LA FORME (1996)

Qu’est-ce qu’on appelle forme?

Comment se forme une forme ?

Comment se déforme-t-elle, se transforme-t-elle ?

Dans le « cadre » de la vue, la vision, est forme ce qui n’est pas couleur, ni volume, ni matière, ni lumière.

Pourtant il se révèle impossible de produire seulement de la forme. C’est dire que la forme donc nous parlons, celle que nous essaierons de définir n’est pas la même forme que nous percevons mais une forme abstraite, une abstraction. Par exemple, forme et couleur sont intimement liés, et si la couleur varie avec la lumière, pourquoi la forme resterait-elle stable, fixe, fermée ?

Il apparaît aussi que la forme, comme le reste, est liée au temps. Que nous ne percevions pas ses infimes changements ne prouve rien, car on sait très bien que ce que l’on nomme perception est le fruit d’une préconception.

Dans la soi-disant réalité cohabitent différentes vitesses d’évolution de la forme et de la matière (pensons par exemple à l’échelle géologique – ou minérale-, à l’échelle animale, humaine).

Les choses figurées par le peintre (comme fixées dans un espace qui est celui du tableau et non plus l’espace commun des êtres et des choses) devraient évoluer à la vitesse qui leur est propre. Ainsi la plupart des natures mortes offrent une approche de la dimension minérale ou charnelle des choses représentées selon le sacro-saint principe de l’unité.

Combien de temps durent une fleur ou un fruit avant d’atteindre le stade de la putréfaction ? Et c’est ce court moment où la chair resplendit que veut offrir l’artiste, dans une tentative désespérée d’imposer l’éternité dans la vie, une éternité qui n’est pas celle du recommencement, mais plutôt celle du temps arrêté, congelé.

Ceci pour le mal nommé réalisme.

Mais laissons cela, car s’il est vain de tenter de définir la réalité, comment peut-on parler sérieusement de réalisme (je veux dire en dehors de l’histoire de l’art) ?

Comment se forme donc une forme ?

Levons les yeux et observons un nuage : il arrive un moment où il est à point, tant au niveau de sa forme propre, que de sa proportion, de ses teintes, du rapport au fond et autres éléments du cadre de vision. Seule la photographie peut prétendre saisir instantanément l’ensemble. Avec, cela va sans dire, ses propres limites. La peinture, elle, est beaucoup trop lente, toujours trop lente (ou bien trop rapide si l’on considère vain ce désir fou de la saisie). La peinture suggère, raconte, révèle, mais ne saisit pas. Le peintre n’est pas un chasseur furtif, ce serait plutôt un pêcheur patient. Il pêche des formes qu’il laisse émerger du sans-fond du temps, se former à la surface où il est possible de les apercevoir.