SINJAJEVINA
« LA CONSERVATION PAR L'USAGE » AU CŒUR DES ALPES DINARIQUES
Sinjajevina possède un patrimoine naturel et culturel unique. Un mode de vie encore vivant qui le rend doublement précieux pour l'Europe, car c'est l'un des derniers endroits de ce type où l'agropastoralisme traditionnel continue d'exister de manière aussi vivante et en équilibre avec l'environnement. En même temps, il détient certains des patrimoines culinaires les plus extraordinaires avec des produits d'une qualité exceptionnelle, qui assurent, à travers un mode de vie traditionnel et extensif, une biodiversité élargie, dépendante de ces mêmes pratiques traditionnelles, notamment du pastoralisme. De plus, il constitue un joyau de culture et d’identité nationale qui doit être protégé et promu.
La chaîne de montagnes Sinjajevina-Durmitor est l'une des plus grandes régions de prairies de montagne d'Europe : un plateau calcaire de plus de 1000 km2 entre 1600 et 2500 m d'altitude, avec une biodiversité particulière qui a coévolué avec le pastoralisme au fil des millénaires. L'importance de cette zone névralgique de la biodiversité du Monténégro est reconnue par la création de nombreuses zones naturelles et culturelles protégées dans la région.
Droits d'auteur: Nikola Lučić / Aleksandra Kapetanović/Wake up films
Sinjajevina se trouve dans la réserve de biosphère du bassin de la rivière Tara, entourée de nombreux parcs nationaux et naturels régionaux et de sites du inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le Conseil de l’Europe en lien avec la Convention de Berne a également reconnu une partie comme site EMERALD et en outre comme IPA (Zone Importante pour les Plantes), tandis que l'UE l'a proposé comme zone Natura 2000 avec une protection spéciale pour les oiseaux. Preuve supplémentaire de l’importance de la zone, l’Agence pour la protection de la nature et de l’environnement du Monténégro a publié en 2016 une étude concluant au besoin de création d’un parc naturel régional pour Sinjajevina, comprenant une zone II de protection spéciale.
DÉFIS
GARDER LES « KATUNS » VIVANTS
La riche écologie et les paysages exceptionnels de Sinjajevina ne sont pas seulement un produit de la nature. C’est aussi l’œuvre héritée et cumulée du pastoralisme au fil des millénaires. En effet, cet espace représente une symbiose de plus en plus rare entre sociétés humaines et environnement, et constitue un excellent exemple de développement durable et de résilience culturelle pour l’Europe et le monde.
Ces écosystèmes d'interactions complexes et fragiles, avec leur diversité bioculturelle unique, existent grâce à une utilisation réfléchie et à une gouvernance concertée par les communautés locales au fil des générations. En fait, l’écosystème lui-même a été façonné – et dépend – de la sagesse et des connaissances traditionnelles de ces communautés pastorales.
Les quartiers pastoraux traditionnels des hautes terres, ou « katuns », dispersés sur tout le territoire de Sinjajevina et au nombre de plus d'une centaine, appartiennent à huit grands groupes tribaux. Chaque tribu - et chaque clan au sein de chaque tribu - a conçu des règles de gestion spécifiques pour réguler l'accès aux pâturages selon des cycles annuels qui protègent leurs utilisations durables, tout en étant adaptées à leurs besoins et en même temps coordonnées avec le reste des groupes utilisant Sinjajevina. Dans le cadre du projet IRIS, GEODE a étudié et réaffirmé publiquement ces valeurs de Sinjajevina, tout en étant pleinement conscient que ce territoire est menacé par un projet de création d'un terrain militaire. Et ceci en même temps qu’un possible futur tourisme massif qui pourrait se mettre en place dans la région, provoquant sa dégradation comme chez son voisin Durmitor dont le territoire a été vidé d’une grande partie de ses anciennes pratiques et de ses paysages pastoraux. Toute action sur le territoire doit être concertée avec les communautés locales dont dépend le système pastoral et qui sont les créateurs continuels de ce patrimoine vivant de Sinjajevina (éleveurs, agriculteurs, producteurs de miel, cueilleurs de baies et d'herbes sauvages, etc.).
PERSPECTIVES d’AVENIR
PROMOUVOIR UNE ÉCONOMIE LOCALE DURABLE ET ÉVITER LES PROJETS D’ACCAPAREMENT DE TERRES
Aujourd'hui Sinjajevina, comme beaucoup d'autres montagnes monténégrines, souffre d'un grave dépeuplement et d'un abandon liés, entre autres facteurs, aux conditions de vie difficiles, au manque de services et à la difficulté de vendre les produits locaux. Même l’aménagement territorial actuel peut être diamétralement opposé au pastoralisme traditionnel, comme par exemple le terrain d’entraînement militaire créé officiellement sur ce territoire en 2019, auquel une mobilisation civique s’est opposée et est parvenue à le laisser en stand-by depuis 2020.
Néanmoins, il est important que le mode de vie des katuns soit maintenu : il assure une myriade d'avantages pour l'écosystème et la société dans son ensemble, y compris la conservation de la biodiversité et des services écosystémiques, mais aussi des paysages et des traditions, tout en restant hautement productif et en permettant la survie d'une culture millénaire.