La liquidation des stocks américains dans la Basse-Loire (1919-1921)

Par Robert Gautier

En 1917, les forces expéditionnaires américaines vont intervenir militairement en France. Des zones franches de déchargement leurs sont attribuées et chaque jour, venant d’Amérique, en moyenne, 31000 tonnes de matériels les plus divers sont débarqués des navires. Il faut compter deux tonnes de marchandises pour un soldat. Le tiers des déchargements se fait dans la Basse-Loire.

Vue des camps de Montoir

De nombreux camps sont édifiés en France comme ceux de Saint-Nazaire et Montoir-de- Bretagne pour recevoir troupes et matériels. Ceux de Montoir-de-Bretagne s’étendaient sur 8 km de long (650 ha) et emploient plus de 5000 manutentionnaires. Le camp de Gièvres, centre logistique de l’armée américaine, fait 12 km de long sur 8 de large. Il y a près de 150 baraquements de 300 mètres de longueur et 18000 personnes civiles assurent la manutention. Il s’agit ensuite d’expédier vers le front des troupes le matériel nécessaire aux combattants

L’armistice signé, les troupes américaines vont à nouveau traverser l’Atlantique pour retrouver leur patrie et laisser en France un matériel considérable. L’objectif était d’équiper une armée de plusieurs millions d’hommes ! En 1919, dans les seuls camps de Montoir-de-Bretagne sont entreposés 600 000 tonnes de marchandises d’une valeur d’environ 900 millions de francs de l’époque. On y trouve de tous.

Pour le gouvernement français, l’achat des stocks américains entre dans un programme de lutte contre la vie chère et d’aide à la reconstruction des régions dévastées. Quant aux populations, elles s’étaient figurées que grâce à ces approvisionnements les prix allaient baisser et la situation générale redevenir celle d’avant-guerre! Pour beaucoup, ces stocks représentaient une manne ou chacun désirait y puiser pour faire des affaires.

Trois parties sont à retenir. Dans un premier temps, il s’agit des « négociations » des gouvernements français pour l’attribution des stocks américains. Ensuite nous verrons la liquidation des stocks et ses nombreux avatars. Enfin, et en conclusion, la reprise et la liquidation des stocks américains a-t-elle été une bonne ou une mauvaise affaire pour la France ?

Pour ce travail, j’ai consulté la presse locale et nationale et dans le Journal Officiel, les débats de la Chambre des députés et au Sénat sur ces questions.

  1. Les négociations et la vérité sur les stocks américains

Dès janvier 1919, s’engage les négociations entre le sous-secrétaire d’Etat aux Finances, Paul Morel, et le département américain de la guerre sur la reprise par la France des stocks américains1.

La France achète toutes les installations américaines construites ou acquises en France depuis le 6 avril 1917 (constructions, docks, lignes télégraphiques et téléphoniques, chemin de fer, installations de toutes natures, etc.). S’ajoute, à cet accord, tous les surplus mobiles importés ou acquis en France depuis cette même date.

Le Chicago Tribune parle d’une valeur de 5 milliards de francs. L’estimation française des stocks américains est de 400 millions de dollars. Le dollar est estimé alors à 7F. Paul Morel avait réussi à obtenir du secrétaire d’Etat américain, Parker, une réduction énorme de 50 millions de dollars sur un chiffre fantastique et fantaisiste demandé alors.

Parker et Pershing

La prise de possession des camps, par les autorités françaises, devant être achevée dans les 30 jours après le 1er août 1919. Il n’a pas été fait d’inventaire détaillé du contenu des camps et, par un accord, les Américains s’étaient réservé l’autorisation de prendre sur les camps tout ce qui était nécessaire à leur existence jusqu’à leur départ définitif de France. Si bien que les approvisionnements se sont trouvés diminués. En faite, alors que se déroule les tractations de vente des stocks américains on ne savait pas ce qu’il y avait, ou restait dans les stocks américains !

Le journal nantais, Le Phare de la Loire, émet des réserves quant à la valeur des installations américaines de Montoir, reprise par la France. Ces installations ont été conçues et exécutées hâtivement, le terre-plein à été établi au ras des pleines mers, sur un terrain marécageux, avec des remblais non tassés ; les voies de triage sont installées sur des terrains « en occupation temporaire », l’estacade en Loire n’a pas été terminée. Et le journal de conclure que « les travaux pour remarquables qu’ils sont comme improvisations passagères de guerre, devront subir de couteuses transformations comme ouvrage définitifs de paix et doivent être évalués en conséquence ». Rappelons que les Américains, à leur départ, étaient astreints à l’obligation de tout enlever et de tout remettre en état.

La vérité sur les stocks

Selon la presse parisienne un véritable écrémage à eu lieu. Les prélèvements opérés aux camps de Montoir-de-Bretagne par les services américains auraient réduit la valeur initiale d’environ 100 millions de francs. D’autres prélèvements au profit de la Croix rouge, de la Pologne et de la Serbie vont s’ajouter aux précédents. De telles opérations dites « administratives » vont s’opérer en France dans la plupart des camps américains.

Cette situation n’est pas faite pour faciliter l’énorme tâche qui attend les sous-intendants militaires français pour prendre la direction des treize centres de liquidation. La tache première est d’essayer d’abord de reconnaître les marchandises entreposées et mettre un peu d’ordre.

En outre, il y eu de nombreuses erreurs dans les décomptes des marchandises. C’est ainsi qu’on avait compté sur 75 000 automobiles, mais qu’on n’en a trouvé que 25 000. Lors d’une reconnaissance de l’Intendance des caisses de gants sont ouvertes, sous une première couche de gants on trouve des machines à écrire et d’autres objets. Au camp de Miramas (Bouches-du-Rhône), il y a, dans un hangar, des stocks considérables de caisses de corned-beef. Au milieu des caisses, l’intendant découvre six cercueils capitonnés et des machines à coudre…

Vols par les troupes américaines

Quant les stocks sont laissés à la France en juillet 1919, c’est le désarroi total. Les Américains partent sans avoir mis de d’ordre dans leurs camps. Des troupes, avec des complicités extérieures, vont se livrer à des pillages. A Brest, le capitaine Lohmann, le 11 août, participe à une vente frauduleuse de conserve à des commerçants de la ville.

Le Phare de la Loire rappelle l’histoire d’un navire américain qui cachait, dans le double fond de sa cale, 30 tonnes de blé dérobé en France et appartenant au Service du Ravitaillement. Le navire américain avait garni son pont de camions qui appartenaient également à la Liquidation.

La presse locale relate également l’affaire, à Saint-Nazaire, des officiers américains qui sortaient, tous les jours, du camp de Montoir, avec une auto munie de pneus neufs et qui rentraient la nuit avec des pneus usagers après avoir vendu, à leur profit, les bons bandages. Le manège, avant d’être découvert, dura plusieurs semaines. Ce ne sont que quelques exemples parmi des centaines !

  1. La liquidation

Le 14 septembre 1919, Paul Morel, chargé de la Liquidation, informe la presse qu’un début d’inventaire et de classement viennent d’être fait par les services français et que la vente va pouvoir mieux se poursuivre.

L’inventaire fait par les services de la Liquidation comporte dix-huit grandes catégories d’articles. Le plus considérable concerne l’habillement et le textile. Quelques chiffres : 2 millions de couvertures, 6 millions de caleçons, 10 millions de tricots de corps et 4 millions de chaussures, comme exemples parmi bien d’autres.

La presse parisienne, enthousiaste va entretenir le mythe que ces objets jetés sur le marché vont amener, dans un pays exsangue, une baisse générale des prix en France!

Vue du camp Guthrie

Les catalogues

Les catalogues de marchandises des camps de Montoir-de-Bretagne présentent une multitude et une diversité d’objets disponibles à la vente. Se côtoient les hangars Bessonneau (fabriqués par une entreprise d’Angers), le grand modèle est à 57 000 F l’unité, le petit à 34 500 F ; les verres à boire, 0,25 F pièce, à coté du lard en caisse, du tabacs, des instruments chirurgicaux, des métaux, de l’outillage, des machines à coudre, des moustiquaires, des perruques, des bibles, des cercueils en acajou, des automobiles et de nombreux camions … La liste est loin d’être clause puisque l’on trouve également 37 millions de sacs de jute, 100 000 tonnes de fil de fer, 150 000 tonnes de tôles diverses, etc.

Affiche sur la vente de fils de fer


A qui confier la vente des stocks américains ?

Pour autant, le gouvernement reste prudent. Les chambres de commerce avaient envisagé de répartir les stocks entre chaque spécialité du commerce. Les commerçants devant s’engager à vendre avec un bénéfice fixé par les Pouvoirs publics. Le gouvernement repousse rapidement cette solution par crainte de l’opinion publique qui avait de la mémoire, et une très mauvaise opinion du commerce, après avoir subit plus de quatre années de vie chère !

Les coopératives de consommation, qui par principe ne font pas de bénéfice, se proposèrent également pour liquider les stocks dans leurs nombreux magasins. Devant la pression du petit et du grand commerce, qui voit de copieux bénéfices en perspective, l’Etat repousse cette formule.

Il ne reste donc plus aux Pouvoirs publics qu’à effectuer la vente par ses propres services. Alors que tout n’avait pas encore été classé, catalogué et étiqueté, le sous-secrétaire d’Etat Morel donne l’ordre de commencer la vente. Lui et ses successeurs vont rencontrer de nombreuses difficultés.

La liquidation et la vente

Dans un premier temps, la liquidation porte sur les produits alimentaires livrés à la consommation à des prix inférieurs à ceux des denrées françaises correspondantes. En priorité, en bénéficient les Offices publics, les sociétés coopératives et les groupements agricoles et commerciaux. Les régions libérées sont également prioritaires. Les commerçants ne peuvent revendre qu’avec 25% de bénéfices maximum. A partir du 3 novembre 1919, la liquidation ouvre la vente au public.

A Nantes, le Service de la liquidation des stocks s’est installé dans les bureaux annexes de l’Etat-major de la 11e Région militaire et une salle d’exposition des marchandises est aménagée dans l’ancien cloitre de la Visitation. Un flot de visiteurs, acheteurs éventuels, curieux ou promeneurs, à la recherche de bonnes affaires viennent faire du repérage, passer commandes et l’administration s’efforce de les satisfaire. Des stocks sont entreposés aux camps de l’Ile Sainte-Anne, au grand séminaire dans les locaux de l’ancien hôpital américain, à la bourse du travail et à Sainte-Luce.

Or, la mise en vente de véhicules américains parqués à Bordeaux et Nantes casse le marché. Cher Marius Berliet c’est l’angoisse, plus de mille camions CBA, à trente milles francs pièce, sont stockés à Vénissieux, faute d’acheteur.

Affiche ventes de véhicules automobiles

Le droit de préempter

La loi du 19 avril 1919 permet aux ministères, services publics et collectivités (villes et départements) de préempter et de se réserver les produits, marchandises, matériel et outillages qui leurs sont nécessaires. Ce passe droit va engendrer des abus. Des quantités colossales des stocks sont ainsi préempter par des administrations qui bien souvent ne prennent qu’une partie infime des marchandises et bloquent les ventes aux particuliers. C’est ainsi que des départements et des villes ont mis la main sur des produits alimentaires qu’ils n’ont pas faits retirés, laissant ainsi dans des hangars des marchandises rendues inutilisables ou qui pourrissent sur place. A Savenay, les baraquements ont été démontés pour être envoyés dans les régions libérées mais au lieu de les emporter, elles ont été laissées pourrir sur place.

La ville de Nantes va prendre livraison de matériel de canalisation, de fournitures de bureaux, de camions et tombereaux, etc. Ces acquisitions permettent aux services de reconstituer le matériel qu’ils n’avaient pas pu renouveler pendent la guerre. A Saint-Nazaire, des baraquements américains vont être achetés par les pouvoirs publics pour résoudre une partie de la crise du logement.

Vols et escroqueries

La liquidation devient également un enjeu considérable de vols, de fraudes et de profits. La presse dénonce l’insuffisance de moyen dont dispose les intendants militaires chargé de ce service. A Montoir, 60 soldats seulement pour garder les marchandises (le camp fait 650 ha) alors que les Américains avaient des centaines de sentinelles.

Vue intérieure des hangars

Faute de place dans les hangars, une partie importante des marchandises sont les pieds dans l’eau : des tonneaux de graisse sont à peine protégés par des bâches ; des cuisinières, des pièces de fonte demeurent au grand air ; des tables et des chaises se gondolent sous les averses. La presse dénonce ce gaspillage qui suscite l’indignation alors que les privations des civils n’ont pas disparu avec la guerre.

Des camps ouverts à tous les voleurs

Beaucoup de personnes viennent, de jour comme de nuit, « s’approvisionner » dans les camps. On vol en bande, à main armée, en famille, parfois avec la complicité du personnel des camps, de déserteurs de l’armée américaine qui servent d’indicateurs. Les marchandises sont revendues au grand jour, souvent dans les bistrots. Selon le Courrier de Saint-Nazaire (18 septembre 1919) certains vendeurs prennent les spéculums pour des instruments de cuisine, les tables d’opération sont vendues pour des tables de salles à manger.

Des pillards n’hésitent pas à s’emparer d’une locomotive et remorquer des wagons de marchandises jusqu’à Donges où, là, ils se partagent le butin. Plusieurs trains sanitaires ont été complètement pillés : la literie, les cuvettes, les cuivres, jusqu’à la moleskine des banquettes, tout a été enlevé ! Chez un habitant de Penhoët, la police a trouvé deux ambulances françaises, cinq réservoirs montés sur roues et un mulet. Pour se disculper, le voleur a présenté un reçu de 400 F signé par un lieutenant américain ! C’était vraiment une bonne affaire. Un chef de bureau du camp de Montoir est poursuivi pour une escroquerie portant sur huit wagons de marchandises.

Dans des camps américains, il y avait des Serbes, des Polonais qui tenaient garnison. Il y avait même des Ukrainiens. Tous ces soldats pillaient les stocks appartenant à la France.

Appel à la police mobile

A la suite de vols importants et sans cesse renouvelés dans les parcs de la Liquidation, l’autorité judiciaire, qui à déjà forte à faire, obtient le concours de la police mobile. Des perquisitions sont ordonnées, la police découvre tout un tas d’objets : allumettes, fusils et revolvers, cartes à jouer, serviettes, draps, tapis, cigares, rasoirs mécaniques, etc. En quantité telle que chaque demeure visitée constitue un petit bazar !

Certains voleurs viennent de Nantes, les gendarmes arrêtent un homme, qui transporte dans sa voiture, 300 pairs de brodequins américains et 150 culottes d’uniforme. A la gare, la police arrête un particulier en possession de 20 000 cigarettes, des brodequins, du linge volé à la Liquidation.

En moins de 40 jours (19 octobre, début décembre 1919), le tribunal de Saint-Nazaire juge, sur citation directe ou flagrant délit, plus de 200 affaires et 87 sont encore à l’instruction. La prison civile, bâtie pour 100 détenus, en contient près du double.

Les réactions du gouvernement

Elles débutent par la venue dans la Basse-Loire, à Montoir, de M. Le Trocquer, sous-secrétaire d’Etat à la Liquidation qui suspend les ventes afin de refaire un inventaire. Les enquêteurs se rendent compte de l’indiscipline qui règne dans les camps. L’examen de la comptabilité révèle de nombreuses opérations commerciales illicites tombant sous le coup de la loi. Un vendeur de la Liquidation, moyennant rétribution, délivre aux clients plus de marchandises que la quantité portée sur les feuilles d’achat !

C’est le colonel Clemenson, homme énergique et compétent, qui remet de l’ordre puis confit la direction du camp de Montoir à l’intendant Leger, qui précédemment était en poste a Gièvres. Dans ce camps, l’intendant Leger à écoulé pour 200 millions de francs de marchandises alors que, dans le même temps, il ne sortait des docks de Saint-Nazaire que 43 millions. A Montoir, Leger renforce la sécurité des camps et exerce un contrôle rigoureux de toutes les personnes qui circulent, civiles et militaires. Les nouvelles embauches de personnel se font après avoir produit un extrait de casier judiciaire et une enquête de police.

Le président Clemenceau a donné la consigne suivante : les sentinelles, préposées à la garde des entrepôts, sont autorisées à faire feu sur tout individu suspect cherchant à franchir les enceintes des établissements américains. Enfin, l’ancien préfet de police Lépine reprend du service pour étudier et renforcer les méthodes de surveillance des camps. Les vols se font plus rares et la police a récupéré pour plus d’un million de francs d’objets appartenant aux camps de Montoir.

  1. La Commission nationale

Une enquête est ouverte par la sous-commission du commerce sous la direction, du député de l’Indre-et-Loire, Charles Vavasseur, du Groupe de la Gauche républicaine démocratique. Elle examine les conditions dans lesquelles furent passés les marchés de la Liquidation en France.

Emmanuel Brousse et André Paisant, ancien et nouveau sous-secrétaire d’Etat chargé de la liquidation, vont être entendus à la Chambre des députés et au Sénat sur ces questions2.

L’Etat français a acheté les stocks américains pour la somme de 400 millions de dollars, ce qui représente en janvier 1921, 5 milliards 696 millions de francs. L’accord conclu fournissait les marchandises sans aucun cours, sans aucune garantie. Les Américains s’étaient réservé le droit de vivre sur les camps jusqu’à leur départ.

Quant les stocks ont été confiés au gouvernement français, au mois de juillet 1919, c’était le désarroi total. L’administration à pris en charge un immense matériel et des marchandises en nombre considérable sans en connaitre ni la valeur, ni la nature et ni l’état de conservation. Une quantité de marchandises a été irrémédiablement perdue parce que détériorée ou pourrie. Il faut ajouter l’énorme quantité de marchandises disparues par suite du désordre qui a présidé à la liquidation depuis le premier jour.

Pour les gouvernements successifs la liquidation des stocks était plutôt une opération commerciale qu’une opération financière, et on la fit passer du ministère des Finances au ministère du Commerce. Au début, on avait cru pouvoir faire baisser le prix de la vie en jetant sur le marché, à vil prix des quantités énormes de marchandises provenant des stocks américains. La vie chère n’a pas diminuée d’un centime ; par contre, les stocks ont enrichi des milliers de mercantis achetant des marchandises à des prix dérisoires, les revendant avec des majorations pouvant atteindre 500 %. Du matériel sanitaire en parfait état à été vendu à vil prix, sans aucune expertise, à des mercantis qui le lendemain revendent à Paris des ambulances achetées 3 à 4000 F pour les vendent 10 à 12 000 F. Il y avait aussi du matériel de télégraphie sans fil, en parfait état, mais vendu au poids.

Face aux ententes frauduleuses qui se poursuivent, à la dépréciation de la valeur de la marchandise, l’administration des stocks va vivement réagir à nouveau.

De février à mars 1921, près de 4000 ouvriers et employés ont été licenciés et durant un an des révocations on été prononcées ainsi que 200 condamnations. Deux magistrats de la Seine sont installés au sous-secrétariat d’Etat de la Liquidation, assistés d’avocats qui ont tout pouvoir pour solutionner les affaires.

En 1921, le mouvement des affaires se ralentit, le prix des matières stockées subit une grande baisse, les marchandises ne sont pas vendues a un cours rémunérateur mais cédé à des prix de misère. L’Etat se trouve maintenant face à des quantités de marchandises, mais peu d’acheteur se présente.

L’opération, une fois terminée, sera-t-elle une bonne ou une mauvaise affaire pour les finances publiques ?

Les stocks américains ont été cédés au cours de 7 F pour un dollar, soit 400 millions de dollars remboursables en 10 ans avec paiement d’annuités une fois par an. La première annuité vient à expiration en février 1921. La grande inquiétude est le cours du dollar. A la signature du contrat, il était à 7 F, en février 1921, il est à 13 F. Lors de la signature, la France à oublié de stabiliser le cours du dollar dans le traité avec le gouvernement américain. A l’époque, on ne pouvait pas prévoir que le dollar atteindrait un cours aussi élevé que celui auquel il est parvenu depuis.

Au 31 décembre 1920, Emmanuel Brousse donne le montant des marchés et les résultats des ventes des stocks américains :

La cession faite aux particuliers s’élève à 905 millions de francs pour 807 millions entrées dans les caisses de l’Etat. La cession aux services publics s’élève à 1582 millions de francs sur lesquels ont été réglé que 372 millions.

Trois mois plus tard, l’affaire de la liquidation des stocks arrive devant le Sénat. La séance de l’après-midi du 21 avril 1921 est consacrée à la discussion des interpellations. C’est le député de l’Indre-et-Loire, M. Vavasseur, qui relance le débat et signale que dans un camp, 6 millions de viande on été perdus sans qu’aucune sanction n’ait été prise.

Victor Constant rappelle également que 2 milliards 657 millions de F de marchandises vendues n’ont toujours pas été payées par les ministères3. Celui des Régions libérées doit 1 milliard 241 millions de F. ; celui du Commerce 1 milliards 270 millions, l’Agriculture doit 28 millions et les Affaires étrangères 400 000 F. Quant aux réseaux ferrés ils doivent également 300 millions de F. Il resterait environ 1200 millions de francs de marchandises à liquider.

Il y a aussi les aides matérielles aux gouvernements alliés

Ainsi, la France à équipé, sur les stocks américains, les Russes blancs des troupes des généraux Denikine, Koltchak et Wrangel pour aller combattent l’Armée rouge sur son sol. Vaincu par les révolutionnaires, il n’est plus question désormais de ce faire rembourser !

Une convention est passée également entre la Roumanie et la France. Une part importante des vêtements de la liquidation est échangé contre du pétrole roumain !

Le rachat des stocks américains a-t-il été ou non une bonne affaire pour la France ? Personnellement, je ne le crois pas. Sans entrer dans les questions de la gestion désastreuse de la liquidation, des prélèvements américains sur les stocks et les vols, le contexte économique de l’après guerre est traversé par les crises financières et la chute de la monnaie française alors qu’il fallait rembourser au gouvernement des Etats-Unis, capital et intérêts de plus en plus lourd puisque le dollar passe de 7 à 17 F.

Je me permets de conclure en citant le S/S d’Etat aux Finances du gouvernement d’Aristide Briand, Monsieur André Paysan : « Si l’Amérique comprenait que son rôle amical n’a pas été fini par la paix et si elle faisait remonter le franc à un cours normal, l’opération ne serait pas si mauvaises qu’on à pu le craindre pour la France ».

Complément

L’Etat français a acheté la totalité des camps américains pour la somme de 400 millions de dollars (soit 5 milliards 696 millions de francs en 1920). La France a, en outre, payé 9% d’intérêt tous les six mois, payable au cours. En chiffres ronds la sous-commission du commerce arrive à 6 milliards et demi de francs de dépenses.

M. Doumer (Ministre des Finances), en février 1921, devant la Chambre des députés

« En face, les recettes s’élèvent à 2,5 milliards de francs fin 1920 (Cessions aux particuliers : 905 millions de francs dont 616 millions ont été payés ; cessions aux services publics : 1 milliard 612 millions dont 372 millions ont été payés)

Mettons qu’il reste encore un milliard de marchandises à écouler, soit à cette date, une perte sèche de 3 milliards et 258 millions pour l’Etat français ! L’accord conclu fournissait les marchandises sans aucun cours, sans aucune garantie et les Américains s’étaient réservé le droit de vivre sur les camps jusqu’à leur départ. »


Robert GAUTIER


1 Paul Morel, député gauche radical de la Haute-Saône, Sous-secrétaire d’Etat au Finances du 6 février au 27 novembre 1919 et chargé de la Liquidation des stocks dans le gouvernement Clemenceau.

2 Emmanuel Brousse, député des Pyrénées Orientales, inscrit au groupe de la gauche républicaine démocratique, sous secrétaire d’Etat aux finances du 20 janvier 1920 au 16 janvier 1921. André Paisant, député de l’Oise inscrit au groupe de la gauche républicaine démocratique, sous secrétaire d’Etat aux Finances du 17 janvier 1921 au 15 janvier 1922 dans le gouvernement d’Aristide Briand.

3 Victor Constant, député de la Haute-Loire au sein de l’entente Républicaine Démocratique affiliée à la Fédération Républicaine, parti conservateur.