Guerre en Ukraine : « Il nous faut augmenter considérablement la production"

Un collectif de personnalités et de membres de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! appelle, dans une tribune au « Monde », l'Europe à tourner son industrie de défense en priorité vers l'Ukraine.

La nation ukrainienne est en danger! Nous devons lui fournir de toute urgence les armes et les munitions dont elle a besoin pour reconquérir l'intégralité de son territoire. Seule sa victoire, en rejetant la Russie hors d'Ukraine, assurera la paix, en accord avec le droit international. Un cessez-le-feu consacrant la mainmise russe sur le Donbass, la Crimée et leur population en échange d'illusoires garanties de sécurité est un leurre. La Russie, une fois ses arsenaux regarnis, serait en mesure de reprendre son offensive contre les démocraties européennes. Les risques vont de la guerre hybride, que Moscou pratique déjà (cyberattaques, désinformation, intrusion dans les processus électoraux), à l'engagement dans un conflit de haute intensité.

Depuis 2022, l'Ukraine fait face à une guerre d'agression menée par Vladimir Poutine, dont les troupes pratiquent à grande échelle les bombardements délibérés de civils, les viols, les tortures et les déportations d'enfants. Depuis 2022, à la surprise du monde entier, l'Ukraine démocratique et son armée ont réussi à repousser l'envahisseur et à libérer de nombreuses localités, malgré une infériorité en hommes et en matériel. Mais la Russie, appuyée par les livraisons d'armes des dictatures d'Iran et de Corée du Nord, peut aussi compter sur le soutien de la Chine.

La stratégie européenne a reposé d'abord sur les sanctions économiques qui devaient amener Poutine à la raison. Elles ont limité la capacité de la Russie à produire des armes, mais n'ont pas eu tous les effets escomptés: il faut les renforcer. Quant à l'aide militaire fournie à l'Ukraine par ses alliés, elle a été trop hésitante et modeste pour exploiter les victoires de l'été 2022, trop tardive et limitée pour percer les défenses russes durant l'été 2023. Elle commence même à faire défaut bloquée aux Etats-Unis, elle l'est aussi en Europe par le veto hongrois et l'hésitation de certains gouvernements européens.

Promesses

Sur le front, dans les régions occupées comme pour l'ensemble des villes et territoires ukrainiens bombardés quotidiennement, la situation est grave. L'Europe doit impérativement tourner son industrie de défense en priorité vers l'Ukraine. Et notre pays peut jouer un rôle moteur, car nous sommes la principale puissance militaire du continent, notre base industrielle et technologique de défense comptant plus de 4 000 entreprises.

La mise en œuvre d'un dispositif de solidarité économique et industrielle avec l'Ukraine permettrait d'agir rapidement dans cinq directions: augmenter la cession, la fabrication et les livraisons d'armes et de munitions; donner des garanties aux industriels de l'armement; se doter, avec nos partenaires européens, d'un organisme de contrôle pour assurer un embargo strict sur l'exportation des technologies duales; encourager la mutualisation des outils de production, civils et militaires, au service de la défense; mobiliser de nouvelles ressources financières en faveur de l'aide à l'Ukraine..

L'engagement de la France aux côtés de l'Ukraine est indéniable, mais il nous faut trouver les moyens d'augmenter considérablement la production et la livraison d'armes françaises qui ont fait leurs preuves. Notre président de la République a promis 78 canons Caesar et 40 missiles air-sol Scalp-EG: il nous faudra assurer intégralement le financement des premiers et céder ou fabriquer davantage de Scalp. Nous disposons aussi de Mirage 2000-D, de batteries de défense antiaérienne SAMP/T et Crotale, de missiles sol-air Mistral et de missiles antinavires Exocet en nombre, de radars Ground Master 200 et de véhicules du génie, dont les robots de déminage SDZ.

Pour un << Livret d'aide à l'Ukraine >>

En matière de production, trois priorités apparaissent: la fabrication d'obus de 155 mm - qui n'est pas à la hauteur du programme européen, la livraison de drones de divers types et la fourniture d'équipements de guerre électroniques. Ajoutons que ces investissements bénéficieront à long terme à l'amélioration des capacités défensives de la France, face aux risques accrus de conflit de haute intensité.

Encore faudrait-il que les entreprises françaises puissent obtenir une garantie de cinq à dix ans sur le volume de leurs commandes, en fonction de leurs investissements. L'Ukraine n'est pas un client étranger comme les autres: elle est prioritaire parce que sa défense contribue à celle de notre pays.

L'effort budgétaire de la France pour l'Ukraine (environ 2 milliards d'euros prévus sur 2024-2025) devrait être au moins doublé, afin de rétablir la parité avec l'Allemagne, en proportion du produit intérieur brut. Cette augmentation devrait tenir compte des commandes pour l'armée française (en plus de celles prévues par la loi de programmation militaire 2024-2030), en compensation des cessions d'armements sur ses stocks, soit 1 milliard d'euros de l'augmentation du fonds de soutien à l'Ukraine, qu'il faudrait porter à 800 millions d'euros en 2024 (au lieu des 200 millions prévus) et à 1 milliard d'euros en 2025 (au lieu de 200 millions si le budget était reconduit à l'identique).

Plusieurs sources, bancaires ou fiscales, pourraient être exploitées pour couvrir les dépenses d'armement, comme l'indique le rapport d'information sur l'économie de guerre de la commission des finances de l'Assemblée nationale présenté en novembre 2023. Une autre piste, plus mobilisatrice, serait de faire appel à l'épargne des Français. Afin d'éviter une hausse de l'endettement public extérieur, pourrait être lancé un emprunt national et créé un << Livret d'aide à l'Ukraine» (sur le mode du Livret de développement durable). Cela permettrait à nos concitoyens de s'impliquer dans le soutien à la démocratie ukrainienne.

La paix passe par le retrait complet de l'armée russe hors du territoire ukrainien. Aussi les moyens, qui ont manqué à l'Ukraine depuis deux ans, ne doivent-ils plus lui faire défaut. Et la France peut être la première au sein de 1'Europe à donner l'exemple d'un engagement décisif, L'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! et les signataires (de cette tribune] en appellent à la mobilisation de tous.

Parmi les signataires: Galia Ackerman, historienne; Guillaume Ancel, ancien officier militaire et chroniqueur; Vincent Desportes, général de l'armée de terre Patrick Dutartre, général de l'armée de l'air; Antoine Garapon, magistrat Jonathan Littell, écrivain: Ariane Mnouchkine, fondatrice du Théâtre du Soleil; Jean- Paul Perruche, général de corps d'armée, enseignant-chercheur; Dominique Schnapper, sociologue, ancienne membre du Conseil constitutionnel; Pierre Servent, auteur, colonel de réserve; Nicolas Tenzer, géopolitiste, enseignant à Sciences Po Paris; Xavier Tytelman, consultant défense; Michel Yakovleff, général de l'armée de terre.

Retrouvez la liste complète des signataires ici.

31/01/2024, 09:01