histoire d'un missionnaire

Me voici presqu’arrivé, nous survolons Kinshasa. Difficile de le savoir. Cette ville de dix millions d’habitants est presqu’invisible la nuit (la nuit commence à 18H30) tant il y a peu de courant fourni à ses habitants.

En ce 3 novembre 2010, je découvre ces milliers de personne qui s’activent autour des étals remplis de bics, de savons, farines de maïs et de manioc… J’écris plus tard dans mon carnet : « Le bruit de cette foule, des vendeurs qui crient, des klaxons incessants révèlent au nouveau venu l'ambiance de la capitale. Je vois par terre, un adulte handicapé qui marche « à quatre pattes » (Ceux qui ont une chaise roulante ont de la chance...). S'il veut monter dans un bus, il ne peut tout simplement pas et les sièges sont si serrés, les gens se ruent tellement vite dans le bus... c'est peine perdue. »

Je reçois aussi des gifles : « Voilà qu'une voisine me demande ce que j'ai mangé ce midi (les prêtres sont connus pour bien manger). Je réponds du riz et du poulet. « Oh, j'aimerais bien manger chez toi de temps en temps! Je ne mange que le soir... ». Cette interpellation venant de personnes qui me sont sympathiques me met mal-à-l'aise. Moi, qui vient pour rejoindre les pauvres, je ne suis même pas à la hauteur des personnes qui ont un travail!

Il faut me résoudre à cette différence. Si je fais comme elle, je tomberai malade. J'ai déjà essayé un lundi de ne manger que le soir, après un week-end ou je n'avais mangé que très peu. J'ai eu un problème d'intestin durant 10 jours. C'est comme çà. »

Dans toute cette pauvreté qui me submerge, je me demande souvent quel est mon rôle et le Seigneur m’éclaire à travers ceux que je rencontre : « L'irresponsabilité et la corruption des dirigeants s'étend jusqu'à toucher tous les niveaux de responsabilité dans la société. Dans ce contexte, l'Église reçoit une mission d'éducation civique et la responsabilité de préserver le tissu social. Un jour, je demandais à deux étudiantes ce qu'elles attendaient de l'Église, une des deux me dit: 'il faut redire aux gens qu'ils s'entendent entre eux et comment ils doivent se comporter'. »

Ces premières impressions n’ont pas vraiment changé depuis que je suis arrivé. Je suis devenu prêtre fidei donum, c’est-à-dire « don de la foi » : mon diocèse en Belgique m’a prêté à un autre diocèse pour une durée de trois ans renouvelable. Mon évêque est l'évêque de Liège, il accepte tous les trois ans de renouveler mon mandat. C'est une chance pour moi parce que les prêtres de mon âge se font rares en Belgique (je suis né en 1971) mais il est vrai qu'un diocèse doit être ouvert au reste du monde, il fait partie d'une Église universelle représentée par le pape et il ne peut ignorer la souffrance des chrétiens vivants ailleurs dans le monde.

Ordonné à Liège en 2002 avec un diplôme d'ingénieur en sus, j'ai été vicaire à Verviers, puis à Awans-Alleur-Loncin. Après 8 ans, je décide de me consacrer aux pauvres du Congo-RDC. Mes trois premières années se passèrent dans une ville de plus de 10 millions d'habitants, Kinshasa. Puis, fin 2013, je me mets au service du diocèse de Matadi, dans la province du Kongo-Central (ancien Bas-Congo). J'ai dû apprendre le Lingala, puis le Kikongo. Ce vaste pays a son charme même s'il est pauvre. Il est rempli de contrastes. Ainsi, les gens sont plus joyeux qu'en Belgique même s'ils ont 1000 raisons de pleurer jusqu'à leur mort.

Oui, ce pays m'a séduit avec le temps... car il y a toujours des gens pour m'étonner. Ce n'est pas le fait que des gens sont capables de corrompre qui m'étonne, çà existe partout où l'argent se fait le maître de l'homme, mais c'est la capacité de résilience des congolais qui peuvent perdre parfois presque tout ce qu'ils ont économisé pendant des années et qui se reconstruisent quand même finalement. Ils sont pour moi une leçon d'espoir et d'écoute de la vie qui bat au fond de nos cœurs.