Dans le village où a grandit ma mère, c’était la pire insulte qu’une femme pouvait recevoir. Ça voulait dire, elle est égoïste, elle se fait passer en premier. La mauvaise femme.
Je pense que ce n’était pas le seul village où ça se passait comme ça.
C’est le monde d’où l’on vient. Nos cellules en sont pleines de cette information. Cela correspond à une dynamique collective puissante, le fait que les femmes ne s'écoutent pas trop. Sinon, elles n’auraient pas laissé leurs garçons se transformer en chair à canon, elles n’auraient pas confié leurs filles à des unions arrangeantes.
Aujourd’hui encore quand je vois dans le square les parents qui expliquent à leurs enfants que "non non ce pull il ne gratte pas il est très bien. Que c’est rien ce bobo, ça fait pas mal, arrête de pleurer" Je me dis qu’encore aujourd’hui, c’est difficile de laisser les enfants s’écouter.
Moi par exemple, j’ai mis 39 ans à comprendre que les fruits je ne les digère pas en dessert mais que mangés à part, je les adore en fait ! et que les produits laitiers je ne digère pas mais alors pas du tout.
Ça indique à quel point on peut se couper de ses ressentis. Là c’est juste l’impact sur le plan alimentaire, alors imaginez les impacts sur les domaines de la sensualité, d’affirmation, de connaissance de soi, de digestion des émotions.
C’est l’amputation la plus massive et invisible que nous vivons. Un société coupée de ses ressentis, de ses instincts. Des individus qui ne savent pas ce qui est bon pour eux. Ce qui leur convient.
Si on était à l’écoute de nos ressentis, plus besoin de conseillers d’orientation. Les ressentis nous informent de ce qui est bon pour nous. Le corps sait bien quand on est dans sa zone de jouissance et qu’on fait une activité qui fait pétiller tout notre être. Plus besoins de marketeurs, le corps sait bien ce qui lui convient en terme de nourriture, de vêtements, il n’a plus besoin qu’on lui dise quoi consommer, quoi être, quoi penser. Une personne connectée à son corps est bien enracinée, sait ce qui l’anime, chacun a sa place et tout le système de compétition n'a plus de raison d'être. Bref une société pas trop intéressante pour la consommation de masse.
Si l'on veut être heureux, si on veut une vie épanouie, il nous faut donc nous mettre à l’école du ressenti, de l’accueil des émotions. Accueillir ce qui fait mal, le laisser circuler dans le corps, accueillir les ressentis, les laisser nous informer, que notre corps ne soit pas seulement un véhicule pour notre cerveau mais aussi un espace qui vibre, qui guide.
On ne peut faire l’économie de laisser émerger les émotions contenues, toutes celles qui n’ont pu être accueillies et qui se rejouent et se répètent pour nous donner l’occasion de les libérer.