Swiss Canyon Trail - 112K


L’envie de raconter, de laisser une trace pour se souvenir, pour partager, pour figer l’instant.

Cette irrépressible envie de mettre sur le papier une expérience…un petit plus de 22h d’une vie,…moins d’une journée et pourtant un condensé intense d’expériences intérieures.

La prépa

Pour la première fois depuis 10 ans de course à pied, je suis blessé sérieusement. Ça commence en novembre avec le tendon d’achille droit qui hurle de le laisser tranquille. Ça remonte au sacro-iliaque gauche qui estime lui aussi qu’il a son mot à dire dans la grand-messe des doléances physiques. Ça finit par la cheville gauche qui, par deux fois vient visiter les limites physiologiques de la bio mécanique en réalisant un petit voyage avoisinant des degrés indécents pour une cheville.

Malgré tout ça, avec sylvain, nous avons réussi à réaliser une préparation honnête. Nous avons rejoint le groupe des bons vivants pour briser la monotonie des sorties longues. Merci à eux pour les bons moments passés en leur compagnie.

Bref, je prends le départ de la course sans repères sur ma forme physique avec pour seul moteur l’envie de me faire plaisir en parcourant la montagne et ses paysages majestueux.

La course

Le départ est donné à 5h du matin. Après 2 ans sans avoir accroché de dossard, on sent la fébrilité des coureurs au moment de rentrer dans les sas de départ. Le pauvre speaker essaie de mettre de l’ambiance mais la pluie torrentielle qui nous tombe sur le nez refroidit les ardeurs des sportifs. J’ai beaucoup de mal à me mettre à crier, à lever les bras avant le départ. Je suis heureux d’être où je suis, soit. Inquiet, certes, mais surtout concentré sur mes sensations et pas l’envie d’hurler mon bonheur à la face du speaker. Si je ne m’associe pas à la « liesse » de ce départ, j’ai néanmoins le sourire aux lèvres. Quelques beaux spécimens sont devant sur la ligne de départ. Des traileurs de haut vol et de niveau international (GIRONDEL, PAZOS, DECK, FERRARRI,…). D’autres méconnus mais tout aussi impressionnants à nos yeux de coureurs de fonds de peloton (LEPINE, MALAVE,…) :) . Bref, nous sommes en définitive près de 500 sur la ligne de départ et pour le moment, on est tous égaux…et mouillés !

Jusqu’à Noiraigue

C’est drôle comment l’esprit fonctionne…il pleut, le réflexe consiste donc à slalomer entre les flaques d’eau sur le bitume et puis tu comprends qu’il s’agit d’un vain effort après 2 Km, aux premières foulées dans les herbes hautes. En un rien de temps tes pieds sont 2 canards au milieu de la mare que sont devenues tes chaussures. Sur un terrain rendu parfois très glissant, le cortège se dirige vers la première difficulté du parcours. Elle passe toute seule et la descente qui suit me rassure. C’est un mix entre de la route et un chemin forestier sans danger pour mes fragiles chevilles. Jusqu’au ravito de Noiraigue c’est ensuite un long chemin plat type chemin de halage. La pluie s’est calmée. Quelques gouttes persistent mais je fais le choix d’enlever le K-way. Mouillé pour mouillé, autant ne pas avoir trop chaud ! Tout le groupe de Martigné se suit. Au ravito, Cédric mettra le clignotant à droite…son mollet n’étant pas suffisamment consolidé, il prend la sage (mais dure) décision d’arrêter là.

Vers les petites fauconnières

On part alors dans la deuxième ascension vers le creux du van. Cela commence par un petit chemin forestier. Les sensations sont excellentes et je mets un peu de rythme. Je creuse un écart avec les copains et j’en remets une couche sur la 2ème portion plus technique. Nous arrivons en haut et là c’est la déception attendue : le ciel très bas vient gâcher la vue de ce qui aurait dû être un des plus beaux points de vue du parcours. Qu’à cela ne tienne, la journée sera longue et il y aura d’autres occasions de se régaler ! Les gars ne m’ont pas rejoint. Je prends alors la décision de continuer à avancer le plus vite possible pour essayer de passer du temps avec un copain franco-suisse qui doit me rejoindre à Vuiteboeuf. Moi qui n’aime pas les descentes je suis servi : une longue descente de près de 11Km est au programme. De longues portions de route viennent taper dans les jambes. C’est trèèèèèèès long !

Vers le Chasseron

La montée de la 3ème difficulté se fait en 2 temps. La première partie se déroule depuis les carrières de môtiers dans les gorges de la Poëta-Raisse . C’est splendide : les cascades, le ruisseau, la forêt. Le silence de la solitude est rompu par tous les bruits de la nature. On traverse des ponts jetés par-dessus le ruisseau. On arpente des escaliers creusés à flanc de roche. Vers la fin des gorges, je retrouve la lumière et les prairies, Sylvain et Dumes. Ils sont bien plus frais que moi, je les laisse partir. La 2ème partie nous amène jusqu’au sommet du chasseron à 1606m. Il fait frais, la pluie a rendu le terrain hyper glissant et à certains endroits on aperçoit des plaques de neige tombées récemment. Juste avant de basculer, je retrouve le reste de la troupe. Au ravito du 40ème en haut du Chasseron, nous sommes donc tous ensemble avant d’emmancher sur la descente. Et elle s’annonce raide : 1000m de D- en 6Km. « Si tu n’avais pas encore mal aux quadris, rassure toi, ça va arriver…bien assez vite ». C’est dans la descente vers Vuiteboeuf que je croise d’abord notre troupe d’assistance une première fois puis None qui arrive du village à ma rencontre.

Col de l’aiguillon

Arrivé à Vuiteboeud, je prends le temps de me sustenter. J’en profite pour discuter avec None que je n’avais pas revu depuis 2 ans. C’est génial comment avec certaines personnes, tu as l’impression de les avoir juste quitté hier. La discussion est naturelle et agréable. None décide de m’accompagner jusqu’au en haut des aiguilles de Baulmes. On refait 1000m de dénivelé…mais dans l’autre sens. Qu’ils seront durs ces kilos !!! heureusement qu’il y avait mon ami pour me changer les idées car le temps m’aurait paru long sinon. Notons que quand tu es dans le dur, c’est un peu comme si tu ouvrais un vortex temporel qui t’aspirait au loin sans te donner d’indications sur le moment où tu vas revenir dans ta réalité faite de douleurs, de fatigue, de lassitude,…le temps s’étire à l’infini au plus mauvais moment.

L’arrivée en haut récompense néanmoins nos efforts. La vue est à couper le souffle. Nous plongeons alors dans une descente vertigineuse où les capacités de marcher à 4 pattes peuvent s’avérer salvatrices ! Je ne suis pas le premier à passer et la terre laissée sur les rochers, associée à la « petite pluie » qui était tombée quelques heures auparavant rend le terrain glissant à souhait. On passe notamment dans un endroit où la sécurité avait été renforcée avec des cordes. Notre ami « Stephan le zuirchois » s’y retrouvera tétanisé de peur créant un bouchon monstre. C’est incroyable ce qu’on peut être sadique dans ces situations où l'on se nourrit du mal des autres. Je suis passé d’un état de loque lamentable à coureur en renouveau le temps de le voir souffrir dans la descente. Je devrais remercier ce pauvre Stephan. Au ravito qui suivra, je finirai de me refaire la cerise. None, me quitte pour rejoindre Vuiteboeuf. Il devait initialement juste me saluer 2 fois dans la course, nous voilà avoir passé près de 4 heures ensemble. Un immense merci à lui !

Vers le col des Etroits

J’ai peu de souvenirs de cette portion de course. Les 7Km me séparant du prochain point de ravito se feront au train. J’imagine les gars loin devant. Je ne me formalise absolument pas sur ce genre de situation. Je profite du moment pour mettre un peu de musique, d’appeler Emilie et les enfants, prendre des photos, etc… je me fais doubler par les coureurs « gilets jaunes ». Un groupe de 3 runners très sympas tous habillés de jaune avec qui on va commencer un chassé-croisé sur plusieurs kilomètres. Quand ils me dépassent la première fois, j’étais au téléphone avec Emilie. J’avais mes écouteurs et de loin, ils m’entendaient parler seul. Ils m’avoueront un peu plus loin qu’ils m’avaient pris pour un taré qui parlait tout seul…jusqu’à ce que je leur montre mon casque. Nous sommes partis dans un éclat de rire général.

Vers les gorges de Noirveaux

Le plan est simple : on monte et on descend une seconde fois le chasseron par un autre sentier. On continue notre chassé-croisé avec les gilets jaunes. Ils courent plus vite mais marchent plus lentement que moi. Dans la montée, je les laisse derrière et en profite pour prendre quelques photos du joli panorama qui s’offre à moi. Un 360° magnifique avec le lac de neufchatel, une vue imprenable sur Yverdon et sur les vallées alentours. La difficulté de la montée s’envole à la simple contemplation du paysage. Je me dis quand même que j’ai beaucoup de chance (tout court) de passer ici avec cette vue. J’entame alors la descente, suivi de près par un local, Adrien. On échange quelques mots sur le parcours, la difficulté de la descente dans laquelle on est et des banalités de traileurs déjà un peu entamés mais encore vaillants. Il se fera la malle dans la dernière partie de la descente très technique. La base de vie se rapproche. On arrive aux alentours du 77ème kilomètre quand je retrouve la troupe d’assistance. A ma grande surprise, je retrouve également le groupe des LBV que j’imaginais une heure devant moi. Je profite du moment pour me changer, manger des pâtes refaire le plein. Les gars partent 5-10’ avant moi. J’ai un moral de conquérant et j’ai senti que j’allais pouvoir les rattraper. Après avoir vanné l’équipe d’assistance et les avoir remerciés pour leur disponibilité, je repars.

Vers les places

J’appelle de nouveau les enfants et Emilie. Aubin me met une grosse pression : « papa, si tu les rattrape tu seras trop un beau gosse » ! Ce petit moment téléphonique finit de me mettre le moral à 100 ! c’est sûr, désormais, je vais récupérer les copains...bien envie d'être le beau gosse de la famille ! En chasse de mes potes, je lance mon regard le plus loin possible à chaque dégagement pour essayer de les apercevoir. J’ai beau courir souvent, je ne les vois pourtant pas. Je me dis alors qu’ils vont profiter du ravito « des places » pour prendre quelques minutes et que je les récupèrerai alors. Mais non, en vain, j’arrive au ravito et…pas de copains. J’en prends un petit coup au moral : ils sont encore frais et je n’arriverai pas à les récupérer. Je retrouve alors Adrien (descente du Chasseron). Il est bien entamé. On discute un peu et je l’invite à rester quelques minutes supplémentaires pour manger et finir de refaire les niveaux. Pour ma part, j’y vois une bonne opportunité de m’associer à un autre traileur pour affronter la nuit. J’en profite pour faire une pause salvatrice afin d’enchaîner sur les prochains kilos qui nous attendent.

Vers le chapeau de Napoleon

La nuit tombe et l’obscurité de fin de journée est renforcée par le passage dans de nombreux sous-bois. Adrien reprend peu à peu du poil de la bête et je l’emmène sur les longues parties droites sur un petit rythme de footing. Au détour d’un virage, j’entends les voix des copains. Ils ont l’air un peu cuits. Je les laisse et prends les devants.

Adrien est venu faire un repérage récemment de cette partie du circuit. Cela nous permet d’anticiper la descente très technique du chapeau de napoléon et de relancer aux bons moments sans taper dans les réserves inutilement. On commence à reprendre pas mal de concurrents à l’arrêt. Là encore, on se nourrit des défaillances des autres pour faire le plein d’énergie : une lumière au loin, c’est une place à gagner au classement (et pourtant, c’est juré, on n’en avait rien à faire du classement mais le défi de récupérer la luciolle devant nous séduisait plutôt bien) !

Vers la Roche

Les kilos et les ravitos s’enchaînent dans la nuit. Nous assurons toujours un bon train et continuons notre folle partie de pacman (près de 100 places sur 40Km au final). Sur le profil, il reste moins de 20 kilos et 2 bosses. Seulement dans la nuit, les perceptions sont complètement différentes. Ajouté au fait de courir depuis 20h, la lucidité nous manque parfois et on a l’impression de n’en finir à rien. Là où certains s’énervent des annonces approximatives des bénévoles, on se marre de bon cœur avec Adrien. Notamment cette fois où à la place du ravito on trouve un bénévole qui nous annonce « c’est dans 2 kilomètre ». Et 2 kilos plus loin un autre bénévole qui nous annonce : « c’est dans 2 kilomètres ». On part dans un franc éclat de rire surtout que juste avant de demander au 2ème gars, je glissais à Adrien : « tu vas voir il va nous annoncer dans 2 kilos ». Cette bonne humeur nous permet de ne pas sombrer dans la morosité et de garder un petit rythme sympa. Les petits coups de cul se succèdent et l’organisation nous fait passer par des endroits franchement difficiles. On se demande bien comment les premiers abordent ces sentiers : les courent-ils ? Pour notre part, c’est marche très active et on relance dès que possible avec une course aux pas très lourds. On oublie toute notion de technique de pose de pied. Ça talonne un max ! Notre seule préoccupation maintenant : elle est où l’arrivée… ?

Adrien prend alors le relais de notre binôme. C’est lui qui invite à la relance. Je commence doucement à rêver d’arriver avant les copains, chose que je n’aurais pas cru possible au début de course. Le parcours continue de passer dans les sous-bois. Nous apercevons le dernier ravito. Il est joliment annoncé par des petites loupiottes qui viennent égayer le milieu de nuit. Il est 2h30 et il reste 4Km.

L’arrivée

Le début de la descente est un peu casse pattes car nous faisant passer par des marches un peu vicieuses. Ça enchaine sur des petits lacets serrés et débouche sur la route. Il reste 2 kilomètres. On se surprend alors avec mon compagnon de course à courir à une allure plutôt correcte. On laisse sur place encore une petite dizaine de runners, dont certains dans des états…il ne faudrait pas qu’il y ait trop de rab car ils ne finiraient pas ! On arrive dans Couvet, ville d’arrivée. Les lumières du stade nous accueillent…et c’est bien là une des seules choses qui nous accueillera d’ailleurs…pas de musique, pas de speakers. Tout juste une bénévole qui nous saute dessus pour nous demander notre taille pour le T-shirt de finisheur. J’ai la chance d’avoir une partie de la troupe d’accompagnateurs qui met un peu d’ambiance à notre arrivée et heureusement car franchement, sans ça…c’eut été d’une tristesse sans nom !!! Alors merci à Cédric, Martine et Catherine d’avoir été là à ce moment-là !

Bilan

Une course bien gérée. Tout dans l’impro sur la partie rythme à respecter. Mais sans pression aucune.

Une première conclusion : ne pas hésiter à se mettre dans un bon rythme dès le début. Tant qu’on ne se met pas dans le rouge, ça passe et ce qui est pris n’est plus à prendre comme dit Sylvain !

Une deuxième conclusion : dès qu’il fait beau, c’est vachement mieux !

Place maintenant à la récup et on repart sur la prépa de la CCC avec Sylvain.

pour finir merci à tous ceux qui ont fait de cette course un moment sympa : None, Adrien, Oliv, Antho, Cédric, Papy, Anthony, Dumes, Marco, David, Sylvain, toute la troupe d'accompagnateurs. Et enfin et surtout à mon adorable épouse qui me permet de vivre ce genre d'aventures et mes enfants qui sont une vraie source de motivation dans les moments difficiles.

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