LES  POUPEES EN PEAU MAGIQUE

Avec les « années folles », de nouveaux matériaux viennent concurrencer le biscuit dans la fabrication des poupées : la composition, le papier mâché, le tissu bourré, la feutrine, le celluloïd entre autres. La deuxième moitié du XXe siècle voit le développement des nouvelles matières plastiques et l’abandon progressif de tous les autres matériaux. En revanche, la variété des poupées fabriquées à cette époque est exceptionnelle.

 

Simultanément, un nouveau type morphologique de poupée s’impose sur le marché : le « poupon » à corps mou qui représente le nouveau-né, conçu pour développer l’instinct maternel de la fillette.

 

Dans le début des années 50, les fabricants Raynal et Gégé, toujours à la recherche de nouveautés et de rivalité commerciale, ont produit des bébés très attractifs, destinés à concurrencer les bébés en tissu. Leur tête était toujours en rhodoïd mais la matière des membres (et du corps pour Raynal) était en latex. Cette matière révolutionnaire leur conférait une douceur et une fraîcheur exceptionnelles. La couleur était très naturelle. Le bourrage des membres en kapok leur donnait une certaine mollesse et ces caractéristiques les rapprochaient encore de celles des nouveau-nés. Malheureusement ce matériau se dégrada rapidement, devenant tout d’abord collant, puis formant des croûtes dures qui se détachaient, se trouaient, et laissaient apparaître le kapok…


Raynal

 

« C’est en 1951 que Raynal déposa la marque « peau magique » grâce à Monsieur Daniel Lafont, principal collaborateur d’Edouard Raynal. S’inspirant des poupées américaines appelées « Magic Skin », il entra en contact en Angleterre avec un fabricant de gants en latex et étudia le procédé pour la mise au point de moules pour la production des corps. Cette fabrication fut produite, conjointement avec une usine située aux Lilas et spécialisée dans les objets en latex, particulièrement les gants » (E. Chauveau : les poupées Raynal).

 

 La marque Raynal avait lancé sur le marché plusieurs bébés :

Ø  Catherine en 1951, qui mesurait 45 cm, dont le corps et les membres étaient formés d’une seule pièce, moulés par injection puis bourrés de kapok.

Ø  Dès l’année suivante, apparaît Marie-France qui ne mesurait que 40 cm.

Ø  Et également en 1952, une nouvelle Catherine de 50 cm, avec le tronc seul en peau magique, et les membres en rhodoïd.

On peut les admirer entre autres, sur le catalogue d’étrennes de l’hiver 1952/53 du « Bon Marché » où Catherine est présentée comme étant en « peau magique », latex souple, léger, lavable et tête plastique incassable et Marie-France en « peau magique », au corps léger, doux au toucher, en latex lisse couleur chair, qui se lave et se poudre, et tête en rhodoïd. Et toujours les vêtements Raynal, magnifiques, luxueux…

Les bébés en « peau magique » seront vite remplacés par des bébés similaires en tissu bourré avec membres en rhodoïd, ou entièrement en rhodoïd. Dès 1956, les corps pourront être en plastique souple.

Raynal s’engagea à remplacer ces corps défectueux et modifia sa formule qui se révéla plus résistante au vieillissement. Néanmoins la production ne dura que quelques années.



Gégé

 

Le bébé Gégé ne portait pas de marque à la nuque mais il est bien connu des collectionneurs, avec les mêmes caractéristiques que le Raynal à savoir, une tête en rhodoïd avec des cheveux moulés et un sourire laissant apparaître les deux incisives supérieures. Les vêtements étaient à peu près similaires. Mais par rapport à Raynal, le bébé Gégé était beaucoup mieux conçu. Le corps était lui aussi en rhodoïd et les membres en peau magique étaient articulés sur ce corps, lui permettant n’importe quel mouvement comme une poupée ordinaire.

Ce bébé est présenté en juillet 1953 dans le catalogue Gégé, c’est-à-dire deux ans après Raynal, avec la mention « série spéciale imitant la peau : Baby peau douce, membres articulés bourrés, souples, kapok recouvert de latex, corps et tête en rhodoïd finement décorés, dormeur à cils, parlant, robe et bonnet soie et dentelle, article riche ».

Gégé n’utilisa jamais le terme « peau magique » mais employa toujours celui de « peau douce ».

Après renseignements pris au musée Gégé qui possède ce bébé neuf en boite, on constate qu’aucune indication particulière n’était notée sur la boite, ni aucune recommandation concernant la conservation du latex. (Renseignements fournis par Marie Daillière, adjointe à la direction du musée d’Allard – musée Gégé à Montbrison – et photocopie de l’article du gros catalogue Gégé).

Le sort de ce bébé ne fut pas plus enviable que celui du Raynal, et Gégé sortira un modèle similaire avec tout d’abord les bras en plastique dur et les jambes en peau magique, puis un modèle similaire mais avec les quatre membres en plastique dur. Nous retrouvons ce poupon dans le gros catalogue Gégé de 1956 et celui de 1957.

 

Il n’existe malheureusement aucune méthode pour sauvegarder ces beaux bébés, altérés surtout par le soleil mais aussi par une autodestruction. Alors qu’on peut les garder intacts pendant plusieurs années, dès que l’altération de la matière apparaît, la destruction est extrêmement rapide.  Au mieux, peut-on éviter tout contact direct avec l’objet, conservé dans un papier de soie à une température constante. On peut éventuellement le talquer. S’il est exposé, il doit être éclairé le plus faiblement possible pour ne pas en altérer la couleur. La lumière naturelle est à prohiber… (Marie Daillière – musée Gégé).

Irrémédiablement, le temps qui s’écoule aura raison de cette matière qui semblait révolutionnaire… Les poupées en peau magique eurent une durée éphémère… juste le temps d’une enfance, pendant laquelle les petites mamans en herbe, inconscientes de leur fragilité, les ont manipulées, lavées, habillées, mettant consciencieusement en pratique leurs tâches futures. Mais les jouets d’alors appartenaient aux enfants et non aux collectionneurs…

 

 

  

                                                                                                                               Anne Pateau

En bleu, Catherine de Raynal et en dessous en rose le bébé Gégé. La dernière photo montre la destruction irrémédiable de la matière

Poupées en peau magique


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