Quelques vers...

A Molenbeek       A Molenbeek, de ce temps-là,Les cheveux de ma mèreDansaient des Quatre-VentsAux Etangs-Noirs. Légère,Rieuse, joyeuse, captivantLe regard des bons-vivantsAttablés devant une bière,Elle travaillait en élevant son enfant. O Molenbeek de ce temps-là,Que je te rêve encore !Avec tes gosses de la rue RansfortQui taclaient leurs billes aux milles éclats,Avec tes filles qui sautaient à la cordeSous l’œil bonasse des femmes accortes.Avec tes chanteurs des rues à l’œil andalouQui braillaient leurs couplets de voyou. A Molenbeek, de ce temps-là,C’étaient cafés, restaurants, cinémas,Mille boutiques aux vendeurs affairés,Les marchandes de citrons,Les rémouleurs aiguisés,Les braderies fleurant la frite…Petit quartier de Bruxelles fanfaronEt si doué, Grand Jacques, pour bruxeller,Cœur et tripes au superlatif.Où mon aïeul présidait le Manneken-PisOù mon grand-père, l’œil vif,Mitonnait ses  blagues recuitesDans la candeur compliceDes gens heureux et naïfs. O Molenbeek de ce temps-là,Où es-tu ? Ta bonhomie a déserté les pavés,Le sang remplace la gaité,Un voile endeuille maintenantLa chaussée de GandEt les gamins, de la rue Fin,Boudent le pistolet au haché préparé. Car vous êtes arrivés, un matin…Et Molenbeek vous a souri, accueillis, nourris.Est-ce donc là votre merci ? O Molenbeek, O mon quartierQue j’ai tant aiméMe reviendras-tu un jour Tel que je t’ai laissé ?Te reverrais-je comme autrefoisRire, chanter, retrouver cette flammeQui nourrissait si joyeusement ton âme ?
                                   Viviane Decuypere

©2016-Viviane Decuypere

Auguste Vandergoten, mon arrière grand-père, Président de la Société des Amis de Manneken-Pis en 1878

Rosine, ma mère, dans les rues de Molenbeek en 1941 avec sa fille, Jeanine

Braderie dans les années soixante, chaussée de Gand...

Quelques Proses...

Le quotidien et surtout la bonne cuisine - on n'est pas par hasard la fille d'un hôtelier-restaurateur ! - a souvent inspiré Viviane Decuypere au travers de poèmes et de proses. Deux textes ont été repris par la troupe de la Cetra d'Orfeo dans un de ses spectacles "De Bouche à Oreille" que  Muguette Cozzi a interprêté, comme à l'accoutumée, avec finesse er humour.

Dans un savoureux mélange “baroque” de chansons à boire des XVIème et XVIIème siècles copieusement nourri de poésie gourmande, chanteurs, instrumentistes et comédiens s'associent à un spectacle original où humour, truculence et sensibilité se partagent le gâteau. Une heure trente d'un spectacle qui, de l'apéritif au dessert, réveille les papilles et ouvre l'appétit.

Dans la Cuisine de Rosine

Dans la cuisine de Rosine,Les jours d’anguilles au vert, Les murs se zébraient de sang. Dans la cuisine de Rosine, Les jours d’anguilles au vert,L’espace aérien se saturait d’objets volants non identifiés. 
Voilà une histoire sans queue ni tête, me direz-vous. D’accord pour la tête : égorgée la bête ! Mais pour la queue, elle y était et frétillait avec entrain, Je vous l’assure ! Dans la cuisine de Rosine, Les jours d’anguilles au vert, C’était l’Amazonie, la Papouasie et le Népal réunis : C’était l’A-VEN-TURE ! 
D’abord, le sac était déposé sur la table. Avec précaution, on l’ouvrait. Avec célérité, le corps souple et gluant Etait saisi à la nuque, et posé sur le billot. Avec élan, le couteau s’abattait, Et la tête volait, comme vole La tête du singe en pleine jungle : Un Jivaros, faut bien qu’ça mange ! L’indigène de l’Ilot Sacré, pareil ! 
Dans la cuisine de Rosine, Les jours d’anguilles au vert, C’était d’un barbare !… Entre le pouce et l’index, le corps sanguinolent était maintenu. Le petit couteau pointu tailladait la peau noire, De haut en bas. Et, d’un coup sec, la nudité se révélait, rose et ondoyante. 
Dans la cuisine de Rosine, Les jours d’anguilles au vert, Fallait pas avoir le cœur au bord des lèvres ! Un récipient de verre recevait Les corps des guillotinés Et une pluie de sel s’y abattait Juste avant la pose du couvercle. 
Dans la cuisine de Rosine, Les jours d’anguilles au vert, C’est à coup de machette Qu’on taillait dans le vert ! Cerfeuil, oseille, estragon, persil,… J’en passe de cette végétation Qui parfumait ! Qui embaumait ! Et dans cette brousse luxuriante commençait alors L’INITIATION… 
Le couvercle soulevé, Les corps des suppliciés s’envoyaient en l’air ! Il en pleuvait ! Ca se tapait au plafond, aux murs ; On en recevait comme une manne, sur la tête et les épaules. 
Dans la cuisine de Rosine, Les jours d’anguilles au vert, On se grimait de larmes de sang ! Et puis, en un tour de main, le miracle s’accomplissait : Un peu de vin par-ci, Un peu de crème par-là, En peu de temps c’était L’Ivresse, l’Extase, le Nirvana… : 
Dans la cuisine de Rosine, Le plat d’anguilles au vert fumait ! ! ! Le plus beau des Renoir n’en supportait pas la comparaison ! La plus subtile des fragrances ne pouvait rivaliser en finesse ! Le met le plus sophistiqué perdait son bouquet Devant le savoureux et la subtilité de ce plat ! Allons, piquez votre fourchette dans la chair de l’anguille, Fermez les yeux et laissez-la fondre sur la langue… Buvez un petit coup de Moselle… Quel doux bonheur ! Ô, la cuisine de Rosine Les jours d’anguilles au vert… !
Viviane Decuypere

Le Génie BELGE

Extrait des Pralines de M. Tonneklinker

Le spéculoos, le pain d’épice, c’est la fine fleur du bon goût belge. Nulle part au monde on n’en fait de meilleur qu’ici. Ils peuvent toujours venir avec leurs pâles imitations, les autres ! Ils n’auront jamais le moelleux, la saveur - ô combien inimitable - de notre terroir.

Et cet échantillon le plus pur de la création belge, on a le devoir de le défendre ! Comme on doit défendre notre bière, notre chocolat, notre fromage.

Européens, peut-être, mais Belges surtout, ne laissons pas la porte ouverte à l’envahissent de notre gastronomie nationale par la horde insipide internationale !

Car sinon, je vous le dis, notre kriek deviendra de la flotjesbee, les anguilles au vert seront servies avec du ketchup pour faire joli, les pralines goûteront le chewing-gum et le craquelin ne sera plus qu’un vulgaire pain de mie.

Élevons-nous face à ce péril imminent et brandissons bien haut l’étendard national contre l’uniformisation gustative universelle. Car si je dis oui au Cassoulet à Toulouse, Oui pour la Choucroute à Munich,Oui à la Paella à Bénidorm, Je dis oui, mille fois oui aux Carbonades Flamandes à Bruxelles !

Oui au plattekeis, oui aux caricoles dans la rue, oui aux frites, aux gaufres de Liège, au stoemp, au Herve, aux tomates aux crevettes…

De Bruxelles à Anvers, en passant par Liège, la gastronomie, c’est notre âme qui s’exprime. Et par sa diversité wallone, bruxelloise, flamande et germanique, elle la pimente d’une spécificité unique !

 Haut les cœurs, mes chers compatriotes ! Soyons fiers ! Prenons conscience de nos valeurs !

Car même si notre pays est petit, notre Lapin à la Gueuze en fait la perle de l’Europe !

   (A dire avec l’accent, bien entendu !)

 

ODE A L'ESCARGOT

D’abord, d’abord, il y a l’odeur

Qui vous tire par le nez,Qui vous attire vers cette charrette à brasLà, au coin de la rue.Elle est pimpante avec son petit toit bicoloreRouge et vert – les couleurs de ma ville –Et fume de toute partDans ce froid pointu de décembre. La grosse marmite bouillonnante, débordanteD’escargots de mer, une grosse touffe de céleriPlantée comme un étendard,Trône sur un nid de braises rougeoyantes. L’eau m’en vient à la boucheEn même temps qu’un désir irrépressible :J’en veux !  De ses gros doigts douteux,Le bonhomme saisit une à une les coquillesEt, prestement, dépose dans mon bolLes bestioles dénudées.Une petite louchetée de bouillon grisâtre,Allons, je peux déguster ! C’est chaud, épicé,Caoutchouteux et tendre à la foisO l’ineffable saveur de mon enfance… Ne tentez pas de convertirCelui qui n’est pas né de Bruxelles :Vous y perdriez temps et énergieEn restant éternellement incompris.Pire : un sauvage se bâfrant d’horreurs Que les esprits chagrins qualifientde peu ragoutantes. Prenez donc votre plaisir en solitaire…Ou alors seulement avec des initiés de première heureQui sauront apprécier avec délectation.N’est-ce pas, papa ?  Viviane DECUYPERE

Un Conte :  

DAPHNEE 

ET LA COURONNE DE LAURIER

Un dieu n’est pas essoufflé… Un dieu n’est jamais fatigué… Le souffle court,  Apollon ressassait ces dogmes, affalé sur un rocher bordant les rives du fleuve Pénée.  Il lança un regard à Eros qui riait en rangeant son carquois, là-haut, à la balustrade de l’Olympe. Il lui avait encore joué un bien sale tour ! A-t-on idée ! A cause de lui, une fille splendide s’était transformée en arbre ! D’accord, il était beau avec ses petites fleurs roses et ses longues feuilles au vert profond. Mais tout de même ! Apollon se leva et s’approcha de l’arbuste en souriant tristement.

-         Mes poètes et mes vainqueurs te porteront désormais sur leur front avec fierté, souffla-t-il en caressant le doux feuillage.

Le laurier vibra. Il acquiesçait les paroles du dieu… Comment Daphnée pouvait-elle se contenter de ça ? Oui, ceindre le front d’hommes émérites  était sans doute glorieux mais enfin, ce n’était que des hommes ! Des mortels ! Ne méritait-elle pas mieux ?... Il songea. Il revit la nymphe comme il l’avait découverte tout à l’heure dans une forêt du Péloponnèse, ses longs cheveux blonds coulant sur ses reins, ses yeux émeraude, ce sourire découvrant des dents perlées et ce rire, ce rire moqueur qui arrêtait tous les prétendants…  Car Eros lui avait un jour décoché une flèche. Une flèche funeste… Non pas celle qui inspire l’amour comme l’aiguillon qui venait de frapper le cœur d’Apollon, mais celle qui le fait fuir. Et Daphnée donc, fuyait, ne voulait pas se marier, n'aspirant qu'à vivre libre dans ses chères forêts qui seules la rendaient heureuse.  Tous ses soupirants se heurtaient à cette volonté invincible au grand désespoir de son père, le dieu-fleuve Pénée qui aurait tant aimé chérir des petits-enfants. En posant son regard sur elle, Apollon avait su. Cela ne l’arrêta pas. N’était-il pas la Lumière et l’Harmonie ? Nul jamais ne résistait à ses charmes ! Il avait pris sa lyre et lui avait chanté les plus beaux poèmes émanant de son cœur.  Daphnée lui avait lancé un regard espiègle et, lui tournant le dos, s’était mise à courir. Rien ne ralentissait sa course, les arbres même s’écartaient pour la laisser passer, vive et preste comme un oiseau.  Il l’avait poursuivie en l’appelant, en la suppliant, lui offrant un amour éternel et unique. Mais elle, atteignant le domaine de son père, cria :

-     Père protège-moi des avances d’Apollon ! Viens-moi en aide afin qu’il ne puisse jamais faire de moi son épouse !  Le dieu-fleuve, sorti brutalement de sa torpeur, leva une main vers Daphnée qui, arrêtée dans son élan, prit racine aussitôt, ses membres devenant bois, sa chevelure un foisonnant houppier trémoussant dans le vent. 

Pénée, alors, mesura l’étendue de son prodige et pleura… Apollon, un si beau parti ! Que n’eût-il pris le temps d’évaluer la situation avant de boiser sa fille !...  

Le dieu-fleuve, sorti brutalement de sa torpeur, leva une main vers Daphnée qui, arrêtée dans son élan, prit racine aussitôt, ses membres devenant bois, sa chevelure un foisonnant houppier trémoussant dans le vent. Pénée, alors, mesura l’étendue de son prodige et pleura… Apollon, un si beau parti ! Que n’eût-il pris le temps d’évaluer la situation avant de boiser sa fille !...

Aphrodite vint à passer. Elle vit Pénée accablé, Apollon désespéré et Daphnée crucifiée par la flèche cruelle d’Eros. « Qu’as-tu fait, mon fils ? Pourquoi cette méchanceté chez le petit-enfant Amour ? Je ne t’ai pas élevé ainsi ! Reprend ta flèche empoisonnée. » Eros, tout confus, obéit à sa mère. Alors Aphrodite prit la main d’Apollon et la posa sur la branche du laurier qui redevint douce et chaude. Le corps de Daphnée sortit de sa gangue et ses yeux émeraude se noyèrent dans le regard solaire du dieu. Daphnée et Apollon se marièrent en présence de tout l’Olympe et le dieu-fleuve eut beaucoup de petits à chérir…

Voilà la véritable destinée de la nymphe Daphnée dont la couronne de laurier, toujours octroyée de nos jours à des bénéficiaires distingués sur l’autel des mérites, nous rappelle la gracieuse histoire. 

Viviane DECUYPERE

Les Inclusives…

Marguerite Yourcenar, Marie Curie ou Hélène Boucher ont-elles eu besoin d’un -e. pour exister ?... Franchement, j’aimerais que les « ayatollettes » féministes se posent la question ! C’est donc dans un point ou un tiret qu’elles placent leur féminité triomphante et leur égalitarisme ? C’est confondant de niaiserie, permettez-moi de vous le dire, Mesdames ! Si vous revendiquez l’égalité avec les hommes, faites-le en prouvant vos valeurs,  vos talents,  votre esprit d’entreprise, votre envergure, bref  votre intelligence ! Ceci, plutôt que votre tentative de destruction d’une langue superbe que, de Christine de Pisan à Andrée Chédid en passant par Madame de Sévigné, tant de femmes ont célébrée avec talent. Comme vous devez être complexées et d’une imagination limitée pour en être réduites à une telle extrémité. Je suis femme et je l’assume avec plaisir, sans avoir jamais ressenti de ma vie de la jalousie envers un homme. J’ai suivi mon petit « bonhomme » (eh oui !) de chemin avec mes capacités ou mes manques et m’imposant naturellement face à un homme ou à une femme parce que j’avais peut-être le talent de le faire et sans pour cela être revendicatrice.

Je ne me suis jamais sentie offensée parce qu’un homme un soir d’été posait sa veste sur mes épaules, ni parce qu’il me tenait une porte, qu’il me faisait passer devant lui ou qu’il m’offrait un délicieux repas. Je lui suis reconnaissante de m’avoir offert le privilège de vivre mes deux maternités intensément sans devoir me lever aux aurores et imposer à des bébés le rythme d’une mère aigrie car débordée de travail et de soucis. Tout ce qui m’est arrivé de bon dans la vie, je le dois aux hommes, tant dans mon privé que dans mon métier. Comme je vous plains de ne pas vouloir goûter aux délices de la galanterie et comme je plains vos fils dont vous ferez immanquablement des rustres, puisqu’il est dit que la Femme est l’avenir de l’Homme….

Enfin, si on parle de l’Homme comme dénominateur de notre espèce on parle aussi de l’Humanité pour désigner la nature humaine et le sentiment de bienveillance…

Allons, Mesdames, reprenez-vous et offrez-vous une pinte de bon-sens : réalisez-vous sans pour cela martyriser le français avec vos points et vos tirets hors de propos et cessez vos errements qui font honte à la gent féminine sensée !

Viviane DECUYPERE26/02/2021

STANCES A UN AMI

Un ami, bien cher à mon cœur, l’autre jour

Me fit compliment sur mon bel air et mes atours,

Déclarant complaisamment que mes attraits

Etaient toujours agréables et aussi frais

Que jadis, lorsque le nombre des années

Ne m’avait point encore marquée !


Ah ! Qu'en termes galants ces choses-là étaient dites !

Mais allez, mon ami, il n'est point nécessaire

De tenter de me leurrer en ces affaires !

Ainsi, je vous le déclare tout net : la messe est dite...


Eh quoi ? Croyez-vous donc que mon miroir me mente ?

Et que je ne perçoive pas la ride et le double menton

Qui dessert un ovale qui s'en va - hélas - en accordéon ?

Les ans m'ont faite lucide et sage et je puis désormais

Dénicher une jactance flagorneuse et par trop  aberrante.

Mais je pardonne à cette amitié persistante,

Dont vous m’honorez avec tant de courtoisie, 

D’être mal voyante et par trop indulgente !


Ne croyez pas que pour autant je sois prête à me soumettre

Au rectificatif du scalpel ou de l’injection pour paraître,

Aux yeux de tous, académiquement rajeunie.

Non, non surtout pas ! Je reste ce que je suis

Et laisse aux autres le soin d’être les porte-étendards

De la voluptueuse et grotesque bouche en canard…


Viviane DECUYPERE

Lettre à Venise

Un chatoiement d’azur, de turquoise et de pourpre m’éclate au visage…

Je sors de la gare et tu es là, Venise, pour la première fois devant mes yeux. Je suis éblouie. J’ai dix-neuf ans et je découvre en un bouquet irisé, ton sublime !

Pour toujours je resterai marquée au fer rouge de cet instant et je ne cesserai, toute ma vie durant, de m’abîmer dans ta contemplation…

Quand je m’arrache de tes venelles, de tes canaux, de tes palais, de tes places clandestines, des jalousies discrètes de tes façades et du rire de tes enfants, je sais déjà que j’aurai soif de toi. 

A chaque retour, tu m’enivres de tes merveilles, de tes charmes, de tes mélancolies et de tes allégresses clapotant sur un miroir d’éclats éphémères.

Viviane Decuypere

20/07/2021