Tintin, ou l'histoire d'un ours

le premier amour de ma vie...

Il était une fois, lorsque j’avais cinq ans…

Tous les ans, le comité d’entreprise de Papa organisait un arbre de Noël avec un goûter spectacle suivi d’une distribution de jouets. C’était un moment très attendu, et qui faisait patienter jusqu’au jour J puisqu’il avait lieu la semaine précédant Noël.

L’après-midi avait mal débuté. Un prestidigitateur avait fait disparaître une colombe au cours de son numéro et je m’étais mise à pleurer, ne l’ayant jamais vue réapparaître et étant très inquiète sur son sort. Mon frère avait fait son possible pour me rassurer et l’apparition des clowns avait un peu dissipé ma peine.

Après un délicieux goûter, le Père Noël en personne venait remettre les jouets nominativement. Attention, il s’agissait du vrai Père Noël, et non pas d’un de ses auxiliaires que l’on rencontrait à chaque coin de rue ! D’ailleurs papa disait toujours d’un air amusé qu’il avait une barbe en pur sisal… un mot que je ne comprenais pas mais qui évoquait la magie. Il faisait souvent des réflexions très pertinentes « tu as été puni(e) semble-t-il la semaine dernière » … et somme toute, il faisait un peu peur. Un petit doute subsistant sur ma conscience irréprochable, je montai cependant courageusement sur la scène pour aller chercher mon paquet…  

Le Père Noël me remit un objet enveloppé avec du papier kraft. A cette époque le papier fantaisie avait la réputation d’être « trop cher ». Revenue à ma place, je me mis à le développer fébrilement et je découvris un adorable ours en peluche qui me tirait sa petite langue rouge. Le courant passa immédiatement entre nous et le soir même il se retrouvait dans mon lit.

Il s’appelait Tintin (Martin au départ). Il était BEAU : en mohair couleur miel, avec de beaux yeux en verre et une petite langue en ratine, il mesurait 45 cm. Son corps rembourré de paille lui donnait un petit air altier et une certaine rigidité. Je l’avais habillé d’un pull et d’une petite culotte tricotés main par ma maman. Le matin je le coiffais avec une raie sur le côté sous l’oreille droite. Je rabattais les poils du front sur le côté gauche en essayant de lui mettre une pince. Un gros bisou sur son petit museau, et il était fin prêt. Maman lui avait confectionné une écharpe écossaise dans les tons bleus. Notre voisine m’avait donné des chaussures devenues trop petites à sa fille. Bien sûr elles lui étaient trop grandes, mais bien serrées elles lui permettaient de tenir debout avec plus de stabilité. Quelle autonomie pour lui !

Au bout de quelques années de brossage, d’habillage et de câlins, le mohair commença à se râper et à se déchirer. Seul l’intérieur des oreilles était fourni et avait gardé sa couleur d’origine. Un jour il perdit un œil, précieusement ramassé dans une boite de Solutricine, qui fut elle-même perdue… Devant ce petit air maladif, Maman racheta du mohair, le recouvrit entièrement et lui remit des yeux neufs.

Ah, il avait fière allure avec son ensemble en laine, son écharpe et ses chaussures de clown. Je le regardais avec les yeux de l’amour… et il m’en a tant donné !

Il coule maintenant des jours tranquilles, profitant largement de sa retraite. Il a toujours gardé sa petite écharpe écossaise autour du cou… et surtout toute ma tendresse !