L'église de Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand est considérée comme le prototype des églises romanes d’Auvergne ou du moins, comme l’une des plus anciennes avec la cathédrale de Clermont-Ferrand. Elle et a fait l’objet d’une abondante littérature scientifique dès les années 1830 : Jules Renouvier, Prosper Mérimé et Viollet-le-Duc considèrent le monument comme exceptionnel. Elle est classée en 1840.
Notre-Dame du Port de Clermont-Ferrand est située en contrebas de la vieille cité de Clermont dans le quartier du port (qui signifiait le passage ou les entrepôts). La fondation d’un chapitre de chanoines par l’évêque de Clermont Étienne II (942-884) est suivie par la construction de l’église. Aucun texte ne permet d’avoir plus de précision, ainsi des chercheurs situent ces travaux à la fin du Xe s., mais la datation la plus consensuelle privilégie les années 1120-1130.
L’église est construite rapidement, sa crypte réutilise de nombreux murs et pierres antiques (comme vous pouvez le voir sur le modèle 3d). L’arkose blonde est la roche principalement utilisée pour les parements de l’église, mais de nombreux murs construits en maçonnerie utilisent des matériaux plus variés.
Le plan de Notre-Dame du Port est typique des églises à chevet à chapelles rayonnantes. De l’ouest vers l’est se succèdent le massif occidental, la nef, le transept et le chevet avec ses quatre chapelles rayonnantes réunies par un déambulatoire. Trois tours dominent l’édifice, deux à l’ouest et une sur la croisée du transept. L’extérieur est richement décoré de sculptures et de décors de pierres de couleurs alors que toute la décoration peinte intérieure a disparu. Les sculptures de pierre sont conservées : les chapiteaux, des modillons, le linteau et les bas-reliefs de la porte ouest.
Les peintures du XIXe s. concernent une chapelle nord que Mérimée comparait à un tripot, et les absidioles du transept peintes par Anatole Dauvergne (1812-1870). Si Notre-Dame du Port paraît intacte, de nombreuses restaurations et modifications furent effectuées : une campagne de restauration de la partie ouest de l’église au XVIIIe s. précède des démolitions au cours de la Révolution (les clochers ouest et celui situé sur la croisée). Ratoin refait la partie occidentale en 1823-1827 (ce qui en fait un des plus vieux chantiers néoroman). Elle est classée aux monuments historiques en 1840, à partir de 1843 Aymon Gilbert Mallay reprend le transept (absidioles, clocher), la crypte et probablement une partie du chevet. Gabriel Ruprich-Robert enlève toutes les peintures de l’église en 1900-1917 et reprend en grande partie l’intérieur de l’édifice. Des chantiers de restauration importants sont lancés en 2004 sur l’extérieur et l’intérieur de l’édifice qui est de nouveau peint. Des fouilles et des travaux se poursuivent dans la crypte et sur les alentours de l’église entre 2018 et 2021.
La chapelle nord avec son décor de peintures et de mosaïques néoroman
Notre Dame du Port, vue intérieure vers l'ouest. Les peintures posées dans les années 2000 privilégient les couleurs douces et assorties.
Les chapiteaux de Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand révèlent une véritable virtuosité dans le traitement des végétaux et certains d’entre eux s’inscrivent dans la tradition antique, par leur proximité aux canons corinthiens et les savantes variations dont ils ont fait l’objet. Le traitement des personnages et des scènes figurés est remarquable sur certains chapiteaux et plus maladroit sur d’autres. Comme l’ont écrit de nombreux chercheurs, des personnalités artistiques fortes se dégagent dont les fameux sculpteurs Robert et Bernard qui ont œuvré à Saint-Nectaire, Mozac et à Orcival.
Les chapiteaux du côté sud de la nef de Notre-Dame du port.
Les chapiteaux du rond-point
Distributions des principaux chapiteaux de Notre-Dame du Port de Clermont-Ferrand et proposition d'attribution des sculpteurs.
Centaures, bas-côté sud.
Robert, le sculpteur
Ce sculpteur est identifié par sa signature sur le rouleau [1] (un rotulus) sur de la scène du Songe de saint Joseph (C2). Il a réalisé la majeure partie des chapiteaux du chœur (C2, C3, C4 et C5).
Ses chapiteaux du rond-point de Notre-Dame-du-Port font preuve d’une véritable virtuosité dans la taille de la pierre, les scènes historiées sont généralement marquées par des compositions complexes, dominées par la peur du vide ; des personnages sont quelquefois curieusement placés, plus casés qu’honorés ce qui peut, dans certains cas, compliquer la lecture des scènes comme Adam et Ève chassés du paradis (C5). Mais tous les protagonistes principaux sont traités de façon monumentale et occupent toute la hauteur du chapiteau. La déformation des visages et des corps relève de maladresse technique, comme l’ange sonnant du cor (C4) et des torsions non anatomiques que produit ce sculpteur constitue une formidable antithèse à l’art du sculpteur des atlantes de Saint-Pierre de Mozac. On le constate sur l’ange de l’Annonciation (C4) et l’Assomption (C6) révélant des dessinateurs et des sculpteurs qui n’ont pas travaillé sur des modèles vivants. Par exemple, le corps de la vierge est segmenté en trois parties. L’Ève stéatopyge (C5) constitue une représentation tout à fait exceptionnelle de corps féminin dans l’art roman, toutefois, le traitement de ce corps n’est en aucun cas le résultat d’une volonté de dégradation moralisée : cette Ève qui échappe à nos canons de beauté, n’a pas été enlaidie par l’artiste, au contraire, il l'a sculptée de la plus belle manière qu’il peut le faire. Mais il est évident que cet artiste rencontre des difficultés dans la sculpture en bas-relief et les visages des personnages représentés de face ou de trois quarts sont relativement plats, par contre, les personnages occupant les angles des chapiteaux sont réalisés avec plus d’aisance, comme ceux de l’annonce à Zacharie de la Naissance de Jean-Baptiste (C3) qui sont plus proches du haut relief et de la ronde-bosse. Les corps sont généralement trapus, les membres courts et les visages ont de hautes pommettes saillantes, de petites bouches et des yeux tout à fait caractéristiques en amande surmontés par la courbe des sourcils. Les compositions complexes sont animées et la sculpture à un fort relief. Ces scènes présentent des récurrences, à travers des gestes souvent répétés : les mains attrapant les cheveux, la barbe ou les poignets, les accessoires comme les rotulus et les équipements militaires, dont les casques en cuir, les cottes de mailles cachant le bas des visages, des coiffures à godrons, des barbes bouclées et longues.
[1] RTB ME FECIT : Robert m’a fait.
Le sculpteur Bernard
Un chapiteau dans le bas-côté sud (col S 16) représente trois visages émergeant de feuillages suivant le modèle que l’on trouve souvent en Auvergne. Les côtés sont occupés par deux visages jeunes et imberbes, au centre une tête plus âgée et barbue. Leurs modelés sont tout à fait remarquables et se distinguent radicalement de ceux figurant sur les chapiteaux du rond-point de Notre-Dame-du-Port, c’est-à-dire des œuvres de Robert. En se basant sur l’inscription BERNARD inscrite sur le tailloir surmontant ce chapiteau, Louis Bréhier a attribué plusieurs œuvres à ce nom (voir bibliographie). Sa technique est beaucoup plus élaborée du point de vue plastique et de la maîtrise de la matière et des volumes que celle de Robert. Les œuvres qui lui sont attribuées à Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand sont, en plus de ces trois visages, des chapiteaux végétaux aux motifs de feuilles de buis, la Tentation du Christ et la lutte des Démons et des anges.
Bernard le sculpteur donne à ces figures de pierre une rare souplesse dans les feuillages et les modelés. Les têtes sont ovales, marquées par de grands yeux et aux bouches bien dessinées, souvent entrouvertes. Les mouvements sont fluides et les compositions d’une grande clarté. Les personnages sont graves, intériorisés, paraissant presque étranger aux scènes auxquelles ils sont censés participer.
On retrouve sans aucune équivoque les œuvres de Bernard à Saint-Nectaire et à Saint-Pierre de Mozac. Plusieurs autres chapiteaux à Notre-Dame-du-Port sont proches de ce sculpteur, comme ceux figurant des centaures, des aigles et des oiseaux dont les queues s’épanouissent en volutes végétales et rappellent aussi les œuvres de Mozac et de Saint-Nectaire.
Acrobates et hérons. Sculpture du déambulatoire, probablement faite par Robert.
La crypte de Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand a fait en 2014 l’objet d’un décrépi de la quasi-intégralité de ses murs et de ses voûtes. Véritable écorché permettant une lecture inédite révélant l’histoire de l’église et les techniques de construction romanes.
On distingue aisément la présence de très nombreux remplois antiques dans les murs : des moellons en grand appareil sont employés dans les contreforts et surtout les piliers encadrant l’entrée situés à l’ouest de la crypte, certains présentent des trous de louve. L’accès de la crypte et toute la partie ouest ont été refaits au XVIIIe et au XIXe siècle, ainsi que les baies éclairant la crypte. À demi creusée, elle possède le même plan que le chœur, incluant un couloir annulaire entourant un espace central et desservant les quatre chapelles rayonnantes. Des voûtes d’arête aux profils très irréguliers assurent la couverture et retombent sur des colonnes et les murs périphériques. Huit colonnes sont disposées en demi-cercle et se situent à l’aplomb de celles du rond-point, elles-mêmes renforcées par quatre autres colonnes de sections plus fines situées au centre. Comme les grandes églises romanes dites de pèlerinage, ce dispositif constitue un véritable tour de force technique et d’ingénierie en raison des poussées qui retombent sur la crypte, à savoir tout le chevet, la croisée du transept dont la coupole qui la coiffe et le clocher. Les élévations des murs de la crypte et des chapelles présentent des différences notables dans leur mode de construction et les matériaux employés.
Le mur de la chapelle septentrionale reprend partiellement un mur plus ancien, probablement de l’antiquité ou du haut Moyen Âge. Les parties basses des autres chapelles réutilisent de nombreuses briques plates romaines (des tegulae) formant des assises entières ou servant comme éléments de calage.
La construction de la crypte a privilégié des techniques faisant recours à la rapidité d’exécution et à l’économie des matériaux. À tel point que l’on peut être tout à fait stupéfait de voir une telle économie dans la qualité de la stéréotomie : seules colonnes, chapiteaux, arcatures et encadrements des baies sont réalisés à partir de pierres soigneusement taillées et assemblées. Les voûtes sont réalisées par coffrages sur lesquels sont posés des blocs et des pierres rapidement dressées et liées au mortier.
Crypte de Notre-Dame-du-Port, le pilier nord-est construit à partir de grands moellons antiques certains portent des trous de louve.
Crypte de Notre-Dame-du-Port, chapelle nord. Une partie du mur utilise une construction plus ancienne.
Bibliographie
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