Alors qu’Idomeneo, roi de Crète, regagne sa patrie après la chute de Troie, une intrigue amoureuse se noue à la cour crétoise. Ilia, princesse troyenne captive, aime secrètement Idamante, le fils du roi, mais elle a une rivale en la personne d’Elettra, princesse grecque qui s’est réfugiée en Crète après l’assassinat de sa mère Clytemnestre. Idamante, quant à lui, éprouve des sentiments profonds pour Ilia, sans se douter que ces sentiments sont partagés, car Ilia n’ose révéler un amour qu’elle juge coupable envers un ennemi de Troie. Espérant gagner le pardon d’Ilia, et afin de fêter le retour de son père, Idamante décide de libérer tous les prisonniers troyens. Elettra, jugeant cet acte comme une trahison envers les Grecs, entre dans une folle colère, colère interrompue par une sinistre nouvelle : le roi Idomeneo a péri en mer.
En vérité, Idomeneo n’est pas mort. Pris dans une forte tempête sur la mer Égée, il implore le dieu Neptune d’épargner sa vie et celles de ses hommes en échange d’une promesse. La mer se calme et la flotte du roi atteint la Crète. Posant le pied sur le sol, Idomeneo voit Idamante accourir vers lui. Terrifié, le roi repousse son fils, au désespoir de ce dernier. Idomeneo mesure alors les conséquences de la funeste promesse faite à Neptune, car pour apaiser la colère du dieu, le roi a promis de sacrifier la première personne rencontrée sur le rivage.
Florence Leyssieux
Tourmenté, Idomeneo se confie à son conseiller Arbace. Il lui révèle le pacte conclu avec Neptune et l’obligation de sacrifier son propre fils. D’un commun accord, les deux hommes décident d’éloigner Idamante de la Crète en le chargeant de raccompagner la princesse Elettra en Grèce. Si Idamante est désespéré de quitter Ilia, la femme qu’il aime, Elettra, au contraire, entrevoit dans ce voyage l’occasion d’user de ses charmes pour séduire le prince crétois. Au moment où Idamante s’apprête à prendre la mer, un monstre terrifiant surgit des flots : Neptune, courroucé, réclame sa victime. Afin de sauver son fils, Idomeneo s’offre en sacrifice.
Florence Leyssieux
Alors qu’Ilia se désole du départ d’Idamante, ce dernier la rejoint et lui annonce qu’il va combattre le monstre marin. Bouleversée, Ilia avoue son amour au jeune prince en le suppliant de renoncer au combat. Les tendres aveux des deux amants sont interrompus par l’arrivée d’Elettra et d’Idomeneo. Ce dernier ordonne à son fils de quitter la Crète au plus vite sans lui en fournir les raisons. Pendant ce temps, la rumeur gronde parmi les Crétois terrorisés par les ravages du monstre marin, et le peuple exige le nom de la personne à sacrifier pour apaiser la colère de Neptune. Idomeneo révèle alors qu’il s’agit d’Idamante. Tandis que s’organisent les préparatifs du sacrifice, des clameurs de joies retentissent, car Idamante a vaincu le monstre marin. Résigné, le prince s’avance, prêt à monter sur l’autel, tout en demandant à son père d’accomplir le sacrifice. Au moment où Idomeneo lève son couteau, Ilia arrive et s’offre comme victime à la place d’Idamante. Neptune ne reste pas insensible à une telle preuve d’amour et, magnanime, il renonce au sacrifice et enjoint à Idomeneo d’abdiquer en faveur d’Idamante. Ce dernier règnera sur la Crète en compagnie de son épouse Ilia. Folle de rage, Elettra laisse éclater sa colère et son désespoir. Idomeneo, l’esprit en paix, présente au peuple le nouveau souverain de la Crète, son fils Idamante.
Florence Leyssieux
En 1780, Mozart reçoit une très attendue première commande de Munich, où se trouvent alors le célèbre orchestre de Mannheim et le grand mécène Karl Theodor, prince électeur de Bavière. Le contrat est le suivant : en six semaines, composer l’opéra seria Idoménée, dont le livret doit être simultanément réécrit en collaboration avec Giambattista Varesco. En janvier 1781, l’opéra est créé dans les temps au Théâtre des Cuvilliés, où il est extrêmement bien reçu. Même en relevant le défi dans le court temps qui lui est imparti, Mozart compose un opéra qui se distingue à la fois de ses œuvres antérieures et de l’esprit du temps. La grande part que prend le compositeur durant l’écriture du livret lui offre l’occasion de créer une synergie très contrôlée entre le texte et la musique caractérisée par la recherche d’une profondeur expressive considérable. Le quatuor "Andro ramingo e solo" (“Je vais errer seul”), par exemple, met en exergue l’étonnante noirceur des tourments d’Ilia, d’Idamantes, d’Electra, et Idoménée; étonnante par les effets de mimétisme entre la musique et l’action, mais aussi parce que Mozart n’avait pas exploré d’émotions aussi tempêtueuses jusqu’à présent dans ses opéras. Idoménée marque ainsi le début des opéras de la maturité du compositeur.
Mozart en 1781, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Idoménée, Acte 1 - "Pietà! Numi, pietà!", Metropolitan Opera Orchestra
Avec Idoménée, Mozart compose son troisième opéras seria après Mithridate (1770) et Lucio Silla (1772). Si l’étiquette est sans appel, dans les faits, Mozart prend des libertés avec les codes de l’opéra seria et opère dans cette œuvre une délicate synthèse entre des éléments italiens et français. Le nombre de récitatifs accompagnés, les effets spectaculaires des chœurs ("Pietà! Numi, pietà!") et le lyrisme des airs signalent l’influence sur l’écriture mozartienne de la réforme de l’opéra seria opérée par Niccolò Jommelli (1714-1774) ou Christoph Willibald Gluck (1714-1787). Le livret témoigne également de cette inclinaison. Loin des sujets merveilleux traités par l’opéra séria l’intrigue d’Idoménée repose sur un mythe de l’Antiquité et la tragédie qui en est tirée. L’opéra relate l’épisode de la guerre de Troie décrit par Homère et le destin d’Idoménée roi de Crète parti secourir Hélène. On retrouve aussi dans l’opéra le personnage d’Electre, la fille d’Agamemnon et Ilia qui tire son nom du nom grec de Troie : Ilion. Le destin qui attend cette dernière dans l’opéra est similaire à celui d’Iphigénie, autre grande tragédie grecque plusieurs fois mise en musique.
La flute enchantée, Acte 2, "Der Hölle Rache", The Royal Opera, Diana Damrau
Idoménée met en scène le dilemme d’un père, obligé de tuer son fils pour respecter une promesse faite aux dieux. Les luttes de pouvoir sont au centre de l’intrigue, d’abord entre les hommes et les dieux mais également entre le père et le fils : Idamante, naïf et fort de sa jeunesse, souhaite succéder à son père sur le trône, ce qu’il finira par faire avec l’abdication d’Idoménée. Le rapport au père ou à l’autorité est un thème que l’on retrouve dans beaucoup d’opéras de Mozart. Et pour cause, le compositeur a entretenu avec son propre père une relation conflictuelle. Au moment où il compose Idoménée, il vient justement de se libérer de sa tutelle et voyage à Munich seul pour la première fois. Mozart traitera notamment ce thème du père dans l’une de ses œuvres de maturité qui connaîtra le plus de succès : La Flûte enchantée (1791). Au titre des parallèles qui sont établis entre les deux œuvres, on soulignera qu’Electre d’Idoménée évoque la Reine de la Nuit de la Flûte enchantée par son tempérament vindicatif. Les deux personnages se voient d’ailleurs attribuer un air dans la même tonalité de ré mineur. Cette tonalité associée par Mozart à l’incertitude, à l’anxiété et aux tourments sera aussi celle de Don Juan (1787) et de son fameux Requiem (1791). Les qualités musicales et dramatiques d’Idoménée sont ainsi annonciatrices à plusieurs égards des chefs-d’œuvre mozartiens à venir.
Idoménée, Acte 1: "Tutte nel cor vi sento", The Met, Elza van den Heever
COMPOSITEUR: Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
LIVRET : Giambattista Varesco
COMPOSITION et CRÉATION: Créé au Théâtre des Cuvilliés à Much en 1781 et dirigé par Christian Cannabich.
FORME: Opéra seria en 3 actes.
EFFECTIF: 2 flûtes, 1 piccolo, 2 hautbois, 4 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 1 violoncelle, 1 clavecin, timbales, section de cordes
PERSONNAGES :
Idomeneo – Roi de Crète
Idamante – Son fils
Ilia – Princesse troyenne, fille du roi Priam
Elettra – Princesse grecque, fille d’Agamemnon
Arbace – Confident du roi
Grand Sacerdote – Grand Prêtre de Neptune
La Voce – La voix
DURÉE: Environ 2 heures 40 minutes.