En dépit des nombreux investissements et efforts consentis par les pouvoirs publics des différentes échelles de gouvernement, ainsi que des contraintes de plus en plus fortes qui pèsent sur l'automobile (prix du carburant, de l'assurance, réglementations liées à la pollution, etc.), les nouvelles pratiques et les nouvelles motorisations peinent à trouver leur modèle de développement.
L’objectif du projet CONDUIRE est de produire une contribution originale sur l'approche des nouvelles mobilités et de la transition énergétique, en axant son analyse sur les cadrages de l'action par les pouvoirs publics et par les usagers.
A partir d'une étude fine des habitudes de déplacement des ménages, mêlant analyse qualitative et quantitative, nous souhaitons souligner l’existence d’un décalage entre la manière dont les problèmes sont posés par les acteurs publics et privés, et la représentation qu’ont les ménages de leurs déplacements quotidiens.
Or, c’est en identifiant ce décalage entre action et représentation que nous serons à même de déceler des leviers de changements de comportement.
L’hypothèse principale de CONDUIRE est qu'aujourd'hui, les différents dispositifs mis en place pour faire changer les pratiques car elles concentrent leur action sur la responsabilisation du consommateur, sans prendre en compte le faisceau des contraintes matérielles et cognitives qui pèsent sur la mobilité des ménages.
Le projet CONDUIRE entend tester l’hypothèse selon laquelle les nouveaux usages et les nouvelles motorisations ne pourront être des leviers de la TEES qu’à condition de prendre en considération les contraintes budgétaires et géographiques des ménages.
Nous souhaitons ainsi déconstruire l’idée selon laquelle la « mobilité » serait un artefact objectivable, et donner aux actions publiques et privées, des arguments et des outils permettant aux usagers de modifier leurs pratiques sans que ce changement ne soit socialement et géographiquement excluant.
Afin de produire des connaissances nouvelles et des outils d’amorce de la TEE, le projet CONDUIRE entend développer un programme de travail visant à mieux comprendre les pratiques de mobilité des ménages français et à identifier les leviers d’action potentiels permettant aux « altermobilités »[1] de changer d’échelle.
L’hypothèse centrale qui sous-tend le projet CONDUIRE est que, pour constituer des leviers de la TEES, ces altermobilités doivent sortir de la dimension « top down » dont elles sont prisonnières aujourd’hui, et essayer de coller aux mieux aux pratiques « réelles » des ménages français, dans leurs contradictions et leurs contraintes matérielles et budgétaires associées.
Ainsi, le présent projet entend répondre aux trois questionnements multi-thématiques de l’appel et reprendre à son compte la démarche qui consiste à se demander « pourquoi » la TEES peine à s’amorcer, « qui » peut constituer un relais de la transition et « comment » il est possible de le faire.
1) Concernant la question du « pourquoi », CONDUIRE souhaite mener une étude approfondie du cadrage actuel des problèmes publics et des valeurs et représentations qui sont associées aux altermobilités. En effet, nous pensons qu’aujourd’hui, les politiques publiques visant à promouvoir ou à développer les altermobilités souffrent d’un déficit de légitimité auprès des ménages car elles sont en décalage avec leurs attentes, valeurs et représentations. Pour mener ce travail, nous souhaitons mobiliser une méthodologie associant enquête quantitative et qualitative, apte à révéler l’existence d’un décalage entre les valeurs associées aux instruments d’action publique [Lascoumes, Le Galès, 2004] et la perception qu’ont les ménages de leur mobilité quotidienne.
2) Concernant le « qui », notre projet souhaite mettre en place un protocole de recherche, toujours à l’intersection entre les méthodes qualitatives et quantitatives, visant à identifier avec précisions les ménages et zones géographiques pour et dans lesquelles les altermobilités auraient le plus de chance de se développer. Comme l’avait déjà pointé le rapport du PIPAME cité plus haut, c’est probablement auprès des ménages les plus modestes, vivant dans les zones périurbaines et rurales, que la mutualisation des usages et le développement des nouvelles motorisations auraient des chances de croître. Cependant, il est nécessaire de tester la plausibilité de cette hypothèse en identifiant précisément quels types de ménages peuvent être concernés, dans quelles zones de résidence et pour quelles types de pratiques. Il convient ensuite de tester, auprès d’un échantillon de ménages, un argumentaire basé sur les budgets, pour savoir si la démarche initiée par CONDUIRE est pertinente.
3) Se pose enfin la question du « comment », à laquelle CONDUIRE entend apporter un début de réponse. Après avoir identifié les valeurs associées aux déplacements des ménages et déterminé les publics cibles, le projet entend tester auprès des ménages ciblés un argumentaire capable d’amorcer un changement de pratiques. Nous pensons que c’est en construisant une nouvelle approche des altermobilités, reposant sur un recadrage des problèmes et une association plus forte entre bénéfice écologique et bénéfice économique et budgétaire, que les pratiques pourront potentiellement changer. Notre objectif est de produire, en partenariat avec des acteurs de terrain (l’association E-HOP, qui soutient notre projet, et le département Loire-Atlantique, membre du consortium), une nouvelle « traduction » des altermobilités, afin de les rendre compatibles avec la vie quotidienne des ménages, leurs contraintes, leurs valeurs et leurs budgets.
[1] Ce néologisme désigne les diverses formes de mobilité alternatives à la voiture individuelle. Comme le mentionne Stéphanie Vincent dans sa thèse de doctorat (2008), ce terme est une facilité d’expression qui permet de désigner les pratiques alternatives à la voiture individuelle thermique. Singulièrement, nous intégrons dans le terme « altermobilités », les pratiques comme le covoiturage, l’autopartage et l’utilisation de véhicules totalement électriques, qui supposent des pratiques et habitudes de déplacements différentes (Jarrigeon et al. 2015)