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L'enceinte urbaine de la Neustadt

En 1870, fier de sa victoire sur la France, le nouvel empire allemand s'approprie les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. La ville de Strasbourg est alors ruinée par plus d'un mois de siège. Les allemands conduisent, avec la municipalité, la reconstruction de la ville et même une extension significative pour en faire la capitale des territoires annexés. C'est la naissance de ce que tout le monde appelle maintenant la « Neustadt », la nouvelle ville. Par cette extension, les allemands laissent alors une empreinte indélébile de leurs souveraineté sur la région.

Il fallut plus de cinquante années pour que les alsaciens et les strasbourgeois en viennent à accepter cet héritage. On faillit même démolir le très majestueux Palais du Rhin, palais impérial du Kaiser à Strasbourg. La réconciliation franco-allemande consommée, l'amertume de ces sombres années de guerres passées, ils en viennent à aimer leur ville, tous bâtiments confondus, qu'ils soient érigés sous l'ère française ou sous l'ère allemande, souvent construits par les alsaciens. Ce patrimoine urbain est maintenant reconnu à un point que même l'UNESCO, en 1988 et en 2019, admit la ville comme un des éléments emblématique de notre patrimoine mondial.

De nos jours, un élément de la « Neustadt » reste pourtant encore délaissé et méconnu : l'enceinte fortifiée. Et pourtant, elle est à l'image de l'extension de la ville : démesurée et ostentatoire. Son architecture est la démonstration d'un savoir-faire que les ingénieurs militaires veulent exposer à tous. A tous, pas forcément... La majeure partie des constructions, les plus emblématiques, à l'ouest de la gare, n’est finalement pas accessible aux Strasbourgeois pendant très longtemps, située dans un vaste terrain militaire. Il n'y a guère que les portes qui puissent être vues des Strasbourgeois mais, aussitôt la guerre finie, ils s’empressent de les démolir, dès le début des années 1920. Ils ne veulent plus vivre enfermé dans un corset de fortifications allemandes. Ce qui subsiste des fortifications de l’annexion, après plusieurs décennies de destruction, ne fut finalement rendu aux Strasbourgeois qu'avec la cession des terrains militaires au début des années 2000. C’est d’ailleurs cet usage qui sauva ces vestiges, préservés de l'urbanisation massive par leurs usages militaires.



Etat de l'enceinte de nos jours

Après le déclassement de l'enceinte urbaine, au début des années 1920, la ville a rapidement engagé des travaux de dérasement. D'abord limité à l'ouverture des portes, ce sont les remparts et ses ouvrages qui sont démolis dans les années 1920-1930, notamment sur le front nord. Durant les 30 glorieuses, pour des travaux d'aménagement (infrastructures ferroviaires, aménagements urbains), les dernières portions qui n’étaient pas encore militaires, à quelques rares exceptions, sont démolies. De nos jours, il ne subsiste plus qu’une portion significative de l'enceinte, longtemps restée militaire, dans ce que l'armée appelait le « quartier des remparts », vendu à la ville en 2000. Long d'un peu plus d'un kilomètre, le front de la gare basse s'étend entre la rue Georges Wodli au nord, la rue du Ban de la Roche au sud, entre la M35 à l'ouest et les infrastructures ferroviaires à l'est. Seule la porte Blanche a été démolie (rue de Koenigshoffen). Il comprend 4 bastions (14 à 17) intégralement conservés et la porte de Guerre.

Ailleurs, plus ou moins bien conservés, subsistent également quelques fragments et ouvrages, soit parce qu'ils sont aussi encore en terrain militaire, soit parce que les aménageurs avaient jugé leurs démolitions trop coûteuses pour les intérêts qu'ils en avaient. Il y a le cavalier 13 près de la Place de Haguenau, le cavalier 11 à la hauteur du 22 rue Jacques Kablé, et les ouvrages du cavalier 6 à la hauteur du parc de l’orangerie au bord du Canal de la Marne au Rhin.

A l'avant des remparts front ouest, les rives du canal des remparts sont occupées par des jardins familiaux et, depuis les années 1990, des voies douces profitent aux sportifs et promeneurs. La végétation qui y pousse, entre les berges et l'escarpe du rempart, en fait un corridor écologique. Cette végétation a prospéré depuis la guerre, laissée comme un écran par l'armée.

Dans le milieu des années 1980, à l'initiative du lieutenant-colonel Breguet, commandant le centre de transit militaire (CTPM 1) entre 1982 et 1985, et de Louis Ludes, un passionné d'histoire alsacienne et strasbourgeoise, la porte de guerre et ses abords sont débroussaillés et les porches purgés des murs en briques qui les obstruent. Ils écrivent également des articles (voir chapitre sources), imités par d'autres dans les années qui suivent.

En 1999, Philippe Burtscher, passionné d'histoire et d'architecture militaire, membre du cercle d'études de fortification, publie un livre sur les fortifications Strasbourgeoises. Si le livre aborde plus particulièrement l'enceinte des forts détachés et la position de la Bruche, entre Strasbourg et Mutzig, il traite de l'histoire de l'enceinte urbaine. La parution de ce livre à un impact très positif, notamment envers les services de l'État qui commande à l'auteur une étude d'inventaire. Celui-ci dresse un état des fortifications allemandes de l'annexion qui subsistent autour de Strasbourg. L'enceinte urbaine est également traitée, si bien que les ouvrages les plus singuliers et les mieux conservés sont classés monument historique en 2009.

En 2000, la ville acquiert le quartier des remparts pour un coût de onze millions de francs. Plusieurs des bâtiments acquis connaissent rapidement une nouvelle occupation. Les cavaliers et les magasins sont affectés à des associations culturelles ou à vocation sociale. Le cavalier 14 est confié à des artistes tandis que le 15 est rénové pour héberger les escadrons de gendarmerie mobile de passage dans le secteur. Le cavalier 16 reste inoccupé mais sa place d'arme sert longtemps pour la communauté Rom en voie d'insertion. Le magasin situé en face devient centre d'hébergement. Le dernier aménagement en date est la réfection complète de ce qui devient la rue du rempart, en 2005. Depuis, les municipalités qui se sont succédées rêvent d'un nouveau quartier en lieu et place de la « gare basse », mais les difficultés techniques pour le déplacement des infrastructures ferroviaires font traîner le sujet. Certains petits ouvrages, laboratoires et magasins à poudres, sont loués pour la plupart par des associations.