Le linteau

+ ANNO VIDESIMO QVARTO RENNA(N)TE ROT BERTO REGE WILIELMUS GRA(TIA) DEI

ABA  ISTA OPERA FIERI IVSSIT IN ONORE S(AN)C(T)I GENE SII CENOBII QVE VOCANT FONTANAS 

            Une œuvre en marbre blanc parfaitement datée 1019-1020 posée en linteau dans une façade retravaillée au milieu du XII ème siècle d'une église abbatiale

en même temps que se réalise son voûtement ainsi que la reconstruction de l'abside principale et qui vaudra la nouvelle consécration de 1153. 

Eglise de l'un des premiers monastères carolingiens implantés en Roussillon avec Sainte Marie d'Arles sur Tech et Saint André de Sureda. Monastères

qui connurent des premiers siècles d'existence mouvementés et des phases successives de construction ou reconstruction,

causes notamment d'un important questionnement sur l'origine de ce linteau comme de son jumeau de Saint André de Sureda.

   Le grand intérêt de ce linteau ainsi que de la façade dans laquelle il s'inscrit [qui a fait l'objet de nombreuses études depuis la première partie

du XX ème siècle par les grands historiens d'Art ou historiens médiévistes – entre autres Henri FOCILLON, PUIG i CADAFALCH, Marcel DURLIAT,

Xavier BARRAL i ALTET, Pierre PONSICH ou plus près de nous Peter KLEIN, Géraldine MALLET – ainsi que de nombreuses communications

particulièrement dans les Cahiers de Saint Michel de Cuxa, les Etudes Roussillonnaises, les Bulletins de la SASL des Pyrénées Orientales ou

les Cahiers de Fanjeaux. Ensembles de publications qui ont largement inspiré les lignes qui vont suivre].  

Le grand intérêt de ce linteau donc, outre les aspects stylistiques et techniques sur lesquels nous reviendrons, est d'être la plus ancienne sculpture

datée de l'âge roman ou pour reprendre la formulation de P. Ponsich « La plus ancienne représentation datée de la figure humaine

dans la sculpture médiévale française ».

   A ce titre il figure dans tous les manuels et ouvrages spécifiques traitant de cette période et le fait connaître dans le monde entier.

La datation est inscrite dans la pierre à la gloire manifestement du commanditaire de l'oeuvre et du monarque régnant puisque référence il y a,

et ceci n'est pas sans intérêt.

           + ANNO VIDESIMO QVARTO RENNA(N)TE ROT BERTO REGE WILIELMUS GRA(TIA) DEI ABA 

            ISTA OPERA FIERI IVSSIT IN ONORE S(AN)C(T)I GENE SII CENOBII QVE VOCANT FONTANAS

   Deux lignes placées sous la bordure de part et d'autre de la mandorle qui coupe les noms du monarque et du saint patron du monastère

que l'on peut traduire ainsi :

          «La vingt quatrième année du règne du roi Robert, Guillaume abbé par la grâce de Dieu ordonna la réalisation de ces œuvres en l'honneur

de Saint Genis au monastère qu'on appelle des Fontaines»

   Robert, fils d'Hugues Capet monte sur le trône à la mort de son père (auquel il était déjà associé) en 996.

La 24 ème année nous donne donc une fourchette comprise entre le 24 octobre 1019 et le 24 octobre 1020.

La référence de l'abbé Guillaume – dont on ne sait rien – au roi Robert n'est certainement pas un hasard. Robert le Pieux

est considéré comme le premier roi thaumaturge, très impliqué dans le développement de la vie religieuse dans son royaume

(malgré des excommunications liées aux « aléas » de sa vie maritale!) va combattre les premières déviances « hérétiques » qui vont marquer

la deuxième partie du Moyen Age déjà perceptible avant 1019 et dénoncées par Adhémar de Chabannes.

La destination de l'oeuvre « SANCTI GENESII CENOBII » tout aussi clairement indiquée.

   On peut s'étonner de la référence au roi Robert à une époque ou les Comtes « catalans » ont cessé de se sentir lier à la monarchie franque

depuis que celle ci n'a pas répondu aux appels au secours lancés lors des raids d'Al Mansour notamment au moment de la prise et du pillage de Barcelone.

   Cette sculpture, comme celle voisine de Saint André de Sureda est, pour reprendre l'expression de Puig i Cadafalch, « insérées comme des joyaux précieux »

et intégrée dans une façade reconstruite avant 981, selon un précepte du roi Lothaire, de cette date, après destruction par des « païens ».

   Il s'agit d'une pierre en marbre blanc de 2,21 m sur 0,70 m et environ 0,18 m d'épaisseur. Un rinceau de palmettes au rendu délicat

entoure une scène centrale surmontée par l'inscription – datation – que nous venons de présenter .

   Une mandorle centrale double renfermant un Christ bénissant assis sur la courbure intérieure, les pieds sur un « tabouret » dans la partie inférieure.

Cette mandorle est soutenue par deux anges qui semblent la porter.

   De part et d'autre trois personnages sous arcades, nimbés sont certainement des apôtres. Les nimbes étant presque confondus avec les arcades outrepassées.

On peut imaginer que le premier à la droite du Christ, se tenant la joue, soit Pierre. Le deuxième à sa gauche, chauve et barbu, serait Paul.

Entre Paul et le Christ le visage jeune pourrait être Jean. Tout cela reste des suppositions. Ils obéissent, selon la définition qu'en a donné Henri Focillon,

à la fameuse « loi du cadre » : les figures et les personnages sont contraints par la structure déterminée du cadre au départ.

Les têtes dans les arcatures outrepassées, les épaules qui tombent parallèlement aux bordures des chapiteaux, les pieds et le bas des tuniques resserrés

entre les bases des colonnes. Cette contrainte s'impose de la même manière aux deux anges qui portent la mandorle.

   Peter Klein et Géraldine Mallet ont constaté à juste titre que malgré une apparence uniforme leur traitement est très soigné et les attitudes

ainsi que les représentations très diversifiées. Le caractère relativement simple de la figuration des personnages forment quand même un

réel contraste avec l'élégante perfection du rinceau de palmettes de l'encadrement.

   Le réalisateur de cette œuvre n'est connu que sous l'appellation  de « Maître de       Saint Genis. Il réalise à la même époque la fenêtre de

Saint André de Sureda. Le linteau de cette même abbatiale est d'une autre main peut-être moins habile mais plus avancé dans sa conception.

   Tous les spécialistes s'accordent à reconnaître une influence hispano-wisigothique qualifiée également de mozarabe pour les arcatures outrepassées ou

la qualité de la taille. D'aucuns ont vu une certaine parenté entre le rinceau de palmettes ( celui-ci ou d'autres rinceaux romans) avec quelques fragments

provenant de Madinât al-Zahra, le grand et magnifique palais califal des environs de Cordoue construit entre 939 et 976 et totalement détruit

quelques décades plus tard mais qui a marqué les esprits.

   Ils s'accordent à reconnaître également l'originalité de l'utilisation et du travail du marbre blanc à l'image des ivoires comme le parallélisme

fait par Durliat avec le fameux ivoire ottonien d'Essen du début XI ème siècle (donc de la même période) notamment pour les motifs perlés.

   Comparaison également avec la travail des enlumineurs et surtout celui des orfèvres d'un certain nombre de devants d'autels connus

par les textes mais disparus. Devant d'autel – antependium – à l'origine en tissu ou en bois travaillé par la méthode du « gesso » puis peint.

   Comparaison a également été faite avec des retables présentant les mêmes caractéristiques que le linteau, notamment des retables scandinaves.

   Tout ceci a été à l'origine de controverses importantes quant à l'emplacement originel des linteaux de Saint Genis et de Saint André.

Nous y reviendrons plus tard.

   Une autre influence , majeure, a été celle des ateliers de marbriers de Narbonne, connus notamment pour la production des tables d'autels.

   Mais l'élément le plus important en ce début du XI ème est l'évolution qui se fait jour dans ces prémices de la réapparition de la sculpture  monumentale.

C'est qu'à la gravure linéaire en creux héritée du travail d'orfèvrerie se développe une autre technique, s'ajoute une taille différente parfaitement déterminée

sur ce linteau de Saint Genis, tant sur le rinceau ou les ailes des anges que pour les plis des manches des apôtres, surtout au niveau des épaules, ou 

le vêtement du Christ au niveau des genoux.

   C 'est l'apparition du creux en gouttière, de la taille en « plis repassés » (selon une expression couramment utilisée), la taille en biseau.

C'est là un élément important car cette taille est liée au travail du bois ou de la pierre et non à celui du métal. Cette nouvelle technique permet

dans un ensemble sculpté en méplat très peu prononcé ( quelques millimètres) d'introduire un jeu d'ombres et de lumière qui développe le rendu de relief.

 

           

 Elément central du linteau, il est celui qui attire les regards. Est-ce bien étonnant ? C'est l'objectif majeur.

   Les mandorles – ou leurs variantes : auréole, gloire, clipeus ou couronne végétale – sont utilisées depuis très longtemps, dès l'antiquité.

Peter Klein l'a parfaitement montré. La forme se fige géométriquement à l'époque romane. C'est la signe désormais des apparitions divines marquant

la qualité sacrée et céleste du personnage qu'elle met en valeur. Forme et nom issus de la « mandorla » italienne : l'amande. Elle va servir à exprimer la majesté du Christ-Roi. La mandorle devient lumière c'est le passage nous dit-il du « Sol Invictus » au « Sol Salutis ».

   La forme particulière de la mandorle de Saint Genis en « 8 », formant une double courbe, est d'inspiration carolingienne. L'espace supérieur représentant

le monde céleste eu dessus du monde terrestre. Le Christ en « Maiestas Domini » est assis sur la courbe intermédiaire déterminant un espace quasi circulaire,

ce qui est assez particulier. C'est l'ensemble qui forme la mandorle et on peut donc y voir trois espaces. Un rapprochement a été fait avec la chapelle de

la Trinité de Saint Michel de Cuxa, réalisée vers 1030 par Oliba, ou trois espaces circulaires s'inscrivent également dans la structure au sol.

Ce serait la première représentation graphique de la Trinité en « Trône de la Grâce ». Et si cette première représentation se rencontrait à Saint Genis ?

            Peter Klein va au delà des analyses de Marcel Durliat et Mireille Mentré qui voyaient une simple « Maiestas Domini ». Les deux anges soutenant la mandorle

sont en train de voler. Nous avons donc à faire à une Ascension. L'Alpha et l'Omega de part et d'autre du Christ : « Je suis l'Alpha et l'Omega,

le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin » (Apc XXII, 13) indique également une Parousie. La main de Pierre sur sa joue à la droite du Christ

indiquant sa tristesse de le voir partir mais le retour est annoncé. Si Peter Klein n'est pas entièrement convaincu, il admet cependant les

connotations eschatologiques par ailleurs bien visibles à Saint André de Sureda avec les séraphins sonneurs de trompettes.

   Un pas est franchi par Alessia Trivellone lors d'une récente communication à un colloque de Fanjeaux qui le considère comme pouvant

être également un jugement dernier.

   Ce linteau est-il à sa place originelle ? Tel est la grande question !

   Pierre Ponsich avait développé l'idée d'un réemploi au XII ème siècle d'un retable ou d'un antependium en linteau. Il y voyait donc un ornement d'intérieur,

d'autel en particulier, transplanté en façade. Il s'appuyait pour cela sur des anomalies de positionnement et des feuillures au dos du marbre.

Tout en reconnaissant que la non existence de retable-prédelle à une époque aussi haute posait problème. Est-ce donc le linteau qui aurait servi de modèle ?

   Marcel Durliat qui au départ développait la même idée que Pierre Ponsich en était revenu à une autre conception et après lui Peter Klein.

D'autres chercheurs ont depuis travaillé sur les façades d'églises, le rôle de la porte et la place de l'église dans le temporel. La conception qui semble

s'imposer maintenant est qu'il s'agit bien d'oeuvres destinées à constituer un décor de façade en développant le rôle de l'iconographie.

Le Christ de l'Apocalypse qui trône au dessus de la porte est « l'affirmation d'un programme monumental sculpté ». Henri Focillon déjà avait exprimé l'idée

que la sculpture romane monumentale se développe d'abord par le bas-relief qui détermine un « espace-limite » et que la clé de la sculpture  est

dans l'architecture.

   Les apôtres du linteau de Saint Genis comme ceux de son voisin de Saint André s'adapte à l'arcature qui est une architecture fictive.

L'idée sera reprise par la suite.

   Le rôle de la porte, dont le positionnement dans l'axe de la nef se généralise est de plus en plus affirmé et important. Les éléments qui l'entourent y jouent

un rôle capital.

            «Je suis la Porte où entrent les brebis.

              Je suis la Porte. Si quelqu'un entre par moi il sera sauvé. » (Jean 10-VII, IX)

   La porte est donc un élément symbolique. Elle est différenciée du mur et les matériaux sont plus soignés. C'est le passage entre deux éléments :

du monde terrestre vers la Jérusalem céleste et c'est donc un seuil qu'il faut franchir. C'est un élément d'autant plus important qu'il fait l'objet d'un rite et

d'une consécration particulière.

   Dans sa communication au colloque de Fanjeaux sur les lieux sacrés et l'espace ecclésial Alessia Trivellone met l'accent sur cette notion de limite, sur

les relations qui se développent fin X ème début XI ème entre l'intérieur et l'extérieur de l'édifice-église et  l'extension du sacré. Elle s'intéresse donc

à la place et au rôle de l'édifice dans l'espace temporel commun à cette époque. Epoque qui est celle du développement de la Paix et Trêve de Dieu largement

impulsé par Oliba, de l'installation des sauvetés que nous connaissons par les travaux de Bonnassie sur les sagreres catalanes ou d'Aymat Catafau sur

les celleres roussillonnaises.

   L'église n'est plus seulement un espace intérieur, le « sacré » déjà passé de l'autel à l'édifice  va gagner l'extérieur et dès lors la façade,

la Porte qui s'y inscrit et les éléments iconographiques qui   la composent prennent une importance considérable.

   C'est à partir du début XI ème, avec la mise en place de l'aire d'asile et de la sacralité des 30 pas que l'habitat, après le cimetière va commencer à

s'agglomérer. Evidemment, le pouvoir de l'Eglise- Institution s'y renforce puisque les lois laïques ne s'y appliquent logiquement pas.

Pour Alessia Trivellone c'est à ce moment que se développe donc une façade en cohérence avec la place nouvelle de l'église en tant qu'espace et de

l'Eglise - assemblée du peuple de Dieu – dans le cheminement des fidèles vers cette Jérusalem céleste. Cohérence que nous continuerons à observer dans

les périodes suivantes. L'existence par exemple des corbeaux qui au XII ème siècle porteront un auvent protecteur sont à l'évidence

des représentations d'images apotropaïques, à la fois protectrices et opposées aux forces du mal. De même la mise en place de plaques funéraires au

XIII ème et début XIV ème de part et d'autre de la porte sous la protection du Christ bénissant ou Christ-juge. Faut-il rappeler également que c'est

le moment où le théâtre va commencer à faire sa réapparition, que le scène va être le parvis des églises jusqu'à la grande époque des mystères ?

            Le Christ bénissant dans sa mandorle, au dessus de ce passage, à la fois Maiestas Domini et Ascension, entouré de l'Alpha et l'Omega qui

traditionnellement font référence à son retour et son règne à la fin des temps donc à la seconde Parousie peut logiquement apparaître comme

le Christ-juge. Justice divine devant le parvis où traditionnellement se déroule également l'administration de la justice terrestre.

            Ce linteau est en parfaite cohérence avec le développement ecclésial et celui de la société de l'époque. Il est donc , logiquement, parfaitement à

sa place dès le départ. Xavier Barral i Altet avait quelque temps auparavant déjà expliqué que l'iconographie qui s'installe sur la façade en ce début XI ème siècle et

qui se généralisera à partir de la fin du  siècle se retrouve plus au Nord de l'Europe par exemple dans les panneaux sculptés des deux vantaux de bronze de

Saint Michel d'Hildesheim datant de 1015 (donc légèrement antérieur au linteau de Saint Genis) commandés par l'évêque Bernward que célèbre une inscription qui

le nomme sur cette porte et qui, comme à Saint Genis est destinée à être vue de l'extérieur par l'assemblée des Chrétiens.

 

            Cette grande question de la place originelle de cette œuvre, posée et débattue dès le milieu du XX ème siècle et qui semble maintenant trouver une réponse

(Est-elle définitive?) est importante car  à travers elle c'est la datation de l'avènement de la sculpture monumentale dans l'Art Roman d'Occident qui est posée.

   Quoiqu'il en soit c'est une œuvre magnifique à laquelle il faut (il faudrait!) accorder le plus grand soin.

            Une œuvre maintenant millénaire...

              Un questionnement relancé par Louis Boulet, acteur essentiel de la sauvegarde du patrimoine de Saint-Genis-des-Fontaines,

par la communication suivante :

NOTE relative à l’indétermination sur la nature originelle du linteau de Saint-Genis-des-Fontaines (66) : linteau ou antependium.

 

L’ASVAC est ouverte à tous les arguments permettant de conforter l’une ou l’autre thèse, voire de lever l’indétermination. Merci de vos suggestions.

 

Les deux hypothèses sont plausibles. Les experts eux-mêmes en convenant, il serait pertinent de conclure – tout particulièrement au moment où est mise en débat la conservation physique du marbre fameux.

 

Jusqu’à aujourd’hui, aucune archive n’a dévoilé la date de réalisation (seule l’année de la commande par l’abbé Arnau est gravée dans le marbre), pas plus que le lieu de première mise en place de la pierre. On sait seulement que l’église a beaucoup souffert lors du passage des Vikings, en 858-859 : elle fut incendiée et largement détruite, plus particulièrement dans sa partie occidentale et sa toiture. Les premières réparations ont été entreprises par Gausfred 1er (935-991), duc du Roussillon, dans la deuxième partie du X° siècle.

 

Ces deux séquences étant antérieures à la sculpture de la pierre (1019-1020), il faut s’attacher à la période du premier quart du XII° siècle qui a connu des travaux importants dès la fin du XI° puis au début du XII°. Le 6 octobre 1127, l’église fut consacrée à nouveau en présence des évêques d’Elne et de Carcassonne, et sous l’abbatiat de Père Arnau. Cette consécration à nouveau a pu permettre aussi de redonner à l’édifice son statut d’église abbatiale – les offices ayant pu se tenir, dans l’intervalle, en l’église paroissiale Ste-Marie. [i]

 

Durant cette période d’un siècle (1020-1127), deux questions méritent éclaircissement :

a) en linteau, au-dessus de la porte d’entrée ? Peu vraisemblable courant XI° siècle compte tenu de l’état délabré de la façade de l’église. b) Installée dans l’église, devant l’autel ? Rien n’a permis de le vérifier par la consultation des archives, mais rien ne l’infirme non plus. En revanche, des éléments peuvent en autoriser l’hypothèse.

Premier argument.

Était-il raisonnable, dans les années 1020 et immédiatement postérieures

– et même seulement possible compte tenu de l’état de délabrement de la façade

– de mettre en place le retable tout récemment sculpté ?

Alors même que des travaux substantiels devaient remodeler profondément la façade et le corps même de l’église à la fin du XI°/début du XII° ? Ou alors, la pierre sculptée commandée en 1019-1020 aurait tété entreposée en attendant sa mise en façade pour la consécration à nouveau de l’église, en 1127.

Deuxième argument.

Un fait est de nature à fortifier l’hypothèse de l’antependium : le témoignage écrit de Louis de Bonnefoy, archéologue perpignanais, dans un compte rendu daté de 1868 et traitant spécifiquement du sujet. Lors d’un inventaire des objets sacrés contenus dans l’église, il découvre, remisé dans la chapelle ND de Montserrat (abside sud), derrière le retable de ND de Montserrat, un tableau en bois peint. Au centre, un Christ en Majesté, dans une mandorle ovoïde, et douze apôtres alignés de part et d’autre de la mandorle, mais sur deux rangs superposés, et au nombre de douze parfaitement nommés.

D’après le compte rendu de Louis de Bonnefoy, ce tableau aurait été un devant d’autel ; d’autres panneaux (ceux-ci latéraux), sont décrits par l’archéologue comme étant toujours en place, dans les années 1860, mais très détériorés. Ce tableau en bois peint pourrait avoir remplacé l’antependium de marbre transféré en façade de l’église, lors des importants travaux des XI°/XII°.

Troisième argument. Ce raisonnement est cohérent avec le fait que, au cours destravaux des XI°/XII°, la façade occidentale de l’église a été profondément remaniée :

- la porte a été réduite dans ses dimensions - signe de la perte d’influence de l’abbaye. Ce qui laisse présumer que l’actuel linteau n’y avait pas été positionné avant le début du XII°, soit un siècle après sa commande. Durant les cent années couvrant la période 1020 à 1127, n’était-il pas bienvenu d’exposer cette oeuvre à l’intérieur de l’église ? Et où mieux que devant l’autel ?

- les traces de l’ancienne ogive du tympan primitif sont encore clairement apparentes. Ce tympan portait-il des scènes sculptées de la Genèse, conformément à un usage médiéval très répandu ? Question : en était-il dépourvu dès l’origine ? Ou bien ces motifs ont-ils disparus au cours du saccage

des Vikings ? Cette remarque n’est là que pour affirmer que le linteau de la porte

primitive devait être de dimensions supérieures à celles du marbre commandé en 1020.

- la largeur du linteau sculpté (220 cm) est conforme, architecturalement, aux dimensions de la nouvelle porte, plus petite que celle d’origine ; pourtant, il ne

semble pas suffisant, seul, à pouvoir assurer sa fonction : épais seulement de onze centimètres, le linteau sculpté n’est pas de nature à supporter le tympan sans l’apport d’un maçonnage doublant le verso du linteau. Cela pourrait expliquer la déformation du tympan tout récemment constatée. Il est en quelque sorte plaqué sur un linteau de pierres maçonnées – parfaitement visibles audessus de la porte. En revanche, son épaisseur (11 cm) est totalement compatible avec la structure d’un antependium.

Quatrième argument. La porte d’une église figure le lieu symbolique et majeur de passage entre l’espace temporel et la Source unique. Cette remarque a certes convaincu, semble-t-il, des autorités romanes de première compétence (Marcel Durliat et Pierre Ponsich) pour avancer que la pierre sculptée solennisait le passage. Pour autant, avec la plus stricte humilité, j’avance que l’argument invoqué ne me semble pas déterminant puisque déconnecté de la chronologie, au cas particulier les diverses phases de construction et de reconstruction de l’église abbatiale de St-Genis-des-Fontaines.

 

Pour l’heure, aucun argument ne permet d’affirmer que le linteau de 1019- 1020 ait été livré rapidement et placé, dès sa sculpture achevée, au-dessus d’une porte à l’époque plus grande que l’actuelle, ouverte sur une façade endommagée, voire largement détruite. Aurait-il été entreposé pendant des décennies avant que les travaux importants des XI°/XII° ne lui réservent un emplacement d’accueil à sa dimension ? Cette dernière remarque peut valoir argument en faveur de l’antependium : les autorités d’alors auraient pu décider de profiter des travaux sur la façade pour y transférer l’antependium – comme une sorte de couronnement de la renaissance architecturale de l’église. Le panneau en bois peint (XII°), découvert par Louis de Bonnefoy en 1868, aurait été installé en remplacement de l’antependium de marbre.

 Il est vraisemblable que la remise en état du tympan s’imposera dans des délais rapprochés et qu’il faudra bien, à cette occasion, déposer le linteau, au moins durant les travaux, pour en sauvegarder l’intégrité. Faudra-t-il alors le remettre en place, en façade, et prévoir les dispositions durables de sa protection en extérieur ?

- La pose d’un auvent dissimulerait en partie le marbre par l’ombre portée. Outre qu’esthétiquement, la solution n’est guère pertinente – pas plus qu’historiquement.

- La construction d’un porche, a fortiori, altèrera la visibilité et, plus encore, constituera un anachronisme architectural qui ne manquera pas de soulever des critiques passionnelles acerbes, au demeurant justifiées.

 

>>> Au terme de cette analyse, la thèse de l’antependium me semble réunir bien des arguments convaincants - alors qu’un flou demeure entier sur le positionnement originel de la pierre en forme de linteau. Installer le marbre en position d’antependium mettrait un terme au difficile problème de l’intégrité de la pierre repositionnée en extérieur. C’est donc, me semble-t-il, sur la base de cette hypothèse d’un retour aux sources qu’il faut appréhender l’analyse des mesures de protection du marbre.

Canet-en-Roussillon, ce 27 février 2019. Texte révisé le 8 mars 2021 : Elbé

 

[i] Les textes les plus anciens font état de l’existence de deux églises, abbatiale (St-Michel), et Ste-Marie, sans doute pour la fonction paroissiale. Ses fondations ont été retrouvées dans le village, côté place Ch. De Gaulle.

- quelle est la date de livraison de la pierre : aucun indice n’a été repéré jusqu’ici. Le type de sculpture plaide en faveur d’une réalisation sur quelques mois.

- quelle fut la destination de la pierre ?