comme domestique, d’hommes, de femmes, parfois de ménages morvandiaux, dans les grandes maisons parisiennes, où les mêmes qualités de robustesse, d’honnêteté et de discrétion appelaient le même choix des employeurs. Il s’agissait alors de migration beaucoup plus longue, celle de toute une vie de travail, presque toujours suivie d’un retour au berceau familial pour y terminer les dernières années de la vie.

Petit à petit, vint la migration des hommes jeunes, de ceux, les plus doués, qui avaient pu acquérir un diplôme grâce à l’obligation scolaire et qui aspiraient à une place dans l’administration, la police, l’armée… Mouvement inévitable, mais dangereux car aboutissant à la fuite des meilleurs éléments de la population.

Une autre migration, celle-ci saisonnière, existait sans doute depuis fort longtemps. La modicité des ressources acquises en Morvan rendait indispensable une activité professionnelle complémentaire. Celle-ci consistait à se louer temporairement, pour effectuer d’autres travaux agricoles dans les régions voisines. On partait ainsi faire les moissons en Auxois et l’on rentrait juste à temps pour les faire en Morvan, en raison du décalage des récoltes. Après une pause, on repartait faire les vendanges sur la côte bourguignonne. En hiver, on formait des attelages et l'on se louait, hommes et bœufs pour de grandes opérations de transports, parfois jusque dans le nord ou l’ouest de la France, et pour plusieurs mois : c’était l’industrie dite de la « galvache », particulièrement active dans les régions d’Anost et d’Arleuf jusqu’au début du XXe siècle. Pour certains, elle devenait une activité principale. Mis à part ces grands périples, il y avait toujours à faire sans s’éloigner du pays morvandiau, des charrois de bois, de pierres, matériaux ou minerais pour lesquels n’existaient pas d’autres moyens de transport que les attelages.

Ainsi, un certain bouillonnement commençait à agiter le Morvan à la fin du XIXe siècle, et à briser progressivement l’isolement des siècles passés : les nourrices, les domestiques, les fonctionnaires, les ouvriers agricoles sortaient et rentraient au pays natal. Le service militaire obligatoire envoyait aussi, souvent pour plusieurs années, tous les jeunes hommes aux quatre coins de la France et de l’Algérie. Et quelquefois, ils y restaient.

Autre mouvement de population, cette fois en sens inverse : celui des jeunes enfants sans famille, abandonnés, orphelins, remis à l’Assistance Publique de Paris et confiés par cette institution à des familles rurales, moyennant une aide matérielle en argent. Cette opération était généralement bénéfique – hormis quelques excès – tant pour les enfants qui trouvaient une famille adoptive et des conditions de vie normales, que pour les adoptants qui obtenaient ainsi quelques ressources complémentaires régulières pendant plusieurs années. L’administration suivait de près l’évolution de l’éducation et de la scolarisation de l’enfant jusqu’à sa majorité. Pour certaines communes rurales, près de la moitié des enfants scolarisés étaient des pupilles de l’Assistance Publique. Cette situation a duré jusqu’à la seconde guerre mondiale. Beaucoup de ces enfants se sont mariés sur place et sont restés en Morvan, compensant dans une certaine mesure l’hémorragie des départs à la ville et des disparus de la guerre de 1914-1918.

Perspéctives d'avenir

La situation actuelle de la campagne morvandelle est celle de presque toutes les campagnes de France : au point de vue démographique, un seuil critique est atteint, la désertification est au seuil du XXIe siècle ; au point de vue économique, la voie suivie depuis les dernières décennies aboutit à une impasse. Pourtant, les perspectives d’avenir ne sont pas toutes négatives. Le tourisme reste l’une des voies à explorer. Il ne peut suppléer à toutes les carences d’un tissu économique malade, mais il peut être facteur de renaissance.

Mais quel tourisme ? Familial, culturel, sportif, tourisme de week-ends, de court ou long séjour, toutes les formules sont à étudier.

Dans ce domaine, le « Pays d’Art et d’Histoire » n’apporte pas la solution miracle, mais valorise les meilleurs atouts du Morvan, ceux qui ne disparaîtront pas. Bien des activités économiques ont disparu dans le passé, le flottage, la galvache par exemple et le Morvan a continué à vivre. D’autres disparaîtront encore et le Morvan vivra toujours. Car demeurent les témoins immortels de son histoire et les descendants actuels des premiers Eduens conservent toutes les qualités d’accueil de leurs ancêtres. Il vous feront aimer ce beau pays et vous donneront l’envie d’y revenir souvent.

© Roland Niaux, 09 février 1994

Publication électronique : 2006-2007

[1] On a beaucoup exagéré la rigueur du climat morvandiau, et spécialement celle du Mont Beuvray. Selon J. Bonnamour (Le Morvan, la terre et les hommes, PUF, 1966), les trois caractères du climat morvandiau sont l’irrégularité d’une année à l’autre, une pluviosité abondante, des températures modérées et des gelées fréquentes. On ne peut en tirer argument pour déclarer le Mont Beuvray inhabitable.

[2] A. de Charmasse, Cartulaire de l’Église d’Autun, p. 151 et 350 dans les actes datés de 1227 et 1236.

[3] “Oppido Haeduorum longe maximo et copiosissimo”, César, De Bello gallico, I-23.

[4] Etaient “clients” des Eduens, les Aulerques Brannovices (Nivernais), Ségusiaves (Forez), Ambarres (Bresse et Ain). Les Séquanes (Franche-Comté) et les Helvètes (Suisse) étaient tiraillés entre Eduens et Germains. Les Biruriges (Berry) étaient l’objet de l’attention spéciale des Arvernes et des Eduens. Les Senons (nord de l’Yonne) et même les Bellovaques (région de Beauvais), étaient dans la mouvance éduenne.

[5] César, op. cit., I-33.

[6] Pour Camille Jullian (Histoire de la Gaule, T. III), l’une des principales causes de la perte de l’indépendance réside dans le « double jeu » continuel des Eduens. Emile Thévenot, de son côté, s’est efforcé de prouver que les Eduens n’avaient pas trahi (Les Eduens n’ont pas trahi, Bruxelles, Latomus, 1960).

[7] Jean Séverin, « Morvan » in Richesses d’art en Morvan, catalogue d’exposition, Paris, Picard, 1983 ;

[8] La vertu s’accroît dans les épreuves.

[9] J.-G. Bulliot, Essai sur le système défensif des Romains dans le pays éduen, Autun, Dejussieu, 1856.

[10] Françoise Thinot, Maisons paysannes en Bourgogne, 1983. C’est peut-être dans les hameaux de Roussillon-en-Morvan que l’on retrouvera les plus nombreux vestiges reconnaissables des vieilles fermes morvandelles : Jeuzot, Les Pécines, Les Barbeaux, Aigreveau, Le Grand Mizieux.

[11] Entre autres : Saint-Léger-de-Fougeret, Poil, Thil-sur-Arroux (Vauqueunes), La Comelle (Jeu), Charbonnat (Chevannes).

[12] Il s’agissait de maladies d’enfants. Les « bavous », comme on le devine, devaient plus ou moins baver ; peut être en raison d’une dentition défectueuse. Les « bitous » étaient atteints de maladies des yeux, pyorrhée, conjonctivite, toutes maladies fréquentes par manque d’hygiène.

[13] « Fou », diminutif de foyard, du latin fagus, hêtre. « Verdun » : nom gaulois, formé de dunum, signifiant enceinte fortifiée et du préfixe à caractère intensif ver, ce qui veut dire à peu près : « super forteresse » (on voit ailleurs Verdun-sur-Meuse, Verdun-sur-le-Doubs).

[14] Société Scientifique de Clamecy, Flottage des bois en Morvan (Centenaire), nouvelle série n°1, Clamecy, Leballery, 1977.

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