Séminaire PHITECO 2026
Techniques & handicaps :
concevoir l'accessibilité ?
du 19 au 23 janvier 2026
Amphithéâtre FA 100 (centre Benjamin Franklin) - Université de technologie de Compiègne
du 19 au 23 janvier 2026
Amphithéâtre FA 100 (centre Benjamin Franklin) - Université de technologie de Compiègne
Organisation : Elodie Gratreau, Pierre Steiner et Vincenzo Raimondi
Inscriptions : par mail à chimene.fontaine@utc.fr
D'après l'ONU, « les personnes handicapées constituent la plus grande minorité du monde ». L’expression « situation de handicap » rassemble en fait des situations très variées : handicaps sensoriels (comme la déficience visuelle ou la surdité), maladies chroniques invalidantes (comme le diabète ou la sclérose en plaques), handicaps cognitifs (comme les troubles dys-), troubles mentaux (dépression, schizophrénie…), ou encore handicaps moteurs (comme la paralysie ou absence de membre(s)).
Malgré cette grande variété de situations, la conception de dispositifs techniques est souvent le mode de réponse privilégié aux handicaps. Ces techniques sont généralement pensées comme des instruments d’accessibilité qui viendraient compenser les déficits et incapacités auxquels les personnes font face dans leur quotidien du fait de leur handicap. Qu’il s’agisse de rampes d’accès, d’interprétations en langue des signes française ou d’audiodescription, de prothèses de membres, de créneaux à faible stimulation sensorielle dans les supermarchés ou de dispositifs de politique publique, ces techniques ont en commun des présupposés sur ce qu’est le handicap (une incapacité) et sur la meilleure manière d’y répondre (rendre accessible malgré l’incapacité). Or, ces présupposés sont parfois nuancés voire rejetés dans la littérature scientifique et par des personnes concernées : ils ne vont pas de soi.
Le séminaire PHITECO 2026 « Techniques et handicaps : concevoir l'accessibilité ? » propose donc d’examiner les rapports complexes et pluriels qu’entretiennent techniques et handicaps autour du principe de l’accessibilité, qui est à la fois un concept (associé à une vision de ce qu’est le handicap) et un principe de conception. Nous questionnerons la conception de l’accessibilité par les regards croisés de nombreuses disciplines (philosophie, sociologie, histoire, neurosciences, design…).
Les inscriptions pour assister au séminaire PHITECO 2026 sont ouvertes.
Le nombre de places disponibles étant limité, l'inscription est obligatoire.
Pour vous inscrire, merci d'envoyer un mail à chimene.fontaine@utc.fr
PROGRAMME DU SÉMINAIRE
LUNDI 19 JANVIER
10h00 Elodie Gratreau, Pierre Steiner & Vincenzo Raimondi, Présentation du séminaire
10h55 Virginie Leviel, Présentation du relai handicap de l’UTC
11h25 Irène Labbé-Lavigne (Costech, UTC & ETHICS-CEM, Université catholique de Lille), Vers une théorie « plus que politique » du handicap : repenser les rapports entre technique et handicap
14h00 Stéphane Zygart (Université de Lille - Sciences Po Lille), Personnes sourdes et surdité, usages et normalités des normes
15h25 Pierre-Yves Baudot (CESSP, Paris 1 Panthéon-Sorbonne ), Titre à venir
◽16h50 Atelier d’initiation à la langue des signes française, organisé par l’association UTCSign
MARDI 20 JANVIER
10h00 Céline Borelle (SENSE-Orange et CEMS), Numérique & handicap psychique
11h25 Marion Ink (Inserm et CEMS), Les temporalités handicapées (crip time), les technologies et les normes temporelles
14h00 Marie Pieron (CNRS UMR 8002), AutiSenCité : co-concevoir l’accessibilité de la ville avec les personnes autistes et les collectivités territoriales
15h25 Sophie Larger (ENSAD PSL), Senior Mobile : habiter le soin par le mouvement. Une approche design et chorégraphique de l’accessibilité en gériatrie
◽16h50 Projection de « Smart Arm : une aventure humaine et technologique », en présence de la réalisatrice Océane Dubois
MERCREDI 21 JANVIER
10h00 Damien Rudaz (CIRCD, Université de Copenhague), Deux conditions de possibilité pour des intelligences artificielles efficaces dans les tâches d’assistance incarnées
11h25 Nicolas Esposito (Gobelins Paris), Penser l’ouverture des possibilités. Approche conceptuelle et méthodologique pour la conception inclusive
14h00 Kevin Charras (CHU Rennes - Living Lab Vieillissement et Vulnérabilités), La recherche et l’innovation médicosociale : entre épistémologie existentielle, empirisme subjectif et humanismes essentiels
15h25 Elodie Gratreau (Costech, UTC), De l'expérience à la participation : dispositifs d'inclusion des personnes atteintes de troubles mentaux en recherche et en clinique
◽16h50 Atelier « Défendre l'inclusivité auprès de ceux qui ne sont jamais exclus: Le cas de l'inclusivité et de l'accessibilité dans l'informatique », organisé par Page Magnier--Slimani et Maxence Vahedi (UTC)
JEUDI 22 JANVIER
10h00 Nathanaël Jarrassé (ISIR UMR7222), Penser l’accessibilité des prothèses : entre technique(s), environnement(s) et formation(s)
11h25 Lucie Dalibert (S2HEP, Université Claude Bernard Lyon 1), Quelle autonomie promise par les prothèses ? Réflexions sur les usages et les non-usages des dispositifs prothétiques
Après-midi consacré à la préparation des soutenances
VENDREDI 23 JANVIER
09h00-12h00 Soutenances
13h30-16h30 Soutenances
ARGUMENTAIRE
Le vieillissement progressif de la population, de meilleures prises en charge médicales réduisant la mortalité de certaines maladies, ainsi que la qualification croissante de diverses situations comme relevant d’un handicap conduisent aujourd’hui à une transition épidémiologique telle que « les personnes handicapées constituent la plus grande minorité du monde » (ONU[1]). Les contours de cette « minorité » sont mouvants, un corps valide (c’est-à-dire : non handicapé) pouvant n’être que temporaire à l’échelle d’une vie. La situation de handicap est susceptible d’être partagée par tou·te·s à un moment ou à un autre de la vie, à différents degrés et dans des temporalités diverses. Dans cette logique, parce qu’une caractéristique fondamentale de l’humanité serait de compenser ses déficiences par la technique (c’est le mythe de Prométhée), la technique est pensée comme un mode de réponse privilégié aux handicaps.
Aujourd’hui, dans la mesure où les handicaps sont pensés comme des « situations » (c’est le sens de la fameuse loi de 2005 dont on fête les vingt ans[2]), les techniques proposées pour les prendre en charge sont généralement comprises comme compensations de cette situation, et ainsi des solutions pour atteindre des objectifs d’inclusion et d’accessibilité (Reichhart et Lomo Myazhiom 2020). Le principe de l’accessibilité est une réponse au postulat que le handicap entrave l’accès à certaines activités, certains espaces, ou encore certains droits, et qu’il faut alors mettre en œuvre des dispositifs de compensation de manière à y garantir un accès universel. C’est l’objectif que semblent avoir, par exemple et à des degrés divers, les rampes d’accès, permettant de compenser ou contourner les marches pour les personnes à mobilité réduite ; les interprétations en langue des signes française ou le principe d’audiodescription ; les prothèses de membres ; les créneaux à faible stimulation sensorielle dans les supermarchés ; et ainsi de suite. Une telle conception de l’accessibilité va donc avec une conception du handicap comme un empêchement, et comme une incapacité d’accès – une conception qualifiée de « capacitisme » (ableism en anglais, visible dans le mot « dis-ability »). Être en situation de handicap, ce serait ainsi être privé·e de certaines capacités supposées pourtant normales chez l’être humain, dans un sens d’abord biologique (Charras et al. 2022). Capacitisme et accessibilité s’accommodent bien de la conception dite prothétique de la technique dans un sens « faible », instrumental (Kittay 2011) : la technique serait alors une variable d’ajustement pour permettre à chaque individu de performer une norme capacitaire valide eût égard à ses (in)capacités individuelles. En ce sens, une personne en situation de handicap peut donc bénéficier de techniques la rendant capable d’accéder à un monde conçu par et pour les valides. C’est ce qu’Ashley Shew (2024) appelle le « techno-capacitisme » (techno-ableism).
Une telle vision de la place des techniques pour les handicaps, comme simples instruments de l’accessibilité, semble cependant négliger les apports de la thèse de la technique comme anthropologiquement constitutive (Lenay 2024; Steiner 2010, 2024). Si on postule que la technique est constitutive de l’expérience humaine, alors la prothèse n’est plus un supplément contingent à une « déficience » ou incapacité, mais une condition originaire du rapport humain au monde. Sans diluer les spécificités des situations de handicap, cet angle sur la technique invite à aborder ce que serait une ingénierie de l’accessibilité sous un autre jour : il met en lumière les fragilités, dépendances et interdépendances qui fondent notre existence technique et révèle que ce que nous appelons « capacités » ou « normalité » ne peut être saisi qu’en référence à un système sociotechnique donné, avec ses normativités associées. Autrement dit, aussi bien la qualification de la situation de « handicap » que la conception sous-jacente, qui rabat le handicap sur une incapacité individuelle à compenser par des dispositifs, sont au moins partiellement techniquement constituées, embarquant un certain nombre de valeurs et de présupposés qui ne vont pas de soi (sans que cela implique d’emblée qu’ils soient mauvais) et qui interrogent ce que peut ou doit être une ingénierie de l’accessibilité.
Il faut d’ailleurs noter que les études sur les handicaps, pour la plupart issues des Disabilities Studies, se sont attachées à explorer la complexité de ces situations et des effets de leur prise en charge tour à tour par les sciences médicales et politiques publiques, allant de pair avec l’élaboration et parfois imposition de dispositifs techniques. Dans la mesure où les Disabilities Studies peuvent être définies comme « l’intrication » de « la place, y compris scientifique, donnée aux “usagers” », de « l’existence d’un mouvement de personnes handicapées », et de la structuration d’une forte interdisciplinarité (Albrecht, Ravaud, et Stiker 2001), il convient d’interroger la place que peuvent prendre les personnes concernées dans la conception des techniques qui leur sont destinées. Articuler différents types de savoirs, différentes disciplines et différentes valeurs finalement cristallisés dans des objets techniques concrets ne va pas sans difficultés et invite à la réflexion méthodologique.
Finalement, à partir du cadre de l’accessibilité, un certain nombre de questions et tensions surgissent. Quelles normes et quelles valeurs ont structuré les conceptions actuelles des handicaps et des droits associés, comme celui de l’accessibilité, et qui les incarnent ? Quelles techniques ont été et sont mobilisées dans la prise en charge (médical, socio-politique…) des handicaps, et avec quels effets ? Quelle place donner aux personnes concernées, entre injonction radicale d’autonomie et invisibilisation des difficultés concrètes rencontrées par ces personnes et leur entourage (Marquis 2024) ? Peut-on, et doit-on, articuler les postures critiques du « techno-capacitisme » (Shew 2024) et celles qui tentent d’élaborer une ingénierie de l’accessibilité, pour finalement construire un nouveau cadre ? Finalement, comment aborder la conception technique dans le domaine des handicaps et de l’accessibilité, sans sacrifier la pluralité des situations, des trajectoires, et des savoirs ?
Ce qui est qualifié de « handicap » a pu varier au cours de l’histoire, faisant ainsi apparaître une diversité de situations et d’appareillages pour y faire face. Le concept même de handicap porte une charge théorique et axiologique qu’il faut contextualiser et discuter. Cet axe accueillera ainsi des interventions relevant en particulier de l’histoire, de la philosophie ou des sciences cognitives : elles pourront aussi bien aborder des cas spécifiques (histoire de la surdité ; histoire du fauteuil roulant…) que des problèmes plus généraux relatifs aux concepts de handicap, de capacitisme (et ses liens avec le début naturalisme / normativisme en philosophie de la médecine), de techniques du / pour le handicap, mais aussi à la variété des savoirs sur le handicap (articulation des savoirs expérientiels et biomédicaux par exemple).
Aujourd’hui, ce qui est qualifié de handicap est cadré par un ensemble de textes législatifs ou chartes qui en donnent une définition, parfois une classification (handicap moteur, cognitif, trouble de la santé invalidant, etc.), et qui définissent les droits associés à ces situations. Ces définitions mettent l’accent sur les incapacités des individus concernés, qu’il faudrait donc compenser, invisibilisant ainsi les choix de conception antérieurs qui ont pu conduire à des incapacités (qui seraient alors extérieures aux individus). De ce point de vue, il y aurait une production sociale de l’(in)accessibilité. Par exemple, la hauteur standard de nos meubles met en incapacité un ensemble d’individus de les utiliser, comme les personnes en fauteuil roulant… et les enfants. Cet axe souhaite ainsi accueillir des interventions relevant en particulier des sciences sociales : elles pourront par exemple revenir sur le principe de l’accessibilité comme dispositif de politique publique, sur les mouvements de participation des usagers et usagères, sur les récents travaux intersectionnels critiquant le capacitisme, mais aussi sur le rôle parfois excluant des techniques.
Il existe de nombreux dispositifs destinés aux personnes en situation de handicap, qu’il s’agisse de les appareiller pour compenser leur situation, ou bien d’aménager les espaces collectifs pour tenir compte de leurs spécificités (dans toute leur diversité). Ces dispositifs sont le résultat de processus de conception, qui incluent aussi bien des cahiers des charges que des méthodes, au premier rang desquelles s’imposent aujourd’hui des formes de participation des usagers et usagères, en lien avec la reconnaissance croissante de leurs savoirs expérientiels. Cet axe est destiné à accueillir des interventions d’orientation méthodologiques pour l’ingénierie de dispositifs destinés aux situations de handicap : il pourra par exemple s’agir de retours d’expérience sur des processus de conception finalisé ou en cours, ou d’enquêtes sur la réception de ces dispositifs.
[1] https://www.undp.org/fr/communiques/lonu-appelle-davantage-de-soutien-pour-les-personnes-handicapees
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000809647
Albrecht, Gary L., Jean-François Ravaud, et Henri-Jacques Stiker. 2001. « L’émergence des disability studies : état des lieux et perspectives ». Sciences sociales et santé 19(4): 43‑73. doi:10.3406/sosan.2001.1535.
Charras, Kevin, Colette Eynard, Fany Cérèse, et Ankel Cérèse. 2022. S’affranchir du concept de handicap : critique constructive d’une notion obsolète. Paris: Éditions In press.
Kittay, Eva Feder. 2011. « The Ethics of Care, Dependence, and Disability ». Ratio Juris 24(1): 49‑58. doi:10.1111/j.1467-9337.2010.00473.x.
Lenay, Charles. 2024. « La constitutivité technique : approche expérimentale ». In Prendre soin des milieux. Manuel de conception technologique, Essais, éd. Mathieu Triclot. Paris: Éditions Matériologiques, 193‑214.
Marquis, Nicolas. 2024. « Idéaux et pratiques de la “désinstitution” en santé mentale ». In La santé mentale en mouvement : Entre nouvel ordre thérapeutique et dispersion des pratiques, Le regard sociologique, éd. Nadia Garnoussi, Françoise Champion, et Elsa Forner. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 69‑90. doi:10.4000/135sf.
Reichhart, Frédéric, et Aggée Célestin Lomo Myazhiom. 2020. « Du handicap à l’accessibilité ». In Handicap et espaces, éd. Sana Benbelli, Jamal Khalil, Maria Fernanda Arentsen, et Florence Faberon. UCA Handicap et citoyenneté, 91‑101. https://hal.science/hal-03081763 (19 septembre 2025).
Shew, Ashley. 2024. Against Technoableism: Rethinking Who Needs Improvement. New York, NY: W. W. Norton & Company.
Steiner, Pierre. 2010. « Philosophie, technologie et cognition. Etats des lieux et perspectives ». Intellectica. Revue de l’Association pour la Recherche Cognitive 53(1): 7‑40. doi:10.3406/intel.2010.1176.
Steiner, Pierre. 2024. « La constitutivité technique : enjeux théoriques ». In Prendre soin des milieux. Manuel de conception technologique, Essais, éd. Mathieu Triclot. Paris: Éditions Matériologiques, 171‑91.