Entre + 0,3 et + 4,8 °C en 2100 : pourquoi une si large fourchette ?

Comme nous l’avons vu, sur les 35 dernières années, les modèles climatiques sont devenus de plus en plus complets avec la prise en compte de processus jusqu’alors inconnus ou simplement non représentés. Par ailleurs, on dispose également de plus d’observations ce qui permet d’évaluer plus précisément les modèles, c’est-à-dire de comparer leurs résultats avec les observations. On peut alors mieux contraindre les prévisions climatiques car on a une estimation plus précise de la marge d’incertitude associée à chaque modèle.

 

Malgré ces avancées, l’incertitude sur la projection de la température moyenne du globe à l’horizon 2100 reste relativement importante et même, ne s’est pas considérablement réduite depuis les premiers rapports. Comment expliquer cela ? On peut définir trois sources d’incertitude différentes qui rentrent en jeu lors d’une prévision climatique. 

La première est associée à ce que l’on nomme la « variabilité naturelle » qui découle de la nature chaotique du système climatique. Cette source d’incertitude est donc interne au système Terre et de nouvelles connaissances ne viendront pas la diminuer. Néanmoins, la variabilité naturelle explique une grande partie de la plage d’incertitude lorsque l’on s’intéresse à des projections à l’échelle régionale ou/et sur des temps courts. Elle est donc loin d’être prédominante dans la projection de la température moyenne du globe à la fin du siècle (voir a) figure).

Courbes schématiques montrant l’importance relative des différences sources d’incertitudes à différentes échelles de temps. (a) Courbe de l’enregistrement historique de la température moyenne de surface (courbe noire) ainsi que sa projection jusqu’en 2100. L’incertitude liée à la réponse climatique peut soit augmenter (b) lorsque de nouveaux processus sont pris en compte ou que d’anciens sont plus finement représentés soit diminuer (c).Source : AR5, WGI, Chapitre 1, FAQ1.1, fig 1, p.141.

Une deuxième source d’incertitude est reliée à notre connaissance incomplète de la réponse du système climatique aux futures émissions de gaz à effet de serre et aux changements d’utilisation des sols. Si les modèles climatiques actuels reposent évidemment sur les mêmes grands principes physiques fondamentaux, certains processus dits de « petite échelle » sont représentés dans les modèles de manière incomplètes. C'est le cas des nuages, dont les représentations varient suivant les modèles. Il reste également des processus qui ne sont pas représentés dans les modèles, par manque de théorie, ou car ils trop coûteux en temps. Ces choix de modélisation par les scientifiques conduisent à des différences entre les projections climatiques issues de modèles différents. On parle de l’incertitude sur la réponse climatique. Elle domine, pour la projection de la température globale, à moyen terme mais lorsque l’on regarde à plus long terme encore, c’est la dernière source d’incertitude qui devient prépondérante (voir a) figure).

 

La dernière source d’incertitude est celle sur la trajectoire de nos futures émissions de gaz à effet de serre. Sa nature est donc différente des deux précédentes car elle est déterminée par les actions mises en place, ou non, pour limiter le réchauffement. Les scientifiques ont envisagé un panel de scénarii possibles quant au futur de l’humanité en termes de croissance démographique, de choix politiques, de développement technologique… À chacun de ces scénarii est associé une trajectoire des émissions de gaz à effet de serre, ce sont les Representative Concentration Pathways, ou RCP. L’incertitude reliée aux scénarii d’émissions ne peut pas être réduite par une meilleure compréhension du système climatique. On comprend alors pourquoi la plage d’incertitude associée à la projection de la température globale à la fin du siècle reste importante. Ainsi, les modèles prévoient, pour la fin du siècle, une augmentation de la température comprise entre + 0,3 et + 1,7 °C pour le scénario RCP2.6 contre + 2,6 à + 4,8 °C pour le scénario RCP8.5.


Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour réduire l'incertitude des modèles. On peut ajouter des composantes, des processus et de la complexité dans les modèles : on augmente le niveau de confiance accordée aux prévisions et à leurs incertitudes. On peut aussi augmenter la résolution spatiale, c'est-à-dire réduire la taille des cellules qui permettent de découper la Terre en parcelles pour faciliter le calcul des modèles. On peut également ajouter des observations en entrée des modèles, ce qui va diminuer leurs incertitudes. Enfin, on peut utiliser une hiérarchie de modèles : comparer des modèles de complexité différentes (avec plus ou moins de processus par exemple), afin de comprendre quels sont les éléments les plus importants (pour savoir quels sont les processus avec le plus d'impact sur l'augmentation de la température par exemple). 

Sources : AR5, WGI, Chapitre 12, Executive Summary, Projections of Temperature Change, p.1031 ; AR5, WGI, Chapitre 1, FAQ 1.1 : If Understanding of the Climate System Has Increased, Why Hasn’t the Range of Temperature Projections Been Reduced?