Le Fond (et Figure et Image). -1997-
Au fond du fond (de la profondeur) il y a le mur. Puiser dans l'infime profondeur de la vision. Vision /naire.
Structurer l'espace liquide. Fondre et confondre. Brouiller juste assez pour effilocher l'évidence.
Danser la forme, plisser le voile.
Comment pourrait-on (j'allais écrire impunément) déplacer une qualité du fond vers la
figure s'il n'y avait une réelle consubstantialité ? Si la couleur du paysage déteint sur la
figure, si celle-ci emprunte à celui-là ses teintes, ses nuances, évoque ses matières,
c'est que la figure jaillit du fond et y retournera, qu'elle n'est que l'apparition
provisoire d'une vision où tout est sans cesse à reconstruire et gagner, où rien
n'est donné pour toujours. Deux dimensions, plus la profondeur, plus le temps.
La venue, l'émergence, le surgissement. Sans doute le geste fulgurant vise-t-il
l'abolition du temps auquel répond la préhension du visionneur entre deux battements
de cils. Le désir est toujours différé (la réalisation du désir?), aussi bien dans l'art que
dans la réalité, et j'ajouterai, transformé par le délai, c'est-à-dire le temps. Quelque
chose s'échappe hors du cadre qui ne saurait contenir en contraignant.
« L'équivalent interne » de la profondeur (Merleau-Ponty). Ce qui dans le fond a fondu
c'est la figure, et ce qui a émergé du fond, solidifiée, c'est la figure. Néanmoins, si
cette figure est dessin, tracé, c'est pour souligner la peinture. Ce tracé fonctionne en
même temps comme signature car il identifie et clôt le tableau. Il s'accroche sur ce que
l'on pourrait comparer à des pilotis dans le fond liquide. Ailleurs il glisse sur le givre. Ce
qui est perçu comme rapidité, voire immédiateté, correspond le plus souvent à une
extrême lenteur ; de façon identique ce qui pourrait passer pour de la nonchalance ou
réclamant un délai infini, est en ce moment même à l'œuvre.
On entre dans ce qui est de l'ordre de l'être, de la présence, de la lumière, de la
révélation. Là se rencontrent la photo et la peinture: la toile ou le papier, sensibles à la
lumière (voir les photos d'aveugles). Si je rêve tout éveillé de peinture (d') aveugle, c'est
que je peins pour voir et non (par) ce que je vois. Laisser venir à la lumière ce qui
remonte de la lumière noire (la chambre claire de R-B).
L'idée de présence est insidieuse car elle occulte à terme l'action, comme si le jeu de la mémoire ne s'avérait pas encore une fois déterminant. Cette présence à distance, nous la tenons pour capitale. C'est dire qu'il n'est pas question que de visible, ou si l'on préfère que la question picturale excède le champ propre du visible. Pour autant nous n'entrons pas au royaume des ombres. Ou si ombres il y a c'est à cause de la lumière et des choses qui y baignent. Nous ne referons pas innocemment le coup de la caverne.
L'image est ce qui se forme sur la rétine humaine. Cette image est transmise au cerveau par le nerf optique. Que ce soit une image cinématographique, photographique ou "réelle". L'objet perçu est immédiatement nommé, ou du moins reconnu (il fait partie du magasin des objets connus). Lorsque BASELITZ représente un bouquet de tulipes, un personnage, 2 cyclistes, le tout la tête en bas, cela ne nous empêche nullement d'identifier les objets représentés. Un enfant demandera si le peintre travaille la tête à l'envers. Nous nous doutons bien que non. Admettons sans peine que de renverser (à un moment donné) la toile puisse réinjecter de la peinture (je veux dire de la liberté) là où l'habitude prendrait le dessus. Pourtant son argumentation ne nous convainc pas. Il prétend que pour lui le sujet, le thème n'existe pas. En d'autres termes il prétend par cette négation annuler la différence entre " figure" et ''abstraction". Si l'on se souvient que les livres d'histoire nous racontent que Kandinsky a découvert l'art non figuratif en retournant une aquarelle, que Paul Klee préconisait de travailler une toile en la prenant successivement par tous les bouts, à quoi veut donc jouer notre ami Baselitz? Que pour lui la technique soit payante, nul ne songerait à le nier au vu du résultat. Il contribue à démontrer que la perception est avant tout reconnaissance, longtemps après Merleau-Ponty s'entend. Et si pour lui il s'agit du chemin qui l'amène à se détacher de la figure, tant mieux. S'il s'agit au pire d'une distance a posteriori, d'une coquetterie en somme, il ne faudrait pas lui en tenir rigueur, car il ne nous trompe pas sur l'essentiel : la qualité de la marchandise. Il peut peindre / dessiner une chaise à l'endroit, la reprendre à l'envers ou sur le côté si ça lui chante, il est le maître. Ce qu'il nous donne à voir c'est de la peinture, de la vraie, de la belle, de la bonne, celle qu'on n'oublie pas, que l’on veut revoir, et qui vous accompagne, et après tout, l'essentiel.
Au risque de la forme: c'est le temps arrêté, l'instant pétrifié, le précipité d'éternité,
la naissance figée, le rapt de la promesse, la fermeture du devenir, la clôture de
l'a(dul)térité. Voir Gombrowicz.
Dans le temps la forme naît, vient à la vision, et se transforme puis disparaît. La figure se forme, se développe, se délie, se déforme, se délite, puis disparaît. Dans la disparité sa dispersion, le temps de glisser vers un autre tableau de la série. La même chose ou presque se reproduit. Ce que l'on voit: le temps fixe ; ce que l'on imagine: le temps en mouvement, la vie.
La figure en surcharge:
Lorsqu'elle vient en surcharge, la figure joue le contrepoids, sur fond fini. Si le fond est
peinture, la figure en surcharge est trace signifiante, signature redondante, discours.
Elle dit ce que toute figure a à voir avec le discours, elle est ce discours qui se donne à
voir. Exhibition univoque, parole restrictive. Tout comme le graffiti, le tag, elle signale et
oblitère à la fois ce sur quoi elle s'inscrit. Discours parasite, il n'y a de discours que
parasite.
Elle habille ce qui dans sa nudité serait perçu comme rien ou presque.
Si en outre cette surcharge est censée figurer une voiture avec ses 4 roues, 4 cercles,
4 zéros, 4, on se trouve propulsé dans le monde de la communication rapide,
paradigme du XXème siècle, et, le croira-t-on dérision. Pente facile, puits sans fond,
si elle est pure. Riche poésie si elle se nourrit de tendresse.
Deux niveaux donc: 1/ celui du discours ; 2/ celui de la délectation, peinture.
La somme des deux niveaux constitue une peinture exhibée et questionnée en même temps.
Une fois de plus on peut lire: ceci est de la peinture, n’est ce pas ?
Au propre et au figuré. Le figuré serait une extension du sens, application au général, ou simplement à une autre catégorie de vocable. La figure picturale est une représentation plus ou moins lisible d'un ou plusieurs éléments du réel. Elle implique la lecture en tant que reconnaissance, c'est-à-dire qu'elle revendique le statut de signe. Signe de (la) croix, signe de la voiture, évocation, équivalence. Ce qui est figuré, c'est la voiture, ou le nom, le verbe. C'est l'objet, la fonction. Le verbe figuré (allumer, par exemple) c'est le verbe imagé. La figure serait le point focal de l’image. Car en découvrant la figure, vous imaginez la chose figurée, vous vous projetez dans une image du réel. Cette projection se dit aussi imagination. Faculté ou acte de production d'image. Ce qui revient à affirmer que l'image se forme à partir de la figure, que celle-ci est un support d'image.