Résumés / Abstracts
Panel 1, les paysages de la transition / landscapes of transition
Sophie Quirion (UQAM): L’industrie du bois de sciage au Québec : quels impacts sur le paysage au 19e siècle?
Cette communication propose d’étudier par l’image les transformations du paysage québécois à l’issue du développement de l’industrie du bois de sciage au Québec à partir des années 1850. Les installations industrielles, les cours à bois et la pollution atmosphérique ont transformé la vie urbaine et rurale. Si Chicago est un exemple reconnu en ce sens, avec les représentations saisissantes au 19e siècle dans la presse, Montréal, Gatineau et Québec ont aussi marqué l’imaginaire et le territoire. Il est question d’analyser des gravures et des photographies qui permettent de mettre en contexte l’importance de cette industrie d’exportation du bois de sciage vers les États-Unis. Un des objectifs est de souligner comment l’étude médiatique, qui s’appuie sur les archives et les documents, peut révéler un nouveau récit historique de l’énergie dont les mécanismes de mouvement transfrontalier sont centraux.
Les études publiées à l’égard de l’histoire de l’industrie forestière au Québec s’inscrivent dans des disciplines assez éloigner de l’histoire de l’art, c’est-à-dire que les forêts et leur transformation ont été étudiées en termes économique, environnemental, géographique ou encore politique, en s’intéressant notamment à l’aire de coupe et aux statistiques de récoltes, de productions et d’exportation. L’angle de recherche sur le paysage pourrait mettre sous lumière de nouveaux enjeux critiques, davantage axés sur les méthodes de représentations de cette industrie et son impact dans la vie sociale.
Cette communication s’inscrit dans ma thèse de doctorat en histoire de l’art qui fait une histoire québécoise de la charpente à claire-voie, une méthode constructive américaine en bois de sciage. La genèse de cette histoire se trouve à l’intermédiaire de trois facteurs historiques ayant joué un rôle clé dans la transmission des savoirs architecturaux transfrontaliers : l’industrie forestière du bois de sciage, les parcours migratoires et la diffusion médiatique.
Sophie Quirion est candidate au doctorat en histoire de l'art à l'Université du Québec à Montréal sous la direction de Christina Contandriopoulos. Elle a aussi complété un baccalauréat et une maîtrise dans la même discipline. Ses recherches actuelles portent sur la charpente à claire-voie au Québec, établissant un lien direct avec ses recherches de maîtrise qui portaient sur l’architecture Boomtown en Beauce. Elle s'intéresse plus largement à l'histoire de l'architecture vernaculaire nord-américaine, aux techniques de construction, à l'industrie forestière et aux études sur les migrations. Ses recherches doctorales reçoivent un soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de la Fondation québécoise du patrimoine.
Laure Bourgault (UQAM / Genève) : L’illusion technocratique : ressource visuelle et invisibilisation du réseau hydroélectrique québécois
Située au croisement des études visuelles et de l’histoire de l’architecture, cette présentation abordera l’illusion technocratique d’une grille électrique invisible (Kroot 2024) à travers l’étude de techniques visuelles visant à limiter l’impact des infrastructures électriques dans le paysage. À partir d’une sélection de documents produits pour Hydro-Québec entre la fin des années 1960 et les années 1980, je retracerai les origines théoriques et disciplinaires de la gestion de la « ressource visuelle » lors du développement d’infrastructures énergétiques (discours sur la pollution visuelle, sur la valeur esthétique des infrastructures, mesures d’atténuation des impacts visuels et de naturalisation des sites industrialisés) et comment celles-ci furent introduites, intégrées et adaptées dans le contexte québécois. J’aborderai notamment l’apport des architectes de paysage et l’influence américaine des Landscape and Visual Impact Assessments (LVIA), s’inscrivant dans une approche techniciste plus large de gestion des impacts environnementaux (Gagnon et Gingras 1999).
En mobilisant des études visuelles et médiatiques récentes (Parikka 2023, Mirzoeff 2023, 2011), l’objectif est d’approfondir l’analyse critique des discours et des technologies d’invisibilisation des infrastructures hydroélectriques québécoises afin d’en éclairer les visées et les biais (politiques et coloniaux). Cette démarche s’inscrit dans la continuité d’études issues du champ anthropologique des Infrastructure Studies, qui ont souligné la fonction politique de l’invisibilisation des « paysages électriques » (Boyer 2015) et l’importance de la dimension esthétique des infrastructures dans l’institution des imaginaires sociaux et la solidification des rapports de pouvoir (Larkin 2013).
Laure Bourgault est artiste et doctorante en géographie culturelle à l’Université de Genève et en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent sur l’histoire et le rôle des médias dans le développement hydroélectrique au Québec, et examinent la médiatisation des imaginaires géographiques en relation avec la justice environnementale.
Combéré Pegdwendé Dorus Elwès (INRS-UCS) et Julia Frotey (INRS) : La transition socio écologique, une question d’acceptabilité sociale ? Analyse de l'acceptabilité sociale des projets d'extraction minière utile à la transition énergétique dans le contexte québécois et Burkinabé
La transition énergétique mondiale requiert une extraction intensive de minéraux, exposant les tensions profondes liées aux territoires d’extraction et de production (Sovacool et al., 2020). Au Québec et le Burkina Faso, l'exploitation minière tout en générant des bénéfices économiques, engendre d'importants impacts socio-environnementaux (Ali, 2018). Dans ces territoires, l’acceptabilité sociale, définie comme un processus de co-construction des conditions minimales d’intégration d’un projet dans son milieu (Caron-Malenfant & Conraud, 2009), devient un levier essentiel pour comprendre les conflits émergents (Gendron, 2014).
Au Québec, l’exploitation historique des ressources naturelles a façonné le développement économique (MERN, 2023), mais a également suscité des contestations, comme celles entourant l’exploration du gaz de schiste (Dufour et al., 2015). De manière parallèle, au Burkina Faso, l'expansion du secteur aurifère bien que moteur de croissance (World Bank, 2022 ; Coulibaly & Bassolé, 2018) soulève des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (Sawadogo & Landry, 2019 ; Afrobarometer, 2020). Dans ces deux contextes, les territoires d’extraction sont marqués par une concentration des effets négatifs environnementaux et sociaux, formant ce que plusieurs auteurs appellent des « territoires sacrifiés » (Arboleda, 2020 ; Davies, 2018 ; Mah, 2023 ; Patinaux, 2023 ; Seow, 2021).
Mobilisant la théorie de l’économie politique de la transition énergétique ainsi que celle des parties prenantes, cette recherche propose d’analyser les dynamiques d'acceptabilité sociale en relation avec les cadres normatifs, les perceptions communautaires, les stratégies d’entreprise et l’action de la société civile. Elle vise ainsi à éclairer comment les logiques globales d’exploitation énergétique façonnent les réalités locales des territoires d’extraction.
Combéré Pegdwendé Dorus Elwès est doctorant en études urbaines à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal. Titulaire d'un master en urbanisme de l’École Africaine des Métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme de Lomé, il a acquis une expérience professionnelle en planification territoriale au Burkina Faso, au Niger et au Togo. Ses recherches portent sur les dynamiques d'acceptabilité sociale des projets d’extraction minière en contexte de transition énergétique.
Fabienne Rioux-Gobeil (ANU) : Souveraineté atikamekw nehirowisiw et bioénergie forestière : un nouveau regard sur la transition énergétique
En 1988, les Atikamekw Nehirowisiwok signent une convention avec Hydro-Québec pour encadrer la gouvernance énergétique sur le Nitaskinan, leur territoire revendiqué. Bien qu’elle constitue une première reconnaissance des droits de la Nation, l’entente révèle rapidement des rapports de pouvoir asymétriques qui privilégient les intérêts de la société d’État. Elle illustre néanmoins comment le développement énergétique peut amener la conclusion d’accords et transformer les relations sociopolitiques autour du territoire.
Aujourd’hui, la transition énergétique, en misant sur la diversification des sources et la décentralisation de la gouvernance, ouvre de nouvelles perspectives pour les peuples autochtones. Cette recherche examine comment un projet d’énergie renouvelable porté par une nation autochtone peut contribuer à la décolonisation des pratiques énergétiques. L’étude porte sur le projet MAMO, une initiative de production de biogaz à partir de résidus forestiers développée par le Conseil de la Nation Atikamekw. Mobilisant les cadres de la justice énergétique et de la gouvernance multi-territoriale, elle poursuit deux objectifs : identifier les formes d’injustice coloniale freinant le projet et analyser ses dimensions alignées sur les objectifs de souveraineté du Conseil de la Nation Atikamekw.
Trois enjeux principaux sont explorés : l’effet des stratégies coloniales de division sur les revendications territoriales; l’équité dans la distribution des bénéfices en lien avec les ambitions économiques de la Nation; et l’influence des territorialités occidentales sur l’exercice de la gouvernance atikamekw nehirowisiw. L’analyse met ainsi en lumière les tensions persistantes, mais aussi les leviers permettant de promouvoir une transition énergétique véritablement décolonisée.
Dans le cadre de sa maîtrise en sciences de l'environnement, Fabienne s'interroge sur le rapport au territoire des systèmes énergétiques renouvelables décentralisés. L'une de ses principales conclusions est que la participation citoyenne est un outil important pour surmonter les défis de cohérence et de coordination générés par la multiplication et la décentralisation des sites de production. Sa recherche de maîtrise propose des résultats intéressants, qui doivent cependant être analysés de manière critique en contexte autochtone. C'est une préoccupation que Fabienne explore présentement dans le cadre de sa recherche doctorale à l’Australian National University, dans laquelle elle compare deux projets d'énergie renouvelable développés par des nations autochtones en Australie et au Canada. Cette étude de cas comparative a pour objectif de proposer des pistes de décolonisation des processus de transition énergétique.
Panel 2, perspectives historiques sur l'énergie / historical perspectives on energy
Joshua MacFadyen (UPEI) : Gulf Island Metabolism: Animals, Energy, and the Circular Economy on Atlantic Canadian Islands, 1871-1971
Historians often point to large scale energy transitions as evidence of societal changes at national and global scales. For instance, the moment that Western European nations made the transition from wood to fossil fuel energy is also considered the moment they moved from traditional agrarian to urban industrial societies. Agriculture itself has experienced some of the most significant energy transitions in modern history, perhaps most famously the rising returns of agricultural output to labour in the nineteenth century. Productivity growth continued in the twentieth century although it came at a heavy cost in energetic terms. Farmers began to rely on relatively large amounts of fossil fuel inputs, and they traded the small farms of mixed husbandry for larger and increasingly specialized operations. Farms that were once the world’s primary energy providers eventually became an energy sink. Rural Canadians made a variety of decisions about how they would use land and other resources to produce food and fuel energy. From the perspective of both land use and total energy, the majority of settler activity was dedicated not to cash crops and human food but to feed. This paper will consider the geographic locations and historical functions of one of the most important, and relatively overlooked, bio-converters in rural Canada -- livestock. It uses diaries, census microdata, and the published Census of Agriculture to model and visualize the role that hay and other internal biomass energy flows played in a primarily circular economy. Following methods established by social ecological metabolism scholars, and particularly those who focus on island metabolism (Singh), the paper examines the metabolism of islands in Atlantic Canada, including the Magdalene Islands, from 1871-1971.
Dr. Josh MacFadyen is an Associate Professor and Canada Research Chair in Geospatial Humanities in the Faculty of Arts at the University of Prince Edward Island. He teaches in the Applied Communication, Leadership & Culture Program, and he leads the GeoREACH lab at UPEI which supports Geospatial Research in Atlantic Canadian History. His most recent book is Time Flies: A History of Prince Edward Island from the Air, which won the PEI Museum & Heritage Foundation's Publication of the Year award.
Daria Kass (UPEI) : Sustainable Agriculture and Water Use on Prince Edward Island
Agriculture has been the backbone of Prince Edward Island's (PEI) settler economy, forming the foundation of rural life and the main driver of land use and cover change (LUCC). The foundation of agriculture is access to fertile land and stable freshwater supply. Since the mid-twentieth century, socio-economic factors have transformed land use and water resources on PEI, leading to structural changes in agroecosystems. The shift from traditional mixed farming to specialized industrial agriculture has significantly altered land use patterns and intensified the demand for groundwater. This paper introduces the methodology of producing historical energy profile to illustrate the energy output of agroecosystems.
John Matchim (UPEI) : Urban and Rural Landscapes of Seal Oil Processing: St. John's, Newfoundland, and Battle Harbour, Labrador, 1840s-1914
In April 1861 Vanity Fair published a cartoon entitled “Grand Ball Given by the Whales in Honor of the Discovery of the Oil Wells in Pennsylvania,” with fashionably dressed sperm whales toasting a more secure future. Perhaps less well known to readers of Vanity Fair was the seal oil from Newfoundland that had been recently shipped to the United States to compensate for failures in the whaling industry (1). Together with whale oil and various vegetable oils, seal oil was a vital early source of urban and industrial energy, used for lighting streets, lighthouses and homes in Britain and the United States, and to lubricate machinery. In Newfoundland, seal product exports (oil and skins) reached a peak of 30 percent of the colony’s total exports in the early 1850s (2).
Despite its importance to industrial markets on both sides of the Atlantic, the history of seal oil production and export has received little attention. This paper examines two production facilities, one urban and one rural. The first is located in St. John’s, the colonial capital and chief port of Newfoundland, and the second on the much smaller island community of Battle Harbour, Labrador. Both handled seals killed in the Gulf of St. Lawrence, and this paper is an extension of my work with the multidisciplinary ‘Gulf Project’ at the University of Prince Edward Island (3).
Using rich photographic archives, newspaper articles, merchant records and customs reports, this paper will examine spatial, technological and labour aspects of the St. John’s and Battle Harbour ‘refineries,’ with a particular focus on their proximity to residential neighbourhoods and the seasonality of their operations and design. While they supplied energy to an advanced industrial economy, this paper also demonstrates the local circularity of energy derived from seal products, which, among other things, illuminated lighthouses in Newfoundland (enabling safe navigation of sealing ships) and fertilized farmland around St. John’s.
John Matchim is a Postdoctoral Fellow at the University of Prince Edward Island where he is researching the history of seal hunting in eastern Canada as part of the "Ecologies, Knowledge, and Power in the Gulf of St. Lawrence" project. John completed his PhD at the University of New Brunswick in 2024, and his dissertation examines the history of the hospital ship 'Strathcona III' and rural-remote health care delivery in northern Newfoundland and Labrador.
Don Nerbas (McGill) : Making a Political Economy of Coal in the Late Nineteenth Century
By the 1870s, investment in Cape Breton coal mines had produced new financial pressures that could not be addressed through the structures of the old mercantile capitalism. As one Cape Breton mine owner explained, while a sawmill might be closed for a time “without much sacrifice to capital or outlay in connection with [it],” such was not the case with “a coal mine and its connections, the mere interest on the cost of which is a very heavy item.” The linking of Cape Breton’s mines to Montreal, Canada’s largest coal market, offered a prospective solution. However, this required not only state intervention in various forms but investment of greater sums of capital in shipping and transportation infrastructure towards the development of what Christopher Jones has described in a different context as a “landscape of intensification.” Drawing upon the ideas of scholars such as Andreas Malm and Karl Polanyi, this paper examines the coal operators, merchants, promoters, and politicians who participated in the making of the industrial landscapes that served the burgeoning Cape Breton-Montreal coal trade of the late nineteenth century.
Don Nerbas, Associate Professor and Chair in Canadian Scottish Studies, Department of History and Classical Studies, McGill University
Panel 3, l'économie politique de l'énergie / the political economy of energy
Henri Chevalier (Waterloo) : Fermer et réaffecter les aéroports pour réduire le trafic aérien et construire des futurs de l’après-aviation
"La croissance exponentielle de l’aviation commerciale, moteur de l’augmentation des émissions de CO₂ de cette industrie, est confrontée à un impératif de décarbonation dans le contexte climatique actuel (Lee et al., 2020; IATA, 2021). Malgré les progrès technologiques, l’aviation commerciale doit réduire les flux aériens pour aligner ses pratiques avec les objectifs de l'accord de Paris (Köves et Bajmócy, 2022). S’appuyant sur des recherches menées dans plusieurs domaines et utilisant le cadre conceptuel de la redirection écologique (Bonnet, Landivar et Monnin, 2021), l’étude constate que les aéroports, en tant que capitaux fixes, reposent sur un impératif d’expansion de ses infrastructures, entraînant une surproduction de vols et une dépendance accrue aux énergies fossiles, ce qui rend leur fermeture nécessaire. On distingue la fermeture capitaliste des aéroports, qui cherche à propulser la croissance du trafic aérien, de la fermeture écologique, qui vise à anticiper la non-viabilité socioécologique des infrastructures aéroportuaires, bien que les deux types de fermeture transforment les aéroports en friches industrielles assainies où s’opère une désaffectation fortement réglementée, faisant apparaître une économie du démantèlement. De plus, j’examine les réaffectations d'anciens aéroports en les divisant en deux types : l'un continuant à privilégier la valorisation capitaliste des infrastructures aéroportuaires sans tenir compte des limites planétaires, et l'autre réorientant les sites vers des usages de subsistance et d'habitabilité dans une perspective post-capitaliste. Enfin, il apparaît que le principal défi social des fermetures et réaffectations est de réorienter les anciens travailleurs de l’aviation vers une subsistance écologique, avec deux stratégies évaluées : la reconversion professionnelle soutenue par des politiques publiques et des investissements en infrastructures, et la mise en place d’un salaire à vie et d’un revenu de base pour assurer leur subsistance durant la transition vers des activités post-capitalistes d’autonomie matérielle.
Henri Chevalier, conseiller en mobilité durable chez Équiterre et futur doctorant en "social and ecological sustainability" à l'Université of Waterloo
Sandrine Lambert (Concordia) : Le nuage s’assombrit. Réflexions sur les enjeux énergétiques des centres de stockage de données
En permettant l’accumulation frénétique et presque sans limite de données ainsi que leur marchandisation, les centres de stockage de données constituent la colonne vertébrale du capitalisme algorithmique « qui crée un monde, une nouvelle forme de rapports sociaux, de subjectivité, de pouvoir et de régulation des conduites » (Durand Folco et Martineau 2023). Les infrastructures numériques et leurs stratégies corporatives s’arriment-elles avec des objectifs de justice sociale et politique ?
Les centres de stockage de données informatiques gagnent à être davantage analysés sous l’angle de la démocratisation des infrastructures numériques puisqu’ils modifient les environnements urbains et posent de nombreux défis sur le plan de la gentrification, de la gestion collective de la pollution et surtout du partage d’énergie (Libertson et al. 2021 ; Velkova 2016). Les infrastructures, qui désignent la circulation de marchandises, d’humains ou d’informations, façonnent les territoires et une certaine vision du monde.
Le cas présenté dans cette communication est l’un des plus importants centres de données en milieu urbain au Canada, inauguré en septembre 2018 et installé dans Griffintown, au sud-ouest du centre-ville de Montréal. Construit par une société de Toronto avec le Fonds immobilier de solidarité de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), cette installation d’une superficie de 266 000 pieds carrés a nécessité un investissement de plus de 70 millions de dollars. Le climat nordique du Québec est vanté comme une motivation de premier ordre pour s’installer sur ce territoire afin de refroidir aisément les salles de données, en consommant moins d’électricité.
Sur son site web, la compagnie présente les avantages d’être à Montréal : l’approvisionnement abondant en eau, les faibles frais d’hydroélectricité, les exonérations fiscales, le personnel qualifié. En s’inspirant des approches critiques des infrastructures numériques, cette proposition vise à questionner la gouvernance des centres de données en lien avec les enjeux énergétiques. Cette communication amènera également des réflexions issues de la grande coupure d’électricité vécue par l’autrice lors de sa présence en Espagne le 28 avril dernier.
Sandrine Lambert est anthropologue et chercheuse postdoctorale à l’Université Concordia à Montréal, affiliée au Milieux Institute for Arts, Culture and Technology et à l’Ethnography Lab. Titulaire d’un doctorat en anthropologie de l’Université Laval (2024), elle s’intéresse aux liens entre démocratie et technologie.
Marc-Urbain Proulx (UQAC) : « Valoriser l’énergie renouvelable sur les territoires de sa production » L’exemple de l’industrie de l’aluminium au Saguenay—Lac-Saint-Jean
"En régions périphériques, l’extraction de ressources naturelles exportées largement à l’état brut, avec peu de valeur ajoutée, ne génère généralement qu’une phase de décollage économique quelques fois explosif. Le modèle de structuration industrielle par étapes distinctes de Rostow (1960) ne fonctionne pas en raison de la disjonction entre les activités d’extraction de matières premières et celles concernées par leur transformation. Si des retombées économiques locales et régionales sont certes présentes lors des immobilisations initiales par de grandes corporations et ensuite par les opérations, les rentes minières, forestières énergétiques s’avèrent largement drainées vers les sièges sociaux généralement établis dans les capitales financières de la planète. Le modus operandi est fort bien connu des analystes.
Par contre, quelques exceptions échappent à la règle, notamment l’industrie énergivore de production d’aluminium primaire qui structure davantage l’économie du lieu d’établissement près d’une source d’énergie.
Notre communication proposée vise à illustrer les 100 dernières années de structuration industrielle du secteur de l’aluminium dans la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Nous utilisons le concept de filière de production pour mieux saisir et comprendre les effets structurants entre les segments de l’hydro-électricité et de la bauxite en amont, celui de la production d’aluminium primaire avec ces deux intrants, et ceux plus en aval concernés par la fabrication de produits semi-finis et finis à distribuer sur le marché. Nous isolerons notamment le rôle de la recherche et de la R&D en tentant de mettre en exergue comment les initiatives innovatrices sont fomentées dans la grappe régionale d’entreprises de cette industrie. Seront proposées quelques constats concernant le fonctionnement de l’écosystème de soutien régional de l’innovation dans ce qu’il est convenu d’appeler la Vallée de l’aluminium bien ciblée par la politique publique.
Marc-Urbain Proulx est professeur titulaire en économie régionale à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il publie régulièrement dans des revues savantes. Il possède plusieurs livres à son actif, dont le manuel « Territoires et développement : la richesse du Québec » et son dernier essai scientifique « Splendeurs, misères et ressorts des régions » (2019). Ses activités universitaires l’on conduit à l’édition de plusieurs numéros spéciaux de revues scientifiques ainsi que d’une vingtaine d’ouvrages collectifs sur des thèmes pertinents tels que la décentralisation, le développement régional, la politique territoriale, les périphéries.
Annabelle Rivard Patoine (UdeM) : L’écologie politique du Nord global au XXIe siècle: le cas de la Vallée de la transition énergétique
La Mauricie a été forgée par sa relation à l’énergie. Historiquement le troisième centre industriel en importance au Québec, on y construit successivement le complexe hydroélectrique de Shawinigan, dont les vestiges ont été transformés en la Cité-de-l’énergie; Gentilly-2, la seule centrale nucléaire exploitée au Québec ainsi que la Vallée de la transition énergétique, dont les modalités font aujourd’hui l’objet de contestation. Si l’énergie a été un moteur central de l’industrialisation et de l’économie « post-industrielle », résultant en un développement géographique inégal nécessaire à la perpétuation capitaliste (Luke et Huber 2022), ses modalités reflètent aujourd’hui les tendances de l’ « écologie politique du nord global » (Schroeder et al. 2006), particulièrement dans le contexte de l’ébranlement de la structure d’accumulation néolibérale et du renouveau des stratégies nationales d’accumulation et d’appropriation (Cahen-Fourot et Durant 2017), au sein desquelles les infrastructures énergétiques dites « vertes » constituent un espoir de renouveau de la croissance économique. En appliquant le cadre théorique de l’école de la régulation appliqué aux transformations spatiales et énergétiques, et à partir du cadre d’analyse du TPSN (territoire, place, échelle et réseau) appliqué à l’étude de cas de la Mauricie, cette présentation documentera la façon dont le « capital énergétique » (Luke et Huber 2022) réalise une nouvelle forme d’agencement entre l’État, le capital industriel et financier ainsi que le rapport vécu au territoire de la population.
Annabelle Rivard Patoine est doctorante en sociologie économique et environnementale à l'Université de Montréal. Sa thèse porte sur les impacts territoriaux du renouveau des stratégies de croissance sous la CAQ, particulièrement en ce qui concerne les Zones d'innovation du Projet Saint-Laurent. Elle a aussi enseigné les cours Marx et Marxismes et Sociologie de l'environnement à l'Université de Montréal. Membre des collectifs Stasis et de l'atelier d'Écologie Sociale du Capitalisme Avancé (ESCA), elle est particulièrement intéressée à voir comment ses recherches peuvent alimenter les mouvements sociaux et écologiques contemporains.
Dominic Roulx (Concordia) : Classe, hégémonie et État à l’époque de la « transition énergétique » : le cas du Québec
Les pressions géopolitiques sur les chaînes d'approvisionnement poussent actuellement les puissances occidentales à adopter ce que plusieurs appellent un nouveau capitalisme (soi-disant) vert d'État, tentant de réconcilier l’injonction de décarboner l’économie avec celles d’assurer la sécurité énergétique nationale, d’attirer les investissements privés et de relancer la croissance économique. Je soutiens que ce contexte ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire des conflits écologique-politiques de classe, nationaux et internationaux. Dans cette présentation, je vise à exposer, à l’aide d’un cadre théorique marxiste, comment la reconfiguration des dynamiques hégémoniques de classe se déroulent au Québec dans le contexte de la soi-disant « transition énergétique ». Le cas du Québec est instructif sur la façon dont les récits et politiques de croissance verte sont actuellement hégémonisés et implémentés dans les contextes nationaux caractérisés par une grande importance du secteur public, d’une idéologie nationaliste-populiste et par la vacillation du bloc hégémonique fossile. D'une part, l'État québécois détient le quasi-monopole sur la production d'hydroélectricité sur son territoire, qui représente la moitié de sa consommation domestique d'énergie. Or, d'autre part, face aux pressions susmentionnées, l’État québécois a récemment mis en place des politiques visant à privatiser certaines parties de son secteur énergétique dans le but de doubler sa production d'électricité d'ici 2050 afin de soutenir un nouveau cycle de « croissance verte ». Cette conférence montrera comment ces nouvelles politiques peuvent être interprétées comme des expressions d'un projet hégémonique trompeur, mené par les défenseurs capitalistes de la croissance verte et par un État servile mais nationaliste qui voit la décarbonation comme une occasion d'affaire. Or, tout porte à croire que le résultat de ces politiques sera l'augmentation de la dépendance du Québec aux capitaux étrangers et à l'extractivisme domestique et étranger, et sa participation dans les processus mondiaux et domestiques d'accumulation par décarbonation.
Dominic Roulx est étudiant au doctorat en géographie humaine à l’université Concordia.
Panel 4, les transitions au 21e siècle / transitions in the 21th century
Anna Demina (Columbia) : The Sociopolitical Role of the Lac-Mégantic Microgrid in Reimagining Community Futures
Infrastructure systems are often deemed invisible (Star 1999); however, as the new forms of distributed energy infrastructures populate urban and rural environments, what other, non-material transformations this new, more noticeable to the eye of urban residents, energy grid brings?
One of the key characteristics, and challenges of infrastructure is the performativity of the technological choice that has intended and unintended consequences (Winner 1980). In this project, I am interested in understanding how the project of the design and deployment of urban smart renewable microgrids can become a socio-political tool in defining the narrative of the future, a way of reconstruction and reimagining the traumatized place (Vale and Campanella 2005). In this paper, I explore the interweaving of concepts of memory, recovery, imageries of the future and the materiality of distributed energy systems development, using the case of Lac-Mégantic microgrid in Quebec, Canada. Lac-Mégantic suffered a tragic rail disaster in 2013; a few years later, a renewable local energy generation and distribution system was put into operation, becoming a piloting project for a local utility company.
As identified by McCullough (2020), local community microgrids are capable of shifting people’s expectations around energy, promoting values of self-sufficiency, sustainability, and increasing the interest in participation in energy production. Drawing on qualitative analysis of gray literature and site observations, I investigate Lac-Mégantic microgrid as a sociotechnical device, a configuration of particular political, economic, cultural and material circumstances (Larkin 2013, Winther 2008, Nucho 2022). I explore its role in the process of Lac-Mégantic’s reconstruction, both in the built environment and in its economic, social and symbolic dimensions. This research contributes to the understudied phenomenon of the adoption of smart microgrids from a socio-technical perspective and expands understanding of how the reconfiguration of energy infrastructure can inform collective imaginaries.
Anna Demina is a third-year PhD student in Urban Planning at Columbia University (GSAPP) whose research explores the socio-political dimensions of the development and adoption of distributed energy infrastructure and broader issues of energy policy, climate change, and community resilience in North America. Prior to joining GSAPP, she has been working in the public policy field in the U.S. and Russia. She received her MSc in Urban Planning and Policy from Northeastern University with a concentration in Sustainability and Resilience.
Dominique Morin (Laval), Hubert Armstrong (Laval) et Dominique Duchesne (Laval) : La transition énergétique du Québec et l’étude sociologique des parents propriétaires de maison
La vie en appartement, sans voiture, dans la ville dense peut apparaître la meilleure des manières de participer à une transition énergétique en tant qu’écocitoyen désireux de rendre sa consommation plus propre et plus sobre. Néanmoins, dans la géographie des territoires habités du Québec, la transition énergétique se fait aussi et surtout avec des automobilistes et membres de ménages propriétaires de maison. Depuis un demi-siècle d’idéalisation de la maison pour la famille, la majorité des enfants y grandissent, les jeunes y demeurent plus longtemps avec leurs parents, ceux et celles qui ont des enfants préfèrent en général l’habitat pavillonnaire, puis l’aspiration à vieillir chez soi se réalise de plus en plus dans sa maison. Le souhait que le plus grand nombre participe à la transition énergétique dans sa consommation, ses activités domestiques, ses déplacements, de petits gestes et de grands gestes doit se traduire en réflexions sur l’inclusion des parents propriétaires de maison.
Nos recherches sur la consommation énergétique des ménages dans la culture québécoise ont priorisé la réalisation de deux enquêtes par entretiens auprès de parents propriétaires de maison vivant avec des enfants mineurs et de jeunes adultes. La première a misé sur la comparaison de trois sites pour mieux représenter la diversité des manières de vivre des familles avec enfant en banlieue plus ancienne ou récente, ou dans un village du péri-urbain. La seconde nous a confronté à l’évidence de différences entre les manières de cohabiter avec de jeunes adultes selon qu’elles s’organisent dans des maisons de secteurs plus urbains et centraux ou situées plus à l’écart des lieux d’activité hors du domicile. Après avoir posé quelques repères sur la situation des parents propriétaires dans l’histoire et la géographie du peuplement du Québec, la communication présentera une synthèse des principaux constats de ces deux enquêtes.
Dominique Morin est professeur titulaire au Département de sociologie et membre régulier du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) de l'Université Laval. Il est également co-directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) et membre régulier du réseau Villes Régions Monde. Il a publié des travaux sur la pensée sociologique, la famille, la vie urbaine, la démographie et le développement des territoires. Depuis 2022, ses recherches se concentrent davantage sur la transition énergétique au Québec et la consommation énergétique des ménages dans la culture québécoise.
Justine Leclerc (Laval), Sophie Couture (Laval), Dominique Morin (Laval) et Marie-Andrée Leduc (IREQ) : La disponibilité des ménages québécois les jours de grand froid pour participer à la diminution de la pointe de la demande d’électricité
L’énergie propre est en forte demande en territoire québécois et dans les États voisins où Hydro-Québec exporte de l’hydro-électricité. L’ampleur et l’état des installations nécessaires pour répondre à cette demande sont déterminés par la hauteur de la pointe hivernale. La demande en puissance atteint des sommets les jours de grand froid, particulièrement entre 6h et 9h le matin, puis entre 16h et 20h en soirée. Éviter une demande de puissance trop forte pour le réseau peut se traduire techniquement en investissements et projets pour accroître la capacité de production, de transport et de distribution, en actions pour réduire ou rendre les activités qui consomment de l’électricité plus efficaces, ou encore en arrangements de flexibilité énergétique, c’est-à-dire pour déplacer une partie de la consommation hors de la pointe.
La participation des ménages à cet évitement peut se concrétiser en différents gestes. Un sondage auprès d’un échantillon probabiliste d’abonnés résidentiels d’Hydro-Québec montre qu’en 2022 une majorité déclarait une disponibilité de leur ménage pour participer à l’effort. Ce sondage donne des indications sur les profils des ménages qui se déclaraient disponibles le matin et ou le soir des jours de grand froid. Disponible, mais pour poser quels gestes ? Dans quelles conditions domestiques ? Et dans quelles représentations de leurs effets et significations ? Deux enquêtes par entretiens semi-dirigés auprès de parents propriétaires de maison en 2022 et en 2024 apportent des éclairages complémentaires sur les représentations et situations qui portent à se déclarer plus ou moins disponible pour une participation dont la plupart n’avait aucune expérience. En 2022, la transition énergétique du Québec était encore un objet dont beaucoup n’avaient pas de représentation bien définie, alors qu’en 2024, elle était au cœur d’une actualité annonçant des projets d’accroissement de la production d’électricité et des activités industrielles.
Sophie Couture est étudiante de troisième année au baccalauréat en sociologie à l’Université Laval. Elle travaille comme auxiliaire de recherche de premier cycle pour Dominique Morin et prévoit poursuivre à la maîtrise en sociologie sous sa direction. Son projet de mémoire portera sur les colocations de jeunes adultes et la transition énergétique, afin de mieux comprendre les manières de se représenter et de pratiquer ce mode de vie.
Justine Leclerc, Étudiante à la maîtrise, Département de sociologie, Université Laval; Dominique Morin, Professeur titulaire, Département de sociologie, Université Laval ; Marie-Andrée Leduc, Chercheure, Centre de recherche Hydro-Québec.
Guillaume Lessard (Laval), Dominique Morin (Laval) et Dominic Villeneuve (Laval) : Qui sont les électromobilistes et ceux et celles qui aspirent à le devenir dans la morphologie sociale du Québec et dans l’horizon de sa transition énergétique ?
Si la morphologie sociale du Québec restreint beaucoup les perspectives de vie sans automobile hors des quartiers centraux de Montréal et de Québec, l’adoption de l’électromobilité y apparaît aussi contrainte en regard des analyses d’un sondage réalisé en 2022 auprès d’un échantillon probabiliste d’abonnés résidentiels d’Hydro-Québec. Aucune différence significative entre types d’espaces résidentiels et régions n’y apparait dans la fréquence de l’usage d’automobiles électriques ou hybrides rechargeable des ménages, mais des écarts s’y profilent dans les aspirations plus ou moins certaines à acheter ou racheter une automobile pour rouler électrique dans les prochaines années. Entre le coût trop élevé de ces véhicules, les préoccupations relatives à leur autonomie ou à l’accès à une borne de recharge et les préférences pour vivre sans automobile, la certitude de devenir ou de demeurer électromobiliste est un peu plus affirmée en banlieue de Montréal. Mais le fait le plus important est que cette certitude est partagée par plus des trois quarts des ménages qui roulent électrique, dispersés un peu partout au Québec.
À la suite d’une enquête qualitative à Lac-Mégantic avec des électromobilistes aidant à comprendre la diversité des expériences de passage et les manières d’y être engagé en 2024, nous proposons la présentation de nouvelles analyses du sondage de 2022 et d’un autre sondage dans la CMQ en 2023 visant à éclairer la composition du groupe des électromobilistes. Le sondage de 2022 comporte des questions permettant d’examiner à quel point les électromobilistes diffèrent ou non entre eux et des autres automobilistes dans leur réponses relatives à l’intégration de gestes écocitoyens et divers aspects de leur situation de ménage. Le sondage de 2023 donne par ailleurs une caractérisation de la flotte de véhicule des ménages dans laquelle l’automobile électrique ou hybride-rechargeable peut être la seule automobile ou non.
Guillaume Lessard, étudiant à la maîtrise en sociologie à l’Université Laval, boursier doctoral du CRSH, il est membre étudiant du CRDT et du CRAD. Il s’intéresse aux enjeux de mobilité et à la transition énergétique au Québec, notamment à travers l’étude des pratiques de mobilité et de l’électromobilité.
Dominique Morin, Professeur titulaire, Département de sociologie, Université Laval ; Dominic Villeneuve, Professeur agrégé, École supérieure d'aménagement et de développement, Université Laval.