Le margouillat

Il y a en Afrique de l’Ouest un petit lézard à tête rouge qu’on appelle margouillat, représenté ici en image d'en-tête. Le margouillat remue continuellement la tête de bas en haut. Les Ivoiriens expliquent qu’il était antan très riche. Voulant savoir ce qu’est la pauvreté, il s’adressa à un animal avisé, le lièvre selon une version, l’homme selon une autre, qui lui expliqua qu’il lui suffisait de charger toute sa richesse sur une pirogue, d’aller au milieu du fleuve et de l’y faire basculer. Ce que fit le margouillat qui, depuis, connaît la pauvreté et remue constamment la tête en disant : « si j’avais su ».

La leçon du margouillat est aussi celle de l’Ecclésiaste (ch. 9, v. 10) : « Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le ; car il n’y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse, dans le séjour des morts, où tu vas. » C'est aujourd'hui le moment à saisir, avec ce qu'on a aujourd'hui plutôt qu’avec ce qu'on aurait en un demain hypothétique ou avec ce qu'on n'a plus. Aussi : ne pas se confondre en « si j’avais su ». Il n'y a plus d' « avant ».

Et, lézard, le margouillat est proche aussi du symbole de l'âme.

« Dans le procès-verbal d'interrogatoire (de 1320) du berger Pierre Maury qui comparut à Pamiers devant l'évêque inquisiteur Jacques Fournier, apparaît ce symbole. Dans le monde des derniers cathares pyrénéens, une tête d'âne est visitée par une âme-lézard. Enfin, si nous remontons encore dans le temps, jusqu'au VIIIe siècle, nous découvrons la première attestation de ce thème dans l'Histoire des Lombards de Paul Diacre. L'aventure est attribuée au roi de Bourgogne Gontran (561-592). C'est un petit serpent qui, sorti de la bouche du souverain endormi, cherche à franchir un ruisseau. L'écuyer qui assiste à la scène pose son épée en guise de pont, le serpenteau s'enfonce dans un trou de la montagne puis réintègre le corps endormi avec la vision, bientôt confirmée, d'un fabuleux trésor. » (Cité par D. Fabre, « Rêver. Le mot, la chose, l'histoire », Terrain, n° 26, 1996, pp. 69-82.)

L'âme-lézard-margouillat en quête de son trésor, demandant avec l'Ecclésiaste (3, 21) : « Qui sait si le souffle des fils de l’homme monte en haut, et si le souffle de la bête descend en bas dans la terre ? » — jusqu'à la rencontre de son esprit-parèdre-anima demeurant hors du temps, pour le jour de la résurrection : « si notre âme a, comme une corde, une seule fois tressailli et résonné de bonheur, alors […] l'éternité tout entière était, dans cet instant unique de notre acquiescement, saluée, rachetée, justifiée et affirmée. » (Nietzsche)

Alors, « vois la vie avec la femme que tu aimes pendant tous les jours de ta vie de vanité » (Ecc 9, 9) ». « Jette ton pain sur la face des eaux, car avec le temps tu le retrouveras » (Ecc 11, 1).