Paix

Je ne prendrai pas ici le mot "paix" par opposition au mot "guerre" ou encore "conflit". L'Aïkido est très souvent (j'allais dire toujours) présenté comme un ayant une dimension spirituelle: celle de préserver la vie. Le prédicat de cet art martial serait donc qu'il ambitionne de développer une technique supérieure qui doit me permettre de "vaincre" un adversaire tout en préservant son intégrité physique.

C'est à dire que l'on aurait assemblé de façon géniale des techniques issues de champs de batailles sanglants et mises en œuvres par des guerriers fanatiques afin de leur faire produire l'antithèse qui avait présidé à leur conception.

De fait, on se retrouve confronté à cette définition d'un art de défense ou d'anticipation où l'on dirige la force, l'énergie de l'adversaire jusqu'à un point choisi avec cette idée de lui révéler l'inutilité de son action.

Mais il n'en reste pas moins que dans tout ce que je viens de dire nous ne sortons guère du conflit. Que ce soit l'attaquant ou le défenseur (termes impropres que j'emploie par commodité), l'un des deux sortira vaincu et devra faire sa soumission. Cela est vrai même si l'aïkidoka n'a pas fait montre d'agressivité mais imposé sa supériorité technique pour contraindre l'autre et ses intentions.

Il ne s'agit pas ici de balayer l'aspect éthique qui doit présider à toute pratique d'Aïkido et sans lequel celle-ci est vaine, pour réaffirmer l'aspect martial. C'est bel et bien le cœur de la pratique, mais la paix que nous cherchons à établir doit sans doute trouver sa finalité dans cette recherche faite en nous même. Non plus établir la paix entre deux entités mais en nous même. "Vous prenez le dessus sur votre propre sabre", disait O Senseï... N'est-ce pas renoncer à abandonner tout pouvoir sur autrui, toute contrainte parce que le travail que nous réalisons sur nous même nous a amené à un détachement, une conquête de liberté, un refus de nous opposer ou contraindre, de vaincre... Bref affronter notre propre violence. Ce qui serait l'enjeu essentiel. La violence que nous envoie celui qui est en face de nous a cette vertu de nous placer face à notre propre violence et a cela d'essentiel qu'elle nous met en situation de nous faire affronter notre propre nature pour mieux nous déterminer.

Les écrits des philosophes font état de réflexions sur la nature profonde de l'homme et l'état de guerre qui serait créateur au final d'ordre et de justice. Et Spinoza nous dit également: « Quelquefois, il arrive qu'une nation conserve la paix à la faveur seulement de l'apathie des sujets, menés comme du bétail et inaptes à s'assimiler quelque rôle que ce soit sinon celui d'esclave. Cependant, un pays de ce genre devrait plutôt porter le nom de désert, que de nation ! »

La paix n'est pas plus que cette période entre deux conflits qu'une utopie. Elle serait d'abord cette quête en soi-même, ce positionnement envers notre propre destructivité au moment où ce positionnement s'affronte à celui d'un autre être humain. En considérant que la nature de l'homme soit destructrice, champ d'affrontement de passions qu'il faille réprimer, combattre ou se détacher pour atteindre la... paix.

« Pour mériter la paix il ne suffit pas de ne pas désirer la guerre.

La véritable paix suppose un courage qui dépasse celui de la guerre:

elle est activité créatrice, énergie spirituelle.»

(E. Jünger, La Paix).