Avec l'aimable autorisation de l'auteur
Mon enfant après moi
« Après moi », connaître nos métiers en SAVS
Je suis travailleur social et Instructrice en AVJ (Autonomie de la Vie Journalière) au SAVS (Service d’Accompagnement à la Vie Sociale) de l’IRSA. J’accompagne des personnes en situation de handicap auditif et/ou visuel avec ou sans troubles associés vivant ou ayant le projet de vivre en logement autonome.
Mon métier de travailleur social est d’accompagner la personne dans son projet de vie autonome dans tous les domaines de la vie quotidienne : le logement, les déplacements, la santé, les loisirs et vacances, le travail, la vie affective, la parentalité, le budget…
Lorsqu’on parle d’autonomie, il ne s’agit pas de tout savoir faire tout seul mais de savoir à qui s’adresser en fonction de ses besoins. Moi-même, je ne sais pas tout faire toute seule. Si j’ai le filtre à changer sur ma voiture, je fais appel à un mécanicien. C’est pareil avec les personnes accompagnées en fonction de leurs capacités. Si une personne ne peut pas se faire à manger seule en sécurité dans son logement, je vais l’aider à mettre en place une auxiliaire de vie. C’est la personne elle-même qui va exprimer à son auxiliaire ce qu’elle souhaite manger et préparer avec elle. C’est cela l’autonomie, exprimer ses choix, ses désirs, ses volontés, que l’on soit seule dans l’action ou non.
Mon métier d’Instructrice en AVJ est vraiment dans le « faire seul(e) ». Ce métier s’adresse aux personnes en situation de handicap visuel. Se faire à manger en sécurité, entretenir son linge, utiliser un téléphone, classer ses papiers administratifs, faire son ménage, avoir accès à des jeux de société, préparer un biberon pour les parents. Je peux proposer des techniques avec ou sans matériel adapté spécialisé basse vision. Si j’évalue que la personne ne peut pas être en sécurité pour la cuisson des aliments (souvent quand il y a un trouble associé), rien ne nous empêche de travailler l’épluchage et la découpe si elle le souhaite et de proposer des alternatives. Le relais de la cuisson peut être pris par une tierce personne. Ce n’est pas une fatalité. L’autonomie c’est aussi prendre conscience de ses limites et surtout les dédramatiser. Ce qui compte, c’est d’être fière de soi et de la finalité, non ?
Il m’est demandé aujourd’hui une réflexion générale sur mon expérience professionnelle avec les personnes accompagnées et leurs parents. Je pense que je pourrai écrire 50 pages tellement les situations que j’ai rencontrées ont été diverses et variées. Le point commun de tous les parents rencontrés, c’est l’amour parental, celui qui s’écrit avec un grand A. Il est essentiel, vital, avec tous les doutes, les questionnements qu’il implique mais il est aussi teinté d’une grande culpabilité.
Il n’y a pas de manuel de parent en général.
Il n’y a pas de manuel de parent avec des enfants en situation de handicap.
Je tiens à préciser que, peut-être, il y a des choses que je vais écrire qui vont être difficiles pour les familles. Sachez qu’à aucun moment, je ne suis ou est été dans le jugement avec des parents qui ont fait et qui font du mieux qui peuvent tout au long de leur vie avec un fils, une fille en situation de handicap. Volontairement j’utilise le mot « fils » ou « fille » et j’arrêterai de parler d’enfant. Pourquoi ? car je considère que je travaille avec et pour des adultes même si pour tous les parents, quel que soit l’âge, ils resteront leurs enfants.
L’objectif de cet écrit est de vous faire part des expériences, des interrogations, que j’ai pu rencontrer mais surtout d’en échanger, de trouver les moyens d’avancer ensemble, de la place de chacun dans le « après », cet « après » tant redouté.
Des individus différents, des situations différentes
Lorsque je rencontre les parents vieillissants d’un adulte en situation de handicap, la peur exprimée est « le jour où on ne sera plus là, il faut le/la préparer », il FAUT qu’il/elle soit autonome. Et parfois, je l’avoue, on nous en demande beaucoup à nous, professionnels car rien n’a été préparé en amont par les parents. Je vois des adultes, 20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans, habitués qu’on fasse toujours à leur place dans un souci de protection, qui n’ont jamais pris de décision sans demander l’aval de leurs parents, qui n’ont pas confiance en eux-mêmes.
Je vois des adultes qui n’ont jamais expérimenté, qui ne se sont jamais confronter à des situations quotidiennes de la vie pour apprendre, par souci de protection et sous couvert de leur « vulnérabilité ». Je vois des adultes qui ne comprennent pas pourquoi le SAVS est là, qui ne sont pas en demande d’autonomie car n’ont jamais songé au jour où leurs parents ne seront plus ou moins là. Dans ces cas-là, je n’ai pas ma place, je ne peux pas (et ne dois pas) forcer la personne à travailler son autonomie. Cela, je dois l’expliquer aux parents et faire face à leur détresse et à leurs attentes auxquelles je ne peux répondre.
Parfois, je rencontre des adultes en grande demande d’autonomie, avec un vrai projet d’émancipation. Je peux me heurter à des parents qui ont peur, qui ne croient pas au projet, je deviens le mauvais objet, celle qui accompagne dans un projet irréaliste, celle qui ne peut pas savoir mieux qu’eux car ils sont les parents. C’est vrai, je ne sais pas. Je ne sais jamais comment les choses vont se passer mais je suis là pour accompagner, essayer, proposer des réajustements si besoin. Je suis là pour écouter la demande, y croire et répondre « allez go on y va ! » avec des parents, qui, en parallèle, tentent de convaincre leur fils/fille que ce projet ne sera pas faisable, qui veulent à tout prix protéger de l’éventuel échec ou d’éventuelles difficultés. Quand moi travailleur social, je suis convaincue que l’expérimentation fait partie de l’apprentissage de l’autonomie, je me retrouve face à des parents qui veulent garder leur rôle hyper protecteur et freinent le projet. Nous sommes en décalage, l’adulte se retrouve « entre deux feux » la situation devient très inconfortable. En général, soit la personne écoute l’avis de ses parents et abandonne son projet, soit maintient sa demande et entre en conflit avec ceux-ci. Dans les deux cas, ce n’est serein pour personne.
Parfois, je rencontre des parents et des adultes en demande d’un projet de logement autonome et je me rends compte que celui-ci est prématuré. Afin de ne pas mettre la personne dans un grand sentiment d’échec, je peux proposer des alternatives, des tremplins, avec une temporalité plus ou moins longue pour aboutir au projet final. Cela peut être difficile pour la personne et/ou ses parents qui avaient une conception de l’autonomie « seul et dans l’immédiateté ».
Et parfois, je suis considérée comme une véritable partenaire. L’adulte demande de l’autonomie, les parents sont à fond, on est tous ensemble centrés sur le projet et on y va. C’est là où mon métier prend tout son sens, que la personne est reboostée dans la confiance que chacun lui accorde dans son projet. La personne adulte a besoin d’être ré -assurée et ses parents aussi. J’amène un autre regard, une prise de hauteur, je dédramatise. S’il y a échec, nous réajusterons et ce n’est pas grave. On est une équipe et nous avons tous le droit à l’erreur.
Face à bon nombre de situations, d’histoires, de facilités, de difficultés, de vécus, tous différents, question simple : comment on avance ? Comment se prépare à l’après ? comment travailler en collaboration entre professionnels et parents autour du projet de la personne.
« Après moi », comment ça se prépare ? le rôle des parents.
La question doit être traitée dès l’enfance mais non pas selon moi, par le biais de la notion de mort. La phrase « papa et maman vont mourir un jour » est complètement traumatisante et génératrice d’angoisse. Là n’est pas le but. Handicap ou non, consciemment ou non, les parents ont un rôle de préparer leurs enfants à leur absence un jour. Ou plutôt de préparer le départ de leur enfant dans une future vie autonome, sans eux, ou moins avec eux. Et c’est bien là que tout se joue. Lorsqu’un parent apprend à son enfant à faire ses lacets de chaussure seul en lui verbalisant que papa ou maman ne seront pas toujours là pour faire ses lacets et qu’il en est capable, c’est cela la préparation à l’autonomie, à la valorisation de celle-ci et non la préparation à la mort.
Cas concret- Madame Z malentendante appareillée /trouble du déficit intellectuel moyen.
La demande initiale
Monsieur et Madame Y arrivent au SAVS en me demandant de préparer leur fille Madame Z à l’éventualité de leur décès pour lui donner une envie d’autonomie. C’est me demander clairement l’impossible. Tout d’abord, parce que Monsieur et Madame Y sont toujours en vie et cela aura peu ou pas du tout de sens pour Madame Z. Deuxièmement, parce que se préparer à la mort de ses parents, il me semble que cela est impossible pour chacun d'entre nous. On le sait, mais on ne l’envisage pas. On apprend à vivre avec, souvent avec le soutien nécessaire des autres, seulement lorsqu’on y est réellement confronté. Troisièmement, parce que l’envie d’autonomie ne peut pas émaner de la projection de la mort de ses parents.
Monsieur et Madame Y ont toujours tout fait pour leur fille, elle n’a jamais fait de machine à laver le linge, ni chauffer de l’eau dans une casserole pour y mettre des pâtes. Elle aurait pu car elle a des capacités. Mais Monsieur et Madame Y, avec toute leur bienveillance de parents, ont tout misé sur la scolarité et ne lui ont jamais rien demandé à la maison. Monsieur et Madame Y projettent que je vais susciter l’envie d’autonomie de leur fille alors que toute sa vie, tout a toujours été fait à sa place, même dans les décisions, dans un confort sécurisant et hyper protecteur. Je suis mise dans une position de magicienne que malheureusement, je n’ai pas. L’envie d’autonomie, se sentir suffisamment en confiance avec soi-même pour l’exprimer et oser y aller, se fait depuis l’enfance.
Madame Z travaille en ESAT à l’atelier conditionnement, sort parfois faire des activités de loisirs mais comme tout à chacun, a trouvé son petit confort à être servie à la maison. Monsieur et Madame Y commencent à être fatigués. Il la véhicule en permanence même pour l’amener au travail. Ils viennent d’avoir 75 ans, Z en a 45.
Lors de notre première rencontre, Z ne parle pratiquement pas. Monsieur et Madame Y ont beaucoup de choses à dire, ils me racontent en condensé l’histoire d’une vie, leur combat de parents depuis la naissance de Z, leurs attentes auprès de moi « pour rendre leur fille autonome » avant de « partir ». Je vais demander à Madame Z ce qu’elle en pense, ses envies, ses projets. Elle me répondra un timide « oui » sur son envie d’autonomie mais surtout se mettra à pleurer en exprimant qu’elle ne veut pas que ses parents meurent.
La demande d’autonomie
Le lien avec Madame Z mettra du temps à se mettre en place mais il se fera, par de longs échanges, prendre le temps de faire connaissance, d'expliquer mon métier. Je ne vais pas être « tout de suite » dans l’action pour répondre à la demande de Monsieur et Madame Y. Je vais aller au rythme de Madame Z.
Je découvre qu’il y a de vives tensions entre Madame et ses parents concernant l’argent, que Monsieur et Madame Y gèrent tout, jusqu’au moindre centime pour mettre de l’argent de côté quand ils ne seront plus là. Ils donnent l’argent à leur fille quand elle en a besoin mais lui demandent systématiquement les tickets de caisse pour vérifier « qu’elle n’a pas fait n’importe quoi ». A 45 ans, Madame a son argent de « poche ». Les parents projettent qu’à leur décès, le frère de Madame prenne le relais sur la gestion de l’argent et l’administratif. Madame Z n’est pas d’accord, elle dit qu’elle ne veut pas « être le boulet » de son frère qui est marié avec des enfants.
Je propose une mesure de protection ad hoc avec un Mandataire judiciaire privé. Mme et ses parents sont d’accord. Un courrier de l’ensemble de la famille est adressé au Juge des tutelles. Ce travail avec Madame et sa famille, entre les échanges, la médiation, le courrier et la mise en place mettra un an mais permettra une relation plus apaisée et suscitera des « envies » d’autonomie de la part de Madame. Entre son salaire ESAT et l’AAH, la Mandataire judiciaire de Mme lui met à disposition 150 euros par semaine. Madame Z a envie d’aller faire des courses, en accord avec les parents, pour participer à la maison et préparer un repas le weekend.
Concernant la mobilité, Monsieur et Madame Y souhaitent être soulagés. Le service de transport adapté est dans un premier temps une option à laquelle tout le monde adhère : j’accompagne Madame à réserver seule son transport pour aller à son travail et à certaines de ses activités. Plus tard, elle me demandera de travailler le repérage en transport en commun, de dépasser ses appréhensions, de prendre confiance. Je me rends compte que c’est « trop » pour Madame et qu’elle panique, Il suffit d’une panne sur un tramway, une déviation d’un bus pour qu’elle se sente perdue et se fige. L’alternative d’une auxiliaire de vie pour ses accompagnements extérieurs sera le consensus. Un dossier de demande de PCH à la MDPH sera instruit par la Mandataire et une auxiliaire de vie embauchée pour accompagner Madame a ses RDV, faire les courses et parfois l’aider dans la conception des repas.
Petit à petit, pas à pas, en fonction des envies et des demandes de Mme, certaines choses seront mises en place. Les petites barres d’échelle de l’autonomie seront franchies, avec des parents soulagés et une Mme Z prenant confiance, réalisant qu’elle peut faire sans ses parents.
La séparation « physique »
Quatre ans plus tard, Monsieur Y décède. Madame Y, 79 ans, se voit perdre en autonomie, faire les choses à la maison devient de plus en plus difficile, surtout sans son mari. Elle voudrait partir en maison de retraite mais ne veut pas laisser sa fille. Madame Z a avancé depuis 4 ans mais n’est pas prête pour un logement autonome. Ce fameux appartement toute seule que ses parents projetaient à son entrée au service, est encore trop effrayant pour elle. Sera proposé alors un logement-foyer (appartement tremplin avec une présence de travailleurs sociaux 24h/24, des salles communes proposées avec des activités le weekend) à titre informatif : aller visiter, demander des informations, rencontrer des résidents et les professionnels. Madame Y nous accompagnera, pour projeter où irait sa fille, en reparler avec elle dans les moments toutes les deux. Se préparer l’une et l’autre à cette éventualité sans la subir, l’anticiper, la dédramatiser, la PARLER. Je laisserai à chacune sa temporalité. Madame Z entrera dans son appartement-foyer 1 an plus tard. Madame Y attendra que sa fille soit installée pour faire les démarches, vendre la maison et partir en maison de retraite. Elles se rendront visite l’une et l’autre régulièrement, les échanges SMS resteront quotidiens, Madame Z est fière d’amener le gâteau préparé dans la cuisine de son appartement foyer le dimanche à la maison de retraite quand elle rend visite à sa mère.
Le SAVS se retire, laissant le relais aux collègues travailleurs sociaux de l’appartement foyer. Si Madame Z est prête un jour au logement autonome, elle sait qu’elle pourra revenir au service. La Mandataire judiciaire s’occupera du dossier de demande d’admission.
Nous avons eu des nouvelles de Madame Z quelques années plus tard. Sa mère est décédée. Elle ne souhaite toujours pas travailler le logement autonome mais a trouvé son équilibre dans l’appartement foyer. Elle continue son « petit bonhomme de chemin » entre l’ESAT, les interventions d’auxiliaire de vie à son appartement et à ses divers RDV, elle fait des sorties, le weekend, organisées par le foyer. Au décès de sa mère, Madame Z a été très soutenue par les professionnels et encore aujourd’hui, il lui arrive de pleurer l’absence de ses parents dans sa vie. Quoi de plus naturel ? Personne ne remplacera jamais un père ou une mère mais Madame Z trouve toujours une épaule pour pleurer : L’équipe de professionnels avec qui le lien de confiance est bien établi, une amie du foyer qui est aussi sa voisine de palier, un collègue de l’ESAT, son frère qui vient de temps en temps la chercher pour un repas le dimanche…. Et ses pleurs deviennent de moins en moins fréquents, Madame Z arrive petit à petit à verbaliser ce manque sans en souffrir. Et puis, une histoire amoureuse arrive, la première expérience avec un nouveau résident lui aussi en appartement-foyer comme elle. Madame Z avance avec ses expériences heureuses et malheureuses… n’est-ce pas ça, au final, l’apprentissage de l’autonomie ?
L. BOUCHET